La campagne de 1809 – Les malheurs de la guerre

Groß-Enzersdorf

(d’après Schweickhardt, Das Marchfeld – Wien, 1842)

Il n’est pas facile de se représenter une telle image de misère et d’horreur qui se présentait alors. La petite ville d’Enzersdorf n’était qu’horreur, les traces laissées par la fureur de l’ennemi étaient terribles, mais encore plus épouvantable la file infinie des soldats blessés, qui, du champ de bataille tout proche, s’étendait jusqu’à Ebersdorf, et continuait vers Vienne, par les rues marquées de leur sang…. Le Marchfeld apparaissait effrayant comme jamais… Ne parlons pas de la vue bouleversante du champ de bataille, suffisante par elle-même à glacer le sang d’un être humain, mais avant tout de cette route de sang qui d’Ebersdorf et Simmering menait aux défenses de Saint Marx et Favorite, puis à Vienne. Là, les guerriers les plus braves rampaient comme des misérables, défigurés par la poussière et les blessures, les membres déchirés, écrasés, et ces malheureux, mourant sous la chaleur torride, mendiaient pour une simple goutte d’eau et un secours humain, alors que la mort approchait, dans de terribles gémissements. Les braves Viennois offraient tout ce qui pouvait apaiser un tel destin. Tout ce qui pouvait rouler, fiacres, voitures de louage, équipages des riches, et chariot des paysans était utilisé pour amener dans les hôpitaux les blessés gisants sur le champ de bataille. Si vous aviez été, comme nous, sur ce champ de bataille, vous auriez pu observer l’instinct de conservation des individus blessés sous son aspect le plus effrayant; voir, hélas, comment les malheureux se pressaient, pour être un peu plus tôt dans l’une ou l’autre des voitures, après que le soleil, durant tout le jour, les ait brûlés sur le champ de bataille, et que les cavaliers leur soient passés dessus sans égards. Ceux qui ne pouvaient être sauvés, et qui y avaient trouvé place, soit en payant soit en se battant, étaient descendus des voitures, laissés à leur terrible destin, quelques-uns étaient jetés dans le fleuve tout proche, les morts, les mourants, les inguérissables, en tous cas, dans des fosses ouvertes à la hâte par des paysans amenés de force, pour que cette moisson guerrière ne répande plus ses senteurs pestilentielles.

 

Nous avons ici montré l’amour du prochain vis à vis d’un ennemi, qui, avant la bataille, ne s’était pas montré peu arrogant. Il ne faut pas s’étonner, alors, que dès le 8 juillet, sur les principales places de Vienne, on pouvait lire la plus émouvante proclamation, pleine de reconnaissance envers les habitants de la capitale, pour tant de charité. »

 

Aderklaa [2]

 

Après la bataille d’Eßlingen le quartier général de Son Altesse Impériale et Royale (l’archiduc Charles) fut déplacé d’Aderklaa à Markgrafneusiedl. A Neusiedl, un incendie éclata et brûla le quartier général. En conséquence, celui-ci fut déplacé à Deutsch-Wagram. Son Altesse Impériale et Royale l’archiduc Charles s’installa au numéro 2.  Sa Majesté notre Empereur eut son quartier général à Wolkersdorf, dans la maison paroissiale, et le quartier général y resta du 23 mai au 4 juillet, de même que les campements.

Le QG de l'Archiduc Charles à Deutsch-Wagram
Le GQ de l’Archiduc Charles à Deutsch-Wagram

Dans les campements à Aderklaa il n’y eut que de la cavalerie, le régiment de hussards Blauenstein, le régiment de hussards Neutra, le régiment de hussards Brimmas et le régiment Drelly [3], ainsi que deux batteries d’artillerie avec leur pièces de campagne.  Toute l’artillerie se trouvait sur les collines, depuis Wagram jusqu’à Neusiedl. Les grenadiers se trouvaient avec 18 bataillons sur les hauteurs de Stammersdorf. A Breitenlee, Raasdorf, Süssenbrunn, Hirstätten [4] et à Leopoldau, il n’y avait que de la cavalerie, et dans tout le village on ne pouvait plus trouver un seul morceau de bois, les soldats transportaient tout aux campements, ils emmenaient même les toits des maisons. Le village fut également rapidement totalement vidé de ses poulets, de ses oies et de ses canards. Et les campements coûtèrent beaucoup à chacun, ce qui à la fin devint insupportable.  Car les soldats n’avaient pas de tentes, ils devaient faire eux-mêmes leurs huttes au moyen de lattes, de planches et de paille, pour leur servir d’abri dans le campement.

Le 5 juillet 1809, tous les habitants quittèrent le village, en particulier les femmes et les enfants, à quatre heures de l’après-midi, abandonnant fermes et maisons, abandonnant tout pour prendre la fuite, la plupart dans les forêts de Wirnitz, d’autres vers la Hongrie. Les domestiques et tout le monde dut suivre, car c’était alors le seul moyen de se sauver.  La plupart des hommes restèrent dans les maisons et au village, car, après le départ des femmes et des enfants, tout le bétail, vaches, moutons et cochons se trouvait encore dans les maisons, et pas un homme ou voisin ne savait que faire du bétail, car l’ennemi se rapprochait, et nous pouvions voir, depuis le clocher de l’église, qu’il se trouvait déjà dans nos champs, vers Raasdorf, avançant en tempête sur le village. A cinq heures du soir nous nous réunîmes pour décider ce qu’il fallait faire avec notre bétail.

Finalement nous laissâmes le berger communal emmener le bétail, lui donnant l’ordre de l’emmener vers Wolkersdorf, dans les bois sur les hauteurs de Leuthen [5], et nous pensions alors que le bétail serait là en sûreté, qu’il ne tomberait pas aux mains de l’ennemi. Mais nous nous trompions. Après la bataille, l’ennemi s’avança justement sur Wolkersdorf, et l’ennemi s’empara de notre bétail et pas un seul habitant du village n’en revit une seule unité, grosse ou petite. C’est le 7 juillet que l’ennemi s’empara de tout le bétail.

Le 4 juillet, à dix heures du soir, les canons se firent entendre dans l’île Lobau, tirant, au milieu d’une énorme pluie, de la tempête et du vent, sur la ville de Großenzersdorf, la canonnade de l’ennemi ne dura pas longtemps avant que la ville ne brûle de tous les côtés.

