Italie – Introduction

Pourquoi l’Italie napoléonienne ?

En cette année universitaire 2004/2005, dans le cadre de la formation de Juriste Européen, le thème de ce mémoire se devait  de sortir du seul cadre national. Or, en cette période de bicentenaires  [1]1804 : Sacre de Napoléon, Code Civil ; 1805 : Couronnement à Milan, Austerlitz., quel meilleur moyen d’aborder les relations juridiques et l’élaboration du Droit entre les Nations qu’en étudiant  une des bases de l’Europe moderne, en s’intéressant à l’époque napoléonienne, époque souvent étudiée sous différents  angles, le plus souvent au niveau historique et militaire, parfois civil, mais rarement juridique, surtout hors du cadre classique du Code Napoléon et de l’ordre interne franco-français.

Or, l’Empire français n’en est un que parce qu’il s’inscrit dans une logique européenne, héritier de l’Ancien Régime et de la Révolution. C’est ce double héritage qui rend Napoléon et son époque si passionnants, si étudiés. Aucun autre personnage n’a autant attiré l’intérêt de personnes de tous bords. Napoléon 1er est Empereur d’une République, voilà le paradoxe constitutionnel et apparemment antinomique qu’il représente (article premier de la Constitution du 18 mai 1804). Cela dit ce n’est pas là le seul paradoxe, on en voit des dizaines se profiler en matière de religion, de diplomatie…

Un autre double titre lui appartenant attire aussi l’intérêt de l’historien et du juriste : Napoléon 1er Empereur des Français et Roi d’Italie [2]J-C Valla , La Nostalgie de l’Empire, une relecture de l’Histoire napoléonienne,les cahiers libres d’Histoire n°12 , Editions SEDE 2004 , p.81 et s.. C’est ici que se trouve  un autre paradoxe et à la fois une rupture avec l’Ancien Régime et la Révolution. Il n’est pas Roi de France comme les souverains qui l’ont précédé, ni roi des Français comme Louis XVI ou ses successeurs, il prend au contraire  la couronne de Charlemagne et l’associe au peuple Français mis en avant par la Révolution. A ce titre il fait une autre référence à Charlemagne en reprenant la couronne de fer cette fois ci en tant que roi d’Italie. D’ailleurs pourquoi n’est-il pas Roi des Italiens ? Et qu’est ce que cette Italie sans Naples ni Rome ? Les rois de France n’avait porté  que les couronnes de France et de Navarre, mais en tant qu’Empereur il rompt avec l’Ancien régime et renouvelle la tradition carolingienne et à qui il doit plus qu’on ne pourrait le croire de prime abord.

Nous essayerons d’étudier dans ce mémoire l’œuvre napoléonienne en Italie, par ses institutions, ses lois et son administration, manifestations directes de l’Etat. L’Italie napoléonienne n’est pas l’Italie des guerres des rois de France de la Renaissance, si Napoléon est à la tête d’une République et Roi, il ne le fut pas comme César, assassiné alors qu’il se faisait roi des romains, mais que son titre de Roi d’Italie vaut car il règne non pas sur des sujets mais sur un territoire où vivent des citoyens.

Nous étudierons donc l’Italie napoléonienne sur une période de 18 ans. En effet, c’est ici que se manifestent le plus clairement les réussites et échecs du système napoléonien. Napoléon dans son Mémorial pose enfin sa pensée, pensée qu’il développe en captivité, pragmatique. Il n’avait semble-t-il pas de plan établi pour l’Europe, du moins pas dès le départ. Ses détracteurs lui reprochent souvent de se présenter en défendeur et créateur de nationalismes, alors que ces derniers ont existé par sa faute et ses abus et non grâce à lui, si ce reproche s’applique à l’Allemagne il ne peut pas s’appliquer aux Italiens, un des peuples reconnaissant de l’Europe avec les Polonais et les Slovènes, pour ne citer qu’eux. Ainsi l’Italie plus que tout autre pays se pose dans sa construction à l’époque napoléonienne, malgré les imperfections que nous soulignerons, comme un modèle de  début de souveraineté d’un peuple associé à une autre Nation, dans un échange juridique, commercial et culturel comparable aux échanges contemporains ; le blocus continental qui rentre en compte créant des liens, mais surtout des inégalités inévitables [3]Colloque des 28 et 29 novembre 2004 , Regards sur la politique européenne de Napoléon, conf. de S. Marzagalli, Le blocus continental pouvait-il réussir ?, non publié à l’heure actuelle.

