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La conspiration Malet

A propos d’un document : la conspiration Malet

Dominique Contant – Robert Ouvrard

L’un de nos fidèles amis, Dominique Contant, nous a fait récemment parvenir le texte intégral de la lettre adressée par le général Malet au général Soulier, le 23 octobre 1812, et dans laquelle il fait état « de l’acte du Sénat par lequel il annonce la mort de l’Empereur et l’abolition du Gouvernement impérial ». Il nous a semblé utile de rappeler à nos lecteurs ce que fut cette « conspiration Malet »

Le 19 octobre 1812, Napoléon, ayant reçu, deux jours avant, la nouvelle, rapportée par Lauriston, du refus des Russes d’accepter son offre d’armistice, quittait Moscou et, le lendemain, décidait formellement de commencer la retraite.

A Paris, des évènements pour le moins étranges et inquiétants sont sur le point de voir le jour…. 

Le Général de division commandant en chef la Force armée de Paris et les Troupes de la 1e Division militaire,
A M. Soulier, commandant la 10.e Cohorte.
Au Quartier-général de la Place Vendôme, le 23 Octobre 1812, à une heure du matin.
Monsieur le Commandant,Je donne l’ordre à M. le général Lamotte de se transporter à votre caserne, accompagné d’un commissaire de police, pour faire, à la tête de la cohorte que vous commandez, la lecture de l’acte du Sénat par lequel il annonce la mort de l’Empereur et l’abolition du Gouvernement impérial. Ce général vous donnera aussi connaissance de l’ordre du jour de la division, par lequel vous verrez que vous avez été promu au grade de général de brigade, et qui vous indiquera les fonctions que vous aurez à remplir.Vous ferez prendre les armes à la cohorte avec le plus grand silence et le plus de diligence possible. Pour remplir ce double but plus sûrement, vous défendrez que l’on avertisse les officiers qui seraient éloignés de la caserne. Les sergents majors commanderont les compagnies où il n’y aura pas d’officiers. Lorsque le jour sera arrivé, les officiers qui se présenteront à la caserne seront envoyés à la place de Grève, où ils attendront les compagnies qui devront s’y réunir, après avoir exécuté les ordres qui seront donnés par M. le général Lamotte, et auxquels vous voudrez bien vous conformer en le secondant de tout votre pouvoir.Lorsque ces ordres seront exécutés, vous vous rendrez à la place de Grève pour y prendre le commandement qui vous est indiqué dans l’ordre du jour. Vous aurez sous vos ordres les troupes ci-après désignées :

1° Votre cohorte ;

2° Deux compagnies du second bataillon des vétérans ;

3° Une compagnie du premier bataillon du régiment de la garde de Paris ;

4° Vingt-cinq dragons de la garde de Paris ;

5° La garde que vous y trouverez déjà placée.

Vous ferez toutes vos dispositions pour garder l’Hôtel-de-ville et ses avenues. Vous placerez au clocher de Saint-Jean, un détachement pour être maître de sonner le tocsin au moment où cela deviendrait nécessaire.

Ces dispositions faites, vous vous présenterez chez M. le préfet, qui demeure à l’Hôtel-de-ville, pour lui remettre le paquet ci-joint. Vous vous concerterez avec lui pour faire préparer une salle dans laquelle devra s’assembler le Gouvernement provisoire, et un emplacement commode pour recevoir mon état-major, qui s’y transportera avec moi sur les huit heures.

S’il se présente à vous de ma part des commissaires, ils seront munis d’une carte portant le même timbre que celui placé au bas de cet ordre : vous pourrez prendre avec eux les mesures que les circonstances exigeraient pendant mon absence.

Je m’en rapporte, pour tout ce qui ne serait pas prévu dans cette instruction, à votre sagesse, à votre expérience, et à votre patriotisme, dont on m’a donné le meilleur témoignage. C’est d’après ces raisons que je mets une entière confiance dans vos dispositions.