Le château de Groß-Enzerwsdof
Le château de Groß-Enzerwsdof

Finalement l’ennemi passa sur la rive et s’empara de la ville.  Notre armée se mit en mouvement le soir du 4 juillet, mais par une nuit des plus sombres et une grosse pluie, elle ne put rien faire cette nuit là, ne pouvant qu’attendre le jour suivant. Nos troupes marchèrent alors au devant de l’ennemi, jusqu’à Enzersdorf. L’ennemi poursuivi nos troupes jusqu’à Aderklaa et Deutsch-Wagram. Aderklaa tomba aux mains de l’ennemi dès la nuit du 5 juillet, ce sont des Saxons qui occupèrent le village. Le jour suivant, le 6 juillet, dès 3 heures du matin, notre armée lança une grande attaque contre les Saxons à Aderklaa, qui tomba aux mains de nos soldats. 300 Saxons furent très tôt faits prisonniers, et beaucoup restèrent sur le terrain.

Les Saxons revinrent et reprirent le village. Nos soldats repartirent à l’assaut du village, et de nombreux Saxons furent faits prisonniers et de nombreux morts restèrent sur place.  Ces allez et retour  durèrent jusqu’à ce que les Saxons soient totalement battus et l’armée Saxonne fut enterrée à Aderklaa et complètement anéantie. [6]

Infanterie saxonne
Infanterie saxonne

Finalement les Français s’avancèrent avec des forces immenses sur Aderklaa et Wagram et on n’entendit plus des deux côtés qu’une effrayante canonnade et la mitraille, et plusieurs milliers de morts restèrent sur le sol.  Le 6 juillet, à 1 heure de l’après-midi, le village fut la proie des flammes, et brûla de tous les côtés.

A 3 heures, notre aile gauche fut battue, à Markgraf Neusiedel, et notre armée fut forcée de retraiter jusqu’à Znaym. Là, il y eut encore une grande bataille et les Français furent battus. Juste après la bataille de Znaym, les négociations de paix commencèrent. Il y eut un cessez-le-feu et finalement la paix fut signée.

(A Aderklaa) les rues et les maisons étaient remplies de cadavres et le sol en était couvert, on trouvait même des morts dans les puits, quatre jours après la bataille. Puis arrivèrent des troupes ennemies. Un capitaine reçut le commandement du village, et ordonna qu’il fût nettoyé de ses morts, pour que, par la canicule de l’été, la puanteur ne se répande pas dans le village. Mais les gens manquaient d’outils, et surtout de pelles, il n’y en avait pas une à trouver dans aucune des maisons incendiées du village. Finalement, le 11 juillet, le capitaine ordonna que les morts se trouvant dans les maisons soient empilés. Ce qui fut fait, son ordre fut exécuté, et finalement tout fut terminé. Il fit mettre le feu aux cadavres et les dépouilles des morts brûlèrent  comme du saindoux [7], et le feu réduisit tous les cadavres en poussière et en cendre. Mais cela ne réduisit pas la puanteur dans le village, au contraire, de jour en jour, elle se répandit. Dans les champs où la bataille s’était déroulée, personne ne pouvait plus supporter les odeurs, car les dépouilles des morts restèrent là 14 jours avant que l’on commence à les ensevelir. Ce sont les gens  pauvres de Vienne qui durent procéder à ces inhumations, et il y eut en permanence 2.000 individus pour ce travail et il leur fallut près de trois semaines pour venir à bout de ce travail. Plus tard la maladie se répandit dans le village, c’est-à-dire la dysenterie, véhiculée par la fétidité, mais aussi par la mauvaise alimentation. Et chacun, grand ou petit, fut atteint par cette dysenterie, et beaucoup en moururent.

 

Région d’Ober-Hollabrunn [8]

Atzgersdorf [9]

(Témoignage de Josef Schreils, instituteur.)

Les Français se montrèrent comme des individus ignorant tout de Dieu. Du plus petit au plus grand, les uns faisaient la noce, les autres vivaient la vie de château. Luxure et bêtise étaient à l’ordre du jour ; l’autre sexe était profané d’horrible façon. Les soldats se soûlaient et se baffraient à leur guise, tout un chacun agissait selon son bon plaisir. Le maire n’avait, jour et nuit, aucune tranquillité. Chaque petite maison devait loger 12 fantassins, qui, tous les deux jours, ne mangeaient que de la viande, réclamant des habitants le reste avec véhémence.

Le logement des officiers entraînait des dépenses immenses. Le général Roquet [10], toujours accompagné et entouré d’officiers subalternes et d’invités, assortis de beaucoup de domestiques, demanda tout simplement à Josef von Kohout, au numéro 109, d’avoir là son pied-à-terre, pour y vivre coquettement et être servi le mieux possible et entretenu par la commune. On ne peut imaginer les réclamations journalières de victuailles et de plats fins, variés et coûteux, de boissons précieuses, etc., qu’il exigeait souvent sous la menace et sans égards. On n’était jamais assez prompt, la moindre demande devait être immédiatement satisfaite. Parmi les denrées qu’il fallu fournir des caves, il faut citer le café, le sucre, les citrons, les orangettes, le vin étranger et les fromages, des épices de toutes sortes, des cerises, des abricots, des biscottes, des     , des noisettes, de la moutarde, de l’huile fine et des biscottes (…).

Le blé et les autres céréales, encore verts, furent fauchés pour servir de fourrage ; les fruits, mûrs ou non, furent consommés et aucun arbre fruitier ne fut épargné. Les raisins, encore durs, furent méchamment arrachés, en partie utilisés pour faire du vinaigre, en partie jetés. On se moquait des chemins existants : on allait ici et là à sa guise. Herbe ou trèfle, rien ne fut épargné, ils prenaient tout pour leurs chevaux ou bien détruisaient tout méchamment. Le vin fut sorti des caves, quelque fois volontairement épandu, de sorte que l’on pouvait marcher dans un demi pied de vin.

Les archives de la commune indiquent des livraisons venant des moulins et des boucheries, ainsi que du vin, de la volaille, du poisson, des légumes et des épices, pour une valeur, du 12 juin au 6 octobre, de 5.389 florins et 33 kreuzer.

 

Sierndorf [11]

(Témoignage de Karl Schweiger, curé.)

Cette année là (1809 – ndlr) le village et la maison paroissiale, eurent beaucoup à souffrir de la deuxième incursion des Français en Basse-Autriche. Après les malheureuses batailles des 5 et 6 juillet, à Deutsch-Wagram, Sierndorf fut incendié le 9 juillet, durant la retraite, et deux tiers du village, et la plupart des maisons du village furent réduites en cendres. Le prêtre d’alors, Karl Streichers s’était, dès le début, enfuit à Oberhautzenthal, et de là à Stranzendorf in den Wald, il perdit une grande partie de ses biens, de ses victuailles, etc., pour une valeur de 2.000 Gulden en papier monnaie. A son retour, il fut hébergé et nourrit au château, mais il continua d’être maltraité, même après le cessez-le-feu ; l’ennemi en furie lui tirait dessus. Le 15 octobre, la paix tant attendue, mais particulièrement onéreuse, entra en vigueur.