Comme nous le verrons le Royaume d’Italie  a une riche histoire constitutionnelle passant d’une mosaïque de républiques au statut de « vice-royauté » en l’espace de 18 ans. Le thème a peu été étudié en profondeur par les historiens français. Seulement deux ouvrages  de références existent à l’heure actuelle l’un de 2003 l’autre de 1947 [4]André Fugier, Napoléon et l’Italie , La Roue de la Fortune ,éditions Paris , 1947 ._ Alain Pillepich, Napoléon et les Italiens ,Nouveau Monde Editions/Fondation Napoléon , La bibliothèque … Continue reading, il nous paraissait donc intéressant de revenir sur une étude plus institutionnelle de cette époque, les ouvrages de M. Godechot étant quasi introuvables sur ce domaine, le but de ce sujet est donc de servir de référence à une étude plus institutionnelle du Royaume d’Italie et moins événementielle. Le cadre en sera donc défini par  ce qui fait un état à l’époque Napoléonienne. Tout d’abord ce qui le compose : un territoire, une population, puis les manifestations de cet Etat : institutions, constitutions.

Le général Bonaparte
Le général Bonaparte

Le cadre temporel sera du 4 mars 1796 date de la prise de commandement de l’armée d’Italie par le général Bonaparte, jusqu’au 17 avril 1814 date de la fin des opérations militaires en Italie sous le commandement du vice-roi Eugène, date symbolique de la fin de la présence  française en Italie et du Royaume napoléonien d’Italie.

Le cadre spatial de par sa nature changeante en 18 années de guerres et de traités, créant et défaisant les conquêtes et les états,  sera donc l’Italie du Nord, c’est à dire tout le territoire au Nord des Etats pontificaux entre la France, le Tyrol et l’Autriche. Nous aborderons donc le Royaume d’Italie et non celui de Naples, des Etats pontificaux ou des Deux Siciles. Il sera fait impasse du sort des territoires  appartenant au Royaume puis annexés par la France, car l’étude poussée de leur régime ne rentre pas dans le cadre de ce travail, de même que les différents statuts de Venise et de la Dalmatie. Ces territoires sont bien sûr mentionnés mais uniquement comme faisant partie du Royaume d’Italie, et non  dans leur condition indépendante ou annexée à l’Empire. La péninsule italienne a en effet connu plusieurs royaumes napoléoniens et une principauté [5]Principauté de Lucques d’Elise Bonaparte, Royaume de Naples sous Joseph Bonaparte puis Joachim Murat, Royaume d’Italie avec Eugène de Beauharnais comme vice-roi., mais le royaume d’Italie présente un double intérêt puisque ayant pour roi l’Empereur des Français et comme vice-roi son fils adoptif alors que la plupart des autres états « vassaux » avaient à leur tête un membre de la famille impériale (à l’exception de Bernadotte). Cette particularité pousse à l’intérêt le juriste français de par cette relation si liée entre le système napoléonien et le Royaume d’Italie dirigé par le même chef d’Etat que sa voisine française mais pourtant avec un vice-roi propre.

Nous verrons dans cette étude les raisons du lien qui unissent l’Italie à la France révolutionnaire puis impériale et ensuite la place qu’occupait l’Italie dans l’Europe napoléonienne et si ses statuts  lui donnaient une réelle souveraineté ou n‘en faisaient qu’une annexion déguisée de la France, dirigée directement par Napoléon 1er.

L’Italie dans la politique internationale de la France révolutionnaire

L’Italie du XVIIIe siècle représente pour le reste de l’Europe un « jardin »  riche sur le plan des arts, de l’agriculture mais aussi financier avec Milan et Venise la décadente. Or ce jardin est divisé en une multitude d’états dépendants de l’Autriche et des Etats pontificaux, et gouvernés par les Bourbon et les Habsbourg, ne devant leurs survies qu’au maintien de la paix. Quand éclate la Révolution Française, elle suscite deux réactions très différentes.

