Jérome Bonaparte (1784-1860)
ROI DE WESTPHALIE (1807-1813)
Der König lustig
Je vous aime, mais vous êtes furieusement jeune
( Napoléon à Jérôme)
Le personnage que je vais évoquer ce soir n’est pas une personnalité « recommandable ». En général, on parle de personnalités historiques à cause de leurs bienfaits ou de leur valeur morale et politique. Pour Jérôme Bonaparte, il n’en est rien, son seul mérite fut le fait d’avoir été le petit frère de Napoléon grâce auquel il est aussi entré dans l’Histoire.
Si j‘en parle ici à Bielefeld ce soir, c’est bien sûr cause de son rôle dans l’histoire de votre région, la Westphalie, dont il fut, à 23 ans, le roi, de 1807 à 1813, nommé par Napoléon apres sa victoire sur la Prusse et le traité de Tilsitt. Pour comprendre la presonnalité de celui qui fut roi de Westfalie, il est nécéssaire d’évoquer son enfance et sa jeunesse .
L’enfance
Jérôme est né le 15 nov. 1784, dernier des 11 enfants de Madame Mère, Laetitia Buonaparte et de Charles-Marie Buonaparte. Le grand frère Napoléon est né en 1769, il a donc 15 ans de plus que son cadet, une génération les sépare. Leur père meurt en 1785, un an apès la naissance de Jérôme, laissant sa femme dans la misère avec 8 enfants vivants à charge.
Il a deux ans en 1786, quand il voit pour la premiere fois son grand-frère, il s’appelle encore Gerolamo
Quand Napoléon triomphe en Italie, il a douze ans, et 15 ans quand, en 1799 son frère devient Premier Consul et premier personnage de la République.
Pour la famille Buonaparte, il n’est pas possible de rester en Corse, car elle n’est pas Paoliste (adepte de Pascal Paoli qui lutte pour l’indépendance de son pays). C’est la cause de leur exil en France. C’est ainsi que Jérôme arrive en France à 9 ans avec sa famille, à Toulon puis à Marseille. Bonaparte, devenu général, s’inquiete pour le petit frère qui n’a pas encore fréquenté d’école et qui est ignorant de tout, aussi le fait-il venir à Paris en 1794. Il a 10 ans
L’adolescence
Napoléon a choisi pour lui le collège des Irlandais où il a Eugène de Beauharnais pour compagnon. Il y reste deux ans et ne brille pas par son assiduité, mais plutôt par ses sottises. Mais peut-on gronder le frère du Premier Consul ?
En 1796, Bonaparte, vainqueur d’Arcole et de Rivoli, triomphe en Italie et fait venir sa famille. Belle occasion pour Jérôme d’interrompre ses études, le voila à Mombello, au milieu d’une cour luxueuse et princière. Tout le monde, et Joséphine la première, est ravi par ce joli garçon de 13 ans aux boucles noires, charmant, gai, espiègle qui trouve très à son aise dans cette atmosphère de fêtes. Par contre, cela ne plait pas à sa mère qui veut rentrer en France et il doit repartir. Napoléon l’envoie dans une autre école chez les oratoriens de Juilly, plus sévères que les Irlandais. Il travaille, mais cela ne dure pas, car il est d’un naturel paresseux. Il est trop gaté par sa mère et ses frères et sœurs.
Laure d’Abrantès écrit de lui :
« Il avait dans ce temps-la, toute la légèreté, toute l’étourderie, la frivolité de toute la famille et que je n’ai vues chez aucun de ses frères, c’était en homme, c’est à dire en jeune homme, le portrait ressemblant de sa sœur Paulette, lui et elle n’ont jamais eu rien de commun avec le caractère des six autres. »
Ils tenaient de leur père, léger et peu sérieux.
On voit donc que Jérôme, très jeune, était déja le fêtard et le joyeux luron qui fera qu’on le surnommera en Westphalie « König lustig »
1799, il a 15 ans, Napoléon revient d’Egypte, retrouve le petit frère qu’il juge très mal élevé, trop gâté et volontaire pour des choses de mauvais aloi !!
Il l’installe aux Tuileries, au dessus de ses propres appartements pour l’avoir sous sa coupe, engage de bons maîtres pour le pousser en latin, maths et francais. Là, il fait quelques progrès mais est vite ébloui par la manne qui tombe sur la famille Bonaparte, lui aussi veut en profiter. Par ex. il achète, sans un sou, un nécéssaire de voyage à 16.000 F qu’il fait livrer aux Tuileries, parce qu’il aime les belles choses, au grand frère de payer la note ! Il en sera ainsi toute sa vie.
En l’absence de Napoléon, il ne quitte pas Malmaison, car il s’entend á merveille avec Joséphine. Il voudrait accompagner son frère qui a emmené Eugène de Beauharnais avec lui. Napoléon l’engage dans le régiment des guides que commande Eugène, il a 15 ans et demie et se pavane dans un bel uniforme de chasseurs à cheval. Il mene la joyeuse vie, emprunte de l’argent à ses frères et sœurs, se bat en duel. Pour Napoléon, il est grand temps de l’éloigner de Paris.
L’officier de marine
En novembre 1800, il a juste 16 ans, il arrive à Brest , accompagné de Savary et porteur d’ une lettre de Napoléon à l’amiral Ganteaume :
« je vous envoie, citoyen général, le citoyen Jérôme Bonaparte pour faire son apprentissage dans la marine. Vous savez qu’il a besoin d’ être tenu séverement et de rattraper le temps perdu. Exigez qu’il remplisse avec exactitude toutes les fonctions de l’état qu’il embrasse »
Napoléon ne se fait donc pas d’illusions sur son polisson de frère, mais est plein d’indulgence pour ses frasques.

Jérôme navigue en Méditérranée, puis part aux Antilles pour reprendre Saint-Domingue aux esclaves en révolte. Il retrouve sa sœur Pauline et son beau-frère Leclerc ( qui sera victime de la fievre jaune ) qui écrit au Premier Consul. « je suis très content de Jérôme, il a tout ce qu’il faut pour faire un excellent officier « . Il repart en mission pour Leclerc et arrive à Brest d’ou il regagne Paris, puis Nantes pour regagner les Antilles. Avant de réembarquer, il se fait remarquer à Nantes en faisant la fête avec de joyeux drilles, comme le futur marquis de Maubreuil, il jette l’argent des autres par les fenêtres et dépense sans compter.
Arrivé, il fait une escale forcée à la Martinique, atteint par la fièvre. Là, il rencontre le créole Le Camus qui ne le quittera plus. Quand il apprend le décès de son beau-frère, le général Leclerc, il n’a plus du tout envie de rester et veut même quitter la marine. Il visite la Guadeloupe, la Dominique et se met en tête de voyager, il veut visiter les Etats-Unis. Au lieu d’obéir aux ordres de réembarquer sur « l’Epervier » pour la France, il part, bien inspiré, sur un petit voilier pour la côte américaine. Il a commis une lourde faute, il a quitté le vaisseau qu’il commandait, un autre que lui serait passé en conseil de guerre pour abandon de poste devant l’ennemi. L’Epervier est capturé par les Anglais et on annonce déja la capture du frère de Napoléon qui n’en croit rien, il a raison.