En exécutant ponctuellement cet ordre, Monsieur le Commandant, vous serez sûr de servir utilement notre patrie, qui en sera reconnaissante.

J’ai l’honneur de vous saluer.

Signé MALET.

P.S. M. le général Lamotte vous remettra un bon de cent mille francs, destiné à payer la haute-solde accordée aux soldats et les doubles appointements des officiers. Vous prendrez aussi des arrangements pour faire vivre votre troupe, qui ne rentrera à la caserne que lorsque la garde nationale de Paris sera assez organisée pour prendre le service. Cette somme est indépendante de la gratification qui vous est destinée.

Portrait général Malet
Portrait général Malet

Ils ont leur point de départ dans une maison de santé, réservée aux détenus malades, près de la porte Saint-Antoine. Là se trouve interné un certain Claude-François de Malet, né à Dôle, dans le Jura, le 28 juin 1754. C’est le fils d’un ancien officier chevalier de Saint-Louis, qui, à l’âge de 17 ans s’est engagé comme mousquetaire dans les armées du Roi. Il n’y était resté que deux ans, le régiment ayant été bientôt dissous à la fin de 1775. A la Révolution, il est nommé commandant de la Garde Nationale de sa ville natale, et représente celle-ci à la Fête de la Fédération. On le voit à l’armée du Rhin, en 1792 et 1793, capitaine au 50e régiment d’infanterie. 

Mais sa condition d’ancien noble (et son esprit quelque peu frondeur) l’amène à quitter l’armée et d’être mis à la réforme en 1795. Mais il reprend du service et, en mars 1797, il est chef d’état-major de la 6e division militaire, puis aux cotés de Championnet à l’armée des Grandes-Alpes, deux ans plus tard. Le 19 octobre de cette année là, le Directoire le confirme dans le grade de général de brigade. Il va combattre en Helvétie (1801), puis se voit attribuer des commandements subalternes.

Il vote contre le Consulat à vie, puis (montrant une constance dans ses opinions) contre l’Empire. Cela ne l’empêche pas de recevoir la croix de la Légion d’Honneur, mais est mis en disponibilité, puis mis en non-activité le 2 mars 1805.

Il va être un temps gouverneur de Pavie, puis de Rome (c’est Miollis qui le remplace). Mais les années noires commencent.

Pour cause de propagande républicaine, le vice-Roi Eugène le renvoi en France, où il est bientôt interné à la Force (1er juillet 1807) puis relâché sans jugement (30 mai 1808). Pas pour longtemps : en 1809, il retrouve la Force, accusé d’être un adepte des Philadelphes. 

Il obtient cependant la faveur d’être transféré dans la maison de santé du docteur Dubuisson, au 333 de la rue du Faubourg Saint-Antoine. Là où nous le retrouvons.

Depuis 1808, Malet a en tête de renverser l’Empereur. Il est connu de la police et son chef Fouché le fait étroitement surveiller, mais Savary a cédé à ses requêtes et l’a fait transféré dans cette établissement, dont on sort par ailleurs facilement. Coincidence fatale, Malet retrouve là les deux Polignac, condamnés à mort en 1804, pour implication dans l’affaire Cadoudal, et qui purgent ici leur peine commuée en emprisonnement à vie, le marquis de Puyvert, autre « activiste » royaliste arrêté en 1808, enfin un certain abbé Lafon, qui a comploté, à Savone, en faveur du pape Pie VII.

A leur contact, Malet échafaude rapidement un nouveau projet : renverser Napoléon, constituer un gouvernement provisoire où toutes les oppositions seront représentées (c’est son coté républicain), puis appeler le pays (ou le Sénat) à choisir un autre gouvernement, et alors rien n’empêchera la « cause des lis » de triompher (c’est son coté royaliste).

Sur ces entrefaites, Napoléon était arrivé à Moscou : pourquoi ne pas profiter de cette circonstance propice, proclamer, au moyen d’un document officiel que l’on fabriquera, que l’empereur est mort là-bas ? Dans les circonstances actuelles, qui contestera une telle éventualité, somme toute plausible ? 

