Jacques-Olivier Boudon
Jérôme, dernier frère de Napoléon, est roi de Westphalie depuis à peine deux ans quand débute la campagne d’Autriche. Agé de 25 ans, il a une double expérience militaire, amorcée dans la marine, poursuivie sur terre à l’occasion de la campagne de 1806-1807; Napoléon l’avait alors chargé de la conquête de la Silésie, objectif atteint au terme d’une série de longs sièges. Il eut aussi, à partir de 1807, à commander l’armée de Westphalie, constituée en fonction des demandes de Napoléon.
C’est fort de cette expérience, modeste, mais réelle, qu’il se voit confier un rôle défensif dans la campagne de 1809, avec le commandement du 10e corps.
Jérôme à la tête du 10e corps
Les troupes qui protègent le nord de l’Allemagne sont organisées selon trois ensemble. Une partie est réunie au sein du 10e corps placé sous les ordres du roi Jérôme depuis le mois d’avril. Il comprend environ 20 000 hommes, effectif incluant sa propre armée (12500 soldats), les troupes hollandaises commandées par le général Gratien, ainsi que les garnisons des places fortes de Stettin et Custrin. Avec cette force, Jérôme a ordre de maintenir la tranquillité depuis Hambourg jusqu’au Main.
Un second ensemble est formé par le corps commandé par le duc de Valmy, du Corps d’observation de l’Elbe ; stationné à Hanau, il comprend 18 000 hommes, mais il échappe à la tutelle de Jérôme. Le duc de Valmy a reçu l’instruction de ne répondre qu’aux ordres de Napoléon.
« Le corps de Hanau n’est pas sous vos ordres, et le duc de Valmy ne peut en détacher un seul homme sans mon ordre », écrit Napoléon à Jérôme.
Il pourrait toutefois, en vertu des recommandations adressées à Jérôme en avril s’adjoindre au 10e corps. Enfin le roi de Saxe a à sa disposition une troupe d’environ 3000 hommes, commandée par le colonel Thielmann, auxquels Jérôme pouvait avoir également recours.
Le roi de Westphalie, même s’il n’a pas autorité immédiate sur toutes les troupes stationnées dans la partie septentrionale de l’Allemagne, peut en devenir l’élément fédérateur en cas de difficulté. Tel est donc l’état des forces lorsque s’ouvre un nouveau front dans la campagne de 1809. Les Autrichiens ont en effet décidé de s’appuyer sur leur position stratégique en Bohême pour attaquer l’Allemagne du nord avec le concours de princes déchus de cette région, en l’occurrence le duc de Brunswick et l’électeur de Hesse, dépossédés au profit du roi de Westphalie. Guillaume-Frédéric de Brunswick-Oëls, né en 1771, dernier fils du duc de Brunswick, avait refusé de reconnaître l’incorporation du duché dans le Royaume de Westphalie. Il profite de la campagne de 1809 pour tenter de reprendre son fief. Il a pour ce faire obtenu l’accord de l’Autriche qui l’a autorisé à armer, à ses frais, un corps de 2000 hommes. Il les recrute, à partir du mois d’avril, en Bohême, mais aussi en Silésie, bien que le roi de Prusse s’y soit opposé. Cette légion, composée de 1200 fantassins et 500 cavaliers, arbore des uniformes noirs, d’où son nom de « légion noire ».
De son côté, le duc de Hesse avait également levé une légion de 650 hommes (500 fantassins, et 150 cavaliers).
Le 17 mai, la légion du duc de Brunswick pénètre en territoire saxon, provoquant l’émoi chez le roi qui s’affole, croit qu’il s’agit de Prussiens et demande aide et assistance à Napoléon, mais aussi à son voisin, le roi de Westphalie.
Parallèlement un corps autrichien, commandé par le général Am-Ende, composé de deux bataillons, se dirige également vers la Saxe. Les deux corps font leur jonction, le 10 juin, à Dippoldiswalde. Le lendemain ils occupent Dresde sans combat, le colonel Thielmann ayant préféré se replier sur Leipzig, devant la disproportion des forces. Le duc de Brunswick lance alors une proclamation aux habitants de son duché, appelant à combattre pour la liberté et invitant ses compatriotes à avoir recours à la petite guerre.
« Vous pouvez intercepter les communications de l’ennemi, enlever ses courriers, ses recrues, ses magasins, son artillerie, en un mot, prendre ou détruire tout ce qui lui appartient ».
Les autrichiens poursuivent leur progression en direction de Leipzig et bousculent Thielmann qui se retire à nouveau. Les forces combinées du duc de Brunswick et du général Am-End se portent alors vers la Saale, quand elles ont connaissance de l’arrivée des troupes de Jérôme.