Le 15 juillet 1803, Jérôme arrive à Washington
Le Mariage américain
Comment subsister dans une ville étrangère ? Il envoie son ami Lecamus à la légation française où le chargé d’affaires Pichon lui remet 5000 F, puis se charge de le rapatrier. Jérôme entre temps se montre insupportable, court les lieux de plaisir, dépense des sommes folles et son hôte, Barney, un personnage qui a mauvaise réputation, lui fait connaître la meilleure société de la ville. Son nom Bonaparte lui ouvre toutes les portes.
On trouve enfin un bateau pour qu’il embarque. Mais alors, il refuse de repartir :

Il est tombé amoureux d’une ravissante personne, Elisabeth Patterson, du même âge que lui, c’est le coup de foudre réciproque. Il demande sa main, le mariage est annoncé pour le 3 novembre. Pichon est atterré. Jérôme n’a pas 19 ans, il se marie sans le consentement de sa famille et Le Premier consul sera furieux, passera son ire sur lui, Pichon, qui n’a pas su empecher cette folie. Jérôme est non seulement un étourdi, un prétentieux, un outrecuidant personnage, mais aussi un panier percé qui n’a que des dettes. Le père Patterson, alerté par Pichon, envoie sa fille en Virginie, Jérôme enrage et envoie Lecamus chez Pichon pour lui dire ne ne pas écrire à Talleyrand, et qu’il renonce au mariage.
Ouf , tout est fini !
Non, rien n’est fini , Elisabeth revient, déclare qu’elle aime mieux être la femme de Jérôme pour une heure que la femme d’un autre pour toute sa vie . (Pauvre Elisabeth! Le Destin la prendra au mot) et déclare à son père qu’elle fera un scandale s’il ne la marie pas à Jérôme !!
Le père capitule et le mariage est célébré par l’ évêque catholique de Baltimore, le 24 décembre 1803. En guise de joyeux Noel, Jérôme envoie Lecamus chez Pichon pour lui annoncer la bonne nouvelle et surtout lui réclamer de l’argent, 4000 Dollars. Pichon suffoque de rage et envoie son rapport à Talleyrand, alors ministre des affaires extérieures.
Elisabeth est tout aussi frivole que son mari et jouit de sa nouvelle position de Madame Bonaparte dans la bonne société de Baltimore.
Pichon envoie des rapports qui lui valent son rappel à Paris et il apprend que Jérôme, à qui il avait avancé tant d’argent, a écrit à Paris pour se plaindre de lui. Il a beau protester contre les délations de Monsieur Jérôme, il doit rentrer.
En mars 1804, arrive Meyronnet qui transmet à Jérôme l’ordre de son frère de rentrer au plus tôt, sur un batiment de guerre francais. Comment faire ? Il sait qu‘il ne peut y embarquer avec sa femme. Il écrit à Talleyrand pour gagner du temps, mais il commence à être inquiet. Car il a appris le remariage de son frère Lucien sans l’autorisation de Napoléon et celui-ci l’a banni.
Il écrit a sa mère pour la mettre dans son camp. Il a l’art de caliner les gens qu’il aime et de falsifier la vérité. Mais la nouvelle de son mariage est arrivée aussi entretemps à Paris et le frère d’Elisabeth, Robert aussi. Robert va voir le représentant des Etats-Unis à Paris, Livingstone, qui lui conseille de dire aux jeunes mariés de rester en Amérique jusqu’au jour ou ils pourront rentrer la tête haute. Il rencontre aussi Lucien, le proscrit, qui lui dit que la famille approuve son mariage, et qu’il doit rester en Amérique et obtenir la nationalité américaine.
Entretemps, Jérôme a d’autrès soucis: Pichon a recu l’ordre de ne plus donner d’argent a l’officier déserteur et aucun capitaine ne doit recevoir la jeune personne a son bord, elle n’a pas le droit d’entrer en France.
Le premier Consul écrit :
« je recevrai Jérôme si, laissant en Amérique la jeune personne en question, il vient ici pour s’associer à ma fortune. S’il l’amène avec lui, elle ne posera pas le pied sur le territoire de France. S’il vient seul, j’oublierai son erreur d’un moment et sa faute de jeunesse… »
Jérôme essaie de gagner du temps, et alors il apprend la stupéfiante nouvelle : son frère va se faire couronner Empereur: Un sénatus-consulte a proclamé Napoléon-Bonaparte Empereur, avec droits héréditaires rejaillissant sur ses frères à l’exception de Lucien et de Jérôme
Sa famille l’encourage á espérer que les choses s’arrangeront, sa mère lui donne le conseil d’envoyer sa femme en Hollande. Aprés des essais infructueux pour rentrer, il apprennent le couronnement triomphal à Notre-Dame (2 décembre 1804), les titres d’altesses impériales, les dotations et les honneurs aux frères et sœurs du nouveau César.
Elisabeth est enceinte et doute de ne jamais entrer en France. Son père trouve enfin une nouvelle solution: Il met à la disposition de son gendre et de sa fille un voilier de commerce et le 3 mars 1805, le couple, accompagné de Lecamus et de miss Spaer, la tante d’Elisabeth, s’embarque sur l’Erin pour la France.
Napoléon poursuit avec ténacité l’annulation de ce mariage. Sa mère avait à sa demande consulté des juristes, tous étaient d’accord pour dire que ce mariage était nul. Il fit rendre un décret au conseil d’Etat,
« Aucun officier d’état-civil n’a le droit de transcrire un prétendu mariage que M.J.Bonaparte aurait contracté en pays étranger. », un second décret déclara « les enfants à venir illégitimes et ne pourraient réclamer aucun lien de parenté fondé sur ce prétendu mariage. ».
Et si Jérôme débarquait avec sa dulcinée, il faudrait le conduire aussitôt en Italie et refuser à l’Américaine de débarquer.
Le 8 avril 1805, l’Erin jette l’ancre à Belem près de Lisbonne, où le chargé d’affaires a Lisbonne est alerté de leur arrivée. Il dit qu’il a un passeport pour M. Bonaparte , mais qu’il n’a pas l’autorisation de délivrer de laisser-passer à « Mademoiselle Patterson ».
Pour Napoléon, il n’y a pas eu de mariage. Il se montre intraitable et acharné à nier ce mariage qui gêne ses plans.
Pour Jérôme, une solution s’impose: obéir aux ordres. L’Erin emmenera Elisabeth a Amsterdam et lui, ira en Italie rejoindre son frère et plaider sa cause. Les deux époux se disent au revoir et s’étreignent, c’est un adieu, ils ne se reverront plus.
Pendant que Jérôme galope vers l’Espagne, Elisabeth fait route vers la Hollande. Il arrive à Barcelone, Grenoble, passe les Alpes et arrive enfin en Italie, à Turin. Napoléon est à Alexandrie et refuse de le recevoir. Il reste 10 jours à Turin et réfléchit à la terrible alternative : rester avec sa femme, pauvre et sans gloire ou obéir à son frère et connaître les honneurs et la fortune. Il a 20 ans et rien d’un héros de Corneille !
