Jean Anthelme Brillat Savarin (1755-1826)

Le magistrat gastronome
« L’homme mange; l’homme d’esprit seul sait manger »
Jean Anthelme Brillat Savarin est né le 2 avril 1755 à Belley, au sein d’une famille de notables et de juristes. Il passe une enfance de découvertes gustatives et littéraires tant à Belley que dans les domaines familiaux de Pugieu et de Vieu. Il suit des études à Lyon puis à Dijon de 1775 à 1778. Intelligent et doué, il passe son baccalauréat en février 1778 puis sa licence en juillet 1778. Il parle 5 langues plus le latin et le grec. Il se nourrit de littérature classique notamment romaine. Amateur de musique, il se passionne pour la chimie et la médecine. Jurisconsulte à Belley, en 1778, il anime un orchestre aux Bernardins dès 1782.
S’il est élu député du Tiers Etat du Bugey du Valromey, il ne se passionne pas pour les premiers débats qu’il trouve fastidieux. Toutefois, il se montre patriote lors de la prise de la Bastille et se range dans le parti anti-aristocratique. Proche de la pensée politique des idéologues, membre de l’Assemblé Constituante, il se lance alors dans de grands débats notamment sur la réforme judiciaire puis dans les débats sur la peine de mort qu’il soutient contre Robespierre. Il quitte toutefois l’assemblée satisfait et sans regret.
De retour à Belley, il se montre favorable à la Constitution Civile du Clergé mais aussi à la guerre. Il est élu président du tribunal civil de l’Ain et devient membre de la société populaire des Amis de la Constitution de Belley du 25 mars 1791 au 28 avril 1792. Il est élu maire de Belley en décembre 1792.
Plus proche politiquement de la Gironde, voire de la monarchie constitutionnelle, il n’assiste plus aux séances de la société des Amis de la Constitution de Belley et fonde avec quelques bourgeois de Belley, la société de la maison commune puis du Temple en 1793. S’il enchaîne des actes symboliques, inauguration du Temple de la Liberté, le 26 juin 1793, pétition pour le brûlement des terriers, le 14 juillet, il est dénoncé à la société des sans-culottes de Belley le 5 septembre 1793, pour avoir facilité l’enlèvement de blé le 2 septembre 1793. Il est aussi dénoncé par le comité de surveillance de la société, le 22 septembre 1793, pour des propos inciviques.
Dénigré et attaqué de toutes parts, il est destitué de sa place de maire le 13 octobre 1793. Alors qu’il est déclaré suspect par le comité de surveillance de Belley, le 4 novembre, il récupère la mairie, le 6 novembre 1793. Mais de nouveau attaqué lors de la séance de la société des sans-culottes de Belley, le 19 novembre, il se rend alors à Dôle auprès du représentant du peuple Prost, qu’il rencontre lors d’un dîner, afin d’obtenir un certificat qu’il obtient grâce à l’appui de l’épouse du représentant, amateur de musique.
Malgré cela, il fuit de Belley sans passeport le 3 décembre, à cheval en compagnie Jean Antoine de Rostaing. Il est destitué et mis en état d’arrestation par le représentant du peuple Gouly le 21 décembre pour être déféré devant le tribunal révolutionnaire. Les deux proscrits séjournent au Lion d’Argent à Lausanne et commencent une émigration gastronomique. De passage à Yverdon, en Suisse, ils sont accueillis par sa tante qui lui donne la recette de la fondue et son oncle un passeport.
Ils embarquent à Rotterdam, le 12 juillet 1794 et débarquent à New York le 30 septembre. Brillat gagne sa vie comme violoniste dans un théâtre (le John Street Theater) et côtoie les pubs. Il prend soin de préparer son retour. Le 19 juin 1795, il écrit au département de l’Ain pour obtenir sa radiation de la liste des émigrés, ce qu’il obtient le 20 août, lorsque le département de l’Ain émet un avis favorable à sa radiation. Mais l’épidémie de fièvre jaune le fait partir pour Boston en passant par le Connecticut où il chasse un animal qui l’étonne et le surprend, le dindon.
A Boston, où il arrive en octobre 1795, il passe à une vie mondaine de fêtes entouré de jolies femmes et rentre à New York en février 1796. Sans travail, suite à la dissolution de l’orchestre, il embarque pour la France grâce à un prêt du Consul Général, le 17 juin. Le 24 août, il débarque à Cherbourg.
Il gagne Paris et s’installe provisoirement chez les Récamier. Il est nommé juge au tribunal de cassation en l’an V mais le coup d’état du 18 Fructidor, le renvoi dans ses foyers. Grâce au soutien de Rostaing, il est nommé secrétaire à l’état-major de l’armée de Rhin et Moselle sous le commandement d’Augereau dont il craint le caractère. C’est avec plaisir qu’il quitte ce poste pour celui de président du tribunal criminel de l’Ain puis de commissaire du gouvernement près le tribunal de Seine-et-Oise le 3 mai 1798 où son travail lui vaut d’être cité par le Bulletin Décadaire de la République Française du 19 février 1800.
Favorable à l’avènement de Bonaparte, il est nommé conseiller à la cour de Cassation le 9 avril grâce à l’appui de Talleyrand. Riche (ses revenus sont estimés à 6000 francs par an en 1811) et reconnu, il est de tout les grands événements parisiens : Te Deum du 18 avril 1802 à Notre Dame et cercle de l’Empereur pour le nouvel an 1805. Ses connaissances lui permettent de pouvoir recommander des personnes pour des emplois jusque dans la chapelle du Roi en 1824.
Homme de goût et du monde, il fréquente le salon de sa cousine par alliance, Juliette Récamier, auquel il voue un profond attachement mais aussi une certaine complicité. Toutefois, son style de vie dérange : le général Ménard, chargé d’une enquête secrète sur les notables de l’Ain pour le premier Consul, le lui reproche : « aimant les orgies et la débauche. Peu travailleur. Ayant cependant des capacités. Attaché au gouvernement ». Reconnu comme buveur, il n’en est pas pour autant un connaisseur. Il est amateur de vin de Seyssel, Manicle, Machuraz et Côte Grèle.
Sous l’Empire, il siège d’abord à la chambre des requêtes puis à la chambre civile du tribunal de cassation de 1805 à 1808. Il est fait chevalier d’Empire le 26 avril 1808. Il siège à la chambre criminelle de 1809 à 1811. Il devient chevalier de la Légion d’honneur en juin 1810.
En 1811, il entre à la chambre des requêtes qu’il ne quittera qu’à son décès. Homme de labeur, il est l’auteur de 169 arrêts rendus entre le 22 juillet 1800 et le 19 janvier 1826. Homme d’écriture, il n’est pas un orateur. Son style est sans envolées, plutôt emphatique et grandiloquent. Si son style littéraire est excellent, son parcours d’écrivain n’est pas novateur, il suit les exercices thématiques d’une bourgeoisie éclairée, formée par la littérature classique : relations de voyage, pensées, discours et maximes. Suivant son goût pour l’éclectisme, il s’intéresse, dès 1801, à un meilleur fonctionnement de l’administration, promouvant un corps de fonctionnaires efficaces. Il s’intéresse aussi à l’aménagement routier du territoire ainsi qu’au commerce et à l’industrie pour lesquels il recommande, en visionnaire, l’usage des expositions. De même, pour l’agriculture, il recommande la multiplication des sociétés d’agronomies et des comités locaux.
En 1808, ses travaux sur la justice en font un partisan des tribunaux d’arrondissement et un ami de l’indépendance des juges. De même, il est un opposant et un détracteur de la prison comme peine répressive, à cause de ses effets corrupteurs, alors qu’il avait été un partisan de la peine de mort.
En 1814, malgré la Restauration, son goût pour les avancés révolutionnaires et impériales lui font publier un autre ouvrage où il propose de ne pas supprimer ses avancées en matière judiciaires au profit de la réapparition des parlements et affirme l’indépendance des pouvoirs. En 1819, il publie une nouvelle théorie judiciaire sur le Duel qui devance et précipite la fin de cette pratique très ancrée dans la société française.

