Journal du Voltigeur Asseré (Nivôse an XI – Décembre 1806)

La première est une petite ville de la principauté de Bade nommée Freudenstadt, dans les montagnes de la Forêt-Noire : la ville n’a rien d’extraordinaire, mais le pays où elle est située est très curieux quand on se figure une province grande comme la moitié de la France, toute remplie de bois, que couvrent des montagnes immenses par leur hauteur, où il règne trois rois sur le même territoire : ce pays est rempli de gibiers, les bois qui s’y pourrissent suffiraient pour chauffer toute la France ou l’Allemagne; le défaut d’habitations empêche de retirer de ce pays tout le produit qu’on aurait pu en tirer. Nous vîmes en passant près de Stuttgart le superbe château du duc de Wurtemberg ; les sites qui environnent château ajoutent beaucoup à sa magnificence.

Après Ulm, que je ne pus voir, il n’y a que Ingolstadt, sur le Danube, qui soit remarquable ; elle était la plus forte place de la Bavière, mais elle fut démolie ; son arsenal, après celui de Vienne, est un des plus beaux d’Allemagne. Neubourg n’est remarquable que par le tombeau de la Tour d’Auvergne, premier grenadier de France, élevé sur le même terrain où il fut tué.

Lintz, ville d’Autriche, est une superbe ville sur le Danube ; elle a une fort jolie place ornée d’une superbe pyramide en forme de gloire, c’est un nuage qui s’élève d’un piédestal ambligone ; ce nuage est surmonté d’un soleil de métal doré et est enrichi de statues forts riches. Les bâtiments de cette ville sont très bien faits : cette ville a l’air d’être fort riche.

Après Lintz, il n’y a quc Melk qui soit remarquable par son abbaye, qui est située sur le bord du Danube ; elle est d’un aspect imposant tant par sa situation que par sa beauté.

Vienne, capitale de l’Autriche, à 313 lieues de Paris, est une ville médiocrement grande, mais belle, peuplée, forte et devenue riche par la résidence que les empereurs d’Autriche y ont faite depuis deux siècles.

Le palais dit la Vieille-Tour [1]L’auteur veut-il dire le Hofburg est un bâtiment vieux et sans goût, très orné intérieurement, mais qui à l’extérieur n’annonce guère la magnificence de ceux qui l’habitent : celui dit la Favorite [2]Schönbrunn ? a beaucoup plus d’élégance : il est situé à une lieue de la ville sur une jolie côte. L’arsenal est une des plus belles (sic) de l’Europe ; elle est divisée en trois sections ; celle des tours, celle bourgeoise et celle de l’Empire.

Entrée de Napoléon à Schönbrunn
Entrée de Napoléon à Schönbrunn

L’Empereur, dans le peu de temps qu’elles furent à son pouvoir, en fit enlever tout ce qu’il y avait de plus beau et de plus précieux, toute l’artillerie ancienne et moderne, les armes à feu et blanches qu’y s’y trouvaient, fit briser les fonderies et détruire les moulins à poudre : il laissa seulement l’arsenal bourgeois comme une marque de sa reconnaissance pour leur fidélité pendant le temps qu’ils restèrent ses sujets, ce qu’il leur fit savoir par une superbe proclamation qu’il lit a afficher avant son départ pour Paris.

Départ de Vienne pour l’Italie, passant par : le 9, à un village ; le 10, à Neustadt ; le 1er janvier 1806, Nurik (Neunkirchen), le 2, à Miltecarlo (Murzuschlag); le 3 et 4 à Kindberg ; le 5, à Brück ; le 6, à Leoben ; le 7, à Kinfeld (Knittelfeld); le 8, à Fohnsdorf; le 9, à Ulridorf; le 10, à Mérimork (Neutnarkt): le 11, à Mülldorf. le 12, Saint-Fraite (St- Veit); le 13 et 14, à Klagenfurt ; le 15, à Ville d’Alke (Villach); le 16 à Tattevis (Tarvis): le 17, à Pontapvis (Pontebba): le 18, Motlzie (Moggio); le 19. Chapaza (?) le 20, à Beano; le 21 à Pordenone ; le 22, à Conegliano ; le 23, à Trévise; le 24 à Mestre ; le 26, à Mira, le 27, à Chiozza ( (Ghioggia): le 29, au fort St-Nicolas ; le 30, à Malqamocco ; 5 février. Parti à l’hôpital de Venise.