Alors, il capitule: il écrit a son frère qui le reçoit. Napoléon dit:
« Je suis content du jeune homme qui a de l’esprit, qui sait qu’il a fait une sottise et veut la réparer autant qu’il dépend de lui. »
Sur ordre de l’Empereur, Lecamus est parti en Hollande pour dire à Elisabeth de rentrer en Amérique. Mais elle est allée en Angleterre, parce que Amsterdam lui avait refusé l’entrée du port. Elle qui se disait belle-sœur de Napoléon allait se réfugier chez ses ennemis !. Mais enceinte de 7 mois, pouvait-elle faire une traversée si longue ? Chacun en Angleterre où elle avait des relations la plaignait et elle fut accueillie a Londres comme une victime du Corse exécré.
Elle mit au monde le 7 juillet 1805, un garçon Jérôme-Napoléon qui ne connaîtra son père que 18 ans plus tard à Rome.
Jérôme écrit à Elisabeth des lettres touchantes où il lui recommande la patience, mais il ne faut pas irriter le souverain. Il va bientôt aller la rejoindre, elle et son fils…Elle n’est pas dupe et n’a pas vraiment confiance en ses déclarations de fidélité.
Napoléon, pour parfaire l’annulation, écrit au pape, mais celui-ci lui refuse cette annulation.
Jérôme est rentré en grâce et est réintégré dans la marine. A Gênes, il se console de l’absence d’Elisabeth avec des belles du port. Il embarque pour délivrer des esclaves retenus par le Bey. Cette expédition réussit san peine, le bey ayant éte grassement payé, mais la gloire en rejaillit sur Jérôme qui est fêté par la population.
Il rejoint Paris, Napoléon est satisfait et déclare qu’il était bien jeune, bien léger, qu’il il lui fallait du plomb dans la tête mais que pourtant il espérait en faire quelquechose.
Jérôme repart pour Brest rejoindre son poste, il est accueilli sur le Vétéran avec tous les honneurs, fêtes, banquets, harangues élogieuses malgré les recommandations de Napoléon qui veut qu’on le traite comme un officier ordinaire. Les flagorneurs ne manquent pas.
Jérôme s’est reconstitué sa joyeuse bande d’amis et comme toujours, a besoin d’argent pour la distraire.
En Route sur le «Vétéran » il navigue du Cap de Bonne Espérance à l’ Amérique du sud. A Cayenne, il rencontre une goélette américaine qui connaît bien les Patterson, aussi, il écrit a sa femme des lignes incroyables d’hypocrisie. Ou est-ce qu’il y croyait lui même ? Il vogue vers les Antilles, il est tout près d’Elisabeth, il lui donne de ses nouvelles, il regrette de ne pas pouvoir la voir…
Le 1er juillet 1806 il regagne au plus vite la France où Napoléon distibue les titres et les honneurs. Malgré de nombreuses fautes de navigation qui auraient été fatales à un autre, il arrive pour recevoir les honneurs. Il reçoit le titre de prince français avec une rente de 1 million, il retrouve sa place dans l’ordre de l’hérédité impériale et est décoré du grand aigle de la légion d’honneur !
Voila, en quelques pages, le portrait de celui qui va devenir « roi de Westphalie » en 1807 à 23 ans.
L’entrée dans le système
Napoléon, après sa victoire sur la Prusse et son entente avec le tsar Alexandre à Tilsit, veut placer sa famille sur les trônes européens, Joseph à Naples, Louis en Hollande, Murat grand-duc de Berg, Eugène vice-roi d’Italie et il a aussi besoin de Jérôme pour créer un état-modèle en Allemagne afin de contrer la Prusse.
C’est avec stupeur que Jérôme apprend, alors que quelques semaines plus tôt il jurait fidélité à son Élisa chérie, qu’il va se marier !
Napoléon n’était pas sûr que Jérôme lui obéirait, il ne voulait pas brusquer les choses, aussi prend-il son temps pour mener les négociations avec le duc de Würtemberg, devenu roi par sa grâce, afin qu’il accorde la main de sa fille Catherine à Jérôme.
Mais des événements imprévus retardent le mariage, la Prusse attaque la Saxe, Jérôme suit son frère et arrive à Würzbourg ou il rencontre son futur beau-père Frédéric, duc de Württemberg en septembre1806. Celui-ci est obèse et sa fille tient de lui. Jérôme lui plait et il ne tarit pas d éloges sur lui.
Avant de convoler, Jérôme dit se mesurer avec les Prussiens, Napoléon tient à ce qu’il se distingue, les soldats ne chantent-ils pas :
Nous allons chercher un royaume
Pour le petit frère Jérôme
Il fait la campagne avec son frère, mais se montre aussi mauvais soldat qu’il était mauvais marin ! un piêtre stratège, aussi Napoléon lui adjuge le général Vandamme, un vieux routier, pour le surveiller ! A Breslau, c’est Vandamme qui prend la ville, mais Jérôme s’en attribue la gloire.
Installé à Breslau, il recueille les honneurs, donne des fêtes, des bals, des soupers, séduit une actrice. Elisabeth est vite oubliée !
La Prusse est vaincue à Friedland et on va tailler un royaume pour le petit frère: Le Royaume de Westphalie sera constitué des provinces cédées par la Prusse à gauche de l’Elbe et d’ autrès possédés par Napoléon. En fait, il avait envisagé de détruire la Prusse et de la donner à Jérôme ! On imagine la catastrophe, un souverain de 22 ans face à des Prussiens patriotes !
Jérôme repart à Paris apres une campagne de 10 mois, ila gagné une couronne.
A Stuttgart, on attend que l’Empereur fixe la date des noces.
Catherine était peu chaude pour cette union, elle était plutot anti-française, comme son frère Guillaume, mais elle avait déja 25 ans, ce qui pour une femme á l’époque, était déja vieux ! Elle était très forte, avait les yeux bleus et les cheveux blonds, était habillée sans élégance car son père était très avare, et les portraits officiels la flattent.
Mais elle était éduquée pour obéir aux ordres de son père . Elle était parente de la famille du tsar de Russie par sa mère, elle avait une bonne éducation et parlait plusieurs langues. Sa noblesse d’ame et sa bonté, ses vertus faisaient un contraste avec Jérôme. Un cœur pur et simple, une nature timide qui passait pour de l’orgueil auprès de certains.
Le mariage avec Catherine
Début août 1807, un ambassadeur s’annonce enfin à Stuttgart pour parler des noces, le mariage par procuration s’effectue et le départ pour Paris est fixé au 14 août. Elle est remplie d’angoisse, elle n’a pas d’argent, un trousseau immettable. Elle était de plus en plus angoissée à l’idée de rencontrer son futur mari :
« Ce n’est pas sans un serrement de cœur que je pense à la première entrevue. J’en ai une peur que je ne peux décrire, je crains de ne pas plaire au prince , de ne pas lui convenir. Tout cela me tourmente vivement . »
On le serait à moins !

