La Grande Armée
24 Septembre 1805: Napoléon quitte le château de Saint-Cloud pour conduire la première campagne impériale. Quelques semaines plus tôt, il a donné les ordres pour que son armée le rejoigne sur la rive gauche du Rhin, avant de s’élancer vers le cœur de l’Europe, par la vallée du Danube.
La Grande Armée est en marche.
Mais, au fait, cette armée, qu’elle est-elle ? Ces soldats, qui sont-ils ?
Le soldat impérial n’est pas né ce jour là. C’est le soldat de la Révolution, du Directoire et du Consulat, qui s’est lentement instruit, aguerri, puis discipliné pour former une chose alors inconnue dans le monde: l’armée d’une Nation, recrutée dans toutes les classes de la société. Et de cette Nation, elle en a les qualités, mais aussi les défauts.
Rappelons-le: jusqu’en 1793, l’année de la Patrie en danger , l’armée est exclusivement de métier, les hommes s’engageant pour huit ans, la plupart du temps sans congé. beaucoup rempilent une, voire deux fois pour, après 24 ans de service arborer le « médaillon de vétérance », décerné sur le front des troupes.
En tout, en incluant la milice provinciale, 250 000 hommes environ. dont 9500 officiers issus de la noblesse, parfaitement ignorants des problèmes des soldats, et dont, d’ailleurs, près de la moitié va émigrer.
En 1793, la France ne dispose encore que d’une armée incohérente et instable, avec ces soldats d’Ancien Régime, les volontaires enthousiastes de 91, les médiocres et les rebuts de 92. Elle va y ajouter le tout-venant.
Face au danger d’invasion du territoire, la Convention impose, en février 93, la réquisition de tous les hommes de 19 à 25 ans. L’intention était bonne et, certes, patriotique. Elle comportait cependant de graves défauts, comme celui d’engager essentiellement des fantassins incultes. La proportion de cavalerie, par exemple, passe de 25% à presque 10%, alors que l’ennemi dispose de cavaliers nombreux et entraînés. La retraite sera générale, ou presque.
Carnot, pourtant, va réussir à reconstituer un semblant d’armée, amalgamant anciens et nouveaux, avec laquelle Bonaparte va quérir ses lauriers en Italie et en Egypte. Finalement, le 5 septembre 1798, le Directoire décide du service obligatoire, et crée la conscription (c’est la loi Jourdan). La durée du service est de 1 à 5 ans en temps de paix, illimitée en temps de guerre. Y sont soumis les hommes de 20 à 25 ans. N’y sont pas soumis: les inscrits maritimes, ceux qui ont tiré un bon numéro lors du tirage au sort, les hommes mariés et ceux qui sont affectés de déficiences physiques. Si l’on est riche, on peut se payer un remplaçant.
Napoléon ira dans le sens voulu par ses prédécesseurs: par sénatus-consulte suffira pour mettre en place la conscription, l’appel en activité étant décidé par décret impérial.
Sans la conscription il ne peut y avoir ni puissance, ni indépendance nationale.(..).nos succès et la force de notre position tiennent à ce que nous avons une armée nationale: il faut s’attacher avec soin à en conserver l’avantage.
Cette conscription fut, jusqu’à l’époque du Consulat, affreusement impopulaire, de nombreux témoignages en témoignent:
Le soldat François Joskin:
« Je m’ennuie si fort, que je ne fais que pleure tous les jours. Ma mère, le grand malheur que j’ai eu de tomber dans la conscription. La malheureuse vie que c’est d’être soldat. »
Le soldat Joseph Floskin:
Je pleure, mais j’ai beau appeler, cela ne sert à rien. Je ne vis plus dans ce moment, car je n’ai aucun divertissement dans ce monde. »
Le grenadier Michel Piquet:
« Je fais bien des compliments à ma bonne amie Marie Josèphe, que je voudrais voir près de moi, pour me blanchie mes chemises.(..) Si elle veut venir, la route n’est pas grande. Il n’y a que 500 lieues à faire pour venir me trouver. »
Un amoureux transi:
« Je commence beaucoup à m’ennuyer.(..) Daignez penser à moi, comme je pense à vous. Mon amie, ne vous désolez pas, quoique je sois soldat »
Un autre:
« Si jamais voyage m’a causé de déplaisir, Chère Madame, c’est sans doute celui qui m’éloigne de vous. Je regarde comme tout à fait perdus les jours que je ne passe point auprès d’une personne aussi accomplie que vous, Mademoiselle ».