Francois Ier d'Autriche
Francois Ier d’Autriche

Tout d’abord une inquiétude grandissante des gouvernants, qui tentent des alliances sans réels effets. En 1792, soit deux ans après la « déclaration de paix au monde » interdisant à la France toute guerre de conquête, la Législative, le 20 avril, rompt avec François II, Victor-Amédée III tente aussitôt en tant que roi de Sardaigne de rassembler les états italiens contre : « la fermentation que tentaient d’introduire partout les fanatiques Français » [6]G.Bourdin, Formation de l’unité Italienne, collection Armand Colin n°116,Paris 1938, p.22.. Venise, Gênes, Florence, Rome et Naples refusent cette alliance, la Sardaigne n’a donc comme seule alliée l’Autriche en guerre avec la République française.

L’Italie se résigne (cession d’Avignon et du Comtat Venaissin par le Pape) ou se tourne vers l’Autriche, les craintes sont fondées, la France envoyant des agents créer des clubs dans les grandes villes du Piémont voisin. En mai 1792 la première manifestation de cette volonté supposée de la France  se voit déjà avec la création du Comité batave [7]J-L Harouel , Les Républiques sœurs,Que sais-je ?, PUF,Paris 1997, p.4, première étape  de la « libération » des peuples frères. Ainsi le « Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »  permet à la Convention de rompre la paix universelle. Les états italiens  s’imaginaient être la prochaine cible de ces « libérateurs » et les régimes en place tel Victor-Amédée III voyaient dans ses opposants des espions de l’étranger appelant à cette libération. Après avoir accueilli la contre-révolution en Sardaigne et Piémont, Victor-Amédée III déclare la guerre  à la France le 23 juillet 1792. [8]Ibid.p.6

La seconde réaction commence dès 1789 et sera accélérée par les répressions contre les libéraux de tous bords dans leurs états d’origines. Ainsi si les plus nombreux sont les Bataves et les Hollandais, de nombreux Italiens forment des clubs et des sociétés dans le Sud de la France. Ce sont ces « immigrés républicains» [9]Par opposition aux émigrés royalistesqui feront naître l’idée des républiques sœurs à la Convention, une Convention sans argent, cherchant à nourrir ses armées et remplir ses caisses. Les Italiens se réfugient d’abord en Corse dès 1789 [10]C’est le cas de Buonarotti aristocrate toscan poursuivit pour ses articles.  puis dans le Sud en général après la prise de Nice par le général d’Anselme le 29 septembre1792. Les « Fuorusciti » rêvent d’entrer dans une Italie révolutionnée, unifiée, sœur de la Grande Nation. C’est sous l’influence de ces immigrés que s’élaborent les projets de républiques sœurs créant ainsi une ceinture de vassaux autour du territoire national.

La guerre déclarée par les Girondins a pour but de les maintenir au pouvoir et de renflouer les caisses de l’Etat. Les premières défaites ne poussent pas  à l’optimisme mais à partir de Valmy (20 septembre 1792) et de la prise de la Savoie et de Nice, les richesses que les immigrés avaient  mises en avant, se concrétisent enfin dans les territoire conquis… l’Italie reprend alors cet intérêt de réserve de l’Europe, réserve dont la France doit s’emparer pour rétablir sa situation interne désastreuse. Cependant le 31 janvier 1793 la Convention vote l’annexion de la Savoie et de Nice dans le principe même des « limites naturelles » posées par Danton le même jour, mais contre le principe de libre disposition des peuples .

Ainsi en cette année 1793, la France ne semble pas répondre aux espoirs des « patriotes italiens » et les coalisés sont face à une France révolutionnaire qui a les mêmes ambitions et motivations d’expansion de son territoire que l’Ancien Régime en Italie.

Le 21 novembre, Brissot, dans un discours à la Convention, parle de la nécessité de libérer le Piémont [11]G.Bourdin op.cit., chap.II, p.23. De fait Victor Amédée III reste seul face à la France, l’Autriche n’envoie des renforts que tardivement et les autres états italiens restent neutres dans les faits comme dans le droit, malgré les tractations des ministres anglais.

Enfin à la suite d’offensives et de contre offensives le front finit par se stabiliser entre Ormea et Borghetto en juillet 1795. Le comité de Salut Public voit d’un mauvais œil les « patriotes étrangers » si proches des girondins, il veut stabiliser les frontières, les républiques soeurs sont alors oubliées. Victor Amédée III et ses homologues italiens ont les mains libres pour écraser les révoltes, incitées par les clubs de  Turin, Gênes, Bologne, Macerata et Rome au cours de l’année 1794 [12]Ibid. p.25 et suivantes.

