Journal du Voltigeur Asseré (Nivôse an XI – Décembre 1806)
Le Journal du voltigeur Asseré, tel qu’il fut trouvé l’an passé [1]1904 chez un libraire du quai Voltaire, n’était accompagné d’aucune pièce qui en garantit l’authenticité; mais on ne peut guère la mettre en doute dès qu’on examine le manuscrit. C’est un cahier de très petites dimensions (9 centimètres sur 14), formé de quarante feuillets d’un gros papier vergé, et cousu dans une couverture de carton gris, repliée deux fois de manière à l’envelopper complètement. Les pages sont remplies d’une écriture assez correcte et très fine, laquelle, comme le papier, remonte aux premières années du XIXe siècle. Le carton est usé et sali par le long frottement dans une poche, et on y lit ces mots, presque effacés : « Asseré, Jean-Pierre-Noël, journal commencé le 22 nivôse, l’an XI. »
A l’intérieur, on lit la mention plus détaillée : « Ce livret appartient au sieur J.-P.-N. Asseré, voltigeur 3e compagnie du 9e régiment d’infanterie de ligne. »
A voir l’écriture de ce carnet, on reconnait aisément qu’il n’a pas été tenu au jour, mais rédigé ou copié tout d’une pièce sur des notes antérieures. Le titre nous explique en effet que l’auteur l’a « fait à Palma nova en Vénétie, dans le courant de juin 1806
Aux Archives administratives de la Guerre, le registre-contrôle du 9e régiment d’infanterie de ligne confirme tous les renseignements fournis par le livret sur son auteur :
NO 1302. — Asseré, Jean-Pierre-Noël, fils de Pierre et de Marie Wolfe, né le 24 décembre 1780, Paris, 5e arrondissement, taille de 1m670.
Visage plein, front découvert, yeux bruns, nez gros, bouche moyenne, menton rond, cheveux et sourcils bruns.
Conscrit arrivé le 2 pluviôse an XI.
3e bataillon, fusilier.
3e compagnie de chasseurs, chasseur.
Fait partie du bataillon d’élite le nivôse an XII.
Rentré au régiment le février 1806.
Congédié par réforme le 1er décembre 1806.
Campagnes des ans XII et XIII à l’armée des Côtes de l’Océan, de Vendémiaire et an XIV la Grande Armée.
Sur le registre.contrôle du bataillon d’élite, nous lisons en outre :
NO 254. — Entré au service le 22 nivôse an XI. Conscrit de l’an IX.
Tous ces renseignements et toutes ces dates sont conformes au manuscrit d’Asseré. Si l’on suit son journal pas à pas, on le trouve aussi en parfait accord avec tout ce qu’on sait des unités dont il a fait partie; il nous renseigne sur des points mal éclaircis, comme le mouvement de son bataillon lorsqu’il est détaché dans la Forêt-Noire. Il nous fournit de précieux détails sur l’affaire d’Hollabrünn.
Les noms de ses gites successifs sont souvent très mal orthographiés, et même méconnaissables. Nous avons respecté les fautes du manuscrit quand elles étaient assez sensibles pour offrir quelque intérêt, fût-ce de pure curiosité.
Asseré a recopié, en tête de son journal, la liste de ses gîtes d’étapes; nous avons cru pouvoir nous dispenser de la publier, car elle reproduisait les indications du texte sans y changer une lettre.
Au bout du livret, quatre pages étaient restées vides. Une ménagère, peut-être Mme Asseré, y inscrivit jadis des comptes de blanchissage d’une orthographe fantaisiste : une taille d’orié D, etc. Enfin, ce qui est plus intéressant et mérite tous nos regrets, on a déchiré en partie une aquarelle assez bien faite dans sa naïveté, qui était collée au verso de la couverture : on y voyait, au pied d’un monument de forme indéfinissable (Asseré dirait peut-être ombligone !) portant la date du 24 décembre 1806 et la lettre A, un canon et un voltigeur, notre héros sans aucun doute; mais son visage a été arraché, et il ne reste plus qu’un fragment de l’héroïque plumet écarlate, dont la seule vue faisait fuir l’ennemi !