Et le soldat Joseph Leclerc résume ce que pense sans doute ses camarades:
« Si j’avais 36 frères, je conseillerais à aucun de servir, car en vérité c’est un pauvre état ».
Car la vie n’est pas bien folichonne et semble bien rude aux jeunes recrues, dans les casernes vétustes issues de l’Ancien Régime, sur des couches faîtes de paille, que l’on occupe à deux:
« Mon camarade de lit est un excellent homme, très propre pour un paysan »
se rappellera plus tard le colonel Gourneville, comme il se souvient
« de ce Robin, (…) un véritable brigand,…., qui avait pillé, violé, assassiné, et ce à la connaissance de tout le régiment. La compagnie était du reste riche en gens de cette trempe, et les horreurs qu’ils racontaient les uns des autres faisaient dresser les cheveux sur la tête ».
Mais dans la période qui a suivi la paix d’Amiens, la conscription avait presque finie par être tolérée, sans doute parce qu’appliquée avec le minimum d’exigences, parce qu’en quelque sorte adoucie: on avait appelé qu’un nombre relativement modique de jeunes gens pour renforcer des armées au repos.
Pour cette campagne, comme pour les années qui ont précédées, la levée a relativement été faible: en tout, 360 000 hommes entre 1801 et 1805 (dont 200 000 vont constituer l’armée du camp de Boulogne). La reprise de la guerre n’a donc pas provoqué la résistance à laquelle on pourrait s’attendre. Apparemment séduits par les avantages proposés, de nombreux jeunes gens se présentent pour entrer dans les vélites.
Le Préfet de Paris:
« Le tirage au sort a eu lieu avec un meilleur esprit que l’année dernière. le même esprit a régné dans les arrondissements de Sceaux et de Saint-Denis. »
Et la majorité des Préfets signalent que la consription s’est faite avec ordre. Il est vrai que Napoléon avait écrit au Ministre de l’Intérieur:
« Dites leur que c’est mal servir l’État que d’apporter la moindre négligence à un objet aussi important. »
Les nouveaux venus sont amalgamés aux anciens (ce fut la grande innovation de Carnot), de sorte que, situation qui se détériorera rapidement dans le futur, l’armée est, pour l’instant, presque entièrement formée de vieux soldats, la plupart n’ayant pas cessé de se battre sous la Révolution, les moins anciens ayant pris part aux dernières opérations, jusqu’à Marengo, avec Bonaparte ou Moreau.
Ces vieux soldats (si l’on peut dire, car certains n’ont pas trente ans), Napoléon les a observés à l’œuvre à Boulogne. « La pâte était bonne » comme disait Dumouriez à Valmy. Que dirait-il maintenant ! Depuis l’An II de la République, ils ont fait la guerre, et quelle guerre ! Armées du Nord, du Rhin et Moselle, de Sambre et Meuse. d’Italie, d’Egypte ! Leurs Chefs sont, ou ont été illustres: Kellermann, Jourdan, Masséna, Pichegru, Hoche, certains jusqu’à faire ombre au nouveau maître de la France. Leurs victoires ne le sont pas moins: Valmy, Jemmapes, Fleurus, Lodi, Arcole, Rivoli, les Pyramides et, juste avant cette paix revenue qui vient de se rompre, Marengo.
Ils sont l’armature de cette nouvelle armée française qui va bientôt devenir, du Rhin au Danube, la grande Armée. Leur métier, c’est d’être soldat, avec tout ce que cela signifie. Certes, car toute leur vie s’est passée en pays conquis, ils sont vite, en garnison, insupportables et, les pauvres, ils n’ont pas bonne réputation. A l’entrée des jardins ne lit-on pas: Ni chiens, ni filles, ni laquais, ni soldats » !
Mais en campagne, ils sont infatigables et disciplinés sur le champ de bataille, où ils offrent leur vie sans compter, n’abandonnant jamais leur aigle, où ils considèrent comme une disgrâce d’être placé en réserve. Et Napoléon le sait:
A Soult:
Mettez à l’ordre de votre corps d’armée, que s’ils veulent se battre, il faut que la 1e division soit à Memmingen avant 9h ce matin, sans quoi ils ne seront pas à la bataille »
Ils connaissent mille tours pour, à la halte, fournir le vivre et le couvert et dénicher l’indispensable, et même le superflu.