Remarques sur les différentes villes de passage sur cette route : Neustadt, ville médiocrement grande, à dix lieues de Vienne, nous est connue par l’opéra intitulé La Tour de Neustadt ; elle est située près la chaine des Monts Apennins. Le 6, pour arriver à Mirteselulo ( Muezzuschlag) monté le rocher de Saouse [3]Col du Semmering.; ce mont est fort élevé, il faut plus de deux heures pour le monter : sa pente est adoucie par les détours, sur son sommet est élevé un monument fort joli en forme de piédestal qui marque la frontière de l’Autriche et de la Styrie. Kindberg où nous eûmes séjour : cette ville n ‘est pas grande, mais assez jolie : elle se trouve environnée de montagnes qui forment les plus jolis sites du monde, surtout en été, petite ville qui souffrit beaucoup des maux inséparables de la guerre.

Leoben, jolie petite ville en Styrie ; on remarque sur sa place une maison dont la façade est ornée de peintures superbes qui représentent deux sujets en grand : l’un est Daniel dans la fosse aux lions, à qui un ange apporte un potage ; l’autre est le sacrifice d’Abraham, qui est près d’immoler son fils. Sur la porte de la ville, du côté de la Carinthie, on voit la passion de Jésus-Christ très bien faite, le Calvaire surtout; il est orné d’un nombre infini de figures dont l’attitude est des plus intéressantes.

Klagenfurt, capitale de la Carinthie, est une belle ville grande et très forte, les maisons sont très bien bâties, elle a une place très vaste de la forme d’un carré long : on y remarque une belle fontaine ornée d’un monstre amphibie qui fut trouvé et tiré par un pêcheur dans le grand lac qui est à une lieue de la ville : il a été exécuté en bronze ainsi que l’individu, et orne cette fontaine.

Pontarvis (Pontebba) est une petite ville fort triste qui sépare la Carinthie de la république de Venise. Après avoir passé Pordenone, nous passâmes le fameux pont du Taillamint (Tagliamento), qui a bien un bon mille de long ; il traverse une rivière qui est souvent en partie à sec, mais lorsque quelques orages viennent dans les montagnes ou que les neiges fondent, cette rivière est terrible par sa largeur et sa rapidité. [4]Il s’agit de l’Adige

Conegliano est une petite ville, mais belle el riche ; on y voit peu d’artisans; cette ville fut bien maudite par notre régiment  par la particularité qu’en Italie, on ne loge le militaire que dans les couvents, sur de la paille où peut-être il a couché plus de dix mille hommes l’un après l’autre.

Trévise, grande ville et très marchande, est remplie de couvents. Mestre est à 6 milles de Venise, on s’y embarque pour cette ville. Chiozza (Chioggia), petite ville très forte sur le golfe de Venise, est un très petit port ; il n’y a guère que des barques de pêcheurs ; nous y embarquâmes pour les iles de Saint-Nicolas de Lide (du Lido) où nous restâmes deux jours.

A Venise, je fus obligé d’aller à l’hôpital nommé les Incurables, où j’entrai le 5 février. Cette ville,  grande et belle est à 268 lieues de Paris, et une des plus peuplées et des plus marchandes de l’Europe. Elle est surnommée la Riche à cause des richesses que lui procurent ses fabriques de miroirs, de cristaux, de points de Venise, de velours de dames, de brocard, de drap d’or.

Ses raisins dits de Corinthe sont excellents et à très bon compte, Elle a soixante-douze paroisses sur soixante-douze iles qui communiquent entre elles par plusieurs centaines de petits ponts; le principal, nommé le Rialto, est beau et hardi, d’une seule arche sur le grand canal, qui est long de plus de deux mille mètres : on parcourt la ville par ce canal et par tous les autres, qui y tiennent lieu de rues, sur des bateaux sans nombre nommés gondoles.