En 1826, il publie son chef d’œeuvre : la Physiologie du goût, ou Meditations de Gastronomie Transcendante, référence bibliographique d’une bourgeoisie aristocratisée dans à laquelle il fait figure de grand ponte. Dans son chef d’œeuvre (il ne publie pas d’autre essai ni aucun ouvrage ou opuscule sur la gastronomie durant sa vie), il édicte, à la façon d’un homme de loi, les codes de la bienséance gastronomique, moralisant les habitudes frumentaires créant la mode sensualiste. Il n’a malheureusement pas le temps de connaître son succès puisqu’il décède la même année, à Paris, le 2 février 1826, des suites d’une pneumonie contractée lors d’une messe à la mémoire de Louis XVI.
Homme de son temps, Brillat Savarin a laissé de nombreuses traces et une postérité encore visibles de nos jours. Outre des objets et de nombreux écrits conservés dans des collections privées tant qu’aux Archives, Brillat-savarin laisse un héritage riche et varié. Son best seller, au succès posthume, reste un ouvrage de référence pour qui veut découvrir et comprendre les plaisirs de la table du goût et de la vie. La Physiologie du Goût a été sans cesse rééditée depuis sa première impression (plus de 35 éditions françaises sont répertoriées à la Bibliothèque Nationale), dans le monde entier (Japon, Etats-Unis, Hongrie, Espagne, Portugal ou Angleterre). En 1921, un comité organise dans l’Ain des souscriptions pour les monuments de Champagne et Belley.
En 1955, pour le bicentenaire de sa naissance, une médaille commémorative est frappée par la Monnaie de Paris. Depuis la fin du XIXe siècle son nom est régulièrement accolé à un plat, tel le gâteau (le savarin) et le fromage (le brillat-savarin), ainsi qu’à des dégustations et des repas à thèmes. En 1955, une académie Brillat-Savarin siège à la Sorbonne et en 1999, l’académie de gastronomie Brillat-Savarin voit le jour aux Etats-Unis. Une exposition lui est consacré aux Archives Départementales de l’Ain du 16 septembre au 22 décembre 2005.
Jérôme Croyet
Docteur en histoire, archiviste adjoint aux A.D. Ain et collaborateur du magazine Napoléon 1er.
LIEUX DE MÉMOIRE
- La maison natale de Brillat-Savarin se trouve à Belley (Ain), 62, Grande-Rue. Une plaque commémorative marque son souvenir (seule la cour intérieure est accessible aux visiteurs). Sur le Promenoir, monument avec buste à la mémoire de l’enfant du pays.

- A Champagne en Valromey (25 km au nord de Belley – Ain), une rue porte son nom et sur la place de l’Église se dresse sa statue

- A Vieu (50 km d’Ambérieu en Bugey – Aisne) se trouve, à l’entrée du village, la maison de campagne de Brillat-Savarin (actuellement propriété privé d’un descendant)

- La maison où décéda Brillat-Savarin, le 2 février 1826, se trouve à Paris, 11 rue des Filles-Saint-Thomas (IIe arrondissement), et une plaque commémorative le rappelle.

- La tombe de Brillat-Savarin se trouve au cimetière du Père-Lachaise, à Paris (chemin Camille-Jordan, 1e ligne)
