Jean-Marie Mellon Roger Valhubert (1764 – 1805)
Il était bien fait de sa personne, il avait une figure agréable; sa taille était proportionnée, ses manières polies et aisées. Une érudition profonde rendait sa conversation aussi intéressante qu’instructive. Son caractère doux ne pouvait l’abandonner que sur un champ de bataille, où ses facultés se réunissaient pour trouver l’art de vaincre; aussi, jamais la victoire ne lui fut infidèle, toujours, les troupes sous ses ordres obtinrent de grands avantages sur les ennemis.
Les jeunes années
Jean-Marie-Mellon Roger naît à Avranches le 22 octobre 1764. Il est le fils de Jean-François Roger, officier de la Milice Garde-Côtes, et de Catherine-Jeanne de Clinchamp de Précey.
Il semble bien qu’il ait reçut une parfaite éducation et qu’il fut élevé avec beaucoup de soin. Il fit vraisemblablement ses études au collège d’Avranches. Il passe quelques fois ses vacances dans une propriété de famille, le domaine de Val-Hubert, à l’origine de son nom de guerre, ce Valhubert sous lequel il est désormais connu.
Il fait d’excellentes études, montrant des aptitudes sérieuses pour les sciences, mais la carrière des armes l’attire. Il semble s’être préparé pour entrer dans l’artillerie, il y est même admis après un examen favorable, mais une ordonnance royale en ferme brusquement l’accès aux roturiers.
Il s’engage alors dans le régiment de Rohan Soubise. Il a vingt ans.
Les événements de 1789 vont lui fournir l’occasion de sortir du rang. En août, l’association des Chasseurs volontaires se forme à Avranches, dans le but de réprimer les troubles susceptibles de se produire; Valhubert entre sans doute au Comité de cette association en novembre 1789.
Les années révolutionnaires
En 1791, l’Assemblée nationale appelle à la formation des « bataillons volontaires ». Le département de la Manche fournit 7 792 volontaires, qui sont organisés en douze bataillons d’infanterie et un escadron de chasseurs.
Valhubert s’inscrit premier volontaire du département et le premier bataillon le désigne pour être son commandant. Il va s’attacher à former un bataillon d’élite et il y parvient grâce à son ascendant. En peu de semaines, aidé par des officiers excellents et dévoués, il met sur pied un « corps admirable dont l’organisation ne laissa rien à désirer ».
Valhubert et son bataillon sont bientôt dirigés sur le camp retranché de Lille, menacé par les Autrichiens, pour servir sous les ordres du général de Custine (division La Bourdonnaie). Pendant le siège de la place, les français qui campaient en avant de la ville, sont refoulés vers l’intérieur. Durant cette retraite, Valhubert et son bataillon font face à l’ennemi, dirigent sur lui un feu si précis qu’il l’arrête, et rentrent en ville après avoir ainsi assuré la retraite de toute l’armée.
Pendant tout le siège et le bombardement de Lille (du 9 septembre au 8 octobre 1792), Valhubert et son bataillon ne cesseront rendre les plus grand services. Finalement, les Autrichiens lèvent le siège. Valhubert participe à leur poursuite, s’empare de plusieurs canons, d’un nombreux matériel et fait des prisonniers. Ayant reçu l’ordre d’enlever un plateau sur lequel l’ennemi se tient en force (1500 grenadiers hongrois, quatre canons), Valhubert harangue ses hommes, les fait avancer et monter à l’assaut du plateau, l’arme au bras. A trente pas de l’ennemi, il ordonne le feu, fait croiser la baïonnette, et enlève son bataillon au pas de charge. La Bourdonnaie le félicitera sur le champ de bataille : « Vous avez sauvé une partie de l’armée par votre courage et votre coup d’oeil étonnant; aujourd’hui, la Patrie contracte avec vous une dette immense' ». (Bataille de Pellemberg (22 mars 1793))
Après cet engagement, Valhubert et son bataillon se retrouvent dans la place du Quesnoy, dont les Autrichiens mettent le siège. Valhubert y maintient la discipline dans sa troupe en dépit de dures privations, organisant des sorties audacieuses. Mais, à bout de ressources, ruinée par les bombardements, n’attendant aucun secours, la ville se rend avec sa garnison, qui est conduite en Hongrie. Après une longue et épuisante route à pied à travers l’Allemagne, où bon nombre de ses hommes restèrent dans les hôpitaux, le bataillon fut embarqué sur le Danube jusqu’à Pest. À peine la moitié de ce qui survivait de son contingent rejoint le lieu de sa détention, qui va durer deux ans. Valhubert s’entremet dans la mesure de ses moyens pour obtenir un meilleur traitement, se montre plein de sollicitude pour ses compagnons et maintient l’esprit de corps.