Ce livre contient quelques notions sur certains pays que je parcourus. L’itinéraire ou le nom des villes qui ont servi de logement tant au Régiment qu’à la division des Grenadiers d’avant-garde pendant ces campagnes Suo meo, que pendant les campagnes de l’armée du Rhin et la rentrée au dit régiment.
JOURNAL DU VOLTIGEUR ASSERÉ.
DEPART DE PARIS, LE 22 NIVOSE, L’AN ONZIÈME POUR AUTUN REJOIGNANT LE 9e RÉGIMENT D’INFANTERIE DE LIGNE
A commencé le 22 nivôse, l’an onze
FAIT A PALMA NOVA, EN VÉNÉTIE, DANS LE COURANT DE JUIN 1806
Parti de Paris, le 22 nivôse l’an XI (12 janvier 1803) :
Le 22, à Corbeil ; le 23, à Melun ; le 24, à Montereau ; le 25, à Sens: le 27, à Joigny; le 28, à Auxerre; le 29, à Vermanton; le 30, à Avallon; le 1 er , à Saulieu ; le 2, à Autun.
Total de cette route : 10 jours.
La première ville un peu remarquable de cette route est Sens, à 16 lieues ouest de Troyes, ville très ancienne et fort célèbre du temps de Cézard (sic); a une superbe cathédrale.
La deuxième est Autun, première destination et la garnison du 9e, que je rejoignais. C’est un évêché à 13 lieues sud-ouest de Dijon ; elle a les plus beaux restes de l’antiquité de toute la France et en plus grand nombre; elle est entourée de montagnes dont beaucoup sont stériles ou couvertes de bois; ces montagnes sont remplies de sources qui donnent naissance à plusieurs rivières; la Seine et la Saône sont les principales. Cette ville a beaucoup perdu de sa splendeur depuis la Révolution : elle était le centre de l’étude pour la prêtrise, elle a un très beau séminaire, elle fait fort peu de commerce. Les habitants des montagnes voisines que l’on nomme Morvandiaux, du nom de leur montagne, sont stupides et presque sauvages.
Le régiment partit de cette garnison le 30 germinal l’an XI (20 avril 1803), pour aller à Landau.
Le 30, à Nolay ; le 1er floréal, à Beaune ; le 2, à Dijon ; le 3, à Auxonne ; le 4, à Vitreux ; le 5, à Besançon ; Le 7, à Baume-les-Dames ; le 8, à l’Isle-sur-Doubs ; le 9, à Béfort ; le 10, à Cernay ; le 11, à Colmar, séjour; le 13, à Schelestadt; le 14, à Hermeisthem (Erstein ?); le 15, à Strasbourg ; le 16, à Haguenau ; le 17, à Wissembourg ; le 18, à Landau, destination.
Cette route est remplie de villes très remarquables et fort belles, grandes et fortifiées. La première est Beaune, ville très ancienne. bien marchande et assez jolie: les environs sont fertiles en blé et en vin excellent, dit de Beaune.
La deuxièrne, Dijon, capitale de la ci-devant province de Bourgogne, à 73 lieues sud-est de Paris, est grande. bien peuplée et fort ancienne. C’est en cette ville que se tenaient les Etats de la province : elle est actuellement le chef-lieu du département de la Côte-d’Or. Ce pays est très riche par la quantité et la qualité de ses vins: c’est à quelques lieues de cette ville que se trouve le clos de Vougeot, tant renommé pour la cherté de ses vins…
La troisième ville est Besançon, à 92 lieues de Paris, ville belle, forte et très ancienne : elle était au nombre des villes impériales avant le change que l’Empereur en fit avec le roi d’Espagne pour Frankendal ; elle fut assiégée et prise les deux fois que Louis le Grand conquit la Franche-Comté. Sa citadelle est une des plus belles et des plus fortes que l’on puisse voir par sa situation : elle a des casernes, des magasins, un hôpital taillé dans le roc et à l’épreuve de la bombe; ce travail coûta des sommes immenses.
