François-Roch Ledru des Essarts (1765 – 1844)

C’est avec de belles paroles et un bout de ruban que le soldat français court se faire échiner (Lettre de Ledru à sa soeur, 5 juillet 1809, Vienne)

François-Roch Ledru naît le 15 août 1765 [1]La confusion règne ici sur sa date de naissance. Fastes etc. donne 1766, le livre de Jean-Louis Bonnery, indique 1765, citant le Grand Larousse du XIXe siècle, tout en reproduisant un discours de … Continue reading , à Chantenay (Maine).

 

La mairie et l'église Saint-Jean-Baptiste.
La mairie et l’église Saint-Jean-Baptiste. de Chantenay

Fils d’un notaire, il fait ses études chez les Oratoriens du Mans. Il se destine en effet au barreau. Mais, en 1792, la Patrie est déclarée en danger, et le jeune Ledru n’hésite pas, le 8 août, à s’engager. Le 8 septembre suivant, il est nommé capitaine au 2e bataillon des Volontaires. Dès octobre, il participe, au sein de la garnison, à la défense de Lille.

Mon Cher Ami.
Nous sommes ici cantonnés depuis deux jours, occupés à nous retrancher et à abattre les bois qui nous environnent. Notre compagnie de canonniers et nos 6 pièces de 16 sont parties pour l’armée sous Louvain (…) Je commence à me faire une idée d’une campagne; nous avons tant demandé à nous trouve à l’armée qu’enfin nous y voilà. Nos volontaires sont pleins de feu (…) La nuit nous entendons distinctement le bruit du canon et de la mousqueterie (…) Nous nous attendons à être attaqués sous peu (…) (Lettre de Ledru, 12 mars 1794, à Haage, village près de Breda)

Il participe ensuite à la deuxième campagne de Hollande, sous les ordres du général de Flers. En février 1793, il est au siège de Breda, puis, la ville ayant capitulé, il rentre en France.

En septembre de la même année, il est Hondschoote (6/7 septembre), puis à Wattignies (16 octobre). Promu le 6 juin 1794 lieutenant-colonel (chef de bataillon)  il passe à l’armée des Ardennes, au sein de laquelle il participe à la bataille de Charleroi, le 16 juin 1794. Il est, peu après au siège de Maastricht. Une fois la place tombée, son bataillon est envoyé à Coblence, est amalgamé au 19e régiment d’infanterie (Flandres). Il sert désormais dans la 55e demi-brigade (qui deviendra en 1804 le 55e régiment de ligne)

Alors qu’il participe au blocus de Mayence, il est envoyé, en janvier 1797, à l’armée d’Italie, dans la division de Bernadotte. Il se distingue rapidement, au passage du Tagliamento (16 mars 1797), puis à la prise de Gradisca (19 mars). Chargé de garder pendant la nuit les gués de l’Isonzo, il repousse avec son bataillon une colonne de cavalerie autrichienne venant de Gorizia et la rejette dans la rivière.  Durant les négociations de paix, il séjourne à Graz,

Vue de la ville de Graz de nos jours
Vue de la ville de Graz de nos jours

Les généraux autrichiens viennent visiter les nôtres et se promènent ensemble dans notre camp. La joie est peinte sur tous les visages. Il faut avoir fait la guerre, il faut avoir été témoin de tous les fléaux, de toutes les horreurs qu’elle entraîne après soi, pour apprécier cet évènement. Nos triomphes sont bien glorieux, sont mémorables à jamais, mais ils nous coûtent bien du sang. Notre demi-brigade n’a pas cessé d’être maltraitée. En moins d’un mois, elle a perdu un chef de bataillon, 9 officiers et environ 250 soldats

La ville de Gratz, sous les murs de laquelle nous campons, est grande et bien bâtie et n’est éloignée de Vienne que de 30 lieues. Elle nous a été donnée en otage pendant la ratification du traité de paix. La citadelle est très forte, les femmes y sont belles comme des anges (mon expression n’est pas exagérée) et se mettent avec beaucoup de goût. Le spectacle y est très bon, on y donne bals et concerts en notre honneur : la paix a enivré tous les esprits.(Lettre de Ledru à sa mère – 24 avril 1797

puis, la paix ayant été signée à Campo-Formio, le 17 octobre 1797, sa demi-brigade reçoit l’ordre d’embarquer à Ancône, pour se rendre à Corfou. L’expédition échoue en raison du mauvais temps et les troupes de Ledru, revenue à Ancône, se rende à Naples et passent sous les ordres de Championnet, à l’armée de Rome, à la fin de 1798, puis à l’armée de Naples, à la fin de janvier 1799

Ledru fait alors la difficile campagne des Abruzzes. Il participe à la prise de Modène, sous les ordres de Macdonald, puis est à la bataille de la Trebbia, au cours de laquelle il est blessé. Il est nommé, sur le champ de bataille, chef de brigade (colonel – 19 juin 1799).

Jean Masséna.
Jean Masséna.