Le plan est immédiatement mis sur pied : un faux senatus-consulte, préparé par Lafon, déclarera la déchéance du régime impérial (on annoncera la mort de Napoléon, tué le 7 octobre d’un coup de feu, à Moscou !), établira un gouvernement provisoire, composé entre autres « personnalités » de Carnot, des idéologues Garat, Volney, du préfet Frochot, de Volney,  de l’amiral Truguet, des Chevaliers de la Foi Mathieu Mathieu de Montmorency et Noailles, et dont on offrira la présidence à Moreau (Malet assurera l’intérim !), appellera le pays à se choisir un gouvernement, libérera le pape et les prisonniers d’État, proclamera la liberté de la presse, supprimera les gardes nationales, renverra les soldats dans leur foyers. Bien sûr, Malet sera nommé commandant de la place de Paris, chargé de mettre en place ces mesures.

Mais il importe d’entraîner quelques militaires. Malet choisi ceux de la 10e cohorte de la garde nationale, qui stationnent à la caserne Popincourt (commandés par un certain colonel Soulier, brave, loyal, mais certainement pas d’une intelligence supérieure) et la garde de Paris (sous les ordres d’un colonel de même acabit, Rabbe). 

Claude-Francois de Malet
Claude-Francois de Malet

Pour l’aider dans son entreprise, Malet aura besoin d’aide. Son choix se porte sur deux officiers généraux, eux-mêmes en prison, et qu’il s’agira de délivrer dès le début de l’affaire. Il s’agit de Victor-Claude-Alexandre Fanneau de Lahorie, ancien chef d’état-major de Moreau (il a été arrêté en 1810 et attend d’être expulsé vers l’Amérique) et de Emmanuel-Maximilien-Joseph Guidal (qui a été condamné pour entente avec l’ennemi anglais). Le plan de Malet prévoit, qu’aussitôt libérés ils seront charger d’arrêter le préfet de Police, le ministre de la Police générale, le ministre de la guerre, Clarke, l’archichancelier Cambacérès. Quant à lui, il s’occupera d’arrêter le général Hulin, commandant militaire de la capitale (celui-là même qui a présidé le conseil de guerre qui a condamné à mort le duc d’Enghien).

Le coup d’État est fixé au 23 octobre. Le 22 au soir, à 10 heures, Malet et Lafon (que l’on ne verra plus par la suite et qui disparaitrarapidement), profitant de l’obscurité, sortent sans problèmes de leur « prison ». Il retrouve deux comparses, Boutreux, précepteur, et Bateau, un bordelais, caporal dans un régiment de la garnison. Celui-ci jouera le rôle d’aide-de-camp; l’autre, de commissaire de police, et ensuite de préfet (Mallet les a connus pendant sa détention, et par l’entremise de Lafon). A trois heures et demie du matin, ils sont chez Soulier, évidemment au lit, mais en plus fiévreux. 

Desmarest : « << Eh bien ! colonel, lui dit-il d’un ton calme et aisé, il y a du nouveau.  Bonaparte est mort >>. Cet officier, alors souffrant de la fièvre, est frappé de stupeur, retombe sur son lit, en répétant douloureusement : << Oh  ciel ! l’empereur est mort ? >> Et dans son trouble, on lui déroule tous les actes du Sénat, qui entre autres mesures de gouvernement établit commandant de Paris, le général Lamotte. C’est sous ce nom d’emprunt que Mallet se présentait alors; et venait donner ses ordres au colonel. »

Apprenant « la mort » de l’Empereur,  Soulier obéit sans difficultés aux ordres du « général Lamotte » (c’est l’épouse de celui-ci qui s’est procuré les uniformes nécessaires).