Le roi de Westphalie a en effet appris le 15 juin l’entrée des autrichiens à Dresde et décidé aussitôt de se porter à leur rencontre. Il fait partir sa garde en direction de Sondershausen et donne des ordres au général d’Albignac et au général Gratien de le rejoindre. Jérôme lui-même se met en route le 18 juin.
« Le 21, tout ce que j’avais pu rassembler de troupes, montant à onze mille hommes, était réuni », écrit-il dans un rapport adressé à Napoléon.
Le 22, le général d’Albignac est sur la Saale bloquant l’avancée des troupes ennemies. Trois jours plus tard, il les contraint à abandonner Leipzig. Jérôme y entre pour sa part le lendemain. Le 27 le général d’Albignac livre bataille près de Wadheim, emportant la victoire. Le 30, l’armée de Westphalie est à Dresde, Jérôme faisant son entrée le 1er juillet à 9 heures du matin. Mais il ne s’attarde pas en Saxe, prétextant l’état de son royaume pour y retourner : « les troubles toujours renaissants de mon royaume et le mauvais état de mes finances m’y rappellent ».
A cette date pourtant l’armée ennemie n’est pas encore défaite. Elle s’est divisée en deux groupes, l’un se dirigeant vers Freyberg, l’autre, commandé par le duc de Brunswick, prenant une route plus au sud, en direction de la Franconie, par Hof, avec la possibilité de repasser à tout moment, en cas de menace, en Bohême. Ce changement de direction s’explique assez aisément par le fait qu’au moment où le duc de Brunswick et le général Am-End entraient en Saxe, un autre corps autrichien, commandée par le général Radiwowitz, et fort de 8000 hommes, pénétrait en Haute-Franconie et occupait Bayreuth, menaçant la route allant de Mayence à Ratisbonne et partant la ligne d’opérations des Français.
Le 26 juin, le corps de Radiwowitz est en effet à Nuremberg. Le lendemain, Napoléon se décide à réagir, en appelant le général Junot, autrement dit le duc d’Abrantès, à la tête de la Réserve de l’armée d’Allemagne, essentiellement composée des forces jusqu’alors commandées par le duc de Valmy, mais sans que soit clairement établi l’état de ses relations avec le 10e corps.
D’emblée, Junot propose à Jérôme une combinaison de leurs efforts. Il annonce son intention de se porter sur Bayreuth.
« Le but principal de mon mouvement est d’empêcher ce corps d’interrompre les communications de la Grande Armée », écrit-il au roi de Westphalie, en exposant son plan pour vaincre les Autrichiens.
De son côté, Jérôme qui avait annoncé son retour dans son royaume, poursuit sa marche contre les Autrichiens et se présente devant Chemnitz le 6 juillet. Il est à Hof, où il espère retrouver Junot, le 10 juillet. Mais le duc d’Abrantès a été contraint, par manque de troupes, à revoir ses objectifs, laissant Jérôme avec son corps de 11 000 hommes seul face aux 20 à 25.000 Autrichiens. Jérôme décide donc le 12 de se retirer en direction de Schleitz. Il y apprend le lendemain la nouvelle de la victoire de Wagram et décide de poursuivre sa route en direction du nord, pour retrouver ses Etats au plus vite.
Le 16 il couche à Weimar où le duc donne une grande réception en son honneur. Le 17 il est à Erfurt, préoccupé par les nouvelles qu’il a reçues sur la menace d’un débarquement anglais. Le danger autrichien lui paraissant écarté par la signature de l’armistice de Znaïm, il prend la décision de ramener le gros de ses troupes en Westphalie pour pourvoir contrer une éventuelle attaque anglaise, se contentant de renvoyer les soldats de Thielmann à Dresde et de laisser Gratien à Erfurt.
Le 20, il est à Cassel d’où il dirige un corps de 5000 hommes, confié au général Reubel, vers le Hanovre.
La dérobade de Jérôme
En fait, en la circonstance, Jérôme a agi selon son bon vouloir, sans se préoccuper des ordres reçus. Le 28 juin, Berthier lui avait en effet donné l’ordre de passer en Bohême avec le 10e corps.
Le 4 juillet, Napoléon lui rappelle qu’il lui a déjà demandé d’entrer en Bohême, avec 3000 Saxons, 12 000 hommes de ses troupes et 8000 soldats du duc d’Abrantès. Certes, il lui recommande d’attendre l’issue de la bataille de Wagram, mais son intention est bien de le voir se porter sur Prague, où il pourrait être rejoint par les Bavarois du duc de Dantzig, ce qui porterait son armée à 50 000 hommes.