La rencontre se fit cher Laure Junot, au Raincy. Laure connaissait Jérôme et la famille Bonaparte depuis longue date et n’ignorait rien du mariage américain, elle se rappelait des serments de Jérôme en Espagne venant de quitter sa femme, aussi quand elle vit Catherine pour la première fois, fut-elle très curieuse de voir comment se passerait la rencontre. Elle eut pitié de la pauvre jeune fille, qui visiblement souffrait de cette séparation d’avec les siens et de l’angoisse de cette première rencontre, tantôt rouge, tantôt pâle, mal à l’aise.
Elle inspectait la toilette de Catherine avec une hypocrite compassion. Par comparaison avec la belle américaine, Catherine manquait visiblement de goût, elle était mal fagotée, engoncée dans une robe trop étroite et démodée.
Jérôme parut, elle s’entretint avec lui et il disparut pour hâter le départ pour Paris, alors elle s’effondra et on dut la ranimer.
Jérôme pensait sans doute à sa femme américaine et Catherine connaissait son histoire. Il dit seulement de sa future femme:
« Elle paraît surtout très bonne, sans être jolie, elle n’est pas mal. «
Quant à Catherine, elle eut le coup de foudre, Jérôme plaisait a toutes les femmes, il était très beau garçon, jeune, svelte et charmant. Elle lui sera fidèle toute sa vie et montrera un courage et une grandeur d’âme dans les circonstances les plus difficiles, il était son « Fifi », elle était sa « Trinette » elle l’adorait malgré ses innombrables maîtresses qu’elle feignait d’ignorer.
Napoléon montra beaucoup de bonté pour sa belle-sœur, lui fit des cadeaux, paya sa robe de mariée et un nouveau trousseau. Le mariage eut lieu le 22 aout 1807 en grande pompe. Jérôme parût tout en satin blanc, Catherine en fourreau blanc qui la boudinait et la rendait encore plus grosse !
Catherine était éblouie par son mari, elle écrivit a son père:
« Vous devriez voir les attentions, la délicatesse, la tendresse dont il comble votre fille. Déja il commence à me gâter, car il est impossible de mettre plus de grâce, plus de franchise, plus de confiance dans ce qu’il fait pour me faire plaisir, aussi je ne pourrai plus être heureuse sans lui. »
et quelques jours plus tard :
«Je suis la plus heureuse des femmes dans mon intérieur, au-delà de ce que je puis exprimer, et je rends grâce à la providence d’avoir permis que j’unisse mon sort au meilleur des hommes ! »
La pauvre ! si elle avait su !
Jérôme est conquis par la gentillesse et l’innocence de sa femme, il la choira et l’aimera…. comme il en choiera et aimera beaucoup d’autres !!!
Pendant trois mois, les fêtes se succéderont en leur honneur. Catherine, un peu trop grosse , ne dansait pas, elle craignait déja que son mari la néglige et quand il fleurte dans un bal avec Stéphanie de Beauharnais, grande duchesse de Bade elle palit, rougit et s’évanouit. L’Empereur gronda Stéphanie et éloigna son frère à Boulogne pour le lancement d’un bateau. Pendant ces trois mois, Jérôme avait dépensé trois millions, il n’avait que des dettes.
En novembre 1807, le couple alla rejoindre son nouveau royaume.
Sa majesté le roi de Westphalie

Napoléon voulait faire de la Westphalie un Etat modèle qui devait montrer au monde les bienfaits du régime napoléonien en Germanie et renforcer les liens avec la confédération du Rhin. Il voulait transformer un royaume féodal en un état moderne et y apporter les bienfaits du Code Napoléon.
« Il faut que vos peuples jouissent d’une liberté, d’une égalité, d’un bien-être inconnu aux peuples de la Germanie, et que ce gouvernement libéral produisent les changements les plus salutaires.. »
Il avait pris ces décisions sans en parler à Jérôme, il renoncait à ses droits de conquête, mais pas á décider en sous-main…Il s´était d’ailleurs réservé la moitié des domaines allodiaux (alleu= terre libre ne relevant d’aucun seigneur et exempte de toute redevance) pour ses généraux en récompense de leurs bons services et imposé à la Westphalie d’énormes contributions de guerre et l’entretien de 12.500 hommes de troupes. Il était à prévoir quel les difficultés financières seraient grandes, l’économie et la sagesse n’étaient pas les vertus premières de Jérôme. La catastrophe était programmée, l´état-satellite prit le pas sur l’état-modèle et fit faillite.
Une constitution avait été proclamée, et de grands principes l’inspiraient :
Abolition du servage et des droits féodaux, liberté des cultes, vente des biens ecclésiastiques, réformes agraires, suppression des corporations, reconnaissance des juifs, introduction du code civil qui déclarait que tous étaient égaux en droit, installation d’une organisation judiciaire et d’un système d’impositions calqués sur ceux de la France.
Napoléon écrit :
« Mon intention …est de vous donner une constitution régulière qui efface dans toutes les classes de votre peuple de vaines et ridicules distinctions. »
Le pays était divisé en départements et cantons, comme en France. On fonda le Moniteur Westphalien, journal bilingue qu’on peut voir à Cassel.
On peut y lire dans le premier numéro du 29 décembre 1807 la composition du royaume de Westphalie :
Les états de Braunschweig-Wolfenbüttel,
la partie de l’Altmark située sur la rive gauche de l’Elbe
la partie du pays de Magdeburg sur la rive gauche de l’Elbe
le territoire de Halle
le pays d’Hildesheim et Goslar
Halberstadt
Hohenstein
Quedlimburg
Le comté de Mansfeld
Eichenfeld avec Treffurth
Muhlhausen
Nordhausen
Le comté de Stolberg-Wernigerode
Les états de Hesse-Cassel avec Rinteln et Schaumburg, non compris le territoire de Hanau et le Katzenellenbogen sur le Rhin
Le territoire de Corvey, Göttingen et Grubenhagen, avec les enclaves de Hohenstein et Elbingerode
L’Evéché d’Osnabrück
L’evêché de Paderborn
Minden et Ravensberg
Le comté de Rietberg Kaunitz
Le royaume est divisé en 8 départements avec pour capitales
L’Elbe, Magdebourg
la Fulda, Cassel
le Harz, Heiligenstadt
le Leine, Göttingen
l’Ocker, Braunschweig
la Saale, Halberstadt
la Werra, Marburg
La Weser, Osnabrück, avec les villes de Minden, Bielefeld , Rinteln.
Le roi recevait une liste civile de 5 millions, gouvernait avec l’aide d’un secrétaire d’Etat et de 4 ministres : Intérieur et Justice, Finances, Commerce et Trésor.Une assemblée législative de 100 députés élus par des collèges départementaux vote les lois.
Napoléon avait pensé que les futurs sujets accueilleraient ce nouveau régime avec empressement, car ils avaient vécu sous un régime despotique. Et en effet, au début l’enthousiasme pour le vainqueur était grand.