L’année suivante, il combat sous les ordres de Masséna, puis de Suchet. C’est lui qui défend la tête de pont sur le Var. La nouvelle de Marengo (14 juin 1800) amène les Autrichiens à faire retraite et Ledru les poursuit avec énergie,  faisant prisonniers deux régiments hongrois (Jordis).

Durant la période de paix, Ledru est envoyé au camp de Bruges, puis à Flessingue, enfin au camp de Boulogne.

 

C’est là que Ledru est nommé membre (11 décembre 1803) puis officier (14 juin 1804) de la Légion d’honneur.

Je crois vous avoir dit, mon ami, que mon régiment est campé tout près de Boulogne sur la hauteur, à portée de canon de la mer.  De ma baraque, je vois je vois des vaisseaux anglais qui croisent devant  notre rade et qui ne peuvent empêcher nos bateaux et nos chaloupes canonnières d’entrer journellement dans le port et de grossir la flottille. Plus de 400 voiles s’y trouvent déjà rassemblées et sont capables de transporter une armée nombreuse sur le sol de nos voisins dont nous apercevons distinctivement les côtes. 10 à 12.000 ouvriers travaillent jour et nuit à agrandir et creuser le bassin. Boulogne présente dans ce moment le spectacle le plus imposant. (…) Par les détails que je vous donne, vous voyez, mon cher ami, que l’expédition n’est plus un problème. Toute l’armée la désire, dans l’espoir de terminer bientôt la guerre et de jouir d’une solide paix qu’aucune puissance n’oserait plus rompre (…) Le Grand Conseil de la Légion d’honneur a bien voulu me nommer membre de cette Légion. Le Grand Chancelier vient de m’adresser mon brevet; vous apprendrez certainement cette nouvelle avec plaisir, mon Cher Ami. L’honneur qu’on m’accorde flatte ma famille. (…) Les pluies sont continuelles ici; les coups de vent sont extrêmement violents et je crains quelquefois que ma baraque ne me serve tout à coup de bonnet de nuit. (Ledru à Lepron – son beau-frère, , 1er janvier 1804, camp de Saint-Omer)

Lorsque les hostilités contre la Troisième Coalition reprennent, Ledru et le 55e régiment d’infanterie de ligne, au sein de la division Saint-Hilaire du IVe corps d’armée, quittent, le 25 août 1805, Boulogne en direction de la Bavière. Au cours de cette campagne d’Allemagne, Ledru va passer le Danube à Donauwoerth, participer à la prise de Memmingen et à l’enfermement de Mack dans Ulm. Après la reddition de cette place, le 55e régiment d’infanterie de ligne se dirige sur Vienne

Depuis plus de six semaines, mon cher ami, je voulais te donner de mes nouvelles, mais nos marches forcées et le manque de courriers, m’en ont empêché (…) malgré des fatigues et des privations de toute espèce, je me porte encore très bien. Les gazettes publics t’ont déjà appris nos succès extraordinaires. Anéantir en 15 jours une armée de cent milles hommes, faire plus de soixante mille prisonniers, prendre 90 drapeaux et au-delà de 200 pièces de canons sont des trophées de gloire dignes de notre empereur. Nous marchons maintenant contre les Russes et les réserves autrichiennes qui n’ont pas osé nous attendre dans les positions formidables de l’Inn et de la Salza et nous ont abandonné des places fortes et des munitions de toutes espèces. Nous ne sommes qu’à quatre journées de Vienne, ou nous espérons entrer après avoir encore battu ces  (…) Ils nous croyaient embarqués pour l’Angleterre et sont tombés des nues quand ils ont su que nous avions passé le Rhin. Ils ne comptaient pas entrer en campagne avant le mois de mars prochain, la surprise des premiers officiers prisonniers, auxquels j’ai parlé, était réellement plaisante.

Toute l’Allemagne est soulevée d’indignation contre l’empereur d’Autriche qui a attiré le fléau de la guerre dans son pays. (Lettre de Ledru à Lepron, Wels, 5 novembre 1805)

où il arrive le 12 novembre 1805

Je suis extrêmement fatigué. Mon régiment vient de faire 18 lieues, à marche forcée, pour retourner contre les Russes qui avaient fait mine de couloir repasser le Danube à Krems.  Demain, je traverse Vienne. Hier, je couchais sur la paille et je buvais de l’eau; aujourd’hui je loge dans une des maisons de chasse de l’empereur Joseph et de grands laquais sont à mes ordres et servent une table somptueuse. Ainsi va le monde et la guerre. Je ne te parle point des prisonniers et des canons qui tombent en notre pouvoir, les gazettes te le diront. Nous marchons vers Olmutz. (Lettre à Lepron, 13 novembre 1805, dans les faubourgs de Vienne)

Puis il passe à Hollabrunn, continuant sa route en direction de Znaïm, Nikolsbourg, Brünn et Wischau. Après un bref engagement, le régiment se retire et rallie la Grande Armée.

