Karl-Auguste von Hardenberg (1750-1822)

Karl-Auguste von Hardenberg naît à Essenrode (Lünebourg), le 31 mai 1750, au sein d’une famille dont la noblesse remonte au 9e siècle. Son père [1]Sa mère est Anna-Sophia Ehrengart (1731-1809), née von Bülow., Christian Ludwig, est feld-maréchal au service de Hanovre, qui s’est distingué durant la Guerre de Sept Ans. Après avoir reçu sa première éducation, il fait, à partir de 1766, des études de droit à Göttingen et Leipzig. Destiné très tôt à la carrière des affaires publiques, il débute sa carrière (1770) dans l’administration de l’électorat de Hanovre, avant d’entreprendre, sur les conseils du roi Georges III d’Angleterre, des voyages en Angleterre, en France, en Hollande, Autriche, dans le but d’approfondir ses connaissances. Il reprend et termine ses études de droit public à Wetzlar, siège de la chambre impériale. C’est là qu’il rencontre Goethe, avec lequel il lie des liens d’amitié qui dureront jusqu’à sa mort.
De retour dans sa patrie, il est chargé de différentes missions pour l’Angleterre (1778) ; c’est le début d’une brillante carrière. Il se marie avec une comtesse de Reventlow [2]Christiane Friedrike Juliane von Reventlow (1759 – 1793), originaire de Copenhague dont il aura deux enfants, Christian (1775 – 1841) et Lucie (1776 – 1854). Auparavant, il aurait souhaité … Continue reading, l’une des plus belles femmes de son époque. Mais les époux se séparent au bout de deux ans, suite à une liaison de l’épouse d’Hardenberg avec l’héritier du trône [3]Le divorce n’interviendra qu’en 1790. Hardenberg se remariera deux fois : en 1788, avec Sophie von Haßberg (1757 – 1835) ; en 1807, avec Charlotte Sophie Schöneknecht (1772 – 1851), … Continue reading, le prince de Galles et futur Georges IV. En 1781, Hardenberg, quitte définitivement l’Angleterre et le Hanovre, et se rend alors à la cour de Brunswick.
A cette époque, le prince régnant, Carl Wilhelm Ferdinand von Braunschweig [4]1735 – 1806 (neveu du Grand Frédéric), déjà auréolé de gloire militaire, rêve de s’illustrer encore plus, par le mérite d’une bonne administration. Et Hardenberg lui apparaît tout de suite parfaitement apte à le seconder dans ce but. Il le nomme (1783) grand prévôt et conseiller privé.
A la mort de Frédéric II (Le Grand Frédéric) , il le charge de porter à Berlin le testament qui avait été déposé dans ses mains par ce monarque. Le nouveau roi de Prusse accueille avec empressement un pareil messager : le duc de Brunswick, voulant faire de son envoyé un lien de plus entre les deux cours, l’a en effet recommandé spécialement. Dès lors, Hardenberg est Prussien ! Et il le sera pour toujours ! Une nouvelle carrière commence pour lui.

Frédéric-Guillaume II l’envoie (1790 [5]Son divorce et son remariage sont sans doute aussi pour beaucoup dans cette décision ! diriger l’administration des provinces d’Ansbach et Bayreuth, que le margrave avait d’ailleurs envisagé de céder à la Prusse; quand cette cession devient réalité, en décembre 1791, après sa démission, Hardenberg continue de les administrer au nom du roi de Prusse, avec le titre de ministre-directeur, et une relative indépendance. Satisfait de son administration le roi lui confie, dès cette époque, les affaires les plus importantes et les plus difficiles. Toutefois, il participe peu aux négociations de Pilnitz et aux intrigues qui accompagnent la campagne contre la France en 1792, sans ignorer ce qui se trame avec les chefs de la nouvelle république (cf. Dumouriez).
En janvier 1794, il se voit confier la mission d’obtenir des États de l’empire les plus exposés aux invasions de la France qu’ils participent à l’entretien de l’armée du roi de Prusse (qui reçoit également un subside de l’Angleterre et de la Hollande, avant d’en recevoir un de l’empereur d’Allemagne), mission particulièrement difficile et délicate. Quoiqu’il en soit, Hardenberg réussit à convaincre l’électeur de Mayence de présenter à la Diète, en sa qualité d’archichancelier, les demandes de son maître, et à convoquer pour le 1er mars les princes les plus exposés à l’invasion, afin de leur soumettre les mêmes demandes. Mais la majorité de ces derniers refusent, ne voulant pas payer des troupes qui ne seraient point à leur disposition.