 

Stetteldorf am Wagram [12]

(Témoignage de Johann Baptiste Marek, curé.)

Comme les Français continuaient leur guerre en Europe, et voulaient aussi asservir l’Espagne, ce qui restait de l’empire romain s’unit à la Russie, l’Autriche, la Hongrie et d’autres puissances contre la France.  Pour l’entretien des régiments autrichiens, les possédants et les riches durent apporter leur écot.

La paroisse et l’église, à Städteldorf, durent livrer à Stockerau du blé et de l’avoine. Moi-même je dus, le 21 février, apporter 13 Metz  [13] de blé et 15 Metze de foin, et, le 3 mars, de nouveau, je dus livrer à Sankt-Pölten, 15 Metze de foin. Le 11 mars arrivèrent ici environ 200 hommes de la landwehr nouvellement formée par la ville de Vienne. Chaque maison fut occupée. Moi-même je reçus un Oberleutnant [14], le baron de Portenstein, et les personnes de son service. Ils habitèrent ici jusqu’à la fin du mois de mars, puis partirent pour Krems, et de là dans le Tyrol. Dans toutes les villes et villages de Basse et Haute-Autriche ce ne furent pas seulement les célibataires, mais aussi les jeunes hommes mariés qui furent enrôlés dans cette landwehr (…).

Après que les Français eurent sillonné le district Unter Waldviertel et causé des dommages dans de nombreux villages, ils tombèrent également sur le district Unter dem Manhartsberg, et finalement, venant de Stockerau, arrivèrent également ici plus de 200 hommes. 4 officiers logèrent à la maison paroissiale. Mais grâce à la bonne hospitalité au château et au village, ils repartirent tous pacifiquement, le 11 à 5 heures du matin, en direction de Weikersdorf. Certes 500 hommes revinrent le même jour vers 8 heures, mais ils déjeunèrent calmement et suivirent la première compagnie.

 

Hausleiten [15]

(Témoignage anonyme)

En juillet, après la si malheureuse bataille de Deutsch-Wagram, les troupes françaises firent irruption dans la maison paroissiale. Le curé Veigl, qui craignait d’être l’objet des mêmes mauvais traitements qu’il avait déjà subi durant la première invasion de 1805, s’enfuit à Neueigen [16], laissant derrière lui ses deux adjoints. Au début on eut le courage de ne pas ouvrir les portes de la maison paroissiale aux Français. Deux petits groupes de soldats ne se risquèrent pas à entrer, dans la crainte que des soldats autrichiens y soient cachés. Mais bientôt le nombre d’ennemis s’accrut. Ils adossèrent plusieurs échelles sur les murs du côté sud, sautèrent dans le jardin, se ruèrent vers la maison, baïonnette au canon, firent sauter, à coup de fusil, la serrure de la porte, la balle, en ricochant, blessant en même temps au genou une servante qui tentait de s’enfuir par la chapelle, et qui devait peu après mourir de cette blessure.

Exaspérés par la résistance rencontrée, les soldats français se mirent à dévaster, avec un vandalisme barbare, tout ce qu’ils trouvèrent. Les appartements du curé et de ses coadjuteurs furent pillés. Dans les archives, où l’on pensait trouver de l’argent caché, tous les dossiers et tous les documents  furent arrachés des casiers, les tiroirs où étaient conservés les certificats et les titres, vidés et l’argent déposé dérobé. Dans la cave, 200 Eimer de vin avaient été murés. Mais, suite à une trahison, cette cachette fut découverte. Des trous furent percés dans les tonneaux avec les fusils, ce qui ne fut pas bu s’écoula au sol. Ce n’est que lorsqu’ils eurent abattus les animaux à poils et à cornes, qu’ils repartir, chargés de ce butin, dans leur camp, installé entre Oberzögersdorf[17] et Stockerau.

Certes, ces pillages cessèrent par la suite, mais, quoiqu’il en soit, la paroisse dut effectuer d’importantes livraisons en avoine et en foin et supporter les cantonnements des troupes en marche, jusqu’au 14 octobre de cette année, jour où la paix de Vienne fut signée et, en conséquence, l’Autriche n’eut plus à subir la pression d’inquiétants hôtes.  Le père Veigel revint de son asile de Neuaigen, et du faire la triste constatation  qu’il avait subit, suite à cette incursion ennemie, un dommage de plus de 8.000 florins.

 

Groß Weikersdorf [18]

(Témoignage de Franz Arbesser, curé)

Le 2e cuirassiers
Le 2e cuirassiers

Après le cessez-le-feu signé, à Znaym, le 12 juillet, entre les armées impériales et françaises, l’armée française s’est répandue dans toute l’Autriche, où, en vertu de la paix conclue le 14 août et ratifiée le 20 août [19], elle resta, à Vienne jusqu’au 20 septembre, dans le pays jusqu’au 20 octobre. Dans ce contexte, ce fut d’abord le parc d’artillerie du 2e régiment de cuirassiers et l’état-major  du 3e régiment de cuirassiers qui furent cantonnés à Weikersdorf, le village ayant le malheur, le 25 juillet, d’être à moitié détruit par le feu. En fait, durant cet incendie, 43 maisons, plusieurs granges, hangars et caves furent réduits en cendres, et pourtant il n’arriva rien à la maison paroissiale et à l’église, seuls les toits des bâtiments agraires de la maison paroissiale durent être enlevés, pour tenir les flammes éloignées, car le feu fut circonscrit juste devant la maison paroissiale.

Par ailleurs, durant cette période, Weikersdorf eut beaucoup à souffrir  des cantonnements permanents et des réquisitions continuelles, extrêmement étendues, mais personne ne fut pillé.

Dans la maison du Doyen, ce fut d’abord le capitaine d’artillerie Nuquart, du 2e régiment de cuirassiers, avec ses domestiques, qui furent logés, puis le général inspecteur Battioli, du 3e régiment de cuirassiers, qui était un neveu de l’empereur Napoléon, avec son secrétaire et ses serviteurs.

Ces cantonnements coûteux et les réquisitions permanentes coûtèrent au Doyen  plusieurs milliers de Gulden, en plus du risque permanent de se voir dérober son cheval, sa voiture, son foin et tous ses bien. Ainsi varient les hommes. En 1805, les habitants de Weikersdorf avaient tout fait pour protéger leur prêtre, et maintenant, en 1809, ils cherchaient eux-mêmes à le ruiner.