Pendant la période du Comité de Salut Public seul Oneglia, bastion Français ligurien survit à l’abandon, avec à sa tête le commissaire Buonarotti qui bénéficie du soutien de Salicetti et d’Augustin Robespierre (tout comme le jeune Bonaparte s’illustrant à Toulon).

C’est là que sont élaborés des projets révolutionnaires  pour  « la nouvelle Italie ».La stabilisation du front et le retour des victoires françaises causent la chute des Robespierristes dont les méthodes sont devenues intolérables dans une France stabilisée à l’intérieur et victorieuse à l’extérieur [13]J-L. Harouel, op.cit., p.15. Le recul de 1793  avait bloqué les politiques françaises à l’étranger, la stabilisation du front et les victoires qui vont se succéder jusqu’en 1799 permettront à la République un renouveau dans ses essais constitutionnels à l’étranger. On s’était jusque là, limité à appliquer la loi française aux territoires conquis en Italie,  une nouvelle ère permettra de grandes innovations et la propagation du modèle thermidorien à l’Italie.

Les campagnes d’Italie de Bonaparte bases de l’Empire Français

Le 4 avril 1796, le général Bonaparte âgé de 27 ans, connu pour ses actions à Toulon et pour la répression des émeutes de Vendémiaire, prend la tête de l’Armée d’Italie. C’est là l’événement le plus important de l’Histoire de la France moderne et de l’Italie. A partir de ce moment, les yeux de la France révolutionnaire ne se tourneront plus vers le Rhin ou la Hollande, mais vers l’Italie. Les états italiens restés neutres se réveilleront trop tard pour réaliser que l’Europe entière avait déclaré la guerre à la France sans réussir à l’abattre. Désormais la Révolution a son champion et va réaliser les bouleversements tant craints.

On se doit d’examiner d’abord la situation en Italie. Le Piémont a enfin réussi à rallier l‘Italie à sa cause timidement  et reçoit des renforts parmesans et napolitains, l’opinion publique est encore frappée des exécutions des « patriotes locaux [14]Décès des pères et fils Zamboni suite aux mouvements de Bologne, complot de mai 1794 au Piémont suivit d’exécutions….» les journaux libéraux se multiplient, les élites  « éclairées »  préparent les idées révolutionnaires. Le peuple est encore divisé entre son attachement au régime en place et le souvenir de ses nouveaux martyrs dans toute l’Italie de Venise à Florence.

De l’autre côté de l’Italie, le général Bonaparte se prépare à mettre à exécution son plan depuis longtemps présenté à Barras. A la tête de 36000 hommes, il s’apprête à réaliser les plans des « patriotes ». Bonaparte est entouré de Corses et d’Italiens, en la personne des commissaires Buonarotti et Salicetti (lui-même Corse), connaît la langue et  garde un certain attachement à la péninsule [15]Alain Pillepich, Napoléon et les Italiens, NM éditions/ Fondation Napoléon, 2003, p.23-28.

Il avait déjà combattu les Sardes dans un débarquement  qui avait échoué sous les ordres de Buonarotti. Les généraux l’accompagnant, Desaix, Masséna pour ne citer qu’eux connaissent aussi parfaitement le terrain pour y avoir combattu les trois dernières années. Si la campagne et son organisation ne sont pas le sujet de ce mémoire, on se doit de citer la première proclamation de Bonaparte à l’armée d’Italie le 7 germinal an IV [16]Source : site internet : www.napoleon1er.com de M. Albert Martin:

Soldats vous êtes nus, mal nourris ; le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner. (…)Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir ; vous y trouverez honneur, gloire et richesse.

Qui sont ces soldats à qui s’adresse le général ? Des hommes issus des régions frontalières donc des méridionaux que J. Godechot décrit comme « pour la plupart ils étaient ardemment républicains à la manière méridionale, c’est-à-dire que la plupart du temps ils identifiaient l’intérêt de la République avec le leur» . [17]Godechot, l’armée d’Italie.

Ce qui parait le plus évident c’est qu’il n’y a aucune mention de libération des peuples ou de frontière naturelle  dans cette proclamation, on   s’adresse à ces « ardents républicains » sans faire appel à leur sentiment patriotique ou républicain mais bien plutôt à leurs sentiments d’abandon et de faim, faim physique mais aussi de gloire à l’image de leurs homologues « Rhénans ».