Desmarest : « La cohorte est bientôt sous les armes. 0n lui lit à haute voix le senatus-consulte; et tout cela se met en marche sur la foi du nouveau gouvernement, ne doutant de rien, sans une seule cartouche, quoiqu’il y en eût dix mille à la caserne, et avec les mêmes pierres à fusil  en bois qui leur servaient à apprendre l’exercice. »

A 5 heures, cette petite troupe arrive à la Force, où Lahorie et Guidal sont aussitôt mis en liberté.  On délivre également un corse, nommé Boccheciampe, et qui est nommé sur place, préfet du département de la Seine. Cela va lui coûter bientôt sa tête. 

Lahorie se dirige incontinent sur l’hôtel de Ville, puis à la préfecture de police, rue de Jérusalem, démet de ses fonctions Pasquier (préfet de police depuis le 14 octobre 1810) et le fait conduire à la Force. Puis il se rend au ministère de la Police générale, quai Voltaire. Savary, lui aussi, est encore au lit. On l’arrête, malgré ses protestations, et Lahorie prend sa place, rédigeant aussitôt les mandats d’amener de son « prédécesseur » Savary, de Pasquier et de Desmarest, le chef de la sûreté.

Desmarest : « Je général Guidal se charge de le (Savary) conduire à la Force, tandis qu’un lieutenant, à la tête d’un détachement de cinquante hommes, venait s’emparer de moi. L’escorte m’emmena à la même prison (…) Je trouvai M. le baron Pasquier au greffe de la prison. Nous échangeâmes quelques mots en latin. Et je pris ma part des excuses que lui faisait le concierge honteux et tremblant de nous retenir sous ses verrous, alléguant la présence d’un de ses subalternes, dont il se méfiait. »

De son coté, Guidal n’a pas réalisé les objectifs fixés, et n’est pas allé arrêter le ministre de la guerre, Clarke, duc de Feltre, ni l’archichancelier Cambacérès.

Dans le même temps, des estafettes sont allées, porteuses d’ordres signés Malet, aux casernes des Minimes et de la Courtille : les régiments doivent prendre les armes et occuper le Palais-Royal, le quai Voltaire, le Sénat, la Trésorerie et les barrières de la capitale.

Tout semble donc bien ficelé et Malet maître de Paris.

En fait, c’est Malet lui-même qui va faire échouer l’affaire. A 7 heures et demie, il avait fait bloquer l’hôtel de la Place, place Vendôme, siège de l’état-major de la 1e division militaire. Là, il s’était rendu chez Hulin, gouverneur de Paris et commandant la 1e division militaire. Celui-ci est loin d’être un imbécile : lorsque Malet lui signifie qu’il a ordre du Sénat de le conduire au ministère de la Police générale, il s’étonne, demande des explications. Le conspirateur sent que les évènements lui échappent : il se saisi de son pistolet et tire sur Hulin, lui fracassant la mâchoire (plus tard, on le surnommera « le général Bouflaballe » !). 

Desmarest : « A la première observation du commandant (Hullin) stupéfait, il lui décharge un  pistolet dans la figure ; puis, le laissant étendu dans son sang, il passa chez le général Doucet, chef de l’état-major. »

Mais le colonel Doucet, et le colonel Laborde, à qui Mallet-Lamotte débite de nouveau son histoire, se montrent de plus en plus perplexe. Laborde appelle même l’intrus par son nom. Malet perd son calme, tente de saisir son arme, mais, avant qu’il ne fasse encore feu sur eux, ils saisissent de lui et le maîtrisent.

Lahorie est arrêté à son tour, un peu plus tard, alors qu’il prépare, dans le fauteuil de ministre un moment usurpé, les dépêches devant annoncer à la province les évènements. Puis, Pasquier et Savary sont délivrés.

L’affaire est terminée. Elle n’a durée que quelques heures. 