En attendant l’arrivée de Jérôme, Napoléon avait envoyé un conseil de régence dans lequel figuraient trois conseillers d’Etat francais expérimentés: Beugnot, Siméon et Jollivet. Un secrétaire d’ Etat, Jean de Müller, complétait le conseil. Siméon , professeur de droit , était le premier ministre de ce royaume et Beugnot le chef de l’administration et des finances. Lagrange, le militaire, était chargé de l’exécution. Jollivet avait autorité en France en matière d’administration. Le maréchal Mortier, duc de Trévise proclama en arrivant :
« je viens prendre possession de votre pays, c’est le seul moyen de vous épargner les horreurs de la guerre »
Le futur roi se mit en route avec 50 personnes de sa suite en passant par Stuttgart chez son beau-père, puis à Marburg et arriva enfin à Cassel le 8 déc.1807 que le vieux prince-électeur Guillaume de Hesse avait fui pour se réfugier à Prague. Wilhelmshöhe fut rebatisé Napoléonshöhe, et ils furent reçus dans l’allégresse. Le couple royal était assis dans un carosse à 6 chevaux, accompagné de cavaliers polonais aux brillants uniformes et suivi des carosses de sa suite . Des lampions, des guirlandes, des oriflammes ornaient les rues, un arc de triomphe ornait la place. Les habitants de Cassel n’en croyaient pas leurs yeux, ils n’étaient pas habitués à ces fastes, l’électeur était connu pour son avarice et ses manières simples.
Tres vite, Jérôme va se débarrasser des mentors et mettre des hommes à lui, des incapables, dans les postes -clés.
Napoléon ne cessait de contrecarrer les décisions de son frère en qui il n’avait aucune confiance. Il n’empêche que Jérôme nomma ses amis á des postes intéressants et leur donna des noms ronflants, comme Lecamus, qui devint comte de Fürstenstein, nom imprononçable pour le créole qui prononcait furchetintin !! il le fit même secrétaire d’Etat et ministre des affaires étrangères, auquelles il ne comprenait rien.
Alors Napoléon envoya un sorte d’espion, chargé de lui rapporter tout ce qui se passait à la cour, Rheinhardt. Ce Würtembergeois avait vécu longtemps à Paris comme ministre du Directoire et était bilingue, alors que les français ne parlaient pas un mot d’allemand .
Le problème de la langue était d’ailleurs un objet constant de mésentente à la cour, les Français ne parlant pas un mot d’allemand.
La vie du nouveau souverain
Pour le jeune roi de 23 ans! être roi impliquait de vivre dans le luxe entouré d’une cour nombreuse. Il fit donc venir de nombreux courtisans, même des émigrés et nombre de chevaliers d’industrie. Une cour de parvenus et de profiteurs.
Pour distraire tout ce monde on fit un théatre et pour la sécurité du souverain, on installa une police secrète chargée de surveiller les sujets moins enthousiastes.
Tres vite, les difficultés financieres apparurent. On décida de faire un emprunt.
Mais le roi ignorait ces difficultés, il voulait la splendeur et le faste, il acheta diamants, vaisselle, habits somptueux, chevaux, carosses et se prenait pour le roi soleil. Et comme tous les parvenus confondait générosité et gaspillage. Il payait grassement ses ministres et ses domestiques, multipliait les cadeaux et et les pourboires … et restait sourd aux admonestations de son frère que cette insousciance exaspérait : »
« J’ai vu peu d’hommes qui aient si peu de mesure que vous. Vous ignorez tout et vous vous conduisez que d’après votre tête, rien chez vous ne se décide par la raison, mais tout par l’impétuosité et la passion . »
Et en PS , il ajoutait :
« Mon ami , je vous aime , mais vous êtes furieusement jeune «
Le roi ne regardait pas á la dépense et transforma les appartements de la Napoléonshöhe et les fit remeubler avec luxe . Il se disait gai, lustig comme il se nommait lui-même « könig lustig », le surnom lui est resté dans l’histoire. La ville de Cassel aussi se transforma, on y ajouta des jardins et des parcs, on y vit des gens arrivés de Paris, tailleurs, modistes, coiffeurs, pâtissiers, restaurateurs, le climat sévère imposé par le prince-électeur fit place à une ville gaie, fleurie, cosmopolite et agréable.

Fifi était heureux avec sa Trinette, même s’il était aussi heureux avec beaucoup d’autres, mais la pauvre femme ne voulait pas le voir, après tout un roi devait aussi avoir des maîtresses…) Lecamus était chargé de faire le rabatteur et amener des filles au roi et les mères qui avaient de jolies filles craignaient de les laisser aller aux bals de la cour. Le roi entretenait son harem dont il était le sultan.
On ne comptait déjà plus ses batards. Il faisait des cadeaux somptueux à sa femmes et les mêmes à ses maitresses et ses dépenses étaient énormes. Des qu’il voyait une jolie femme, mariée ou pas, il la voulait, et le mari était comblé d’honneurs et de cadeaux. Un vrai satrape.
Parfois, le scandale éclatait, comme avec la comtesse de Truchsess-Walbourg, née Hohenzollern, une dame de la cour de Catherine. Il avait aussi sa maitresse attitrée, Blanche Carreira, baronne de Keudelstein qui le trompait avec le frère de Catherine, le prince de Würtemberg
Cependant, Napoléon n’avait pas crée le royaume de Westphalie pour que son frère y mène joyeuse vie ! Au contraire, il avait besoin d’une armée et de terres pour doter ses généraux et imposait de nombreuses charges au royaume qui finirent par le ruiner.Les dépenses de Jérôme firent le reste.
En 1808 Napoléon voulut renforcer son alliance avec Alexandre et l’invita à Erfurt. On connaît les fêtes, le parterre de rois et de princes, l’argent dépensé en toilettes et joyaux, les pièces de Théatre et la trahison de Talleyrand. Pour cultiver l’amitié avec Alexandre Napoléon avait invité aussi Catherine, parente d’Alexandre, et Jérôme, bien dans son élément ! il se lia avec le grand duc Constantin, frère d’Alexandre et fit la fête avec lui dans les rues de la ville.
Revenu à Cassel il continua à dilapider les finances et à jeter l’argent par les fenêtres, il ne savait même pas le montant de ses dettes. Le ministre des finances von Bülow menaçait de mettre la clé sous la porte. Et Beugnot ne revint pas d’un voyage a Paris !
La population aussi commencait à en avoir assez. Des révoltes apparurent en Allemagne du nord et Jérôme craignait qu’elles gagnent la Westphalie, il suppliait son frère de diminuer les impots et les contributions de guerre sans penser à diminuer ses propres dépenses.
Depuis plusieurs mois se tramait un complot en Westphalie au monastère protestant de Homberg, mené par Marianne von Stein , mais le complot échoua. Un autre mené par Schill, fut également déjoué et réprimé.