Il y a une référence à la dette du gouvernement là encore, cette dette est littérale au sens des arriérés de salaires des troupes  mais aussi politique car le gouvernement n’est en place que grâce à ses victoires renversant la Terreur. Mais aussi envers Bonaparte qui l’a sauvé des royalistes, peut être veut-il confirmer que la campagne d’Italie est un cadeau qu’on lui fait en échange de ses services rendus, en disant « vous » il veut dire « nous ».

« Il ne peut rien vous donner » là, ressort l’idée que l’Italie est un jardin, comme dans tout jardin, c’est à eux d’aller se servir car le verger Français ne peut pas les nourrir….Mais la remarque qui a un rapport le plus direct avec le sujet de notre étude est : « De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir », c’est là l’affirmation des ambitions de Bonaparte de son plan futur de conquérir ces provinces, qui en son pouvoir pourront devenir  ce que bon lui semblera. « En votre pouvoir », l’expression est prémonitoire car nous le verrons Bonaparte tiendra en son pouvoir les états italiens,  il ne mentionne pas le pouvoir de la République, de même dans  l’application de ses idées il ne prendra pas en compte la volonté de la République et appliquera ses desseins propres.

Dès cette déclaration à la portée si importante pour l’Italie, il affirme son indépendance, dictée par les évènements et l’incapacité de la République à répondre aux besoins de l’armée. Les rôles seront inversés. Si le gouvernement ne peut rien pour Bonaparte, lui peut créer et défaire les gouvernements en France et en Italie. En vérité, il affirme son indépendance dès le départ.

Sa deuxième déclaration datée du 7 floréal an IV, soit 20 jours après la première, ses propos prennent une tournure plus « officielle ». Il contredit pourtant le Directoire, qui ne voyait en la campagne d’Italie qu’une diversion pour l’Autriche et en l’Italie même qu’une monnaie d’échange. Bonaparte déclare :

« Soldats vous avez en quinze jours remporté six victoires, (…).Dénués de tout vous avez suppléé à tout.(…)Les soldats de la liberté étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert.(…)Mais il est une condition que vous jurez de remplir : c’est de respecter les peuples que vous délivrez,c’est de réprimer les pillages horribles (…).(…)Peuples de l’Italie, l’armée française vient pour rompre vos chaînes, ; le peuple français est l’ami de tous les peuples :venez en confiance au-devant d’elle; vos propriétés, votre religion et vos usages seront respectés. »

Voilà un discours au premier abord plus classique, plus en accord avec l’idéal révolutionnaire et les ordres de la République, mais il est à noter qu’il est prononcé devant la population locale et que donc les pillages promis autrefois ne peuvent être ici que condamnés…Le plus important à noter est que l’armée d’Italie n’est plus là pour faire la guerre à l’Autriche  et pour la Patrie mais bien pour libérer les peuples d’Italie. Ce qui entraîne une toute autre approche de la gestion de ces populations et du territoire.

L’appel fait au peuple italien est bien sûr un appel à l’assistance aux armées françaises mais aussi un appel à l’insurrection des patriotes. On voit là encore l’influence de ces derniers qui ont encore un rôle à jouer pendant la campagne comme ce sera le cas à Milan [18]Le patriote Salvador y ayant préparé l’accueil de l’armée de  Bonaparte.. Un projet d‘insurrection avait été remis au Directoire dès février 1796 par Buonarotti et Cerisis [19]J-L. Harouel op.cit. p.36-37, mais Buonarotti ne pourra mettre ses projets totalement à exécution étant impliqué dans un complot babouviste causant son arrestation. Le Directoire verra à partir de ce moment les patriotes italiens comme de dangereux babouvistes, mais Bonaparte passe outre cette version officielle et prêche lui aussi pour une Grande République Italienne.

Le 7 mai, le Directoire ordonne la conquête du Milanais et le pillage organisé de ces terres qui ne doivent servir que de monnaie d’échange, la rive gauche du Rhin étant la seule conquête intéressant le Directoire. En cette opinion le Directoire reste sur l’image de jardin à piller du discours du 7 germinal, le discours du 7 floréal va tout à fait contre ce principe puisque Bonaparte se pose en libérateur et non en pillard à la solde de la république. En affirmant le maintien de la religion, de la propriété et des usages il semble écarter l’annexion, puisque la Savoie et  Nice se sont vus appliquer les lois françaises et ont donc par là perdu leurs usages et leur religion officielle.