Desmarest : « Ainsi s’évanouirent les rêves de cette nuit; Tout rentra dans l’ordre, et l’on n’eut plus qu’à s’occuper à approfondir cette machination, à en juger le chef et ses trop malheureux complices, s’il faut nommer ainsi des hommes si étrangement dupés. »

Affiche du Ministère de la Police générale
Affiche du Ministère de la Police générale

Rapidement, Cambacérès convoque les ministres en Conseil. Clarke et Savary se chamaillent, le premier reprochant au second de n’avoir pas su prévoir un tel complot. L’archichancelier les arrête d’un geste : l’heure n’est pas aux « enfantillages », il faut agir vite avant que l’opinion publique ne panique. « Il faut juger rapidement et exemplairement », et surtout ne pas attendre le retour de l’Empereur, ce qui serait avouer l’absence de pouvoir judiciaire.  Mais aussi, chacun a peur des réactions de Napoléon et craint d’être la cible de sa colère lorsqu’il reparaîtra. Il faut donc faire vite.

Une commission militaire est immédiatement constituée. Une vingtaine d’hommes y sont déférés, pour la plupart victimes d’une mystification. Dès le 24, les interrogatoires commencent. Le 28, elle a terminé l’instruction. Avez-vous des complices ? demande le président à Malet. La France et vous-même, monsieur le Président, si j’avais réussi !

« La commission militaire a prononcé son jugement hier 20 à 4 heures du matin » écrit, le 30, Cambacérès à Lebrun. 14 des inculpés sont condamnés à mort et exécutés le même jour, à trois heures de l’après-midi, dans la plaine de Grenelle.

Exécution des comploteurs
Exécution des comploteurs

Desmarest : « La destitution de ce préfet (Frochot), solennellement prononcée , fut la dernière rigueur qui suivit cette malheureuse équipée. Dès le 28 octobre, les trois généraux, le colonel et le major de la cohorte avaient subi l’exécution militaire avec quatre officiers de leur corps et deux du régiment de Paris. Boccheciampe , qui s’était laissé nommer préfet de la Seine, périt avec eux. Le jeune Boutreux , installé préfet de police, fut arrêté après et jugé seul. Le colonel Rabbe obtint un sursis, que l’empereur convertit en grâce, en considération de ses anciens services. Le faux aide-de-camp, caporal Rateau, eut la même chance, par égard, je crois, pour son oncle, procureur-général à Bordeaux. Ainsi, sur vingt-cinq accusés, dix furent absous et quinze condamnés, dont deux graciés. Le général Mallet marcha à la mort avec son calme accoutumé, mêlé d’un peu d’ironie, adressant aux spectateurs, et distinctement aux jeunes gens des allocutions conformes à sa cause; tandis que ses compagnons, non moins fermes, restaient muets, s’étonnant encore d’aller au supplice pour un complot et avec un homme qui leur était également inconnu ! »

Le soir du même jour, l’archichancelier apprend, par une lettre de Caulaincourt, que les espoirs de paix avec le tsar n’ont pas de fondement. Et il écrit de nouveau à Lebrun : « Maintenant, il faut savoir comment l’Empereur prendra cette fâcheuse affaire, et cette incertitude est pénible »

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Ce même jour, l’impératrice Marie-Louise a fait une promenade en compagnie de la duchesse de Montebello, dans le parc de Saint-Cloud. Vers 11 heures, le premier écuyer de l’impératrice, le prince Aldobrandini, arrive et annonce : « Une révolution vient d’éclater à Paris ». Le temps de prendre quelques dispositions (le comte Beauharnais met ainsi la garde – en tout 110 hommes – sous les armes), un autre aide-de-camp arrive : « Tout est terminé »

Qu’auraient-ils pu me faire, ne suis-je pas la fille de l’empereur d’Autriche ? dira-t-elle, ingénument à Cambacérès, venu lui raconter les évènements.

Pas un instant – pas plus que les autres acteurs de cette aventure – pas un instant elle n’avait songé à son fils, « ce diable de Roi de Rome (auquel) on ne pense jamais », comme le dira candidement le préfet Frochot, le seul à s’en sortir presque indemne.