Plus sérieuse fut l’alerte menée par le duc de Brauschweig-Oels, oncle de Catherine qui envahit la Saxe, alliée de Napoléon. Les ennemis étaient aux portes de Cassel, Jérôme devait partir soutenir les régiments francais, mais il prit son temps et il emmena son corps diplomatique et une importante escorte, des musiciens , des acteurs, des domestiques en grand nombre. Il tarda tant qu’il arriva à Leipzig sans avoir combattu, néanmoins il se fit acclamer, il était spécialiste pour récolter les lauriers des autres. Le 4 juillet, Napoléon lui donna l’ordre d’envahir la Bohème et de soutenir Junot, mais il ne le fit pas parce qu’il était en froid avec le duc d’Abrantès dont le corps d’armée n’avait pas éte placé sous SON commandement suprême ! Junot fut battu, heureusement la victoire de Wagram rétablit la situation. Jérôme repartit à Cassel sans avoir combattu. Napoléon lui reprocha vivement sa conduite dans un terrible réquisitoire :
« vous faites la guerre comme un satrape ! Sachez bien que, soldat , je n’ai point de frère et que vous ne me cacherez point les vrais motifs de votre conduite sous des prétextes frivoles et ridicules… Vous êtes un jeune homme gâté.. je crains fort qu’il n’y ait rien à attendre de vous. »
Le duc de Braunschweig-Oels ne désarma pas, il entra dans Halle et fit abattre les armes de Jérôme, surgit devant Halberstadt et prit la ville, arriva devant Braunschweig et se dirigea ensuite vers la mer du Nord ou il réussit à embarquer pour l’Angleterre qui applaudit à ses exploits. Le Moniteur le traita de brigand et Napoléon fulmina contre son frère incapable de résister à ces attaques. Reinhard, envoyé par Napoléon pour morigéner les amis de son frère incapables de le conseiller, analysait ainsi la situation:
« Le jeune souverain est versatile, un écervelé, un vaniteux qui ne veut écouter personne et tout le monde ».
Jérôme était aussi et surtout un souverain sous tutelle. Il dit de lui-même : » Je ne sais si je suis roi, prince ou sujet » il se rendait bien compte que le grand frère le surveillait et ne lui faisait aucune confiance, il envoya des lettres de protestation à son frère ou il se montrait très clairvoyant :
« Votre nom seul, Sire, me donne l’apparence du pouvoir, et je le trouve bien faible quand je songe que je suis dans l’impossibilité de me rendre utile à la France qu’ au contraire, sera toujours obligée d’entretenir cent mille baïonnettes pour étayer un trône sans importance . »
En novembre 1809 Catherine et lui furent invités à Paris par Napoléon pour des festivités auxquelles sont conviées aussi de nombreux princes. On le prit pour une femme tant son costume blanc brodé d’or orné de dentelles et sa toque noire empanachée de plumes blanches étaient rutilants.
En décembre, Napoléon déclara la répudiation de Josephine.
Il reçut de son frère l’autorisation de créer un ordre de chevalerie et la donation du Hanovre, mais il devait entretenir 12.000 soldats francais. Il repartirent de Paris avec les achats somptueux qu’ils avaient fait a Paris.
En février 1810, ils fêterent le carnaval, Jérôme adorait se déguiser.
Les difficultés financières et l’affaire du Hanovre
De mauvaises nouvelles arrivèrent de Paris: L’Empereur ne cédait pas tout le Hanovre, mais seulement une partie et le roi ne devait pas entretenir 12.000 fantassins, mais 6000 cavaliers et leurs montures et payer les dettes du Hanovre 14 millions, ce qui faisait en fin de comptes 8 millions de déficits. Le royaume de Westphalie était en faillite, la population dans la misère et le roi continuait à s’amuser.
1810
Mars 1810: mariage de Napoléon avec Marie-Louise, il sont invités et prennent la route de Paris.
Le prince Clary, venu de Vienne, remarqua, à propos de la reine, mal fagotée et trop grosse, qu’il traitait de « paquet westphalien » : » celle qui fait la plus revêche est la dinde de Westphalie qui est d’une fierté inouïe « Catherine n’a en effet pas apprécié de porter la traîne de la nouvelle impératrice ! Rôle incompatible avec sa dignité de reine en exercice !
Catherine est invitée à faire un voyage en Belgique avec la nouvelle impératrice, Jérôme est aussi de la partie. Ce qui fait pâlir de jalousie les autres membres de la famille. Jérôme se fait accompagner d’un suite fastueuse, fait des achats à Bruxelles et distribue des cadeaux aux Belges qui l’acclament.
Retour à Cassel. La vie de plaisirs reprend. Le roi va aller visiter sa nouvelle province du Hanovre et en août, ils fêtent à Herrenhausen leurs nouveaux sujets.
De retour à Cassel, il apprend que l’Empereur veut lui reprendre la plus grande partie du Hanovre, que les caisses sont vides. L’Empereur se plaint que les soldats francais en Westphalie n’ont pas touché leur solde et Jérôme est morigéné et sommé de faire des économies. Mais il se dit que s’il fait des économies, elles passeront dans le budget militaire, alors mieux vaut dépenser pour son plaisir.
En décembre 1810, l’Empereur lui fait savoir qu’il va annexer la région côtière du Hanovre et lui reprend une partie des régions données en 1807 ! En particulier les bords de la Weser.
Jérôme est ulcéré et veut démissionner, on le prend pour un fantoche.
Les finances sont toujours aussi catastrophiques et pourtant, Jérôme continue à dépenser l’argent qu’il n’a pas. Napoléon a un héritier, il semble moins intéressé par les difficultés de sa famille.
Catherine est inquiète: Elle n’a toujours pas d’enfants malgré les nombreuses cures qu’elle fait. Elle pense à la répudiation de Joséphine. Elle se doute que le roi a de nombreuses maitresses, en 1810 dux comédiennes ont accouché en même temps et les enfants ne sont pas de pères inconnus.
Jérôme a une nouvelle liaison avec la baronne de Pappenheim, dame d’honneur de la reine qui a déjà deux petits garçons et qui donnera encore deux filles à Jérôme, en 1811 et 1813.
Mais Catherine ne tarit pas d’éloges sur son mari si bon, généreux, attentionné cajoleur…L’amour rend aveugle.
Jérôme n’a jamais appris l’allemand et n’a jamais ouvert un livre . Il est doué, mais paresseux et indolent. Spirituel, s’exprimant bien, sûr de ses vues, il n’aimait pas se donner de la peine. Il était surtout d’une servilité craintive à l’égard de son frère aîné qu’il copie en tout. Il était persuadé de sa valeur de prince francais, et qu’un frère de l’Empereur ne pouvait se tromper. Metternich le jugera sévèrement : »Une vanité exaltée et sa manière d’imiter en tout point son frère l’ont couvert de ridicule. » Il aurait pu gouverner bien avec l’aide de ses ministres, mais il était toujours contré par son frère qui épuisait les finances du royaume et distribuait les domaines pour doter ses généraux.
Le commencement de la fin
Le 24 novembre 1811, c’est l’incendie du château de Napoléonshöhe.
En 1812, Jérôme dut partir en campagne avec l’Empereur, il partit en campagne comme d’autres en voyage, avec 7 fourgons, une énorme garderobe, de nombreux domestiques, des médecins, des chambellans…en direction de Glogau. Catherine alla à Dresde et rencontra Napoléon qui se plaignit de son frère. Jérôme alla en Pologne et constata la misère des populations. Il alla à Cracovie (Krakau) et le 2 mai 1812, il arriva à Varsovie
Il remplit son rôle, inspecta des régiments, visita des forteresses et construisit des ponts.