La quatrième ville est Baume-les-Dames. Cette ville, qui est sur la frontière de Suisse, à quelques lieues de Bâle, ne mérite mon ressouvenir que par rapport à ses beaux sites qu’arrose le Doubs, et par une terrible pluie qui me perça jusqu’aux os, ne me laissant pas une pièce de sèche pour me changer.
La cinquième ville est Belfort, place forte, mais peu conséquente.
La sixième, Colmar, fait un grand commerce de grains de houblon, dont on fait d’excellentes bières.
La septième, Schelestadt, petite ville, mais très forte par les eaux qui l’entourent.
La huitième, Strasbourg, capitale de la ci-devant province d’Alsace, à 115 lieues de Paris, est une grande ville peuplée et fort marchande ; elle n’est éloignée du Rhin que d’un quart de lieue ; elle est à la France depuis 1681. La citadelle et plusieurs autres forts la rendent presque imprenable. Le clocher de la cathédrale est parfaitement beau : c’est une tour haute de 574 pieds, avec 700 marches.
Son horloge a passé pour un ouvrage incomparable par la quantité de ses machines qui font mouvoir tous les cieux qui y sont représentés, et tournent divers cadrans qui marquent les heures du jour, les phases de la lune et le cours des 709 autres planètes. C’est dans une des églises des Luthériens qu’est le superbe mausolée du maréchal de Saxe.

La neuvième est Landau, place très forte et de première ligne ; elle soutint en 1792 et 93 un siège de onze mois contre les Prussiens et les Autrichiens, au nombre de soixante mille hommes, et fut débloquée par l’armée française. Son arsenal sauta quelque temps après. Elle vit mon éducation militaire ; c’est sur sa place d’armes que j’appris l’art de la guerre, autant qu’un soldat en peut apprendre, et nous en partîmes le 20 vendémiaire l’an XII (13 octobre 1803), pour aller à Strasbourg. C’est en cette ville que j’appris à repousser tout ce que la nature a de dur, le froid et la fatigue d’un service rigoureux et pénible. Deux mois s’écoulèrent pendant lesquels je montai vingt-sept gardes, et en partîmes le 18 frimaire (13 décembre 1803) pour Landau, pour former le bataillon d’élite.
Le 18 frimaire, à Haguenau, séjour : le 20, à Wissembourg ; le 21, à Landau.
Le 21 frimaire, formation du bataillon d’élite composé des trois compagnies de grenadiers et des trois premières compagnies du régiment, recomplétées à cent hommes. Le départ dudit bataillon fut fixé au 24 frimaire.
Route qu’il tint :
Le 24, à Wissembourg : le 25, à Haguenau : le 26, à Saverne : le 27, à Sarrebourg : le 28, à Vic [2]Les souvenirs d’Asseré Vont trmnpé : il a passé à Maizières d’abord, puis à V.ie., séjour le 30, à Maizières ; le 1er nivôse, à Solgne ; le 2, à Metz ; le 3, à Conflans ; le 4, à Etain ; le 5, à Damvillers : le 6, à Montmédy : le 8, à Carignan : le 9, a Sedan : le 10, à Charleville ; le 11, à Maubert-Fontaine, le 12, à Saint-Michel : le 13, à Avesnes : le 14, à Landrecies ; le 16, à Cambrai : le 17 (8 janvier 1804), à Arras, destination.
Cette route a fort peu de belles villes, si ce n’est Metz. Metz, grande et belle ville, à 76 lieues de Paris, a besoin de garnison, son commerce étant très peu conséquent. Les fortifications que le maréchal de Belle-Isle y a fait faire la rendent presque imprenable.
La deuxième est Sedan, assez jolie ville, connue pour ses fabriques de drap qui occupent presque tous les habitants.
La troisième est Charleville, une des plus jolies villes de Champagne, à 18 lieues nord-est de Reims, bâtie en 1606 par Charles de Gonzague, duc de Mantoue. Elle a une manufacture impériale d’armes à feu.