Philippe René Girault (musicien au 93e de ligne):
« Le souper terminé, la baronne, qui était un peu échauffée, dit à sa femme de chambre d’aller coucher avec les filles de la maison, que, quant à elle, elle coucherait sur des chaises.(..)Je lui offris mon lit. On refusa, on ne voulut accepter que le pied du lit. Je me couchai donc seul. Mais le lendemain, au réveil, nous étions deux sous la même couverture, après une nuit charmante. »
Ces vieux soldats maintiennent un formidable esprit de corps, tenant à leur compagnie comme un enfant à sa famille (en ont-ils une encore ?), sauf à être muté dans la Garde, seule place où ils ne pensent pas déchoir.
Et puis ! Ils sont l’exemple, sinon le rêve, pour les autres, les jeunes conscrits, qui n’acceptent pas facilement d’être envoyés aux quatre coins de l’Europe, pour guerroyer. Et pourtant, malgré des conditions déplorables de vie de garnison, souvent astreints à l’exercice par tous les temps, huit heures par jour, comme des deux dernières années, à Boulogne, lorsqu’on les préparait à envahir l’Angleterre, oui, malgré tout cela, et plus encore, les jeunes recrues (au moins en cette année 1805), se prennent à aimer leur nouvelle vie.
« On trouvait parmi eux d’admirables fait s de bravoure dont ils se vantaient infiniment moins que de leurs méfaits. J’étais devenu leur camarade »
raconte encore le colonel Gourneville. Ses camarades, tout comme lui, aux récits des anciens, embellis par l’ennui de la vie de caserne, ne tardent pas, et ils ne seront pas les seuls, à rêver et, bientôt, à assimiler l’image de leur pays à celle de l’Empereur. Et ce dernier pourra leur demander les plus grands sacrifices, tant il fût, toujours, près d’eux, appliquant la maxime:
« Vivre avec les soldats, c’est connaître leurs vertus, ailleurs, on ne connaît que leurs vices ».
L’encadrement
Les sous-officiers sont de premier ordre, soit qu’ils exerçaient déjà leurs talents il y a 15 ans, dans les troupes royales, soit qu’ils soient issus du rang, par leur bravoure et leur aptitude au commandement.
Et les Chefs ! Citer les noms de ceux qui conduisent, en ce début de campagne, les six corps d’armée et la cavalerie, est synonyme de bravoure et de gloire militaire: Bernadotte (malgré tout ce qu’on pourra raconter plus tard), Marmont, Davout, Soult, Lannes, Ney, Murat.
Ce qui frappe, c’est, avant tout, leur jeunesse. En cette année de reprise des hostilités, nombreux sont les généraux qui sont plus jeunes que leurs capitaines, la moyenne d’âge des 141 officiers généraux que compte l’armée française est inférieure à 40 ans ! Des maréchaux de 37 ans commandent certains corps au-dessus de divisionnaires de 35. Des hommes qui, sous d’autres drapeaux, auraient considéré comme une chance de commander, à leur âge, un régiment, et qui avaient été portés sur le devant de la scène, certains combattant depuis 12 ans déjà ! Avec la même foi, le même amour, il y a peu, de la Patrie, maintenant, de la Nation, surtout que cette Nation est désormais incarnée en un homme, sorti de leurs rangs, pour devenir un Chef. Aucun d’entre eux n’avait peur des responsabilités, ni perdu le sens des décisions rapides, si nécessaires à la guerre.
L’Empereur les visite souvent, ces vieilles troupes et exerce sur eux ce superbe talent qu’il a de les subjuguer et de leur forger une âme de vainqueur. A Strasbourg, avant de les lancer, tels des torrents, vers la vallée du Danube, ne leur dit-il pas:
« Soldats, votre empereur est au milieu de vous ! Vous n’êtes que l’avant garde du peuple français.(..) Nous ne prendrons de repos que nous n’ayons planté nos aigles sur le territoire de l’ennemi »
Et il ne les ménage pas ! « L’Empereur fait la guerre avec nos bottes », ce qui n’est pas qu’une image: pour être présents sur le champ de bataille d’Austerlitz, les hommes de la division Friant parcourront, en 48 heures, plus de 65 kilomètres, et ce dans des conditions plus que difficiles.