Et Napoléon ajoute :
« Je pense que le bon moyen de réprimer les désordres chez vous, c’est d’entrer en pays ennemi »,
répondant ainsi à Jérôme qui avait justifié son retour par les menaces d’insurrection pesant sur son royaume. Dix jours plus tard, alors que l’armistice de Znaïm vient d’être signé, Napoléon demande à Jérôme de se concentrer à Dresde avec son corps d’armée et de se tenir prêt à passer en Bohême si les négociations de paix n’aboutissaient pas.
« Surtout ne quittez pas Dresde ; reportez-y votre quartier général ».
Or au même moment, le roi de Westphalie a décidé de rentrer dans ses Etats. Certes, comme toute correspondance, elle parvient avec un certain retard. Les événements ont évolué. Mais force est de constater qu’à aucun moment, Jérôme n’a sérieusement envisagé de pénétrer en Bohême ou même seulement d’en assurer la couverture, en restant en Saxe. Son action militaire est essentiellement guidée par le souci de protéger son royaume, mais nullement par l’intérêt général de la Grande Armée.
C’est ce refus d’obéissance qui irrite particulièrement Napoléon qui, en deux lettres particulièrement senties –que la commission de correspondance du Second Empire ne publie du reste pas-, remet son jeune frère à sa place , en le tançant vertement.
« Vous faites la guerre comme un satrape, lui écrit-il le 17 juillet. Est-ce de moi, bon Dieu ! que vous avez appris cela ? De moi qui, avec une armée de 200 000 hommes, suis à la tête de mes tirailleurs, ne permettant pas même à Champagny de me suivre et le laissant à Munich ou à Vienne ? »,
allusion directe au fait que Jérôme s’est fait accompagner non seulement de son ministre des relations extérieures, mais aussi de l’ensemble du corps diplomatique en poste à Cassel.
Finalement Napoléon lui reproche de ne pas être un chef de guerre.
« Qu’est-il arrivé ? Qu’on est mécontent de vous, que Kienmayer, avec 12 000 hommes, s’est moqué de vous, de vos ridicules prétentions, vous a dérobé ses mouvements et est allé tomber sur Junot. Cela ne fût pas arrivé, si vous aviez été à votre avant-garde et si vous aviez de là dirigé votre armée. Vous auriez connu son mouvement ; vous l’auriez poursuivi, soit en entrant en Bohême, soit en le suivant en queue ».
Et, se moquant de ses manières, Napoléon assène :
« Cessez d’être ridicule ;renvoyez le corps diplomatique à Cassel ; n’ayez aucuns bagages, aucun train ; n’ayez pas d’autre table que la vôtre. Faites la guerre comme un jeune soldat qui a besoin de gloire et de réputation, et tâchez de mériter le rang où vous êtes arrivé, l’estime de la France et de l’Europe qui vous regardent, et, pardieu ! ayez assez d’esprit pour écrire et parler convenablement ! ».
La semonce est sévère. Mais Jérôme n’est pas au bout de ses peines. Quelques jours plus tard, il reçoit en effet une nouvelle missive de Napoléon qui mérite d’être longuement citée tant elle comprend une critique en règle de l’attitude militaire de Jérôme, dans le présent comme dans le passé.
