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Hohenlinden – Commentaires

L’évaluation de la façon dont les troupes autrichiennes furent menées est facile – même si le diagnostic fait mal (1) : une armée démoralisée, rassemblée avec difficultés et composée de nouvelles recrues et un commandement qui ne peut être que critiqué : un jeune et inexpérimenté archiduc et son mentor, qui est en fait le décideur, mais qui sa vie durant n’a jamais été qu’un officier du génie. S’ajoute à cela un Weyrother surévalué dont la faiblesse des qualités s’est déjà révélée à Rivoli. L’avis sévère mais pas irrelevant, selon lequel « Weyrother, bien trop tard pour l’Autriche, est mort après les batailles d’Hohenlinden et d’Austerlitz«  est de l’historien bavarois, le lieutenant général Heilmann, auteur d’un ouvrage de référence sur la campagne de 1800 en Bavière.

Que cette armée, sous un tel commandement, ait été envoyée dans la bataille, la faute en revient sans aucun doute à l’empereur François. Son différent avec son frère Charles, bien plus capable, dont l’origine se trouve dans la jalousie d’un monarque moins doué, a privé l’Autriche de la chance de mettre à la tête de l’armée le seul chef  dont le pays disposait et qui, par ailleurs, plaidait toujours pour la paix. Là-dessus vient la croyance aveugle que les Français avaient été battus à Haun et se trouvaient en pleine retraite, et qu’il n’était pas, dans ces conditions, important de se préoccuper des routes et des conditions climatiques.

Dans un rapport confidentiel à sa cour, le lieutenant-général Zweibrücken parle d’ignorance et de bêtise et énumère les fautes qui menèrent à la défaite :

  • manque de coordination des attaques des trois colonnes
  • absence de prise en considération de l’arrivée de la colonne Riesch
  • absence d’éclaireurs dans les bois entre les colonnes
  • négligence de l’absence de réserve
  • encombrement de la route par l’artillerie

Une question reste, après 200 ans, sans réponse : pourquoi la colonne Riesch, qui était pourtant partie de Haag dès 4 heures et demie, n’arriva à Albacing qu’à 10 heures ? Il n’y a aucun doute que l’audacieuse marche de flanc de Richepance sur les arrières du corps de réserve n’aurait pratiquement pas été possible, si Riesch avait atteint Sankt-Christoph plus tôt. L’archiduc Jean a, dans son rapport au Conseil aulique de la Guerre, du 5 décembre, critiqué Riesch pour sa marche en avant trop lente et l’a rendu principal responsable de la défaite. Mais il faut cependant mettre au crédit de Riesch que, d’un coté, il a informé Kolowrat  des problèmes rencontrés par sa colonne, ce dont ce dernier, inexplicablement, n’a pas tenu compte; d’un autre coté la colonne de Baillet-Latour, elle aussi, n’est arrivée qu’à 10 heures à Schnaupping. On ajoutera sur ce point que l’anglais Wickham – ancien chargé d’affaire de la Confédération et chef d’un service d’espionnage, mais à cette époque commissaire britannique pour le paiement des troupes subsidiées, écrit dans un rapport daté du 4 décembre, que la colonne Riesch se serait égarée dans la forêt, et avait donc du faire un détour qui lui avait coûté du temps.

La situation, coté français, est toute autre : l’Armée du Rhin était un instrument incomparable dans les mains d’un commandement supérieur respecté des troupes, ses victoires de l’été, mais aussi leur républicanisme convaincu, avaient forgé un formidable moral de combat. les « Spartiates du Rhin », comme les contemporains les ont dénommés, s’étaient, selon Madame de Staël, tenus à leur « simplicité républicaine », Mathieu Dumas, qui sera plus tard ministre de la guerre de Joseph, roi de Naples, et sous-chef d’état-major de l’armée impériale en Allemagne en 1809, caractérise l’Armée du Rhin de 1800 de la façon suivante :

Cette armée, même si elle n’était pas, du point de vue du nombre, la plus forte, mais sûrement la plus belle que la France ait jamais eu, se trouvait dans un état exceptionnel. Le talent et les efforts du général Dessolle, son chef d’état-major avaient amenés son organisation, sa formation, sa discipline et sa manoeuvrabilité au plus haut niveau de perfection. Son équipement et son armement avait été rénovés et améliorés. L’artillerie, commandée par le général Eblé, l’un des meilleurs officiers d’Europe, avait été réorganisée, presque totalement refondue et répartie de façon significative dans les arsenaux de Augsbourg et de Münich. (2)

Au contraire des autres armées de la République, l’Armée du Rhin avait, en particulier, un mois de subsistances dans ses magasins.