Le 2 décembre 1805, c’est la bataille d’Austerlitz. Le 55e est à la gauche du IVe corps, avec le 43e. Il va prendre une part active à la prise du plateau de Pratzen. Dès le début, le général Varé, commandant la brigade, est tué. Ledru, resté seul, rallie le 2e bataillon du 43e. Dans la demi-heure qui suit, à l’assaut des positions russes, sa brigade va perdre plus de 300 hommes, mais va réussir à s’emparer de 14 canons [2]Lorsque, peu après, Ledru présente lui-même ses prises à Napoléon et au maréchal Soult, il est récompensé par un laconique « C’est fort bien « , de l’Empereur. Un peu plus tard, Ledru est envoyé s’emparer du château de Sokolnitz, avant d’être dirigé sur Melnitz, où il assiste à la déroute des Russes au passage des étangs.

Le 11 décembre, Ledru envoie un compte-rendu de la bataille :

Je suis échappé sain et sauf, mon Cher Ami, aux dangers de la bataille d’Austerlitz. Tu liras sans doute avec intérêt quelques détails sur ce qu’a fait mon régiment dans cette célèbre bataille.

La 1e division du corps du maréchal Soult, commandée par le général Saint-Hilaire, et dont le 55e fait partie, avait été dirigée par l’Empereur pour commencer l’attaque et devait couper l’armée ennemie dans son centre. Le 11 (note : Frimaire) à la pointe du jour elle marcha en colonne vers les hauteurs de Pratzen. J’obliquai à gauche avec mon corps et le 2e bataillon du 43e régiment pour enlever une batterie de six pièces de canon qui nous prenait en flanc et nous faisait beaucoup de mal. Elle était défendue par deux régiments russes. Dans un instant, mon général de brigade et mes trois chefs de bataillons furent mis hors de combat. Je pris le commandement. Je fis doubler le pas en faisant un feu terrible. L’ennemi fut culbuté et son artillerie tomba en notre pouvoir. Ces deux régiments (note : mot illisible) coururent en désordre se rallier à 300 pas de là, derrière un corps de quatre mille hommes occupant une hauteur avantageuse, avec huit pièces.  Je n’hésitai pas à l’attaquer quoiqu’il fut deux fois plus nombreux que moi, et faisant faire les feux de bataillons en avançant. J’emportai cette position aussi rapidement que la première. Presque tous les canonniers furent tués sur leurs pièces et cette seconde artillerie tomba également au pouvoir de mon régiment. Cet avantage me coûta cher, puisqu’en moins de cinq minutes la mitraille et les balles me firent perdre trois cents hommes et frappèrent mon cheval. En arrivant sur la hauteur, je m’attendais à être vigoureusement reçu à la baïonnette par les Russes tant vantés, mais ils gagnaient en fuyant le village de Pratzen : un feu roulant les abattait par centaines et la terre était jonchée de leurs morts.

J’allais entrer dans Pratzen et détruire complètement cette colonne, lorsque les cuirassiers de la garde impériale de Russie accoururent au galop pour la sauver et me charger. Je me formais lestement en masse et quoique mes tirailleurs allaient à 50 pas leur tuer du monde, ils n’osèrent m’attaquer. Ce fut alors que le maréchal Soult avec la division du général Vandamme. Il me fit les compliments les plus flatteurs et je rejoignis le général Saint-Hilaire, qui se trouvait à deux lieues de là, en mesure d’attaquer le château de Sokolnitz, où mon régiment fit près de 400 prisonniers dans le parc. Jusque là, le soldat avait tué sans miséricorde et n’avait pas voulu prendre personne, en représailles de la cruauté des Russes. Vers quatre heures, lorsque les débris de l’armée ennemie étaient acculés au lac de Menitz, l’Empereur passa prés de moi, m’appela et eu la bonté de me témoigner sa satisfaction sur la conduite de mon régiment et de me donner des détails sur les résultats de la bataille..

Tu les liras dans les rapports officiels. Jamais armée française ne fut couverte de tant de gloire. Le 55e a perdu  344 (?) hommes, dont 18 officiers; mes deux chefs de bataillons et 8 capitaines ont été gravement blessés. (Lettre à son beau-frère – 11 décembre 1805, Vienne)

Sa vaillante conduite à Austerlitz vaut à Ledru sa promotion au grade de général de brigade, qu’il reçoit le 24 décembre 1805. Après la bataille, il séjourne à Vienne :

Je viens d’arriver à Vienne, garnison de faveur où je compte un peu me reposer car je suis extrêmement fatigué. Je loge dans une belle auberge où la ville me paye une table de six couverts, 2 domestiques, un carrosse et mes entrées aux théâtres. Tu vois que je ne suis pas trop malheureux. (Lettre à son beau-frère – 11 décembre 1805, Vienne)

Après la paix de Presbourg, il suit le maréchal Soult à Passau, recevant le commandement de la 1e brigade de la 3e division (général Legrand) du IVe corps d’armée [3]Il remplace le général Merle, Sa brigade se compose  du 26e léger (Pouget), du 18e de ligne (Ravier) et du 75e de ligne (Lhuillier), complétés par le 1er bataillon des Tirailleurs corses … Continue reading