En juin, Napoléon franchit le Niemen et comptait sur son frère et ses troupes pour l’aider. Celui-ci détestait Davout et au lieu de l’aider, il resta 6 jours à se faire acclamer des populations. Sa lenteur exaspérait l’empereur, et au lieu de courir après le général russe Bagration, il le laissa s’échapper. Quand il apprit qu’il allait passer sous les ordres de Davout il retarda encore la marche et donna l’ordre de s’arrêter ! Il demanda à son frère de rentrer chez lui, car sa position était humiliante en servant sous les ordres du maréchal !!!Il emmèna avec lui sa garde et 25 000 hommes de Westphalie. Se disant malade, il abandonnait en fait son poste devant l’ennemi, tout autre que lui aurait été fusillé sur l’heure. S’il avait obéi aux ordres, la campagne de Russie aurait sans doute pris une autre tournure. Mais pourquoi Napoléon faisait-il confiance à son frère alors qu’il savait qu’il n’était pas un homme de guerre ?
En Westphalie, on ne se faisait pas d’illusions sur les raisons du retour du roi, on pensait qu’il avait fait de si lourdes fautes qu’il avait été renvoyé. Seule Catherine trouva une excuse à son mari .
Il s’agissait de gérer maintenant les affaires de la Westphalie et ce n’était pas une mince affaire, car les caisses étaient encore vides. Malgré cela, il continuait de s’amuser alors que la grande armé s’enfonçait en Russie. La retraite de Russie s’annoncait et le début de la fin était déjà annoncé. Fin 1812, on vit arriver les premiers rescapés, affamés, en guenilles. Sur 30.000 Westphaliens partis au combat, seulement 28 officiers et 2000 soldats revinrent, victimes d’un cause qui n’était pas la leur.
Le roi essaya de rentrer en grâce auprès de son frère en levant de nouvelles troupes, mais fut atterré quand il apprit qu’a Magdebourg on démolissait les faubourgs pour faire des fortifications et on chassait les habitants de leurs demeures et que lui, le roi devait les indemniser. Napoléon disposait de son royaume et il ressentait sa condition de vassal avec humiliation.
Il se consola des déboires militaires par de doux passe-temps : Il eut l’idée d‘envoyer sa femme a Paris, officiellement pour l’éloigner des champs de bataille, en fait, parce qu’ il était de nouveau amoureux, de la comtesse de Löwenstein Wertheim Freudenberg, mère de plusieurs enfants dont un de Jérôme, né en 1812 et elle en attendait un autre, Mélanie, celle qui est enterrée ici a Bergkirchen, près de Minden, Mélanie de Wertheim-Wietersheim. Le 10 mars 1812, Catherine partit pour Paris et elle s’arrêtera à Compiègne. On interprétera ce départ comme une mise à l’abri.
1813
Les Français ont dû, sur la poussée des Russes, se retirer de Berlin, les Russes ont passé l’Elbe et l’exemple de la reine a trouvé de nombreux imitateurs, tout le monde va déguerpir. Jérôme essayait de s‘étourdir, mais il était très inquiet, en ce printemps 1813 les alertes se multipliaient quand Napoléon arriva sur le Rhin. Tchernitchev attaquait près de Halberstadt. Alors Jérôme demanda à Dombrowski d’envoyer à Cassel deux bataillons polonais. Napoléon alla à Dresde, Jérôme le rejoignit et lui annonca son intention de divorcer pour épouser Mme de Löwenstein !!! fureur de Napoléon.
Il rentra le 1er Juillet 1813 à Cassel, la mine sombre. Il se sentait humilié par son frère qui régnait dans son royaume. Il aurait voulu avoir un corps d’armée , mais Napoléon ne se faisait pas d’illusions sur l’incapacité de Jérôme à commander, lui qui n’avait jamais appris le métier militaire..
Vers le 20 septembre1813, une colonne envoyée par Bernardotte occupa Braunschweig et on annonça l’arrivée des Russes, laissant le général Alix défendre la ville. Il fit partir un convoi de civils avec ses propres bagages par la Hollande et repoussa une avant-garde ennemie de cosaques. Mais, convaincu que le gros de la troupe ennemie allait suivre, il prit la direction de Marburg et fila sur Coblence. Le même jour, Tchernitchev arrivait devant Cassel et somma Allix de se rendre, qui refusa, mais la population civile criait : « vive l’Empereur Alexandre , vive le Prince Electeur ». Allix s’enfuit par la porte de Cologne alors que le Russe arrivait par celle de Leipzig. Aussitôt il déclara que d’autorité du prince royal de Suède Bernardotte, le royaume de Westphalie avait cessé d’ exister. C’était le 30 septembre 1813.
Le Russe alla inspecter les appartements de Jérôme et prit des portraits, la foule suivit son exemple et pilla les demeures des Français et les magasins militaires.
A Coblence, Jérôme attendait des nouvelles de son frère, il se rendit a Marburg. Allix, rentré a Cassel, mena une dure répression, les membres du comité provisoire du Russe furent arretés, le roi laissait à Allix l’odieux de la répréssion et gardait pour lui l’auréole de la clémence. Il revint à Cassel le 16 octobre en grande pompe, acclamé par ceux qui espéraient être délivrés par le roi d’Allix qui répandait la terreur dans la ville. L’atmosphère était lugubre à Napoléonshöhe, la comtesse et ses amies étaient restées sur le Rhin. On apprit la bataille de Leipzig le 24 octobre et le désastre pour Napoléon.
Apprenant ce désastre, Jérôme n’attendit plus les ordres de son frère pour s’enfuir. Le 26 octobre 1813, il quitta Napoléonshöhe, cette fois c’était la fin.
Jérôme s’enfuit avec tous ses oripeaux de royauté : Beugnot qui le vit passer à Mühlheim décrivit les fuyards :
« je le trouvai accompagné de ses ministres des Affaires étrangères (Lecamus) et de la Guerre et encore entouré de tous les oripeaux de la royauté. La maison qu’il occupait était remplie de gardes du corps dont le costume théâtral, chargé d’or , allait merveilleusement à la circonstance, on trouvait des chambellans sur les escaliers, à défaut d’antichambres et tout cela ressemblait á une troupe de comédiens de campagne qui répétait une tragédie. »
La foudre ne tarda pas à tomber sur Jérôme: Son frère lui assigna une résidence dans un château des départements du Rhin, à Brühl près de Cologne, appartenant à Davout, prince d’ Eckmühl. Il lui interdisait de rentrer à Paris. La reine devait rejoindre son mari à Mayence, et tous deux devaient se faire oublier.
Catherine, qui se morfondait à Meudon avait acheté le château de Stains. Napoléon était exaspéré des exigences du roi et de la reine de Westphalie qui ne pensaient en ces heures tragiques qu’à leur intérêts particuliers.
Jérôme n’avait pas du tout l’intention de rester sur les bords du Rhin. Rheinhardt faisait l’intermédiaire et essayait de lui faire entendre raison, en vain.
Catherine s’opposa aussi à son beau-frère et obtient de lui de s’installer à Compiègne oú Jérôme la rejoint.