« Vous avez commandé un vaisseau de guerre ; vous avez abandonné la mer et votre amiral sans ordres ; vous avez fait des suppositions, sans que moi ou mon ministre en ayons été dupes. Mais un vaisseau était peu de chose, et j’ai voulu ignorer ce fait. Je vois que vous persistez dans le même système ; vous croyez faire prendre le change, vous ne trompez personne. Vous avez été constamment dans cette campagne où l’ennemi n’était pas. Vous dites que la retraite du duc d’Abrantès sur le Danube vous a forcé à prendre position à Schleitz et à quitter l’offensive ; la retraite du duc d’Abrantès a été occasionnée par vos ridicules manœuvres. Si, comme je vous l’avais ordonné, vous vous étiez porté sur votre droite pour vous réunir au duc d’Abrantès ; si, après avoir chassé l’ennemi de Bayreuth, vous eussiez marché sur Dresde, cela ne fût pas arrivé. Si, au lieu de rester trois ou quatre jours dans le même endroit, au lieu d’être plus lent et plus irrésolu que les Autrichiens eux-mêmes, vous eussiez marché avec la vivacité et l’ardeur qui conviennent à votre âge, l’ennemi ne vous eût pas masqué et dérobé ses mouvements. Voilà pour la première observation ; voici pour la seconde. Vous étiez à Schleitz, lorsque vous avez appris la nouvelle de mes grandes victoires, et vous ajoutez que, dès lors, vous n’aviez pas à craindre que l’ennemi vous attaquât. Mais vous deviez craindre qu’il n’attaquât Junot, vous deviez craindre qu’il ne tombât sur moi; et 25 000 hommes de plus ou de moins dans une bataille sont-ils de peu d’importance ? Vous aviez à craindre que ce corps ne réoccupât Dresde ; au lieu de cela, vous dissolvez votre corps , et vous vous contentez de déclarer que le corps de Kienmayer est dissous ; enfin vous vous sauvez honteusement, et vous déshonorez vos armes et votre jeune réputation.. (…) Je suis fâché pour vous que vous montriez dans la guerre aussi peu de talent et même de bon sens. Il y a loin du métier de soldat au métier de courtisan. J’avais à peine votre âge que j’avais conquis toute l’Italie et battu des armées autrichiennes trois fois plus nombreuses que moi. Mais je n’avais pas de flatteurs, pas de corps diplomatique à ma suite ; je faisais la guerre en soldat ; on ne la fait point différemment. Je ne me prétendais ni frère de l’Empereur, ni roi ; je faisais tout ce qu’il fallait pour battre l’ennemi.
(…) Quant à l’avenir, je ne veux point vous déshonorer en vous ôtant le commandement ; mais je ne veux pas non plus, par de sottes condescendances de famille, exposer la gloire de mes armes. Un vaisseau de plus ou de moins était peu de chose ; 20 000 hommes plus ou moins bien employés peuvent changer le destin de l’Europe. Si donc vous voulez continuer comme vous avez commencé, à être entouré par des hommes qui n’ont pas fait la guerre, comme les d’Albignac, les Reubell, les Fürstenstein, n’avoir aucun homme de conseil, faire des romans, ne pas exécuter mes ordres, vous pouvez rester dans votre sérail. Sachez bien que, soldat, je n’ai point de frère et que vous ne me cacherez pas les vrais motifs de votre conduite sous des prétextes frivoles et ridicules. Pour ne point vous exposer à de pareils résultats, je verrai avec plaisir que vous fassiez passer vos troupes sous le commandement du duc d’Abrantès. Vous êtes un jeune homme gâté, quoique plein de belles qualités naturelles; je crains fort qu’il n’y ait rien à attendre de vous».
Quelle charge ! Elle exprime autant le mécontentement, pour ne pas dire la colère de Napoléon à l’égard de son frère, en même temps qu’une très grande déception, celle d’un grand frère, presque un père, qui s’aperçoit que son protégé ne lui ressemble pas, qu’il ne réagit pas comme lui. Jérôme n’en a cependant pas fini avec la guerre.
En effet, si le général Kienmayer fait repasser ses troupes en Bohême, à l’issue du délai prévu par l’armistice de Znaïm, le duc de Brunswick continue pour sa part le combat, avec l’espoir de soulever ses Etats.
Le 25 juillet, la légion noire est à Leipzig. A l’annonce de son arrivée, les troupes du général Gratien, alors à Erfurt, et celle du colonel Thielmann à Dresde, se mettent en route pour aller intercepter le duc de Brunswick. Mais ce dernier poursuit sa route. Le 29 il est devant Halberstadt où il surprend le comte de Vellingerode, venu prendre position sur place avec le 5e régiment de ligne. La ville est canonnée par l’artillerie du duc et conquise, non sans une résistance de quelques heures de la part de la population.
Vellingerode est blessé et fait prisonnier en même temps que tous ses officiers. Trois cents Westphaliens de son régiment acceptent de passer dans la légion du duc de Brunswick. Ce dernier poursuit sa route et arrive à Brunswick le 31 juillet. L’accueil qui lui est réservé manque toutefois d’enthousiasme. Venu du Hanovre, où il avait été envoyé pour contrer une éventuelle offensive anglaise, le général Reubel, à la tête de 3000 hommes, a fait mouvement vers Brunswick et arrive aux abords de la ville au matin du 1er août.