C’est avec cette brigade qu’il fait la campagne de 1806, durant laquelle il est à Iéna (14 octobre 1806), où il est de nouveau légèrement blessé. Durant la poursuite de l’armée prussienne, il est à la prise de Lübeck (6 novembre) [4]La division Ledru pénètre la première dans la place, suivie bientôt par les troupes de Bernadotte, qui scelle la capitulation de Blücher

Au début de 1807, Ledru est au quartier-général de Makow, d’où il écrit à sa mère :

(…) Les rigueurs de l’hiver et l’impossibilité de faire suivre l’artillerie dans les chemins les plus affreux que j’aie vus de ma vie ont depuis dix jours arrêté la marche de l’armée. C’est bien dommage. Les Russes, sans cela, seraient déjà chassés de toute la Pologne. Partout Ils ont cédé à nos troupes en abandonnant la plus grande partie de leurs canons et de leurs bagages. La journée du 26 décembre à Pultusk leur a fortement rappelé Austerlitz.

Les quatres bataillons et l’artillerie légère de ma brigade sont cantonnés sur les bords de l’Arzie (sic), occupant une ligne de six lieues et appuyant leur droite sur la Narew. Je forme toujours l’avant-garde du corps d’armée du maréchal Soult.

Le peuple polonais est pauvre et misérable dans un pays extrêmement fertile. Il est à deux siècles de nous pour la civilisation et l’industrie. Nous passerons un hiver bien moins agréable qu’en Bavière (…) (8 janvier 1807)

Durant cette campagne de 1807 en Pologne, Ledru est à Hof, le 6 février, résistant pendant deux heures aux attaques des Russes [5]Il a deux chevaux tués sous lui.. Le 8 février, c’est la bataille d’Eylau. Ledru, à la tête des 26e léger et 18e de ligne, combat non loin du cimetière. C’est là qu’il est grièvement blessé et laissé pour mort. Il n’en parle cependant pas vraiment dans sa lettre à son beau-frère, écrite deux jours après la bataille :

Napoléon à Eylau - Gros
Napoléon à Eylau – Gros

La campagne se continue malgré les rigueurs de la saison. Messieurs les Russes n’ont pas voulu nous laisser longtemps en cantonnement, mais ils ont déjà payé cher le mouvement offensif qu’ils ont fait sur nous. Ma brigade, pendant trois jours, a combattu sous les yeux de l’Empereur. et a obtenu de grands succès en s’emparant de six pièces de canons et tuant à l’ennemi un grand nombre d’hommes (…) J’ai couru beaucoup de dangers, mon cheval a été tué sous moi et j’ai le corps tout meurtri de coups de feu. Heureusement je me portes bien encore.

La bataille d’Eylau a été très sanglante. Les Russes ont laissé la plaine couverte de leurs cadavres et ils nous ont abandonné 30 pièces de canons et près de 10.000 blessés. La Grande Armée se concentre et tout annonce qu’une grande bataille ne tardera pas à avoir lieu (…)

Je suis bien vieillis et (…) j’annonce plus que mon âge; les cheveux gris se montrent et mon visage se ride.

Mais ses blessures ont du être cependant sérieuses, car, le 4 avril, il écrit à sa soeur :

Je me portes bien et je ne me ressens presque plus de me blessures. Je souffre bien  un peu, le matin, de la poitrine; mais la douleur diminue journellement et n’a rien de dangereux, dans quinze jours il n’y paraîtra pas du tout. (Maldenten, 4 avril 1807)

Tout en précisant :

(…) Je chasse, je pêche d’excellents poissons dans un lac immense qui se trouve sous mes fenêtres et je me déshabille pour dormir à mon aise dans un bon lit. Je trouve cette jouissance là toute extraordinaire ayant presque toujours couché sur la paille puis le mois d’octobre souvent au bivouac et n’ayant pas le temps de quitter mes bottes et de me raser une fois dans quinze jours.. Je t’assure, ma chère mère, que la gloire coûte un peu cher.

Il revient également sur la bataille de Hof :

Des personnes éminentes en grade ont parues fâchées de la manière trop laconique dont la description du combat de Hof a été faite et m’ont dit que j’en avais assez fait ce jour là pour être nommé dans le Bulletin. Pour moi, je m’en console, j’ai fait mon devoir et je sais bien que pour les Affaires Générales présentées sous les yeux de Sa Majesté, on nomme rarement les officiers. Il n’en est pas de même des affaires particulières qui ont lieu sur les flancs de l’armée; ceux qui les commandent font de longs rapports,  nomment jusqu’au capitaines et ces rapports sont souvent imprimés.