 

Ober-Hautzenthal [20]

(Témoignage de Adam Kaldy, curé)

Mes paroissiens s’étaient à peine remis (ndlr : des suites de la campagne de 1805), que les ennuis recommencèrent, une nouvelle guerre ayant éclaté. Les malheurs qui avaient atteints notre armée à Eckmühl, près de Regensburg, l’avaient contrainte à se retirer jusqu’à Vienne. Une grande partie passa le Danube et s’arrêta le 14 mai dans notre région, et pendant deux jours Son Altesse le général de cavalerie prince de Liechtenstein pris ses quartiers chez moi. Bientôt l’espoir s’était levé que les ennuis allaient se terminer, lorsque la bataille d’Aspern, les 21 et 22 mai, s’était terminée à l’avantage des Autrichiens, lorsque, peu après, le 6 juillet, à Wagram, l’aile gauche des Autrichiens fut tournée, et l’armée tout entière se trouva obligée de reculer jusqu’à Znaym, suite à quoi, après le cessez-le-feu, la paix fut signée le 16 octobre[21]. Jusqu’à la moitié de l’année 1810, ma paroisse et moi-même eurent à supporter les cantonnements de l’ennemi ; après avoir été entièrement pillés, nous dûmes souvent héberger des compagnies entières, dont les officiers venaient chez moi, et c’est un miracle que nous ayons pu trouver autant de victuailles pour tant d’invités (sic). Toute la commune vint chercher son vin à la maison paroissiale, car il n’y en avait plus ailleurs. Cette guerre si coûteuse laissa de nombreuses séquelles : dépréciation du papier monnaie, le décret du 15 mars 1810 l’abaissant au cinquième de sa valeur, la livraison de tous les objets en argent, jusqu’aux cuillères à soupe, et pourtant, malgré ces circonstances défavorables nous nous rétablîmes rapidement, de telle sorte que pour la nouvelle guerre avec la France, nous fûmes en mesure d’y participer avec une force qui provoqua l’étonnement.[22]

 

Göllersdorf[23]

(Témoignage de Anton Fidelis Namiesky, curé)

La guerre avec la France recommença en 1809. Du côté de l’Autriche, la marche alla rapidement en Bavière, et il y eut à Regensburg une grande bataille, qui cependant se termina d’une façon malheureuse pour l’Autriche, sous le commandement du général en chef l’archiduc Charles. De sorte qu’une grande partie de notre armée se retira en Bohème, et que seul un petit corps arriva par Krems, tandis que les Français, pour ainsi dire en marche accélérée, se dépêchaient d’arriver à Vienne, dont ils s’emparèrent après un bombardement de quelques heures.  Puis notre armée arriva de Bohème, et pris position de ce côté du Danube, à l’extérieur de Vienne. L’ennemi entra dans l’île Lobau, pour de là traverser le Danube. Une grande bataille pris alors place, durant laquelle les Français souffrir terriblement, et leurs réserves, du fait de la rupture de leurs ponts de communication durent assister, avec leur chef Napoléon, à la débâcle de leurs camarades, et endurèrent durant plusieurs jours, entre deux bras du Danube, de terribles privations. Chez nous tout le monde se réjouissait de ce que, enfin, le fier héros était découragé. Seulement cette joie ne dura que quelques semaines, et, lors d’une deuxième bataille, l’armée autrichienne dû céder.

Alors commencèrent la peur, le malheur et la misère. Notre armée se retira en masse par les routes de Brünn et de Prague, elle campa dans les plus beaux champs de blé, déjà mûrs pour la moisson, et elle écrasa tout. Durant cette retraite, le général en chef Son Altesse l’archiduc Charles, frère de Sa Majesté l’empereur François pris ses quartiers à la maison paroissiale. Plus de cinquante grenadiers campèrent dans la cour, comme gardes du corps, ils n’avaient rien eu à manger durant trois jours, et ils durent patienter durant les jours suivants, et pourtant rien ne fut touché dans la maison paroissiale, pas même la volaille. Le lendemain, Sa Majesté, venue très tôt de Oberhollabrunn [24], rendit visite à son sublime frère. Ils discutèrent seuls pendant plus d’une heure, puis le monarque repartit à Oberhollabrunn, où le suivit le généralissime le soir même. Maintenant les Français étaient déjà arrivés à Stockerau, et aussi loin que l’on pouvait voir, la moitié des villages brûlaient. On s’imagine la peur dans laquelle nous passâmes cette nuit. La plupart des gens fuirent dans les bois et dans des villages éloignés. Ici ne restèrent pas plus de 10 chefs de familles.

Le lendemain 9 juillet, vers 7 heures du matin les premiers Français arrivèrent sur la place, et, après quelques coups de pistolets, d’autres unités isolées arrivèrent, je dû ouvrir une porte à Schwibogen, on me réclama du vin et du pain, qui leur furent fournis, mais bientôt entrèrent tant de fantassins et de cavaliers, que en moins d’une demie heure plus de 6 Eimers de vin furent servis dans la cave et que plus de 100 personnes furent nourries par la cuisine. A cette occasion je fus témoin qu’un soldat bavarois, ayant trouvé tout mon linge dans la cave l’emporta avec lui. Lorsque tout le vin fut bu, on me fit sortir de la cave et on me réclama chemises et draps ; je donnai tout ce que j’avais et emmenait moi-même un soldat dans la pièce, pour lui montrer les tiroirs vides. Je gardais seulement pour moi, par précaution, une chemise et deux draps. Lorsque le pain et le vin, et tout ce qui était cuisiné fut englouti, et que j’eus été totalement pillé de mon linge de table, de ma literie et de mes sous-vêtements, on m’annonça que le maréchal français Masséna et 15 officiers viendraient prendre leurs quartiers chez moi, et, comme l’heure de son arrivée ne pouvait être précisée, on commença aussitôt à cuisiner. Maintenant, gardes et gendarmes se tenaient devant la maison paroissiale, et tout était tranquille à l’intérieur. Le vin nécessaire fut procuré par Hofbinder. A peine avions nous terminé de cuisiner, que le maréchal fut annulé, le repas fut, à sa place, consommé par les généraux et les officiers ; lorsque ces derniers se furent éloignés, on annonça de nouveau le maréchal, et l’on cuisina de nouveau ; nouvelle annulation, le repas de nouveau consommé par des officiers et cela se reproduit cinq fois, jusqu’à ce que, vers le soir, pour la sixième fois, le maréchal fut annoncé et que l’on cuisina à nouveau pour lui, qui arriva enfin avec sa suite. Cet homme est la bravade et la rudesse personnifiée. Il ne savait que dire « ich bitte » (…)

Comme je n’avais pas de linge de table propre, je dû aller, entouré de Français, en emprunter au village, où j’obtins, chez l’instituteur et chez Hofbinder, une nappe et quelques serviettes, que je ramenais, en grand danger, à la maison. Pour chercher du pain, un garde vint avec moi chez le boulanger, où j’en obtins, tout brûlant sorti du four. Toute la nuit, les officiers français mangèrent et burent  à même le sol, et comme, malgré toutes mes demandes, le lendemain matin, je ne pus obtenir ni une sauvegarde ni un gendarme, je décidais, après le départ du maréchal, d’abandonner la maison paroissiale, avec tous mes gens, les renvoyant les uns après les autres. M. Exinger, un commerçant d’ici, les accueillit très gentiment pour la plupart ; moi-même et mes serviteurs nous nous réfugiâmes chez M. Hofbinder.