Sans attendre, le duc s’est porté à sa rencontre et tend une embuscade aux troupes de Reubel qui sont contraintes de se retirer. Il parvient toutefois à rejoindre Gratien et Thielmann à Wolfenbüttel. Les troupes westphaliennes comptent désormais près de 10 000 hommes face aux 2500 soldats de Brunswick. Sans espoir d’un quelconque débarquement anglais, le duc décide de gagner l’embouchure de la Weser pour embarquer ses hommes. Malgré la menace des Westphaliens, il parvient sans encombre au port de Elsfleth d’où il peut faire partir ses troupes et ses prisonniers, parmi lesquels Meyronnet, grand maréchal du palais. Ils passent ensuite à Helgoland avant d’être envoyés à Guernesey. Le duc de Brunswick est pour sa part accueilli en Angleterre. Il meurt en juin 1815 à la bataille des Quatre-Bras.
Les Anglais restèrent donc attentifs à tout ce qui déroulait dans le nord de l’Allemagne. Pourtant ce n’est pas dans cette région qu’ils avaient l’intention de débarquer, mais à Walcheren où ils provoquent la surprise en débarquant le 29 juillet, menaçant Anvers et indirectement Paris.
Quant au général Reubel, il avait promis à ses hommes de les laisser piller Brunswick. Y ayant finalement renoncé, il ne trouva rien de mieux que de demander une compensation financière pour lui-même et ses hommes à Jérôme. C’en est trop pour le roi qui, après les nombreuses réprimandes reçues de la part son frère, se décide à destituer Reubel le 5 août, considérant qu’il a
« oublié tous ses devoirs de général et de citoyen, déshonoré nos armes par la supposition que nos troupes pouvaient avoir besoin d’être encouragées par l’appât de piller leurs concitoyens, et exposé enfin une de nos principales villes, qu’il avait ordre de protéger et qui s’est bien conduite, à un traitement que l’ennemi lui-même ne lui avait pas fait éprouver ».
Reubell repart aux Etats-Unis avec sa femme américaine. Il ne rentre en France qu’en 1818 pour reprendre du service dans l’armée de Louis XVIII.
En réagissant ainsi, Jérôme reprend les choses en main et rétablit l’ordre dans son pays, après plusieurs mois particulièrement troublés. Sa femme rentre elle-même au mois d’août. Mais il a perdu le commandement du 10e corps d’armée, attribué à Junot le 13 août. Il ne conserve donc que le commandement des seules troupes westphaliennes, ce qui accroît son dépit. Il lui faut donc regagner la confiance de Napoléon, en particulier parce qu’il souhaite obtenir une remise de sommes dues chaque année à la France.
En octobre, il dresse un tableau sombre de l’état de son royaume.
« La misère est portée à un tel point dans le royaume (personne ne pouvant être payé), que si Votre Majesté ne vient à son secours, il ne peut aller encore deux mois, comme j’ai déjà eu l’honneur de l’annoncer à Votre Majesté. Les troupes ne sont plus entièrement soldées, et si je n’avais eu la faculté de les mettre dans les villes hanséatiques et dans le Hanovre, je serais hors d’état de les nourrir ».
Le constat est amer, après à peine deux ans de gouvernement et l’on sent chez Jérôme un dépit certain.
« Malgré tous les soins que je porte à mon administration, je vois qu’il est impossible de la soutenir plus longtemps, et je prie Votre Majesté de me permettre de me retirer en France ».
Mais aussitôt, il se reprend, assure son frère de sa soumission.
« Tout m’impose l’obligation d’être, jusqu’au dernier souffle de ma vie, lié à votre système politique, à celui que vous avez créé pour votre famille et pour la France ».
Mais il revendique une certaine indépendance dans la gestion intérieure de son pays. De son côté, Beugnot considère que les épreuves subies par le royaume peuvent contribuer à lui donner une assise.
« Je dois des remerciements à Votre Excellence, écrit-il à Reinhard, pour l’obligeante bonté qu’elle a eue de me donner des nouvelles de l’état de la Westphalie à une époque où il était un sujet d’inquiétude ; il faut espérer que cette épreuve aura contribué à affermir cet Etat nouveau et que la paix qui se prépare lui donnera des bases inébranlables ».
L’annonce de la signature de la paix de Vienne le 14 octobre 1809 laisse penser à Jérôme qu’il pourra mieux attendrir son frère maintenant qu’il en a fini avec la guerre. Il sollicite donc l’autorisation de venir le voir à Paris, ce à quoi Napoléon consent. Le roi de Westphalie prend donc la route de la capitale de l’Empire le 1er novembre 1809. La reine l’y rejoindra quelques jours plus tard.
Les relations entre les deux frères s’améliorent, mais l’affaire de 1809 annonce la défection de Jérôme en 1812 et contribue à forger chez Napoléon l’idée que le système dynastique qu’il a mis en place, en s’appuyant sur ses frères, souffre de quelques défauts.