L’irritation du roi de Prusse est telle qu’il menace de retirer son armée, déjà en marche vers la Westphalie, ce dont il est retenu par la bienveillance de l’Angleterre (et grâce en partie aux efforts de Haugwitz), qui accepte de signer un nouveau traité pour un subside additionnel de 50 millions, auquel Hardenberg réussit à faire ajouter des fournitures en nature de la part des princes, notamment ecclésiastiques. Mais la Prusse, inquiète de la position de l’Autriche, décide de négocier, en secret, un traité avec la France, dont l’un des négociateurs principaux va être Hardenberg. Celui-ci arrive à Bâle le 18 mars 1794, muni des pleins pouvoir donnés par le roi, et, le 15 avril, le traité de paix est signé : la Prusse se sépare entièrement de l’Angleterre ; elle abandonne la Hollande à son malheureux sort, et l’empire d’Allemagne reste ouvert à des invasions, à une influence qui, plus tard, amènera sa ruine. C’est la fin de la première coalition. La Prusse cède ses États de la rive gauche, avec la promesse éventuelle d’un dédommagement dont elle sera d’ailleurs assez indemnisée par des articles secrets.
Hardenberg retourne à Berlin dans le mois de juin suivant, où il reçoit de Frédéric-Guillaume le plus honorable accueil, qui lui confère l’Ordre de l’Aigle Noir, en décorant lui-même en présence de toute sa cour, et accompagnant cette distinction sans exemple des plus flatteuses paroles. Il reçoit même de la France, où ses manières de « marquis de l’ancienne France » ont fait impression, un magnifique service de porcelaine de Sèvres, autrefois destiné à la table de Louis XVI.
Hardenberg est renvoyé de nouveau en Suisse pour essayer d’amener l’Autriche à la paix, cette fois sans succès. Il retourne alors dans son margraviat d’Ansbach, pour y reprendre ses fonctions d’administrateur.

Après la mort de Frédéric-Guillaume II, Hardenberg revient à Berlin, et il y est parfaitement reçu par son successeur, Frédéric-Guillaume III. La nouvelle reine (la reine Louise), qui le connaît et l’estime depuis longtemps, l’accueille avec plus d’empressement encore, et jusqu’à sa mort ne cessera de l’honorer de sa protection. Cependant il n’est pas encore mis à la tête de la politique prussienne; conservant la direction des principautés d’Ansbach et de Bayreuth [6]Toutefois, il doit accepter l’annulation de certaines de ses réformes, ainsi qu’une certaine limitation de son « indépendance », il y ajoute, un peu plus tard, après la mort des titulaires, les départements de Magdebourg, d’Halberstadt, de Westphalie et de Neufchâtel.
Ce n’est qu’en 1804 qu’il prend la direction des affaires étrangères [7]Dont il a la charge officieuse depuis 1803.; et c’est en cette qualité que, le 14 octobre 1805, il remet au maréchal Duroc, envoyé de Napoléon, une réclamation extrêmement vive sur la violation du territoire d’Ansbach, que vient d’opérer un corps de l’armée française, sous les ordres de Bernadotte [8]Le roi de Prusse avait toujours laissé entendre qu’il respecterait la paix, tant qu’aucun soldat étranger ne mettrait le pied sur le sol prussien. A la nouvelle de l’entrée des troupes de … Continue reading.
« Sa Majesté », y écrit Hardenberg, « ne sait pas de quoi elle doit s’étonner le plus, ou des violences que les armées françaises se sont permises dans ses provinces, ou des arguments incompréhensibles par lesquels on prétend les justifier. Sa Majesté, jalouse d’une considération qui est due autant à sa puissance qu’à son caractère, a lu arec une sensation qu’elle chercherait en vain à cacher la dépêche justificative qui a été remise par la légation française à son cabinet. On s’appuie sur l’exemple de la dernière guerre et sur la parité des circonstances, comme si les exceptions que l’on permit alors n’avaient pas été fondées sur des traités précis qui ont cessé à la paix ! Comme si l’empereur Napoléon s’était souvenu de ces traités lorsqu’il prit possession du pays de Hanovre, d’un pays qui, par ces mêmes traités, était, depuis longues années, sous la protection de la Prusse ! On prétexte l’ignorance de nos vues, comme si les vues ne se montraient pas ici dans le fait même, et comme si la nature de la chose pouvait changer de face avant qu’on ait stipulé le contraire ! Comme si les protestations solennelles des magistrats de la province et des ministres de Sa Majesté près l’électeur de Bavière n’avaient pas suffisamment publié ce qui n’avait pas besoin de l’être ! Et comme si je n’avais pas déclaré moi-même, la carte à la main, longtemps auparavant, dans mes conférences avec M. le maréchal Duroc et M. de Laforêt, l’impossibilité de permettre aucune marche de troupes dans les margraviats !…Le roi se regarde, dès à présent, comme affranchi de tous les engagements qu’il a pris; et il se voit obligé de faire prendre à ses armées les positions nécessaires à la défense de l’État…. »
On sait ce qu’il advint de ces protestations, par ailleurs fondées. Les armées prussiennes restèrent immobiles, et la bataille d’Austerlitz se chargea de changer en un seul jour toute la face des affaires. Berlin fléchit devant Napoléon, et le baron de Hardenberg est sacrifié à sa colère : il doit démissionner de son poste (24 avril 1806 [9]Napoléon a fait savoir, dans le Moniteur du 26 mars, qu’il tenait Hardenstein pour un homme sans foi, l’un des initiateurs du traité de Postdam, un traître, etc…..