Lorsque ce défilé se ralentit, seuls un peu de volaille et deux vaches avaient pu être sauvées, tout le reste avait été le butin de l’ennemi, qui, comme il n’y avait plus personne dans la maison paroissiale, se comporta à sa guise. La sacristie, les archives, tout fut sauvagement dévalisé, et tout ce qui n’était pas caché fut soit volé, soit détruit, seuls quelques procès-verbaux et registres cadastraux furent épargnés.

Quarante jours s’écoulèrent sans que personne ne séjourne à la cure. On peut ainsi facilement imaginer les dégâts provoqués par le passage continuel de troupes isolées. Paille, manuscrits, livres, soit déchirés ou dont les passementeries avaient été dérobées, et mêmes des ordures de toute espèce étaient partout répandus. Mais je dois pourtant témoigner qu’aucun des aménagements de la maison paroissiale ne fut détruit, pas même une seule fenêtre ne fut brisée, et le feu nous fut épargné.

A Znaym, une nouvelle bataille eut lieu, pendant laquelle un cessez-le-feu fut négocié et obtenu. Désormais, l’armée française se disloqua pour occuper, jusqu’à la paix, ses cantonnements. Les pillages disparurent, mais les cantonnements en furent d’autant plus coûteux, non seulement parce que les municipalités durent fournir tout ce que les officiers leur demandaient, mais parce que ceux-ci réclamaient pour leurs troupes toutes sortes de pièces de vêtements, et ceci gratuitement. Par suite, toutes les communes se retrouvèrent avec des dettes accablantes, Göllersdorf, de son côté, eut une dette de quelques 20.000 Gulden, en plus des dettes individuelles de chaque citoyen, car les Français restèrent chez nous jusqu’à Noël. Chacun alors chercha à remettre ses propres affaires en ordre, on rechercha ce qui avait été enterré, scellé, caché ; seulement beaucoup se lamentaient, car ils retrouvaient la moitié de leurs biens abîmés, ou ne retrouvaient rien là où l’ennemi les avait découverts et dérobés.

Lorsque les Français eurent quitté le pays, tout augmenta jusqu’à des prix surprenants. La raison en était en partie les usuriers, en partie la dépréciation de la monnaie papier : en 1810, il fallu payer 1.000 à 1.200 fl. papier pour 100 fl. en argent ou en pièces d’or. Le Dukat était payé 50 fl. papier et la pièce de 20 kr, 4 fl. papier. Mais une paire de bottes coûtait 50 fl., une paire de chaussures 12-14 fl. Un Eimer d’un vin de deux ans, 70 fl.

 

Bergau [25]

(Témoignage de Johann Anton Bonn, abbé)

Le 11 juillet 1809, les troupes françaises visitèrent de nouveau le village de Bergau, pillèrent tout, de long en large, pendant 13 jours, cherchant ce qui pouvait être caché, trouvant presque tout, faisant irruption dans l’église, taillant en pièces les portes, et même le tabernacle, jetant au sol les ostensoirs, piétinant tout, pillant les linges ainsi que le calice de laiton et, et détruisant tout ce qui ne leur plaisait pas.

De la même manière, le vasculum pro sacris oleis d’argent, qui avait été caché dans l’église, fut la victime de leur folie de pillage. Ils furent beaucoup plus voleurs et cruels, en particulier envers le clergé dans son ensemble, qu’en 1805. Mais il est encore plus bizarre que les troupes de l’armée autrichienne, lors de la retraite sur Znaym, le 8, 9 et 10 juillet, ici comme partout, firent irruption dans les caves, et pillèrent tout ce dont ils purent se saisir rapidement. Ils entrèrent également dans la maison paroissiale, le 8 juillet, par la force, en plein jour, brisant les portes de devant et de derrière, se saisissant du Vasculum pro viatico et oleo infirmorum, l’argent de l’église et de la maison paroissiale, tout le bétail qu’ils purent trouver et tout ce qu’ils pouvaient trimbaler jusqu’à leur camp, sur le Hundsberg, malgré toutes mes prières et les plus touchantes représentations.

Les excellentes raisons pour une conduite si inamicale étaient :

La faim, car durant leur retraite ils n’avaient eu que peu ou pas de nourriture,

La fuite des habitants de presque tous les villages, ce qui leur avait donné plus de courage pour piller et voler

Leur sentiment, erroné, d’avoir plus le droit de piller et de voler, car de toutes façons il ne serait rien resté après le passage des Français.

Mais lorsque tout fut pillé, par les troupes impériales et celles de l’ennemi français, la misère n’en fut pas terminé pour autant, mais au contraire s’accru, par le cantonnement ici, pendant 10 semaines, d’un régiment de cuirassiers français ; car les habitants furent encore plus cruellement martyrisés par la livraison de victuailles, de fourrage et par les très nombreuses contributions réclamées. Deux officiers cantonnèrent dans la maison paroissiale elle-même, durant dix semaines, et le village du s’occuper de leur nourriture, mais, compte tenu de l’étroitesse des lieux, j’étais comme un prisonnier, harcelé jour et nuit.