Moreau s’était installé sur un terrain qu’il connaissait depuis le cessez-le-feu et qu’il avait fait reconnaître par Decaen. Il avait prévu  de maintenir les Autrichiens par son aile gauche – Legrand, Ney, Bastoul – et une partie de son centre – Grouchy et la réserve – pendant que le reste de son centre – Richepance et Decaen – prendrait l’ennemi de flanc.

Paris, 9 janvier 1801

Au général Moreau, commandant en chef l’armée du Rhin

J’ai reçu, Citoyen Général, votre lettre du 12 nivôse. Je vous remercie de ce que vous me dites sur l’événement extraordinaire du 3 nivôse (Attentat de la rue Saint-Nicaise).

Je ne vous dis pas tout l’intérêt que j’ai pris à vos belles et savantes manœuvres; vous vous êtes encore surpassé cette campagne. Ces malheureux Autrichiens sont bien obstinés: ils comptaient sur les glaces et les neiges; ils ne vous connaissent pas encore assez.

Je vous salue affectueusement.

Là aussi, une controverse s’est développé, dès le lendemain de la bataille : Moreau a-t-il prévu cette attaque de flanc dès le début, ou bien celle-ci s’est-elle pour ainsi dire produite « par hasard » ?

Sans aucun doute la bataille d’Hohenlinden fut glorieuse pour le général Moreau, pour les généraux, les officiers, les troupes françaises. Ce fut une des plus décisive de la guerre. Mais elle ne doit pas être mise sur le compte d’une quelconque manoeuvre, d’une combinaison, d’un génie militaire. » (Napoléon à Gourgaud, à Sainte-Hélène) (3)

On peut très certainement voir dans cet jugement un moyen, psychologiquement motivé mais peu noble, de dévaloriser un rival et, de ce fait, ne peut être pris au sérieux. Les leçons de Marengo auraient du adoucir le grand guerrier et le rendre plus objectif.

Si l’on veut porter, á ce sujet, un jugement équilibré, il nous faut puiser aux documents et aux ordres.

Je m’attendais à être attaqué par l’ennemi, par Hohenlinden, et j’avais donné l’ordre aux généraux Richepance et Decaen, d’avancer par Christophe et Maitenbeth, et de tomber de toute leur force dans le dos de cette attaque. (Moreau à Berthier, le soir de la bataille) (4)

Toutefois, ce rapport est écrit après la bataille et ne peut donner de preuve définitive. De plus, Moreau ne pouvait en aucun cas savoir que Richepance n’arriverait à Maitenbeth QU’APRÈS le passage de la colonne principale autrichienne. L’ordre de Moreau à Richepance et Decaen n’a pu malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, être retrouvé.

Mais Decaen a fait un rapport clair et précis des opérations de sa division, dans lequel il écrit :

Suite aux ordres qu’il avait reçu, le général Decaen devait suivre la marche du général Richepance, qui, de son coté, devait attaquer en direction de Maitenbeth.

Selon les instructions qu’il avait reçu du général Lahorie , chef d’état-major du centre, où Moreau commandait en personne, il écrit à Decaen, le 3 décembre à 2 heures 30 – c’est-à-dire avant le début de la bataille :

J’ai reçu, mon cher Général, l’ordre d’attaquer, dès que j’aurai atteint Christophe (5)

Grenier, lui aussi, évoque de façon précise, dans les instructions à ses divisionnaires, la tâche de Richepance et de Decaen, qui est d’attaquer l’aile gauche des Autrichiens sur la route de Haag à Hohenlinden, en passant par Sankt-Christoph..