La quatrième est Landrecies. Cette malheureuse ville fut réduite et rasée par les deux sièges qu’elle soutint en 92 contre les Autrichiens et Anglais : 200 bouches à feu vomissaient contre elle le feu et la flamme : elle soutint peu après contre les Français un siège qui dura peu, mais qui la mit en ruines ; elle est un peu rétablie, mais ses habitants se souviendront longtemps de leurs calamités.
La cinquième est Cambrai, à 43 lieues de Paris, sur l’Escaut ; c’est une ville forte et assez marchande, et connue pour son archevêque M. de Fénelon, l’auteur de Télémaque.
La sixième est Arras, sur la Scarpe, grande ville bien fortifiée et le chef-lieu du département du Pas-de-Calais, et située à 44 lieues de Paris ; cette ville, aussi bien que plusieurs autres de ce pays, a besoin de garnison pour faire aller son commerce depuis longtemps abattu. C’est en cette ville que se rassemblèrent les onze bataillons d’élite sous le titre de grenadiers de la réserve, et depuis d’avant-garde, sous les ordres du brave général Junot, et depuis commandés par le général Oudinot.

Cette division qui était la terreur des Anglais, fit voir aux Autrichiens dans les campagnes de l’an XIV et aux Russes à la bataille d’Osnabrunn [3]Hollabrunn et d’Austerlitz, qu’elle était digne du titre de première infanterie de l’univers. Les 1ers, et 9e bataillons partirent d’Arras pour se rendre au Hâvre-de-Grâce, où ils embarquèrent.
Partis d’Arras le 15 prairial l’an XII (4 juin 1804).
Le 15 prairial, à Doullens; le 16, à Donqueur: le 17, à Abbeville ; le 18, au Tréport ; le 19, Dieppe, séjour; le 21, à Cany ; le 22, à Goderville: le 23, au Havre. destination ; le 29, embarqué surle bâtiment canonnier de deuxième espèce no 450 ; le 8 thermidor (27 juillet), au Hoc [4]Baie d’Harfleur. par mer ; le 12 vendémiaire (4 octobre) au Hâvre, avec un chargement de poudre. Le 19 frimaire (10 décembre), entré à l’hôpital et sorti le 4 nivôse (25 décembre) et rembarqué sur le bâtiment no 444, en qualité de passager.
Le 6 messidor (25 juin 1804) [5]Après avoir indiqué sommairement les garnisons de toute l’année, Asseré reprend en détail le récit des événements., les Anglais vinrent à la nuit tombante, jetèrent dans la ville, pendant l’espace de deux heures, une grande quantité de bombes qui firent peu de dégât. Le 1er et 2 thermidor (20-21 juillet), ils revinrent plus nombreux ; le 1er , ils commencèrent l’attaque à sept heures du matin ; la rade était (illisible) ils jetèrent dans la ville plus de trois cents bombes sans que les batteries de terre parussent les incommoder.
Le 2, à la même marée, ils mirent à la voile, au nombre de quatorze vaisseaux ou frégates, trente bombardes et quelques bricks, qui venaient convoyer les bombardes. Le feu fut vif de part et d’autre, mais les batteries de terre ne paraissaient les incommoder que très peu.
L’on donna l’ordre à un bâtiment canonnier de sortir du port et de faire voile sur l’escadre anglaise, ce qui fut fait avec diligence. Le navire sur lequel j’étais, mit à la voile le troisième ; comme la marée était mauvaise, nous eûmes quelques avaries ; nous tirâmes une douzaine de coups de canon, dont quelques-uns portèrent à bord de l’ennemi, ce qui les obligea à se mettre plus au large. Nous avions lieu de croire qu’ils furent contents de la réception, ils ne vinrent à la charge que douze jours après.