En juin, de nouveau sur pied, Ledru quitte à regret sa « résidence »

(…) Demain je quitte le beau château que j’habite depuis deux mois pour aller camper à une lieue d’ici. Mon bon vieux baron et sa famille me regrettent beaucoup. Tout le monde pleure. J’ai préservé cette maison du pillage et de beaucoup de réquisitions et de vexations et j’ai adouci les maux inséparables de la guerre, autant qu’il a dépendu de moi. Je regrette également mes hôtes : ma santé était délabrée lorsque je suis arrivé chez eux et leurs soins ont beaucoup contribué à la rétablir. J’y laisse une sauvegarde et je viendrai quelquefois les voir. (Lettre à son frère)

A la tête de sa brigade, [6]26e léger, bataillon des tirailleurs corses, bataillon des tirailleurs du Pô   il combat à la bataille d’Heilsberg, le 10. [7]Sa brillante tenue lors de cette journée, et notamment la manière dont il  maintint en carré le seul bataillon qui lui restait, permettant à Murat, Soult, Lasalle, d’Espagne, Belliart et … Continue reading Peu après, il participe activement à la prise de Königsberg. En octobre, il tombe malade :

J’ai payé un petit tribut aux marais qui m’avoisinent et j’ai eu les fièvres pendant quelques temps (…) Je suis bien rétabli. J’ai bon appétit et je monte à cheval aussi souvent que le temps me le permet (…) Depuis 16 ans que je fais la guerre, c’est la première fois que j’au dû garder la chambre aussi longtemps, c’est à dire pendant plus d’un mois.

Le 20 avril 1808, Ledru annonce à sa soeur que l’Empereur vient

« de (lui) donne une nouvelle preuve de sa bienveillance en (lui) accordant en Westphalie un domaine qui vaut dix milles francs de revenus net, exempts de toutes charges et frais. Dans le mois dernier Sa Majesté avait daigné (lui) faire un cadeau de vingt cinq mille francs »

Le 24 février 1809, Ledru est fait baron de l’Empire et prend le titre de baron des Essarts [8]Nouvelle confusion de date ici. Six indique la date du 23 février 1809, mais « Fastes etc. » celle du mois d’août 1810, n’hésitant pas à préciser même que cette nomination vient … Continue reading. Mais, informant sa soeur, il précise :

J’avais oublié de t’annoncer mon nouveau titre de noblesse. Tu sais que j’avais déjà le titre de chevalier. Je ne t’ai pas priée de faire mystère de ces faveurs. Cependant je ne serais pas content si on affectait de les prôner. Ne vas pas me donner ces titres en m’adressant tes lettres.

Le 13 mars suivant, sa brigade est jointe au corps du maréchal Masséna, avec lequel il va faire la campagne d’Autriche de 1809  [9]Division Legrand, 26e léger et 18e de ligne. Le 7 avril, il est près d’Augsbourg.

J’ai rejoint le corps d’armée qui se rassemblait sur le haut Danube. Déjà le maréchal Masséna, duc de Rivoli, était arrivé á Ulm. Il m’a très bien accueilli. J’ai dîné deux fois chez lui. Je ne l’avais vu qu’en passant, en Italie. (…) Nos armées s’organisent rapidement en Allemagne. L’Empereur doit, espère-t-on, venir nous commander en personne. C’est le premier de nos voeux. De son coté, l’Autriche rassemble ses troupes. Il n’y a point encore eu d’hostilités. Ma brigade est composée des 26e régiment d’infanterie légère et du 18e régiment de ligne. Très beaux et très nombreux ils vont recevoir dans une quinzaine 800 hommes des des fusiliers de la Garde. J’attends un bataillon de chasseurs du Grand-Duc de Berg. Je vais encore commander l’avant-garde, puisque mon général de division, le comte Legrand, commande la 1e division.

Bientôt :

Le Rubicon est passé. Les Autrichiens ont traversé l’Inn et mis le pied sur le territoire bavarois. Ce mouvement offensif de leur part en a occasionné un de notre corps d’armée. Le 12, nous fîmes une marche forcée pour nous concentrer. En ma qualité de commandant de l’avant-garde je passais le Lech à Landsberg et je poussais des postes à cinq ou six lieues sur la grande chaussée de Munich et sur le haut Lech, vers le Tyrol (…) Les Autrichiens manoeuvrent avec une lenteur et une circonspection toute particulières. Hier ils n’avaient pas encore passé l’Iser, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas fait, sur leur front, 15 lieues en dix jours. (…) Nous attendons l’Empereur d’un instant à l’autre. Déjà le prince de Neuchâtel, Major Général, est arrivé à Donauwoerth et nous avons l’ordre d’être prêts à marcher à toute heure.

(…) Ma brigade est superbe, elle est forte de 7 bataillons formant 5.200 hommes, savoir : 3 bataillons du 26e léger; 3 du 18e de ligne et 1 de Tirailleurs du Grand-Duc de bade, armées de carabines rayées, comme celle que j’ai envoyée à Lepron. (Lettre de Ledru à son frère, Turkheim, 17 avril 1809

La campagne de 1809 est lancée. Ledru sera présent à Landshut, à Eckmühl, à Ebelsberg (3 mai).