Il invente, avant un autre général, le fameux « l’intendance suivra ».
Berthier (c’est Napoléon qui dicte !):
« Dans la guerre d’invasion que fait l’Empereur, il n’y a pas de magasins. C’est au généraux à se pourvoir des moyens de subsistance dans les pays qu’ils parcourent ».

Les Chefs sont eux aussi mis sous pression. A Soult, qui court après un corps autrichien, vers Ratisbonne:
« Ne vous donnez pas de repos….il faut que vous m’enleviez ce corps. Le moins que vous puissiez m’envoyer, c’est trois à quatre mille prisonniers. »
Soult s’exécute et, très fier, annonce à l’Empereur qu’il envoie…120 prisonniers, et deux canons. Le pauvre !
« Mon Cousin. Je verrai avec plaisir vos 120 gros cuirassiers pris par les petits chasseurs.(..) Mais j’aurais voulu avoir tout le régiment. »
Même traitement pour Murat:
« J’attends les huit drapeaux et les prisonniers que vous avez fait. Deux mille, c’est bien peu ! »
Mais il sait aussi parler à ses soldats. Au lendemain d’Ulm:
« Soldats, ce succès est du à votre confiance sans borne dans votre Empereur, à votre patience à supporter les fatigues, à votre rare intrépidité. Mais nous ne nous arrêterons pas là: vous êtes impatients de recommencer une seconde campagne….C’est là que v se décider pour la seconde fois cette question qui l’a déjà été en Suisse et en Hollande, si l’infanterie française est la première ou la seconde en Europe.(..) Tout mon soin sera d’obtenir la victoire avec le moins possible d’effusion de sang: mes soldats sont mes enfants ».
L’organisation générale suit le schéma: corps d’Armée, division, brigade, régiment, bataillon, compagnie (escadron). A Austerlitz, ce seront essentiellement les corps d’Armée 3 (Davout), 4 (Soult) et 5 (Lannes) qui vont participer à la bataille.
La base de l’armée, c’est, bien sûr, le fantassin, qui va bientôt devenir le grognard, célébré par Rostand:
Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades
Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
Sans espoir de duchés ni de dotations;
Nous qui marchions toujours, et jamais n’avancions. »
Les régiments d’infanterie comprennent chacun deux bataillons, eux mêmes subdivisés en 5 compagnies, lesquelles comprennent également 5 escadrons. On y trouve: les grenadiers, les fusiliers, les voltigeurs et l’infanterie légère. Ils sont vêtus de bleu: c’est d’ailleurs la couleur dominante de toute la Grande Armée, depuis la Révolution.
Capitaine Coignet:
« Quand nous étions sous es armes, nous portions l’habit bleu à revers blancs, échancré sur le bas de la poitrine, la veste de bazin blanc, la culotte et les guêtres de même… En petite tenue, nous avions le frac bleu, la veste de bazin blanche, la culotte de nankin et les bas de coton blanc uni.(..) Nous étions magnifiques. »
Comme ses camarades, il porte avec lui le fusil modèle 1777, à peine modifié, pesant 4 kg 375, dont la manœuvre est lente: la vitesse d’un tireur exercé est de deux coups par minute. Et encore: le silex rate une fois sur quinze. Le tir est précis entre 100 et 200 mètres, voire efficace jusqu’à 500, mais alors le soldat tire au jugé. Une baïonnette de 56 cm complète le fusil. En tout, notre brave fantassin porte environ 25 kilos, auxquels s’ajoutent de menues choses pour le campement:
« Nous sur lesquels pendant dix-sept ans, songez-y
Sac, sabre, tourne-vis, pierre à feu, fusil,
– Ne parlons pas du poids toujours absent des vivres! –
Ont fait le doux total de cinquante-huit livres ! »
tonitrue encore Flambeau.