Nous partîmes le 8 thermidor (27 juillet), pour aller au Hoc. Nous mîmes à la voile midi, le vent était favorable quoique fort ; nous arrivâmes dans la baie du Hoc à sept heures du soir, nous remontâmes la rivière du Hoc ; cette rivière quoique petite reçoit tant d’eaux de la mer qu’il se forme à sa marée montante et descendante un courant d’une rapidité étonnante; sur les neuf heures du soir, nos marins qui ignoraient cela s’étaient mouillés sur une grève ( ?) en attendant la haute mer ; l’on sentit se former sur l’avant un flot élevé qui nous fit déraper et nous jeta fort près, et avec une vitesse étonnante, sur les rochers de la côte, si par une manœuvre prompte et habile notre pilote n’eût évité la côte.
Nous restâmes deux mois dans cette baie, sans que rien nous arrivât, si ce n’est quelques voyages que nous fîmes au Hâvre pour convoyer des péniches, et deux sorties que nous fîmes contre les Anglais.
La première sortie fut le 13 (1 er août), depuis deux heures que l’Anglais vint nous bombarder, jusqu’à sept heures du soir ; la flotte française, qui était embossée, fut attaquée et forcée de mettre à la voile pour se défendre : il y eut un combat très vif ; l’ennemi fut forcé d’abandonner le champ de bataille.
Le 14, à la pointe du jour, l’ennemi était à la voile au nombre de 16 vaisseaux ou frégates, une quantité de bricks et bombardes ; ils s’approchèrent de notre ligne d’embossage, qui serra l’ancre et mit à la voile aussitôt et se mêla (?) dans l’escadre anglaise, faisant un feu tribord et bâbord qui étonna l’ennemi par sa vivacité et sa justesse.
Le combat dura jusqu’à midi nous restâmes spectateurs de ce terrible combat, qui ne laissa pas que de nous enlever deux marins et notre manœuvre fut beaucoup endommagée ; l’ennemi perdit beaucoup de monde, eut un brick de démâté et une frégate qu’ils ne purent emmener ; elle coula à la hauteur du cap de La Hève.
La perte des Français fut peu conséquente, ils eurent quelques blessés, fort peu de tués. nous laissa la gloire de cette action ; plusieurs navires se sont distingués ; les officiers et soldats, matelots et canonniers, tous ont fait voir qu’ils étaient Français ; on vit longtemps un brick engagé recevoir le feu de sept frégates ou vaisseaux.
Le 1er vendémiaire an XIII (23 septembre 1804), célébration de la fête, tous les bâtiments de la station pavoisés : nous saluâmes le lever du soleil de trois coups de canon chaque pièce, ce qui se répéta par toutes les batteries de terre.
Le 12 vendémiaire, nous mimes à la voile après être relevés par une autre division et finies route pour le Hâvre, où nous restâmes pour nous faire réparer. Le 20, j’entrai à l’hôpital pour les fièvres que j’ai attrapées dans la baie d’où nous sortions, qui était remplie de vase : le 4 brumaire, sortie de l’hôpital.
Le bâtiment 450 étant parti en course, je fus embarqué sur le bâtiment de même espèce 444 , au Hâvre. [6]Les bateaux plats ont été construits pour un projet d’invasion, et un voyage unique à plusieurs centaines d’unités. Donner des chiffres pour les identifier était plus court et plus … Continue reading
Le 9, en mer.
Le 10, jour de la Toussaint, jour mémorable où nous essuyâmes la plus affreuse tempête, ne pouvant tenir sur nos ancres, nous fûmes obligés de louvoyer à la cape [7]Expression défectueuse ; on ne peut à la fois louvoyer et mettre à la cape, ce qui consiste à annuler à la fois l’action des voiles et du gouvernail, pour se laisser porter au gré des flots : … Continue reading pendant trente-six heures.