Les combats sur le pont
Les combats sur le pont d’Ebelsberg

Un peu plus tard, Ledru s’insurgera contre la manière dont le Bulletin décrira cette sanglante bataille d’Ebelsberg :

M. le maréchal Masséna, duc de Rivoli a témoigné son mécontentement sur l’inexactitude (du Bulletin) qui rend compte du combat d’Ebelsberg, où il semble que son corps, c’est-à-dire ma forte brigade n’a fait que peu de chose. tandis que c’est elle qui a poussé la division Claparède qui n’est point allée au-delà du pont. C’est moi qui ait forcé le château et débouché dans la plaine avec 5 bataillons devant une armée. L’incendie n’a éclaté qu’après mon passage. 800 hommes ont été faits prisonniers dans le château, ils n’ont point été brûlés. Les flammes n’ont atteint que les morts et les blessés. Ce bulletin m’a dégoûté et a mis de mauvaise humeur tout notre corps d’armée. Les détails que j’ai donnés sont d’une exacte vérité. (Lettre à sa soeur, 27 mai)

Lorsque la Grande Armée arrive à Vienne, c’est la brigade Ledru qui reçoit la tâche d’occuper le Prater, en avant de la ville. Quelques jours plus tard, les 21 et 22 juin, c’est la bataille d’Essling, au cours de laquelle il combat avec énergie à Aspern. Lorsque la retraite française est ordonnée, Masséna laisse Ledru sur la rive gauche du Danube, pour couvrir le mouvement. Ledru passe dans l’île Lobau le matin suivant seulement.

Le 27 mai, il raconte à sa soeur les évènements qui viennent de se dérouler.

Le corps d’armée du duc de Rivoli a passé sur la rive gauche du Danube et a eu dans les journées des 21 et 22 un engagement aussi meurtrier qu’opiniâtre avec l’ennemi six fois plus nombreux et muni d’une immense artillerie. Notre pont de bateau ayant été rompu, notre artillerie n’a pu passer qu’une très petite quantité et plusieurs corps d’armée que nous avions sur la rive droite ont été spectateurs du combat sans pouvoir venir y prendre part.  L’ennemi a fait tous ses efforts pour nous forcer dans nos positions et n’a pas réussi à nous faire perdre un pouce de terrain. Des colonnes de 7 à 8.000 hommes se lançaient contre un seul régiment et ne l’entamaient point. Jamais l’armée française n’a mieux prouvé sa supériorité d’audace, de manoeuvres et d’énergie. Ma brigade a pendant deux jours combattu à la gauche de l’armée C’était le point capital, celui par où les Autrichiens se sont constamment efforcés de pénétrer pour arriver à la petite branche du Danube sur laquelle était notre 3e pont. Le village d’Asparn, qui faisait en cet endroit le grand sujet de la querelle n’est plus qu’un monceau de cendres, encombré de cadavres. Cinq fois j’en ai chassé l’ennemi avec les 26e et 18e régiments. A la fin, les flammes n’ont permis à personne de l’occuper. Les deux colonels de na brigade sont grièvement blessés, mes meilleurs officiers ont été moissonnés et pourtant notre perte n’est pas considérable. J’ai reçu deux contusions, mon cheval deux balles. Je me porte bien. Nous sommes toujours en présence. Le Bulletin te donnera les détails.

Une nouvelle fois, il exprime sa lassitude :

Je vieillis et ma santé s’en va. Il me tarde de devenir le compagnon de ton mari et de rivaliser avec lui de jardinage, de plantations, etc.

Les tentes impériales dans l'île de Lobau
Les tentes impériales dans l’île de Lobau

Durant le mois de juin, la brigade Ledru campe dans l’île Lobau

Je suis dans une île du Danube, comme Robinson (…) Je vais te dire quelque chose qui te fera plaisir. L’Empereur en passant dernièrement près de ma brigade, m’aperçut, détourna son cheval, vint à moi et daigna me dire des choses extrêmement obligeantes, entr’autres : « on m’avait dit que vous étiez blessé, j’en étais fâché; je suis bien aise de vous voir bien portant » Deux jours après le prince vice-connétable m’écrivit pour m’annoncer que Sa Majesté m’avait  nommé chevalier de l’ordre royal de la Couronne de Fer, ainsi je porte, à présent, deux décorations.

(…) Toutes nos forces se concentrent; l’armée d’Italie a fait sa jonction; l’ennemi chassé de tous les points s’est également concentré : il y aura sous peu des évènements. Le prince vice-roi d’Italie est venu visiter notre camp. Je pensais que cinq ans d’absence et de haute élévation auraient effacé de son souvenir l’ancien colonel du 55e régiment, mais (il) m’a abordé et entretenu avec le même ton de bonté et d’amitié dont il m’honorait autrefois. (Lettre à sa soeur, 8 juin 1809)

Le 30 juin [10]« Fastes etc.  » donne le 1er juillet, Ledru reçoit l’ordre d’aller prendre position sur la rive gauche, pour faciliter la mise en place d’un pont sur le petit bras du fleuve, face aux redoutes que les Autrichiens ont installées. Ledru fait rapidement passer ses soldats, qui parviennent à s’emparer des soldats autrichiens. C’est au moment où il se dirige vers Aspern  qu’un coup de feu atteint Ledru au cou et l’étend sans connaissance.