En 1806, après les désastres d’Iéna, ne voulant pas rester exposé aux vengeances de Napoléon, Hardenberg suit les débris de l’armée dans la vieille Prusse, continuant à aider secrètement le roi par ses conseils. Après la bataille d’Eylau, sous la pression d’Alexandre Ier, il rentre (10 avril) officiellement dans le ministère, à la place du général Zastrow, et il a bientôt la satisfaction de signer à Barstenstein (26 avril 1807), le traité qui resserre encore l’alliance avec la Russie, commencée à Glogau quelques jours auparavant.
Mais cette apparition aux affaires est de courte durée ; la défaite de Friedland et la paix de Tilsitt plonge de nouveau Frédéric-Guillaume et son royaume dans un abîme de calamités. Hardenberg retourne, au printemps 1808, dans sa retraite de Tempelbourg [10]Réussissant à faire nommer Stein à son poste., et il n’en sortira plus qu’à la fin de 1810, lorsque la guerre et l’oppression auront mis l’administration et surtout les finances du royaume dans un désordre tel qu’on croira alors le baron seul capable d’y remédier. Certes, c’est alors le roi qui a le premier l’idée de recourir aux talents et au zèle de Hardenberg; mais il lui faut encore obtenir l’agrément de Napoléon. C’est l’ambassadeur Saint-Marsan qui est chargé de demander à Napoléon cette « faveur ».
Hardenberg est finalement nommé, le 4 juin 1810, chancelier d’État, avec la responsabilité de mener les affaires intérieures et extérieures du royaume. A cette époque sa frontière ne va pas delà de l’Elbe; au nord et à l’intérieur il est occupé presque tout entier par les armées françaises, qui tiennent garnison dans les places de Stettin, Küstrin, Glogau, et parcourent sans cesse toutes les provinces où elles ont des dépôts, des magasins et des routes militaires. Le pays doit fournir à tous leurs besoins, et ces fournitures ne sont pas même reçues en déduction des énormes contributions imposées par les traités, et dont Napoléon exige la rentrée avec la plus excessive rigueur.
Hardenberg accepte cependant ces nouvelles fonctions si difficiles. La confiance qu’il inspire contribue rapidement à rétablir le crédit. Au roi, il donne des conseils de résignation et de prudence. Il introduit par ailleurs de nombreuses réformes, dont, en 1812, l’émancipation définitive des Juifs.
En 1812, plus que jamais convaincu de la nécessité de dissimuler et d’attendre de meilleures circonstances pour sauver la patrie, pour la soustraire à un complet anéantissement, Hardenberg décide Frédéric-Guillaume à signer, sous la pression de Napoléon, un traité d’alliance, avant le début de la campagne de Russie. Hardenberg va même jusqu’à conseiller au roi de lui demander pour son fils, pour l’héritier de son trône, une épouse du sang impérial de France[11]On se demande de qui il aurait pu s’agir….