Au bout de ces deux années, le premier bataillon rentre en France à la faveur d’un échange. C’est le début de l’an III (1795). Il est alors amalgamé avec le 28e de ligne et Valhubert conserve son grade de chef de bataillon, jusqu’au 26 fructidor an V. Il est alors nommé par le Directoire chef de brigade (colonel), commandement du 28e.
A l’armée d’Helvétie
À la fin de l’an V, Valhubert et son régiment rejoignent l’armée d’Helvétie, et participent à la conquête du Valais. Ils poursuivent les Autrichiens de vallée en vallée.
En thermidor, grâce à une action hardie, il enlève le Simplon.
Valhubert, avec sa demi-brigade (28e régiment) participe ensuite à l’attaque du fort de Bart et des retranchements de la vallée d’Ivrée, qu’elle enlève d’assaut. Le Premier consul les lance en tête pour forcer le passage du Pô. Valhubert arrive le premier sur la rive opposée, enfonce l’ennemi, fait un nombre considérable de prisonniers, outre les pièces d’artillerie, les caissons, etc., et permet ainsi le passage de toute l’armée.
Le 20 prairial an VIII, Valhubert et son régiment, sous le commandement de Lannes, sont à Montebello. Chargé par la cavalerie ennemie, il dispose sa troupe de façon à faire face dans toutes les directions, fait un feu roulant sur elle, se précipite à la baïonnette et fait prisonnier tout un régiment. Lannes, leur dira le lendemain : «Je me suis trouvé dans bien des affaires, mais vous êtes les plus braves que j’ai jamais vus; vous avez étonné l’Armée … l’ennemi tremble encore. »
A l’armée d’Italie
Le 14 juin 1800, c’est la bataille de Marengo. Avec ses trois bataillons, Valhubert occupe l’extrême droite de l’armée. Assailli par la cavalerie ennemie, il forme son régiment en carré et tient contre toutes les charges pendant sept heures de temps jusqu’au moment de la victoire définitive. Il a été blessé dès le début de l’action, à huit heures du matin, mais il refuse le secours des chirurgiens et ne se laisse panser qu’à minuit, une fois la victoire bien assurée.
Durant l’an IX. Valhubert assure le passage du Mincio, se jette dans la première barque, met pied à terre le premier, suivi de son régiment et, au combat de Pozzolo, repousse une fois de plus les ennemis. Renversé de cheval par un boulet, ses hommes le croient tué. Revenant à lui, il s’élance sur son cheval et entraîne de nouveau son régiment, non pas de la voix (car il resta aphone plusieurs mois) mais du geste et de l’épée.
Durant le congé de convalescence qui suit, Valhubert se rend à Paris, pour obtenir un congé de quatre mois.
La paix venue, le 28e est envoyé en garnison à Poitiers, puis, après diverses étapes, à Calais. fait distribuer à ses hommes 150 000 francs en or qu’il a su amasser dans la caisse secrète de son régiment. Le Premier consul lui ayant ordonné de lui fournir la liste des militaires dignes de recevoir récompense ou avancement, il n’oublie que lui seul. A la demande de ses officiers, qui signent une pétition adressée à Bonaparte, celui-ci lui fait délivrer, le 4 pluviôse an XI, un brevet d’honneur comportant attribution d’un sabre d’honneur, et lui écrit :
Citoyen Valhubert, chef de brigade du 28e de ligne, je vous envoie ce Brevet d’Honneur, je n’oublierai jamais les services que la bonne et brave 28e a rendus à la Patrie. Je me souviendrai, dans toutes les circonstances, de votre conduite à Marengo. Blessé, vous voulûtes vaincre ou mourir sous mes yeux .
La dernière campagne
Le 11 fructidor an XI, Valhubert est nommé général commandant la brigade composée des 64e et 88e de ligne. Il vient de passer 2 ans au camp de Saint-Omer avec ces régiments.
Il passe le Rhin avec la Grande Armée. Au pont de Vienne, il reçoit le commandement de la tête de pont, l’enlève et fait deux mille prisonniers.