Le pauvre chevalier de la Couronne de Fer a reçu le 30 juin, à 8 heures du soir, un coup de feu qui lui a traversé le cou; il a perdu beaucoup de sang, mais par un bonheur tout particulier, la blessure n’est point dangereuse et il en sera quitte pour garder le lit et la chambre pendant sis semaines (…) Je me porte aussi bien que ma position peut le permettre. Je n’ai pas le moindre accès de fièvre et la suppuration est établie Je suis parfaitement logé et soigné chez le prince de Zinsendorf et je suis entre les mains d’un chirurgien major de premier ordre. Je ris et je cause dans mon lit,je suis gai, mais je suis laid à faire peur aux amis qui s’empressent de venir me voir.

(…) Le maréchal duc de Rivoli est venu me voir le soir même à l’ambulance et m’a dit les choses les plus affectueuses. Le lendemain, il en a parlé à l’Empereur qui a répété plusieurs fois « ce pauvre Ledru, j’en suis fâché. Sa Majesté a daigné ajouter d’autres choses flatteuses.

C’est avec de belles paroles et un bout de ruban que le soldat français court se faire échiner (Lettre à sa soeur, 5 juillet 1809, Vienne)

Il ne pourra donc pas être à Wagram

Après la bataille d’Essling, où j’avais reçu une contusion à la poitrine, je fis l’arrière-garde pour rentrer dans la grande île du Danube et je ne passais le bras de ce fleuve que le 23 à 7 heures du matin, c’est-à-dire le dernier et le pont fut rompu presque sous mes pieds. Lorsque l’empereur voulu recommencer les opérations offensives le 30 juin, c’est encore ma brigade qui a eu l’honneur de passer le fleuve la première et de tirer le premier coup de fusil, mais cet honneur m’a valu, cette fois, celui d’être emporté sur deux fusils par quatre carabiniers jusqu’à ce que je fus revenu un peu à moi. Tout ce qui me fâche c’est qu’une méchante affaire où je n’ai pas eu trente hommes touchés, m’ait privé de l’avantage de combattre aux journées célèbres des 5 et 6  dont le Bulletin a maintenant rendu compte.

L’ennemi continue à se retirer devant nous. Notre corps d’armée était avant hier sur la Thaya devant la ville de Znaim.

J’ai été remplacé dans ma brigade par un colonel de la Garde [11]Il est remplacé à la tête de sa brigade par le général Stabenrath qui reçut à onze heures son brevet de général avec ordre d’être rendu à midi à son poste. J’espère que ce remplacement n’est que provisoire. Je tiens à ma brigade d’avant-garde que je commande depuis Austerlitz, que je connais en détail et qui m’aime.

Ledru est donc à Vienne le 15 août 1809, jour anniversaire de la naissance de l’Empereur :

Sa Majesté a daigné m’accueillir avec une distinction et une bienveillance extrêmement honorables, en s’informant de ma santé et des détails de ma blessure et de ma convalescence. Une foule immense remplissait les appartements du palis et présentait ses pétitions. Je n’ai rien demandé pour moi, mais ce jour là-même l’Empereur a rendu un décret un décret qui m’accorde un nouveau domaine de dix mille francs de rente. (Lettre à son beau-frère, 24 août 1809, Vienne)

Ledru est envoyé, le 10 janvier 1810, commander la 1e brigade de la division Legrand au camp de Saint-Omer. Le 31 juillet 1811, il est enfin nommé général de division, ainsi que, le 15 septembre, commandant la 2e division du camp de Boulogne, sous les ordres du maréchal Ney. Le 10 janvier 1812, il commande la 10e division d’infanterie du corps d’observation des côtes de l’Océan.

Le 1er avril 1812, Ledru est nommé à la tête de la 1e division du IIIe corps d’armée de Ney, avec laquelle il va participer à la campagne de Russie.

Passage du Niémen par Raffet
Passage du Niémen par Raffet

Il passe le Niémen, en juin, avec la Grande Armée :

Les hostilités sont enfin commencées après des marches rapides et pénibles contremarches pour tromper l’ennemi. La Grande Armée a passé le Niémen les 24, 25 et 26 juin à Ponémion (?), sans éprouver de résistance. Le 3e corps, dont ma division fait partie, a remonté la ive gauche de la Wilia jusqu’à une journée au dessous de Wilna. Là, il a jeté un pont de chevalets et a passé sur la rive droite de la rivière, d’où faisant trois marches, environ 25 lieues, il s’est arrêté à Maliatoni, petite ville de bois, habitée par des Juifs et qui se trouve à l’embranchement de deux routes dont une à droite conduit à Dinabourg et l’autre `Riga.

On s’attendait à une grande bataille sous les murs de Vilna, mais l’armée russe séparée en plusieurs corps par le résultat de nos manoeuvres a eu peur d’être coupée et s’est empresser d’abandonner la capitale de la Lithuanie et de regagner la Dwina, qu’elle a, dit-on. déjà repassée, et où elle va probablement prendre des positions retranchées. Elle a si subitement abandonné la Lithuanie que je n’ai pas encore vu que quelques postes de cavalerie, toujours se sauvant à mon approche. Cette retraite précipitée, pendant laquelle les Russes ont brûlés quelques magasins de seigles et de fourrages ressemble à une fuite et doit nécessairement décourager leurs soldats et détruire cette confiance en soi-même, si nécessaire au commencement d’une campagne.