Dès le début de la campagne, Bonaparte va donc contre les ordres du Directoire et pose les bases de l’unité italienne. Il compare lui-même son armée à celles de l’Est et oriente par là les ambitions de la République vers l’Italie qui de théâtre d’opération secondaire va devenir, à son insu,  le Grand laboratoire constitutionnel  de la France républicaine puis impériale. On peut donc dire que l’Italie napoléonienne s’est faite par et malgré le Directoire qui a donné les moyens à Napoléon Bonaparte de réaliser  ses projets; qui reprenant des idées de  1792 vont contre le Directoire lui-même.

L’Italie entre 1796 et 1814 est-elle donc le fruit d’une évolution faite par les révolutionnaires italiens dont les projets ont été rendus possibles par les campagnes révolutionnaires puis la protection napoléonienne ? Ou s’agit-il de l’œuvre d’un seul homme ? L’évolution institutionnelle de l’Italie est-elle la réalisation de Napoléon Bonaparte, général, Premier Consul puis Empereur et roi suivant toujours ses idées propres ? Quelles ont été ses influences ?

L’Italie de 1796 à 1800 sera en fait celle de Bonaparte (chapitre I) : d’abord c’est le lieu de ses campagnes (Section I) qu’il doit administrer. Puis c’est un formidable champ d’innovations constitutionnelles autour de l’idée des nationalités italiennes (section II) là où il n’y avait pas eu la domination autrichienne. Cette Italie sera récupérée par le Directoire (section III) qui doit gérer ces républiques sœurs qu’elle n’avait pas créées. Le Premier Consul à son retour en Italie engage l’œuvre d’innovation constitutionnelle (section IV) qu’il n’avait qu’expérimenté avant son départ pour l’Egypte.

L’Italie napoléonienne qu’il créera à partir de la Consulte de Lyon (chapitre II), ne sera plus celle des essais constitutionnels mais plutôt des réformes solides d’un Etat établi. Le Royaume d’Italie (section I) est le fruit d’une évolution voulue par l’Empereur des républiques qu’il a créé (section II). Son évolution par la suite permet de réellement nous prononcer sur sa position par rapport à l’Empire (section III).


 

References

References
11804 : Sacre de Napoléon, Code Civil ; 1805 : Couronnement à Milan, Austerlitz.
2J-C Valla , La Nostalgie de l’Empire, une relecture de l’Histoire napoléonienne,les cahiers libres d’Histoire n°12 , Editions SEDE 2004 , p.81 et s.
3Colloque des 28 et 29 novembre 2004 , Regards sur la politique européenne de Napoléon, conf. de S. Marzagalli, Le blocus continental pouvait-il réussir ?, non publié à l’heure actuelle.
4André Fugier, Napoléon et l’Italie , La Roue de la Fortune ,éditions Paris , 1947 ._ Alain Pillepich, Napoléon et les Italiens ,Nouveau Monde Editions/Fondation Napoléon , La bibliothèque Napoléon , 2003 .
5Principauté de Lucques d’Elise Bonaparte, Royaume de Naples sous Joseph Bonaparte puis Joachim Murat, Royaume d’Italie avec Eugène de Beauharnais comme vice-roi.
6G.Bourdin, Formation de l’unité Italienne, collection Armand Colin n°116,Paris 1938, p.22.
7J-L Harouel , Les Républiques sœurs,Que sais-je ?, PUF,Paris 1997, p.4
8Ibid.p.6
9Par opposition aux émigrés royalistes
10C’est le cas de Buonarotti aristocrate toscan poursuivit pour ses articles.
11G.Bourdin op.cit., chap.II, p.23
12Ibid. p.25 et suivantes
13J-L. Harouel, op.cit., p.15
14Décès des pères et fils Zamboni suite aux mouvements de Bologne, complot de mai 1794 au Piémont suivit d’exécutions….
15Alain Pillepich, Napoléon et les Italiens, NM éditions/ Fondation Napoléon, 2003, p.23-28
16Source : site internet : www.napoleon1er.com de M. Albert Martin
17Godechot, l’armée d’Italie
18Le patriote Salvador y ayant préparé l’accueil de l’armée de  Bonaparte.
19J-L. Harouel op.cit. p.36-37