 

Aspersdorf [26]

(Témoignage de Anton Fideli Namiesky, curé)

Mais 1809 fut encore plus triste [27]. Une nouvelle guerre avec les Français avait éclaté. On aurait pu croire que, cette fois, les choses se seraient mieux passées pour l’Autriche. 800.000 combattants étaient sur pied. Pourtant l’ennemi eut l’avantage. Les 21 et 22 mai, juste pour la Pentecôte, une bataille particulièrement sanglante fut livrée (Aspern-Essling). Les Autrichiens y furent alors les vainqueurs, et l’ennemi se retira sur Vienne, dont il avait, le 11 mai précédent, pris possession, après quelque résistance. Le 5 juillet suivant, les Français repassèrent, près d’Aspern, le Danube ; ce jour là et le jour suivant, la rencontre fut encore plus sanglante qu’à la Pentecôte, finalement l’aile gauche de l’armée autrichienne fut rejetée(Wagram), et fut forcée de se retirer jusqu’à Znaym, l’ennemi la suivant pas à pas. A Korneuburg, Sierndorf, Göllersdorf, Oberhollabrunn, Schöngrabern, partout on tirailla fortement. Le 9, il y eut une rencontre à Oberhollabrunn, où l’ennemi, fut tant bien que mal repoussé. Le 10 juillet, Schöngrabern fut le théâtre malheureux (de combats – ndlr) et entièrement brûlé. Pour Aspersdorf, ce fut également un jour malheureux, qui fut suivi par beaucoup d’autres. Le village ne fut pas, Dieu soit loué ! détruit par les flammes, mais toutes les maisons, en particulier la maison paroissiale, furent proprement pillées, les caves visitées, les portes, les fenêtres, les fours détruits, toutes les installations dérobées, le petit et le gros bétail emmenés, en un mot : nous fûmes dépossédés de tout. Certains, dans les environs, y perdirent la vie. Moi-même je fus cinq fois menacé du sabre, on voulu même couper la tête de mon co-adjutateur, Johann Kochannek, mais il fut sauvé in extremis par des Uhlans impériaux, qui arrivaient par hasard de Wieselfeld, et prirent les Français en chasse. Ce co-adjutateur resta le plus longtemps ici. Tout le village s’était enfuit dans la forêt, le 9. Le 10, je fus forcé de fuir, tout comme mon co-adjutateur, car on nous avait déjà tout pris, et nos vies n’étaient plus en sécurité. Mais celui-ci resta un peu plus longtemps ici, et couru les plus grands dangers. Finalement, il nous suivit, mais seulement jusqu’à Wieselfeld. J’allais dans la forêt. Nous ne sûmes rien l’un de l’autre pendant quelques jours. Il n’y avait plus à Aspersdorf que des ennemis, qui, partout, et même dans l’église, ne faisaient que des ravages. Tout fut détruit dans l’église ; les tabernacles démontés et éventrés. Mais ici je dois pourtant me rappeler une chose particulière, semblable à un miracle. Dans l’église se trouve, sur le côté, une statue de la Mère de Dieu, sur un piédestal creux. Dessous se trouvait un calice en argent. L’ennemi cherchait lui-même tout ce qui était en or et en argent, et, après avoir, dans l’église, tout cassé et tout éparpillé, il laissa tranquille la statue de la Mère de Dieu, de sorte que le calice d’argent resta dérobé à la cupidité des voleurs.

Le 13 juillet [28] fut signé le cessez-le-feu, après que Français et Autrichiens se soient, le même jour, à Znaym, pitoyablement battus. La vraie paix cependant ne survint qu’au début de novembre, et elle ne fut pas particulièrement favorable à l’Autriche, le Tyrol, Salzbourg, tout le littoral et aussi une partie de la Galicie étaient perdus. Pendant le cessez-le-feu, les Français sont restés cantonnés dans toute l’Autriche ; à Aspersdorf, il y eut une compagnie de cavalerie. Ici, à la maison paroissiale, logea un Oberleutnant [29], avec deux simples soldats, ainsi que 4 chevaux et je dû pourvoir à la nourriture de tout ce monde. Du 18 septembre au 19 novembre de cette année, je dû nourrir des hôtes étrangers, alors que je n’avais rien moi-même.  Mais que Dieu soit loué ! Car Dieu a pris soin de nous ! Personne ne peut croire  qu’il y eut, dans toute l’Autriche, une récolte aussi belle, une récolte bénie, qu’en 1809. Certes, beaucoup de villages, par peur de la présence de l’ennemi, laissèrent la récolte dans les champs jusqu’à la fin de l’hiver, ce qui entraîna la perte et le pourrissement d’une grande partie. Mais à Aspersdorf, la plus grande partie, sinon tout, fut engrangé, et il faut porter au crédit des Français que, dans cette affaire, ils ne génèrent personne, et que même pour l’engrangement de la récolte, ils prêtèrent main forte. Mais en dehors, les gens ne se firent pas confiance, car ils étaient ennemis.

 

Schöngrabern [30]

(Témoignage anonyme)

Les habitants avaient à peine fini de reconstruire leurs maisons (après 1805 – ndlr), et s’étaient à peine remis des pertes subies, que, en 1809, après la bataille de Wagram, les Français firent irruption, par Oberhollabrunn, les Autrichiens se mirent en travers, pour leur défendre le passage vers Schöngrabern. Le village fut bombardé par l’ennemi, l’église, la cure, l’école, tout le village se retrouva bientôt en flammes, les Autrichiens n’essayèrent pas plus longtemps d’arrêter l’impétueuse attaque de l’ennemi. Les habitants s’étaient pour la plupart enfuis, et, lorsqu’il revinrent, ne retrouvèrent rien que des maisons affreusement dévastées. Dans la maison paroissiale les vieux manuscrits et d’autres documents avaient été détruits.

 

Pulkau [31]

(Chronique paroissiale)

 

(En 1809) Le typhus, qui s’était déjà déclaré l’année précédente, pris de terribles proportions et se révéla si contagieux que l’on n’osait plus se rendre les uns chez les autres. C’est d’abord à l’hôpital militaire qu’il était apparu. Comme celui-ci ne suffisait plus aux besoins, le grenier d’abondance de la cure et l’église Saint-Michel [32] furent également aménagés en hôpitaux militaires. Un escalier menait de la rue à la dernière fenêtre. Les soldats morts furent tous ensevelis au « cimetière des enfants innocents ». La maladie se répandit rapidement également dans le village, où elle sévit avec la même violence et enleva plusieurs citoyens de renom. A la cure, mourut Josef Seidel ; le docteur Kahlert fut également victime de son métier. Le nombre des morts, se monta cette année là à 160 civils et 42 militaires. Il est intéressant de noter que ces derniers sont tous enregistrés mort à l’hôpital, alors qu’il est notoire qu’ils décédèrent soit à la cure, soit dans l’église.