Dans ses Mémoires, non publiées, mais utilisées par Picard dans son étude sur Hohenlinden, Decaen rapporte comment, le soir précédant la bataille, il a devancé sa division pour se rendre au quartier général français à Anzing. Moreau voulait lui donner l’ordre de renforcer l’aile gauche de Grenier. Sur la remarque que, compte tenu de l’état des routes, il ne pourrait être, avec la tête de sa division, à Hohenlinden que vers 2 heures de l’après-midi – c’est à dire trop tard – Moreau lui aurait demandé, s’il pouvait suivre la marche de Richepance. Sur la réponse positive de Decaen, Moreau aurait répondu :

Bon, je voulais tourner l’ennemi avec 10.000 hommes, ce sera avec 20.000 ! (6)

On peut donc bien dire que la manoeuvre d’encerclement des divisions Decaen et Richepance résulte bien des ordres de Moreau. Bien sûr, il ne pouvait savoir où se trouverait l’armée principale autrichienne, sur la route de Haag, à l’arrivée de son aile droite. L’attaque sur les arrières fut sûrement une affaire de chance, qui aide les plus malins. Mais l’attaque sur le flanc autrichien aurait également eu des conséquences décisives.  Mais il faut avant tout saluer la décision intelligente de Richepance – alors à peine âgé de 30 ans – d’avoir décidé cette attaque dans le dos des Autrichiens, avec le peu de troupes dont il disposait. (7)

On a aussi critiqué – et Napoléon le premier à Sainte-Hélène – le fait que Moreau n’ai pas rassemblé son armée avant la bataille, mais au contraire l’a disposée en deux groupes – l’un pour maintenir l’ennemi, l’autre pour l’attaquer sur son flanc. Cela ressemble fortement à la théorie de Moltke : « marcher séparé, attaquer réuni« , comme le montre une comparaison entre Hohenlinden et Königsgrätz. En général, Napoléon n’a pas toujours observé son rejet de l’action concentrée de corps d’armée séparés – comme le montre l’utilisation d’un groupe de trois corps d’armées sous les ordres du maréchal Ney, pour une attaque concentrée sur Bautzen en 1813. Mais la critique formulée par Napoléon est quelque peu fondée, car Moreau ne fut pas en mesure de rassembler totalement l’Armée du Rhin pour la bataille : les deux divisions de Lecourbe – Gudin et Montrichard – et la division Colaud , du corps d’armée Sainte-Suzanne, ne purent atteindre le champ de bataille en temps voulu. (8)

NOTES

(1) Sic. Cette relation est écrite par un historien autrichien

(2) Picard, Hohenlinden, page 36

(3) idem, page 243

Il faut également voir ce jugement à la lumière de ce que Bourrienne rapporte dans ses Mémoires :

« Le 6 décembre, le Premier consul reçut  la nouvelle de la bataille d’Hohenlinden. C’était un samedi, et il revenait juste du théâtre lorsque je lui remis les dépêches. Il dansa littéralement de joie, Je dois dire qu’il n’attendait pas un résultat si important des mouvements de l’armée du Rhin. Cette victoire donnait un nouvel aspect à ses négociations de paix, et le déterminèrent à ouvrir le congrès de Lunéville, qui commença le 1er janvier suivant. » (Louis  de Bourrienne, Mémoires de Napoléon Bonaparte, II)

(4) idem, page 244

(5) idem, page 245

(6) idem, page 171

(7) Pour Jean Tranié « … même s’il n’avait pas prévu que le gros de l’armée autrichienne donnerait sur Hohenlinden, c’est lui (Moreau) qui a choisi la position et qui a confié à Richepance une mission magnifiquement exécutée par celui-ci »

(8) La bataille d’Hohenlinden aura également des conséquences pour le moins fâcheuse quant à la carrière de certains de ses protagonistes, coupables de rester fidèles à Moreau, qui va bientôt se retrouver dans les rangs de l’opposition. Decaen va être envoyé à Pondichéry, Richepance en Guadeloupe, où il meurt en 1802, de la malaria. Dessolle restera de longues années inemployé. Bien plus tard, en 1815, il votera la mort au procès du maréchal Ney.