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Le 27, l’ex-Impératrice Joséphine écrit à son fils, Eugène :

« Je suis à Malmaison depuis avant-hier, mon cher Eugène. Ma santé est assez bonne et mon voyage aurait été heureux si je n’avais appris en arrivant à la poste de Melun le trouble que Paris avait éprouvé la veille au matin. J’en ai été d’autant plus frappée que rien ne m’y préparait, car, partout dans ma route, j’avais vu la plus grande tranquillité. L’audace ou plutôt la folie des trois monstres auteurs de ce trouble est vraiment incroyable. Ce qui console, c’est que Paris n’y a pris aucune part. La consternation était générale, mais elle n’a pas duré longtemps. Au bout de quelques heures, tout était redevenu calme comme auparavant. S’il y avait pu y avoir le moindre danger pour le roi de Rome et l’Impératrice, je ne sais pas si j’aurais bien fait, mais, très certainement, j’aurais suivi mon premier mouvement : j’aurais été avec ma fille me réunir à eux. »

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Et, de fait, à Paris, les Parisiens laissent libre cours à leur humour. Savary est rebaptisé « duc de la Force » et dans les rues on se questionne : « Savez-vous ce qui se passe ? « Non ! » « Alors, vous êtes de la police  » !

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6 novembre 1812. Napoléon se rend de Dorogobouje à Mikalewska. C’est là qu’il reçoit la nouvelle de ce qui s’est passé à Paris. 

A Caulaincourt, il confie :

« Avec les Français il faut, comme avec les femmes, ne pas faire de trop longues absences. On ne sait en vérité ce que des intrigants parviendraient à persuader, et ce qui arriverait si on était quelques temps sans nouvelles de moi ! »

Ségur : « Ce fut le lendemain, à hauteur de Mikalewska (…) que l’on vit le comte Daru accourir et un cercle de vedettes se former autour de lui et de l’Empereur. Une estafette, la première qui, depuis dix jours, avait pu pénétrer jusqu’à nous, venait d’apporter la nouvelle de cette étrange conjuration tramée, dans Paris même, par un général obscur, et au fond d’une prison. Il n’avait eu d’autres complices que la fausse nouvelle de notre destruction, et de faux ordres à quelques troupes d’arrêter le ministre, le préfet de police et le commandant de Paris (..) »

Rapp : « La surprise et l’étonnement se lisaient sur tous les visages »

Constant : « Le 6 novembre l’Empereur reçut la nouvelle de la conspiration Malet et tout ce qui s’y rattache. Il fut d’abord étonné, puis fort mécontent, et ensuite se moqua beaucoup de la déconvenue du ministre de la police générale, le général Savary. Il dit plusieurs fois que, s’il eut été à Paris, personne n’eut bougé, qu’il ne pouvait s’en éloigner sans que tous perdissent la tête à la moindre algarade (..) »

Il neige abondamment.

Le lendemain, Napoléon écrit à Marie-Louise :

 » Mon amie, je reçois ta lettre du 23 octobre. Je suis fâché que le ministre de la Guerre t’ai envoyé un aide-de-camp pour l’affaire des scélérats qui ont assassiné Hulin. Il devait en prévenir ou la duchesse ou Beauharnais. Tout cela, je crains, ne t’ai fais (sic) de la peine quoique je connaisse ton caractère (…) »

Repères bibliographiques

  • Madelin. Histoire du Consulat et de l’Empire. Hachette, Paris, 1949
  • Thiers. Histoire du Consulat et de l’Empire. Paulin, Paris, 1856
  • Fouché. Mémoires. Flammarion, Paris, 1945 (avec les précautions d’usage)
  • Castelot. Marie Louise. Perrin, Paris 1998.
  • Tulard. Fouché. Fayard, Paris, 1998.
  • Philippe de Ségur. La campagne de Russie. Simon, Paris, 1936
  • Laurence Chatel de Brancion. Cambacérés. Perrin, Paris, 2001
  • Dictionnaire Napoléon. Fayard, Paris, 1999.
  • André Besson. L’homme qui fit trembler Napoléon. France-Empire, Paris, 2002
  • Desmarest. Quinze ans de haute police sous Napoléon. Paris, 1833