Un grand malheur frappa Pulkau durant cette année de l’invasion ennemie. Après la bataille de Wagram l’archiduc Charles se retira, tout en combattant, en direction de Znaym. Il y eut à Schöngrabern, pour arrêter les Français, un sévère combat.  A Pulkau on entendit distinctement le canon. Le co-adjuteur P. Bonifaz, durant ce combat, célébra la messe, pour prier Dieu qu’il éloigne les malheurs de la guerre. La bataille de Znaym fut suivie d’un cessez-le-feu, qui conduisit à la paix de Vienne. Mais l’annonce du cessez-le-feu resta à la chancellerie de Schrattenthal. Compte tenu des événements de 1806, durant lesquels Pulkau avait été incendié par des maraudeurs, il fut décidé que les cloches sonneraient en cas d’une telle invasion. C’est ce qui arriva un jour, lorsque, durant les chaumes, environ dix cavaliers, à la recherche de leur cantonnement, arrivèrent par la route de Schrattenthal. Le village se rassembla alors sur les places. Les soldats, leur officier à leur tête, se rendirent à l’Hôtel de ville, sur les marches duquel se tenait le syndic. L’un des soldats était resté en arrière, pour examiner les armes des piquets restés devant l’hôpital, et tira un coup de feu en l’air. Les habitants de Pulkau prirent ceci pour un signal leur disant de se défendre. Aussitôt, un cavalier fut abattu de son cheval, un deuxième fut tué, l’officier ne réussit à se sauver qu’en se mettant sous la protection du syndic.  Les autres soldats prirent la fuite, pour aller chercher du renfort, ce que voyant les habitants du village s’enfuirent.

Bientôt, un régiment arriva, pour enquêter sur cette affaire, et pris position en dehors de Pulkau. Le syndic Hitzelberger, le Secrétaire Scherak et le directeur de l’hôpital se rendirent auprès du commandant du régiment et implorèrent son pardon, lui expliquant les circonstances des faits, c’est-à-dire que le cessez-le-feu n’était pas connu à Pulkau, que les soldats avaient été pris pour des pilleurs et que c’est par erreur qu’on avait pris les armes, de sorte que les habitants de Pulkau furent pardonnés, à la condition que le village serait livré, une heure durant, au pillage.

Le malheur commença. Sur la place, les soldats cuisinèrent eux-mêmes, car presque tout le monde avait fuit, tout ce qu’ils trouvèrent à manger ; ceux des habitants qui étaient restés, furent molestés. Ferdinand Gollhofer, citoyen, qui venait juste d’abattre un mouton, était couvert de sang. Il fut pris par les soldats pour le meurtrier de l’un de leurs camarades, il fut battu, attaché à la queue d’un cheval et traîné ainsi à travers les rues, ce qui entraîna sa mort. Ils retournèrent même un mort pour trouver quelque chose à voler.

Le jour suivant, le régiment s’en alla et les habitants de Pulkau retrouvèrent leurs maisons dévastées. La détresse était d’autant plus grande, que la plupart des maisons avaient été abandonnées par leurs habitants, de sorte que tout avait été démoli, de nombreux biens pillés ou abîmés, en particulier beaucoup de vin fut abandonné le 13 juillet 1809. Le lendemain, 14 juillet, le régiment quitta Pulkau, qui reçu toutefois encore longtemps des cantonnements. Le curé P. Ulrich Jakomir estima les dégâts causés dans sa maison par les Français à 1.053 fl.

 

Zellerndorf [33]

(P. Carlmann)

Lorsque, en 1809, après la bataille de Wagram, les Français occupèrent le pays en dessous de Manhartsberg, Zellerndorf fut également concerné par les cantonnements et les contributions de toutes sortes. L’administration de Retz, dont dépendait alors Zellerndorf, porta en particulier son attention sur la maison paroissiale, et, de surcroît, les récoltes furent à peine moyennes. L’année suivante, il fallut livrer les objets en argent de l’église. D’après les bordereaux du 13 avril, on en livra pour la somme de 5 Mark, 10 Loth et 1 Quartal, provenant des pieds de deux calices, de la boite d’un ciboire, d’un encensoir et d’un Christ. Le dédommagement se monta à 135 fl. 25 kr. en monnaie.

 

Unter-Retzbach [34]

(Chronique villageoise)

Cette année là (1809) l’Autriche commença de nouveau la guerre avec la France et la Bavière. Le 9 avril, le général autrichien Casteller [35] entra dans le Tyrol et, dans la nuit du 8 au 9 des feux furent allumés sur tous les sommets pour annoncer l’attaque générale contre les Bavarois ; et les Tyroliens et les Salzbourgeois, emmenés par Anton Walner, dit Eichberger, ont repoussé par trois fois hors du Tyrol les Bavarois et les Français, sous le commandement de Wrede et Lefebvre. [36]

L’armée principale autrichienne, sous le commandement de l’archiduc Charles se trouvait à Regensburg, en Bavière ; il y eut là une bataille de cinq jours qui fut perdue par les Autrichiens, et l’armée autrichienne fut partagée en deux parties. La plus grosse, traversant le Danube, passa en Bohème, sous le commandement de l’archiduc Charles.  Les Français suivirent la plus petite, commandée par le général Hiller, en direction de Vienne, où ils arrivèrent avec une force considérable le 16 mai [37] et, en quelques heures, la ville et les faubourgs se rendirent.

Entre temps, les Autrichiens s’étaient de nouveau regroupés et avaient pris position à Aspern, dans le Marchfeld. Les 21 et 22 mai, les Français tentèrent, à Enzersdorf, de passer le Danube, mais les impériaux contre attaquèrent. Pour rendre difficile la retraite des Français, l’archiduc fit lancer des bateaux enflammés sur le fleuve pour mettre le feu aux ponts de bateaux. Il y eut durant cette bataille beaucoup de blessés des deux côtés. C’est la bataille d’Aspern.

Après cette bataille presque toute l’Autriche ressembla à un hôpital. A Retz, cinq hôpitaux fut érigés, dont nous eûmes à nous occuper. A partir de ce moment, les Français se sont renforcés tous les jours et ont de nouveau passés le Danube, le 5 juillet, et il y eut les 5 et 6 juillet une grande bataille et les Français sont restés maîtres du champ de bataille, la bataille s’appelle la bataille de Markgraf Neusiedl (sic). Les impériaux se sont retirés en direction de Znaym, les Français sur leurs talons, attaquant à Stockerau près d’Hollabrunn. Les 10 et 11 juillet fut livrée la bataille de Znaym, qui dura deux journées.  Le deuxième jour, il y eut un cessez-le-feu. Les Français établirent leur camp de Budwitz à Brünn. Les impériaux s’installèrent de Schelletau à Olmutz. Il y eut aussi à Vienne un très important camp. La cavalerie française s’installa en Autriche jusqu’à la paix. Ici aussi des cuirassiers et des dragons prirent position.  Le pays eut des frais de plusieurs millions. Il fallut approvisionner la cavalerie en nourriture et en boissons, les chevaux en paille et en avoine. Il nous fallut aussi livrer au camp, paille, foin, blé, farine, vin, bois, planches etc., en quantités variables. Il fallut remonter les équipages le plus confortablement, selon leurs désirs.  Il a fallut également donner beaucoup d’argent aux Français, leur livrer des chevaux et des bœufs, de sorte que les frais de la commune se sont élevés á 70.000 fl. je dis bien soixante dix mille Gulden. Le Metzen d’avoine coûtait 8 fl. et le Centner de foin également 8-9 fl.