Chaque famille a ses gondoles au lieu de carrosses : ce qu’il y a de remarquable, c’est que ces gondoles sont toutes couvertes uniformément de noir, ce qui leur a ôté le coup d’œil qu’elles avaient jadis par la variété des couleurs et les richesses qui les couvraient, mais une loi émanée du Sénat défendit sous peine de punition exemplaire de décorer ces gondoles d’autres couleurs que celle fixée par cette loi : depuis ce temps, elles sont noires, mais depuis que cette belle ville est sous la domination française, il est permis à toutes les personnes riches et nobles de décorer leurs gondoles à leur fantaisie, ainsi que les gondoliers, qui portent les différentes livrées des maisons à qui ils appartiennent.

L’on vit pour la première fois ce superbe spectacle à une fête que la ville donna au prince Eugène Napoléon de France, vice-roi d’Italie, vers le 7 ou le 8 de février : une grande partie des gondoles en nombre infini, et de chaloupes des bâtiments de guerre, montées de leurs marins habillés de différentes couleurs et décorés de panaches et ceintures, les gondoles, gondoliers richement ornés et décorés les uns d’un rouge cramoisi chargé de galons d’argent ou d’or, les autres vert ou bleu, d’autres blanc, enfin des couleurs les plus éclatantes et les plus variées, formaient le contraste le plus brillant. Les maisons étaient tendues de riches tapisseries de soie. Cette fête fut terminée par une illumination générale des maisons et bâtiments de guerre, et d’un superbe feu d’artifice tiré sur la mer.

L’arsenal de cette ville est le plus beau de l’Europe et le mieux fourni : il y a de quoi armer cent mille hommes. Outre plusieurs palais magnifiques, on admire celui de Saint-Marc, l’église revêtue de marbre en dehors, et sa place de même nom. La cour de ce palais est entourée de superbes bâtiments, de même que la place Saint-Marc, avec double portique à colonnes de marbre. ´

Au-dessus de la principale porte de l’église étaient les quatre chevaux de bronze doré qui ornent le palais des Tuileries à Paris : ils avaient été enlevés par les croisés vénitiens et français quand ils prirent Constantinople. [5]En fait, ils furent emmenés par les armées de Bonaparte en 1797 et placés sur l’arc de triomphe du Carrousel à Paris jusqu’à leur rétrocession à Venise en 1815. Une copie … Continue reading

Les portes de bronze ornées de bas-reliefs sont celles de Saint-Sophie. Les plus précieuses reliques, pierreries et curiosités du trésor de Saint-Marc sont les dépouilles de cette ville.

La Tour qui est sur la place a 300 pieds de haut ; elle a double muraille et l’on y monte par une pente insensible pratiquée entre  les deux murailles. Le bas de cette tour est orné de superbes statues de bronze. Les portes sont de bronze ornées des plus riches bas-reliefs. Il y a trois mâts sur la place en face de l’église, où sont les pavillons de l’Etat. Les pieds de ces mâts sont en bronze de différentes formes, ornés aussi de bas-reliefs superbes.

Une pratique assez singulière à Venise, c’est de voir sur la même place des prédicateurs de l’Evangile et des baladins qui se disputent l’auditoire, mais les derniers remportent ordinairement. Cette ville est très forte et presque imprenable par la quantité de forts qui l’environne.

Partis de Venise le 20 février pour aller à Vérone. Le 20, à Mestre ; le 21, à Padoue (vue qu’en passant): le 22, à Vicence (vue qu’en passant). le 23, à Bonifacio (village): le 24, à Vérone (destination).

References

References
1L’auteur veut-il dire le Hofburg
2Schönbrunn ?
3Col du Semmering.
4Il s’agit de l’Adige
5En fait, ils furent emmenés par les armées de Bonaparte en 1797 et placés sur l’arc de triomphe du Carrousel à Paris jusqu’à leur rétrocession à Venise en 1815. Une copie datant de 1827 surmonte désormais l’arc du carrousel.