La cavalerie est partagée en cavalerie légère (hussards, chasseurs à cheval) et cavalerie lourde (cuirassiers, carabiniers, dragons), dont la fonction est d’éclairer les armées, d’intervenir ponctuellement, souvent d façon décisive et, enfin, de parachever la victoire en poursuivant l’ennemi vaincu. Ici, on ménage l’élégance, on est pas loin des fastes de l’Ancien Régime, d’où une grande diversité des tenues. A Austerlitz, c’est Murat qui conduit les cuirassiers d’Hauptoul et de Nansouty, les dragons de Walther et Beaumont, les chasseurs de Milhaud et Kellermann. Napoléon les déploiera efficacement dans la petite plaine s’étendant devant le Santon.
Quant à l’artillerie, l’arme savante et chérie de Napoléon, qui ne peut oublier ses premiers lauriers de Toulon, elle comprend des régiments à pieds et à cheval, complétés par des bataillons du train et du génie. Elle utilise le canon Gribeauval, système An XI. On utilise le boulet plein, les boites à mitraille remplies de 42 balles de fonte, ou encore des obus creux chargés de poudre et pourvus d’une fusée à mèche. On engage le tir à 600 mètres, qui demeure satisfaisant jusqu’à 1200; la précision est très relative de 1500 à 1800 m; au delà les tirs sont très hasardeux. La cadence st de trois coups par minute, avec du personnel bien entraîné. Détail très important, l’artillerie est organisée au niveau du corps d’armée, de façon à en permettre une utilisation plus rapide et plus ponctuelle, la réserve générale d’artillerie étant constituée de l’artillerie de la Garde. La batterie de 18 pièces commandée par Cafarelli, sur le Santon, fera merveille.
La garde
La garde Impériale ! Formellement établie le 18 mai 1804, de la fusion de la garde du Directoire et de celle du Corps Législatif, c’est une véritable armée d’élite dans les mains de l’Empereur. Composée, en cette année 1805 d’environ 5000 hommes, elle comprend un régiment de grenadiers à pied, un régiment de chasseurs à pied, un régiment de grenadiers à cheval et une compagnie d’artilleurs à cheval. Tous ses membres sont triés sur le volet: 1 m 80 au moins sous la toise, 10 ans de service au minimum, excellents sujets, quitte à être illettrés (comme le sera longtemps Coignet), mais cela ne jouera qu’au niveau de leur avancement.
Cette Garde, lorsqu’elle défile en tenue d’apparat, ne laisse pas d’impressionner. Un témoin ira jusqu’à dire:
« C’est un des plus étranges et magnifiques spectacles de l’Univers ! »
Cette Garde, que l’Empereur chérira jusqu’à Sainte-Hélène, il l’utilisera comme une véritable armée de réserve. A Austerlitz, elle ne jouera qu’un rôle effacé.
Au total, le nombre des présents sous les armes s’élève, cette année, à 8269 officiers de troupe et 203338 sous-officiers et soldats. 1108 officiers d’état-major les commandent. On compte un peu plus de 29 000 cavaliers et 6400 chevaux du train d’artillerie, traînant 396 pièces d’artillerie. Cela, c’est ce que Napoléon a directement sous la main. S’y ajoutent 50 000 hommes en Lombardie, 20 000 à Naples et 30 000 Bavarois, badois et autres wurtembergeois, alliés plus ou moins volontaires. Au total, environ 300 000 hommes.
En résumé, l’armée de 1805 est un outil incomparable et redoutable. C’est, littéralement, un rassemblement de guerriers. Au contraire du passé récent, où il a du se servir de troupes formées à la hâte, pour parer au plus pressé, l’ennemi menaçant aux frontières, de troupes passant facilement de l’enthousiasme à la panique, Napoléon a maintenant un instrument inégalable, qu’il baptise lui-même La Grande Armée.
Depuis un an, cette grande Armée s’est forgée et a atteint une cohésion sans pareil.
« Savez-vous que mon armée est formidable »
dit-il à Roederer, et Maret écrit:
« Un coup de tambour, et 100 000 hommes sont debout »
Et ce n’est pas là qu’un effet de style. En août, la Grande Armée est encore à Boulogne, ou dans le nord de l’Allemagne. En septembre, elle campe sur la rive gauche du Rhin, de Mannheim à Strasbourg. En octobre, elle enferme l’autrichien Mack et 100 000 de ses hommes dans Ulm. En novembre elle entre dans Vienne. Le 1er décembre, elle est en position en face d’Austerlitz, à la veille de la première, et sans doute, la plus belle victoire impériale.