Il n’est pas possible de décrire ce que chacun, durant cette guerre, eut à souffrir et tout ce qui fut anéantit, les dévastations et les destructions de nombreux villages, jardins et lieux, et les pillages par les Français qui passèrent par ici, et qui amenèrent beaucoup de familles au seuil de la mendicité.

Le 16 juillet, 3 cavaliers français et 8 fantassins [38] sont arrivés et ont réclamé de l’argent à la maison paroissiale. Le curé, P. Malachius, et le vicaire, P. Perthold, n’étaient plus là, et ils ont affreusement maltraité le vicaire P. Marian ; ils l’ont entouré et l’un deux l’a frappé avec la crosse de son fusil, jusqu’à ce que l’un des témoins, pris de pitié pour le prêtre, s’interpose et qu’il soit libéré.  Les Français se sont éloignés, à l’exception d’un seul, qui est resté près de l’homme. Ce dernier, grand et costaud, s’appelait Johann Stiebock. Sur ces entrefaites, un cavalier est ressorti de la maison paroissiale avec une bûche enflammée, et a voulu mettre le feu à la grange de Michael Schneider (au numéro 137), tout le monde est parti en courant, l’un des Français a chargé son arme, mais l’homme s’est alors dirigé jusqu’à la maison du cousin d’Anton Kleibl (n° 4), voulant y pénétrer. A peine était-il sur le pas de la porte qu’un Français lui a tiré dessus, mais, au lieu de l’atteindre, il a atteint Anton Kleibl (n° 7) à la poitrine et le frère de celui-ci, André (n° 4), au bras gauche. Georg Wagner mourut de sa blessure.

Le vicaire P. Marian est allé à Mitterretzbach, là se trouvaient encore des hussards impériaux, 20 hommes sont venus, les cavaliers français ont pris la fuite, laissant les fantassins en plan. Lorsque les hussards sont arrivés au village, un Français, qui se trouvait au n° 18, a blessé un hussard à la main droite et au cou, au moment où il se protégeait de son sabre ; ce dernier est tombé de son cheval, il fut enterré au cimetière. Le Français sauta dans le puit qui se trouve devant la maison paroissiale, mais il en fut extirpé, un coup de sabre d’un hussard lui a défoncé la mâchoire et il fut finalement mis à mort d’un coup de pioche, par un nommé Jakob Burger. Un autre Français fut écharpé, devant la maison paroissiale, et les deux furent enterrés près du mur du cimetière.

Deux Français furent battus à mort par les hussards, derrière l’écurie de la cure, et enterrés à cet endroit. Un autre subit le même sort dans la grande rue et fut enterré près de la maison de Mathias Knabl. Les autres Français furent faits prisonniers et emmenés à Fladnitz.

Les Français sont restés jusqu’à la fin de l’année en Autriche et en Moravie, jusqu’à ce que les contributions de guerre [39] soient payées. La Moravie du, à elle seule, payer 40 millions.

Extrait de « 1809 – Les Français à Vienne – Chronique d’une occupation »- PARIS – 2009


NOTES

[1] Dans la mesure du possible, les noms actuels des villages ont été rétablis, ainsi que la syntaxe moderne, ce qui n’a pas toujours été facile lorsqu’il s’agissait de transcriptions à partir du Kurrent manuscrit.

[2] Ce qui suit est extrait de la Chronique d’Aderklaa, dont la traduction en allemand moderne, à partir de la version manuscrite en Kurrent, a été pour la première fois présentée au mois de mars 2007, par M. Gerhard Frohner, d’Obersiebenbrunn.

[3] Probablement O’Reilly.

[4] Lire Hirstetten

[5] Hochleithen Wald, à l’est de l’actuelle route nationale n° 7.

[6] Un monument commémore ces évènements tragiques.

[7] Schmalz dans le texte

[8] Ober-Hollabrunn : Hollabrunn. Les témoignages qui suivent sont publiés avec la permission de M. Günther Böck.

[9] Atzgersdorf est alors un petit village au sud de Vienne. C’est aujourd’hui une partie du XXIIIe arrondissement.

[10] Il doit s’agir ici de François Roguet.

[11] Sierndorf est situé à 5 km au nord de Stockerau, sur la route E 59, en direction de Hollabrunn

[12] Village situé à une vingtaine kilomètres à l’ouest de Stockerau

[13] Metze : ancienne unité de mesure des volumes qui, à Vienne, valait environ 60 litres actuels.

[14] Grade compris entre lieutenant et capitaine.

[15] A environ 5 km à l’ouest de Stockerau

[16] Lire Neuaigen, à quelques kilomètres de Tulln

[17] Un peu à l’ouest de Stockerau

[18] Großweikersdorf, à 20 km au nord-ouest de Stockerau, sur la route nationale n°4

[19] Le narrateur  voulait sans doute écrire octobre.

[20] Oberhautzenthal : entre Sierndorf et Stranzendorf

[21] En réalité le 14, mais les petites localités éloignées de Vienne n’en ont sans doute pas eu connaissance le même jour, ce qui peut expliquer l’erreur du chroniqueur.

[22] Sans doute le chroniqueur fait ici allusion à la campagne de 1813.

[23] A 15 km au nord-ouest de Stockerau, en direction de Hollabrunn

[24] Tel était le nom de Hollabrunn, jusqu’en 1928.

[25] Bergau fait partie de la paroisse de Göllensdorf.

[26] Aspersdorf se trouve à 3 km au nord d’Hollabrunn

[27] Que 1805.

[28] En réalité le 12 juillet.

[29] Lieutenant

[30] Schöngrabern se trouve à une dizaine de kilomètres au nord d’Hollabrunn.

[31] Pulkau est situé au nord-ouest de Hollabrunn

[32] Elle existe toujours et est renommée pour son splendide retable.

[33] Zellendorf se trouve à quelques kilomètres à l’est de Pulkau

[34] Le village de Retzbach – qui englobe les trois localités de Ober, Mitter et Unterretzbach, se situe un peu avant la frontière tchèque (la région était alors la Moravie), en direction de Znaym.

[35] Lire Chastelet

[36] L’auteur de ces lignes trace ici un tableau très raccourci des évènements du Tyrol !

[37] L’armée française arrive en fait le 10 mai devant Vienne.

[38] « Muschkedier », dans le texte

[39] Prévues par le traité de paix.