Napoléon refuse évidemment, mais cela ne change rien à la volonté d’Hardenberg, qui est bien décidé à rétablir l’ordre dans l’administration, à recréer une armée qui n’existe plus mais dont il pressent qu’il aura bientôt le plus grand besoin. Il fait alors tout pour que la Prusse soit préparée à des événements qu’il regarde, d’ailleurs, inévitables, sans pour autant pouvoir en déterminer l’époque. Il donne des instructions et des ordres, dans la double hypothèse d’un succès ou d’un revers. C’est sans contredit l’époque la plus brillante du ministère de Hardenberg, durant laquelle il dirige toutes les actions de Frédéric-Guillaume III, l’accompagnant partout, en Bohême, en Saxe, en Franconie, tout en il dictant et signant tous les traités, toutes les correspondances, encouragent, organisant le Tugendbund et toutes ces sociétés secrètes qui doivent contribuer à sauver la patrie. Dans le même temps, pour mieux asseoir le crédit et l’influence de son souverain, il fait aux administrations municipales différentes concessions, abolit des privilèges pécuniaires de la noblesse et du clergé, et supprime les jurandes et maîtrises. Il va même jusqu’à promettre des institutions, qui vont pourtant à l’encontre de ses idées et de ses convictions quant à la nécessité d’un pouvoir absolu.
Après Leipzig, Hardenberg suit les monarques alliés dans leur marche triomphante contre la France, et il participe à toutes les délibérations, à tous les actes politiques qui émanent des puissances à Francfort, à Châtillon et enfin à Paris, où il signe pour la Prusse le traité du 30 mai 1814. Reconnaissant, Frédéric-Guillaume, lui donne (3 juin) le titre de prince; et c’est en cette qualité que Hardenberg retrouve, après trente ans d’absence, la cour de Londres, où il accompagne les monarques alliés.
Hardenberg se rend ensuite à Vienne, où de graves différends ont entravé la marche du congrès (dont il est un des acteurs les plus importants), lorsque Napoléon s’échappe de l’Ile d’Elbe. Il a alors beaucoup de part aux mesures qui sont à ce moment prises contre Napoléon.
Après Waterloo, il revient à Paris, où il signe pour la Prusse le traité de Paris du 20 novembre 1815.
Ce traité met le comble à sa fortune et à sa gloire et Hardenberg retourne à Berlin, où il continue à diriger les affaires du royaume et à être comblé par le roi et par la nation de toutes sortes de témoignages de reconnaissance.
Hardenberg participera encore, en tant que représentant de la Prusse, aux conférences d’Aix-la-Chapelle en 1818, à celles de Troppau et de Laybach en 1820, et de Vérone en 1822; il est alors âgé de 74 ans, et est devenu presque entièrement sourd, mais il continue de représenter dignement la Prusse, faisant habilement prévaloir les intérêts de son souverain. En novembre 1822, il quitte Vérone pour Rome, où il signe un concordat entre la Prusse et le Saint-Siège. Il s’apprête à continuer son voyage en Italie, lorsque, forcé de s’arrêter à Gênes, il y meurt presque subitement le 26 du même mois. Ses dépouilles mortelles furent transférées selon sa volonté à sa terre de New-Hardenberg, où il a été enseveli.
(Article basé sur la « Biographie universelle »,
References[+]
↑1 | Sa mère est Anna-Sophia Ehrengart (1731-1809), née von Bülow. |
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↑2 | Christiane Friedrike Juliane von Reventlow (1759 – 1793), originaire de Copenhague dont il aura deux enfants, Christian (1775 – 1841) et Lucie (1776 – 1854). Auparavant, il aurait souhaité épouser une sœur du futur ministre Stein, ce à quoi son père s’était opposé. |
↑3 | Le divorce n’interviendra qu’en 1790. Hardenberg se remariera deux fois : en 1788, avec Sophie von Haßberg (1757 – 1835) ; en 1807, avec Charlotte Sophie Schöneknecht (1772 – 1851), chanteuse d’opéra à Francfort, dont il se séparera en 1821. |
↑4 | 1735 – 1806 |
↑5 | Son divorce et son remariage sont sans doute aussi pour beaucoup dans cette décision ! |
↑6 | Toutefois, il doit accepter l’annulation de certaines de ses réformes, ainsi qu’une certaine limitation de son « indépendance » |
↑7 | Dont il a la charge officieuse depuis 1803. |
↑8 | Le roi de Prusse avait toujours laissé entendre qu’il respecterait la paix, tant qu’aucun soldat étranger ne mettrait le pied sur le sol prussien. A la nouvelle de l’entrée des troupes de Bernadotte, il se dit prêt à rompre les relations diplomatiques avec la France, ce qui aurait correspondu à une déclaration de guerre, Hardenberg l’en dissuada, lui montrant que la Prusse pouvait désormais entrer dans une médiation armée. |
↑9 | Napoléon a fait savoir, dans le Moniteur du 26 mars, qu’il tenait Hardenstein pour un homme sans foi, l’un des initiateurs du traité de Postdam, un traître, etc….. |
↑10 | Réussissant à faire nommer Stein à son poste. |
↑11 | On se demande de qui il aurait pu s’agir… |