Journal du Voltigeur Asseré (Nivôse an XI – Décembre 1806)

Le 7 frimaire (28 novembre) parti de Brünn pour aller au secours de notre cavalerie qui était cantonnée devant Brünn, à une forte distance et que les Russes avaient surpris et forcés d’abandonner leurs cantonnements. La Garde impériale donna une charge, ce jour, aux Russes.

Le 8, changé de position sur le terrain où se donna la fameuse bataille d’ Austerlitz.

Le 9, j’ai monté une garde aux avant-postes où j’ai été témoin d’une charge de houllans contre l’escorte de Sa Majesté l’empereur des Français ; il s’engagea à la suite de cette affaire une chamaille sur la ligne des postes qui dura quelques heures.

Le 10 au soir, proclamation de I ‘Empereur au sujet de la bataille, harangue qu’il fit lui-même à la tête des grenadiers de sa Garde et de ceux d’avant-garde formant le corps de réserve pour la bataille d’Austerlitz.

Le 11 frimaire, l’anniversaire du couronnement de l’empereur Napoléon, fête que célébra toute l’armée, le 10 au soir, d’une manière unique et qui mérite d’être rapportée. Sur les sept heures du soir, Napoléon fit une visite impromptue dans le camp : chaque soldat et officier même de l’armée s’armèrent d’une torche de paille : en un instant ce signal fut répété par toute l’armée et dura longtemps. Les cris de : « Vive l’empereur Napoléon ! » se firent entendre dans toutes les lignes, suivis de celui de « bataille, bataille ! »

Ce fut au lever du soleil que commença cette terrible bataille qui, selon les calculs des empereurs de Russie et d’Allemagne, devait faire poser les armes à toute l’armée française. A dire vrai, les positions avantageuses qu’ils occupaient, le nombre supérieur et quelque chose de plus qui est un grand avantage, tous les habitants, leurs sujets et leurs partisans, toutes ces choses réunies leur donnaient une haute espérance : aussi donnèrent-ils l’ordre, à toute la troupe de mettre leurs sacs en bas afin d’être, plus lestes pour charger avec plus de vitesse sur les troupes françaises, ce qu’ils firent en marchant sur les deux ailes.

En un instant, il ne restait à l’armée française que la route de Brünn pour retraite, mais les bataillons français marchent à leur rencontre, ils sont aux mains, et commença un combat qui n’a pas d’exemple. Des Russes et des Autrichiens tombèrent en criant effroyablement sur les troupes françaises, mais elles ne s’ébranlèrent pas : elles les reçurent par un feu massacrant.

Ce feu aussi semblable à une foudre continuelle, dura jusqu’à midi de part et d’autre sur le même terrain, sans que les lignes cédèrent d’un pied le terrain qu’ils occupaient. A midi, l’ennemi fit un mouvement par notre gauche pour se porter vers notre droite ; le colonel du 17e régiment léger qui occupait un pain de sucre qui était une vraie observatoire pour la bataille [1]Il s’agit du célèbre Santon, fit avertir Sa Majeslé du mouvement que l’ennemi faisait, ce à quoi l’Empereur répondit : « Ils marchent à leur perte. »

L’on vit aussitôt toute notre cavalerie se précipiter sur le centre de l’armée ennemie et faire une horrible boucherie des deux lignes; les cuirassiers enlevèrent une batterie de dix pièces de canon qui était postée sur une montagne; enfin, en un instant, l’armée ennemie fut coupée en deux colonnes qui ne pouvant plus donner de concert ni recevoir des ordres, se défendit en battant en retraite, abandonnant en notre pouvoir ses magasins, ses munitions, son artillerie, un grand nombre de ses drapeaux ; plusieurs corps entiers tombèrent en notre pouvoir .

Nous restâmes, la division des grenadiers d’avant-garde et la Garde impériale, formant le corps de réserve, spectateurs de ce combat, nous portant alternativement de droite à la gauche et de la gauche au centre de la ligne de bataille, sans donner une seule fois.

Sur les quatre heures du soir, la Garde et nous, nous nous séparâmes ; la Garde se porta vers le centre et nous vers la droite ; nous marchâmes droit sur un village où tenaient depuis plusieurs heures cinq mille hommes. tous tirailleurs russes ; nous arrivâmes à la portée du fusil du village, on leur envoya quelques boulets, on tira des bataillons, des hommes pour tirailler, mais lorsqu’ils aperçurent les plumets qui plusieurs fois leur avaient été funestes, ils mirent bas les armes ; nous nous mîmes à la poursuite de l’armée qui venait de passer le lac gelé sur lequel ils perdirent plus de dix mille hornmes [2]On sait que ceci est faux, mensonge inventé pour les besoins de la propagande : la nuit mit fin à cette sanglante bataille qui jusqu’à ce jour n’a pas eu sa pareille.

Il se fit des actions d’éclat au-dessus même des choses humaines: quarante généraux, cinquante drapeaux, cent vingt pièces de canon, tous les étendards de la Garde impériale de Russie, quarante mille prisonniers, voilà les fruits de cette étonnante journée qui mit fin à cette guerre qui dura peu, mais qui fut cruelle.

Deux jours après se signèrent les préliminaires de paix, les armées se séparèrent, l’armée autrichienne se retira sur Olmütz. l’armée française se sépara : une partie allèrent en Bohème, l’autre en Hongrie, et nous et la Garde impériale nous retournâmes à Vienne, où nous restâmes vingt-deux jours logés chez les bourgeois, faubourg Léopoldstat.

Le 13 frimaire : accord de paix. Le 14 partis pour Vienne ; logés à Brünn, place forte de la Moravie. Le 15, Mariahilf.  Le 16, à un bourg. Le 17, à Nikolsbourg. Le 18, à Volkersdorf [3]Cest le 19 et non le 18, qu’il s’arrête à Wolkersdorf.. Le 19, à un village.

Le 20, à Vienne, capitale de l’Autriche ; jusqu’ici je n’ai point eu le temps de faire aucune réflexion sur les belles villes de l’Allemagne, je vais les passer en revue.

References

References
1Il s’agit du célèbre Santon
2On sait que ceci est faux, mensonge inventé pour les besoins de la propagande
3Cest le 19 et non le 18, qu’il s’arrête à Wolkersdorf.