Après avoir échoué sur la côte et relevé par la marée et du secours qu’on nous envoya, nous nous remîmes à la mer, tenant le large le plus que possible: la tempête durait toujours, la nuit très obscure et quoique ce fût dans la saison arrière et qu’il fit très froid, il éclairait très fort et tonnait de mème : sur les minuit, il vint un grain suivi d’un coup de vent inattendu ; nous étions à la voile et cherchions à éviter la terre : ce coup de vent nous brisa notre perroquet et le fit tomber avec fracas sur le pont, fort heureusement qu’il ne blessa personne : notre grande voile fut par le mène coup déchirée, notre beaupré entra dans la mer et se brisa à la dunette en se relevant ; enfin nous nous vîmes en un instant désemparés et ayant la plus affreuse perspective, ne pouvant plus manœuvrer et à la merci des Anglais sur les côtes desquels nous nous trouvions exposés.
La seule ressource qui nous restait était la rame : tout le monde s’y mit ; à la pointe du jour, nous vîmes que nous étions à vingt lieues au large et à la hauteur du cap de La Hève : nous orientâmes une misaine le mieux possible.
Sur les dix heures du matin, le vent ayant soufflé constamment sud, qui était celui que nous désirions pour gagner le Hâvre, nous porta avec tant de vivacité, que nous fûmes à portée de nous faire entendre. La tempête recommençait avec plus de fureur ; le capitaine résolut de faire le signal de détresse, ce qui se fit en hissant à demi-mât notre pavillon lié par le milieu et suivi de deux coups de canon tirés de quart d’heure en quart d’heure.
Ce signal récidiva plusieurs fois ; nous aperçûmes plusieurs barques remplies de monde qui venaient à notre secours. Le capitaine, jeune homme qui avait quelque expérience, mais qui n’osait se fier à lui-même, demanda un pilote habile qui commandait une de ces barques. Ce brave marin, qui avait déjà par ses talents sauvé un grand nombre d’équipages, dévoués à une mort affreuse et certaine, nous sauva aussi de ce terrible pas et nous fit entrer dans le port du Hâvre aux acclamations des multitudes de personnes qui avaient vu notre malheureuse position et la belle manœuvre que ce pilote venait de faire ; enfin nous en fûmes quittes pour une terrible peur.
Le 11 brumaire, nous nous remimes en mer après avoir passé la nuit à gréer ; en sortant du port, nous eûmes des avaries, notre gouvernail avait heurté contre la jetée du nord. L’amiral qui, pour punir l’inexpérience de notre capitaine, lui donna l’ordre de tenir la mer et de croiser jusqu’à ce qu’il lui envoyât l’ordre de rentrer, ne lui fit ce signal que le 16 à midi, après cinq jours de croisière par un très mauvais temps.
Nous aperçûmes, en approchant du Hâvre, une flotte qui s’assemblait sur la rade. Nous ne fûmes pas aussitôt rentrés dans le port qu’on donna l’ordre de faire de l’eau fraiche ; enfin, au bout de dix minutes, le navire mit à la voile pour prendre son rang dans la flotte en rade ; l’on fit le signal pour partir à sept heures du soir ; depuis deux heures après-midi, tout le monde, voyant le mauvais état du navire, se mit à travailler chacun en ce qui le concernait à le réparer ; je pris pour ma part le gouvernail, tout cela fut fait en deux heures de temps…
La flotte anglaise. qui s’aperçut que la nôtre s’assemblait, serra la côte de plus près : enfin nous mimes à la voile au nombre de quarante-quatre voiles de guerre, à sept heures précises : nous eûmes beaucoup de peine de doubler la pointe du cap, enfin nous nous vîmes sur la ligne à neuf, ayant plus de quatre lieues entre nous et la division, enfin la pointe passée nous prîmes le vent plus favorablement ; il soufflait sud-ouest d’un vent frais .
Nous primes le large et, mettant toutes nos voiles dehors, sur les deux heures du matin nous étions à la vue de Dieppe, sans avoir rencontré aucun navire et craignant d’être surpris par les Anglais que l’on n’ignorait pas qui étaient notre poursuite ; nous revirâmes de bord pour rejoindre la division, mais la division avait été dispersée par quelques avaries qui étaient arrivées à plusieurs bâtiments le long de la côte, entre autres le brick que montait le commandant qui fut contraint d’entrer à Fécamp, petit port de l’Océan dans la Manche.