1814
A Compiègne, c’est de nouveau la vie de cour, la princesse de Löwenstein est là aussi ! Jérôme voulait retrouver son royaume et espèrait que son beau-père allait l’aider. Il chargea sa femme d’amadouer son père, il croyait naivement qu’il pouvait compter sur l’appui des Alliés qui lui reconnaitraient sa légitimité en tant qu’époux d’une vrai princesse de l’ancien régime ! Il était en effet le seul de la famille à être lié à une famille royale à part l’Empereur.
Le couple royal, bravant l’interdiction de Napoléon, s‘installa à Stains, alors Napoléon chargea Savary d’arrêter les travaux et de fermer la demeure. Ou aller ? Le grand-frère les autorisa alors à s’installer à Paris, mais l’entrée des Tuileries leur restait interdite.
Catherine essaya d’obtenir les faveurs de son cousin Alexandre et de son père, en affirmant qu’elle et son mari s’étaient désolidarisés de Napoléon et qu’ils n’étaient que de « tristes victimes d’une ambition démesurée et d’ une politique monstrueuse ». Ce qui n’était pas faux, mais ils en avaient quand même bien profité.
Elle croyait trouver appui auprès de son frère, ou de son père, mais celui-ci lui enjoignit de se séparer de son mari et de divorcer !!!. Or, elle était enceinte ! Indignée, elle lui répondit qu’elle demandait asile pour elle et pour Jérôme et qu’il était hors de question qu’elle se sépare d’un époux que lui-même lui avait imposé, qu’elle ne l’abandonnerait pas dans le malheur, « je le suivrai là ou le sort le conduira, n’importe où ». La conduite de Catherine fut en ce point exemplaire. Elle fut une femme admirable de fidélité et de cœur. Jérôme alla s’installer à Trieste où Catherine le rejoignit après le choc de l’affaire Maubreuil (qui lui avait volé tous ses bijoux). Elle arriva le 20 août et accoucha le 22 d’un fils Jérôme–Napoléon–Charles
Le 1er octobre 1814 s’ouvrit le congrès de Vienne.
1815
Napoéon débarqua en mars 1815 et ce furent les 100 jours. Jérôme, déjà las de son exil de Triestre, accourut, alla de Rimini à Florence puis à Naples, et le 13 mai s’embarqua pour la Corse et de Corse à Golfe-Juan. De là, il remonta la vallée du Rhône et fut acclamé à Lyon. Il rejoignit Napoléon le 27 mai 1815. Le 1er juin, fête grandiose à Paris: L’empereur et ses frères apparaissent en habits rutilants, mais cette mascarade en grande pompe ne cache pas le malaise.
Jérôme fit avec Napoléon la Bataille de Waterloo en juin 1815, il se battit courageusement, son frère le félicita, il fut blessé et son ennemi Braunschweig tué. Mais la défaite mit fin à l’aventure des 100 jours.
L’errance
Aidé par Fouché, Jérôme s’enfuit et rejoignit Catherine prisonnière de son père Frédéric à Göppingen. Le père, jugeant Göppingen pas assez sûr, les envoya à la forteresse d’Ellwangen, véritable prison. Que faire d’eux ? Finalement, Metternich leur offrit l’hospitalité et ils prirent le nom de comte et comtesse de Montfort, le nom de Bonaparte étant trop compromettant en cette époque troublée.
Ils quittèrent l’irascible beau-père le 7 août 1816 pour l’Autriche, et Catherine ne le revit plus jamais.
En 1816, Jérôme avait juste 32 ans et encore une longue vie devant lui. Pour lui commencait une longue vie d’errance, sans cesse à courir après l’argent, Graz, Trieste, Rome, Florence furent les étapes de son exil avant de regagner la France en 1847 .
En 1848 Il fut nommé gouverneur des Invalides par son neveu, futur Napoléon III … Mais ce serait trop long pour ce soir !

Catherine mourut en 1835 à Lausanne.
Jérôme eut 3 enfants avec Catherine :
Jérôme, 1814-1847
Mathilde, 1820-1904, la belle princesse du Second Empire, mariée à un Russe Demidoff.
Napoléon-Charles, 1822-1891 , dit Plon-Plon, chef de la maison des Bonaparte dont les descendants sont les actuels princes Napoléon-Bonaparte.
Jérôme se remaria en 1841 avec une riche marquise italienne Justine Batholini et finit sa vie avec une autre, la baronne de Plancy. Vieux monsieur aimable et fêté comme le frère de l’Empereur et l’oncle de Napoléon III, il mourut le 24 juin 1860; on lui fit des funérailles solennelles et il fut enterré aux Invalides aux côtés du grand frère.


En conclusion
Le petit frère, Jérôme, roi à 23 ans, « furieusement jeune », ce qui fut son plus grand défaut, aurait pu, sans la constante main-mise de son frère sur ses affaires, mener une politique de paix et faire le bonheur de ses sujets, car il était intelligent, clairvoyant et détestait faire la guerre. Mais sa vie dissolue, son constant besoin d’argent, ses dépenses inconsidérées, et sa servilité vis-à vis de son frère ne lui permirent pas de résister à la débâcle de ’Empire. Les bienfaits de l’Etat-modèle furent annulés par les exigences de l’Empereur et sa politique d’expansion: Les contributions de guerre, les enrôlements forcés, les stationnements de troupes et surtout les suites du Blocus Continental ruinèrent le pays.
Le Code Napoléon et l’administration de Napoléon perdurènt en Westphalie encore très longtemps.
Lieux à visiter dans la région : Kassel- Wilhelmshöhe (Weissensteinflügel und Löwenburg), Landesmuseum: Tapetenmuseum. Bad Wildungen mit Schloss Friedrichstein, Minden Preussenmuseum, Enger Esternbusch.
Bibliographie
Jérôme Bonaparte et le royaume de Westphalie
En français
- Joseph Turcan : le roi Jérôme, un joyeux souverain, Paris, Tallandier, 1902
- Masson Frédéric : Napoléon et sa famille 1918
- Marc-André Fabre : Jérôme Bonaparte, Paris, Hachette, 1952
- Bernardine Melchior –Bonnet: Jérôme Bonaparte ou l’envers de l’Epopée, Paris , Perrin, 1979
Et aussi l’immense bibliographie concernant Napoléon et l’Empire…
En allemand
- Goecke R: Ddas Königreich Westfalen, Düsseldorf 1888.
- Kleinschmidt: Geschichte des Königreichs Westfalen, 1893.
- Wertheimer: Die Verbannten des ersten Kaisereichs, 1897.
- Kaisenberg M.: König Jérôme, ein Zeit-und Lebensbild, 1899.
- Geschichte der Residenzstadt Cassel , 913-1913, Kap.9: Die Zeit des französischen Fremdherrschaft und des Königreichs Westfalen, 1913.
- Kuhn Joachim : Die Prinzessin Mathilde, 1935.
- Klessmann E: Deutschland unter Napoléon in Augenzeugenberichten, Düsseldorf 1965.
- Berding Helmut: Napoléonische Herrschafts-und Gesellschaftspolitik im Königreich Westfalen 1807-1813 Göttingen, 1973.
Bielefeld, 8 mai 2002