A Austerlitz Valhubert commande la 3e brigade de la division Suchet, ayant sous ses ordres les 64e (1016 hommes) et 88e (1602 hommes) de ligne. La division (6 977 hommes) est sous les ordres directs du maréchal Lannes qui comprend 3 divisions: grenadiers de la réserve du général de division Oudinot, une division (la 2e) détachée auprès du maréchal Mortier et le 5e corps de cavalerie légère commandé par le général de brigade Fauconnet. Au total 13 734 composé de 21 bataillons d’infanterie (12 076 hommes), 12 escadrons de cavalerie (986 cavaliers) et 7 compagnies d’artillerie (672 artilleurs)
Outre Valhubert, la division Suchet est composée d’un quartier général fort de 23 personnes, de la 1e brigade commandée par le général de brigade Claparède, qui a sous ses ordres le 17e léger (1457 hommes).
La 2e brigade, commandée par le général Beker, est formée des 34e (1270 hommes) et 40e (1394 hommes) de ligne, renforcés de la division d’artillerie et du train, dont la 1e compagnie du 5e régiment d’artillerie à pied (125 hommes) et la 1e compagnie du 3e bataillon du train d’artillerie (113 hommes).
Le 2 décembre 1805, pour la bataille d’Austerlitz, Valhubert reçoit l’ordre de défendre à tout prix une position à gauche de la route qui va de Brünn à Olmutz. Il se trouve en seconde ligne, derrière la 2e brigade de Beker.
L’artillerie russe (c’est Bagration qui est en face) tire sans relâche sur cette position; un obus renverse l’aide de camp de Valhubert et son cheval. Presque aussitôt la mèche enflamme l’obus qui éclate et un énorme morceau vint frapper Valhubert au côté gauche, lui fracassant presque tous les os de la hanche au pied. Des soldats s’avancent, des officiers, un colonel et un chef de bataillon s’approchent, tous veulent lui porter secours, mais Valhubert leur répond :
« Souvenez-vous de l’ordre du jour »
On le couche cependant sur des fusils en guise de civière et il est transporté à l’ambulance. Il demande à ses hommes de retourner au combat, et dit aux chirurgiens qui s’occupent de lui :
« Si cette blessure était au bras, je serais bientôt de retour à mon poste ».
Puis il ajoute à l’adresse de son aide de camp, qui rapporte la scène
« Allez à l’Empereur; dites-lui que dans une heure je serai mort. J’aurais voulu faire davantage. Je lui recommande ma famille. »
Il est, la nuit venue, transporté à Brünn. L’Empereur, tenu au courant, fait envoyer les chirurgiens de sa garde, dont Percy. Mais il ne pouvait être sauvé et après trois jours de cruelles souffrances, il rend le dernier soupir, tout juste âgé de 41 ans.
Des détachements de toute la Grande Armée assistent à ses funérailles et suivent sa dépouille. Sur sa tombe on inscrit :
BRAVE GÉNÉRAL VALHUBERT TOMBÉ DANS LA BATAILLE D’AUSTERLITZ LE 2 DÉCEMBRE 1805.
NOS ENNEMIS, QUI SAVENT APPRÉCIER LE COURAGE, SAURONT AUSSI RESPECTER, APRÈS NOTRE ÉLOIGNEMENT, CE MONUMENT ÉLEVÉ À UN DE NOS GÉNÉRAUX DONT LE CARACTÈRE, LES VERTUS ET LE TALENT MILITAIRE SONT DIGNES DE SERVIR DE MODÈLE À TOUTES LES NATIONS
La statue de Valhubert, commandée par Napoléon, pour être, pour être érigée à Paris, devant le Jardin des Plantes, sur la place que l’empereur voulait nommer place Valhubert, fut, sous la Restauration, envoyée à Avranches, où elle se trouve toujours aujourd’hui, au centre du jardin de l’Évêché.

A Brno (Brünn), à Tyrsuv Sad, dans le jardin public aménagé à l’emplacement de l’ancien cimetière, se trouve une stèle de marbre en mémoire de Valhubert.
Sur le champ de bataille d’Austerlitz, sur la route qui longe le Santon, un monument commémoratif a été érigé à la mémoire du général.

Son nom figure également sur le mur de la petite chapelle se trouvant sur le sommet du Santon. Enfin, sur le chemin de terre qui monte au sommet, ex-voto marquant l’endroit supposé où le général Valhubert fut blessé mortellement par un boulet qui lui fracassa la cuisse.

A Brno, Valhubert s’installa dans le palais Cejka, à l’angle des rues Ceska et Jabuska. Dans l’ancien cmetière, transformé en parc, une stèle rappelle le souvenir de Valhubert.