Sur les quatre heures du matin, un brick qui venait droit à nous manqua de nous briser : il passa si proche de nous qu’il nous emporta nos porte-haubans et se jeta sur un petit sloop marchand qui nous suivait et le fit couler bas ; on sauva l’équipage et enfin nous arrivâmes devant Dieppe, pour la deuxième fois, à huit heures du matin : la marée était mauvaise, nous ne pûmes changer de pilote, la barque qui les portait coula : nous approchâmes enfin, nous remîmes à la voile à la vue des Anglais qui, supérieurs à nous par la force de leurs bâtiments, n’ont osé nous attaquer ; nous vîmes en passant à une grande distance, le Tréport, Saint-Valery ; nous arrivâmes à la hauteur des bancs de Somme : l’amiral communiqua l’ordre à tous les gros bâtiments de prendre un petit à la remorque, ce qui se fit avec précision, et nous arrivâmes en cet ordre devant Boulogne le 18 brumaire (3 novemre 1804).
Nous reçûmes des pilotes du port qui nous firent entrer dans le port sur les deux heures du matin. Le 21, nous débarquâmes à Boulogne et rembarquâmes sur le 234, bâtiment de même espèce. Le 20 pluviôse, nous mimes en mer.
Le 24 une tempête survint dans la nuit, qui nous jeta sur la côte : nous fûmes obligés de jeter tout à la mer : canons, munitions, vivres, et à la fin, de nous jeter nous et notre bagage dans la chaloupe et d’abandonner le navire au flot ; nous revînmes par terre à Vimereux où nous fûmes embarqués sur le 452 de même espèce.
Sortis le 2 ventôse (21 février 1805), pour aller en croisière dans les eaux du cap Gris-Nez, où nous eûmes une petite affaire avec les bâtiments anglais, dont plusieurs tombèrent entre nos mains, entre autres la Jamaica, gabare à trois mâts très belle, chargée de poivre, cotonnade, café, etc. : un brick armé de quatorze pièces de canons, et sommes rentrés le 18 ventôse à Boulogne.
Le 20, partis pour Wimereux et entrés dans ce port, où nous sommes restés jusqu’au 1er germinal (22 mars) que nous avons débarqués pour aller à Arras ; le 2, à Marquise ; le 3, à Ardres, séjour quatre jours ; le 7, à Saint-Omer ; le 8, à Aire, séjour ; le 10, à Béthune ; le 11, à Arras, destination ; restés à Arras ; le 11 messidor, partis pour le camp de Wimereux ; le 11, à Béthune ; le 12, à Aire: le 13, à Saint-Omer : le 14, à Ardres ; le 15, au camp de Wimereux.
Le thermidor (21 juillet 1805), arrivée de l’escadre hollandaise, grand combat qui dura depuis quatre heures du matin jusqu’à sept heures du soir ; grands préparatifs pour la descente ; le 7 fructidor, tous les préparatifs terminés, on n’attend plus que le signal et le vent.
Le 7 fructidor (25 août) au soir, on donna l’ordre de se tenir prêts pour embarquer dans la nuit ; le 8, avant le jour, on donna l’ordre pour aller à Strasbourg.
References[+]
↑1 | 1904 |
---|---|
↑2 | Les souvenirs d’Asseré Vont trmnpé : il a passé à Maizières d’abord, puis à V.ie. |
↑3 | Hollabrunn |
↑4 | Baie d’Harfleur. |
↑5 | Après avoir indiqué sommairement les garnisons de toute l’année, Asseré reprend en détail le récit des événements. |
↑6 | Les bateaux plats ont été construits pour un projet d’invasion, et un voyage unique à plusieurs centaines d’unités. Donner des chiffres pour les identifier était plus court et plus pratique; seules les prames d’artillerie avaient des noms – Merci à Sophie Muffat |
↑7 | Expression défectueuse ; on ne peut à la fois louvoyer et mettre à la cape, ce qui consiste à annuler à la fois l’action des voiles et du gouvernail, pour se laisser porter au gré des flots : Asseré aurait dû écrire : tenir â la cape. |