Je ne saurais t’apprendre autre chose; à peine  connais-je la position des autres corps d’armée. Les bulletins t’apprendront, ainsi qu’à moi, l’ensemble des opérations. Nous nous reposons depuis trois jours. L’Empereur est encore à Wilna. L’armée se porte bien, quoiqu’un peu fatigué, amaigri et noir comme un corbeau. Je conserve ma santé.

La chaleur est extrêmement forte, mais tempérée par de fréquentes pluies d’orages; nous n’avons presque pas de nuit, c’est un crépuscule d’environ deux heures.

La partie de la Lithuanie que j’ai parcourue est assez fertile, mais les 2/3 de la surface sont couvert par des lacs et des forêts. Pour la culture et la population elle diffère peu d8 grand-duché de Varsovie Les habitants nous voient avec plaisir Les seigles sont de la plus grande beauté et la récolte sera abondante, ce qui nous rendra bien service (Lettre à son frère, 8 juillet 1812, camp de Maliatoni, en Lithuanie)

Le 14 août 1812, [12]Selon « Fastes… », « Ledru, à la tête du corps d’armée, enlève la ville de façon énergique ». Digby Smith, de son coté, écrit que la 10e division Ledru « en réserve, ne … Continue reading à Krasnoe, Ledru, à la tête du corps d’armée, enlève la ville de façon énergique. Deux jours après, il est devant Smolensk, à la gauche de l’encerclement de la ville que les Russes évacuent cependant sans combats le surlendemain. Leur arrière-garde est toutefois battue à Valoutina (19 août), bataille au cours de laquelle le général Gudin est tué et remplacé par Ledru. Celui-ci sera nominativement cité dans le Bulletin.

A la bataille de la Moskowa (7 septembre 1812), la division du général Ledru des  Essarts [13]La 10e division d’infanterie di IIIe corps d’armée de Ney, se compose du 24e léger (général Gengoult), de la légion portugaise et du 1er régiment d’infanterie (colonel Pego), … Continue reading se dirigeant sur la grande redoute de Semenowskaya, qui est enlevée par le 24e léger, le 57e de ligne y pénétrant en même temps. La division du général russe Nemerofskoi et les grenadiers de Woronzoff tentent inutilement de la reprendre. Le 24e léger, et les 46e et 72e de ligne, barricadent  à la hâte les brèches de la palissade avec des caissons russes, s’y défendent avec énergie et s’y maintiennent. Ledru a un cheval tué sous lui.

L'incendie de Moscou
L’incendie de Moscou

A la fin de septembre 1812, Ledru assiste à l’incendie de Moscou :

Depuis huit jours, nous sommes maîtres de la capitale de la Russie, mais un incendie, allumé par les Russes eux-mêmes et par ordre de leur gouvernement, nous a privé d’une partie des ressources que renfermait cette ville immense. Moscou n’est plus qu’un amas de cendres et de décombres (Lettre à sa soeur, 21 septembre 1812, Moscou)

Ledru s’installe, presque confortablement :

Je suis logé dans une abbaye grecque, bâtie contre une forteresse, sur les bords de la Moskowa, à un demi quart de lieue de la ville, sur la chaussée de Riazan. J’y ai placé 60 officiers, 400 hommes, toutes les administrations, et 500 chevaux d’artillerie. J’occupe les appartements de l’abbé, ou pope; ils sont très propres et très recherchés. Par les meubles et les tableaux, je juge que mon abbé grec doit être galant et instruit; il a bien tort de s’en aller; je l’aurais protégé et il n’eut éprouvé aucune avanie.

Mais Napoléon décide, à la mi-octobre, la retraite. Durant celle-ci, et à partir de Wiazma, Ledru et sa brigade font partie de l’arrière-garde. Ils passent de nouveau à Krasnoe, franchissent le Dniepr, rejoignent enfin la Grande Armée et l’Empereur à Orcha. A la Berezina, Ledru est l’un des derniers à passer la rivière avant la destruction des ponts. En arrivant à Wilna, son dernier cheval est tué par un boulet. La retraite se poursuit jusqu’à Kowno, où les derniers rescapés de la campagne passent enfin le Niémen. Les épreuves qu’il vient de subir sont difficiles à imaginer.

Tu ne peux te faire une idée de ce que j’ai souffert. Seul de tous les généraux du 3e corps, je suis constamment resté debout et à la tête des troupes, tous les autres ont succombé soit à leurs blessures soit à leurs fatigues Des officiers beaucoup plus forts que moi ont péri sur la route ou se sont laissés prendre, faute d’énergie. J’ai bravé la faim, le froid, les marches de nuit et j’ai dû m’occuper des continuelles dispositions à prendre dans l’arrière garde dont j’ai été chargé pendant plus de 200 lieux, sans éprouver d’autre mal que la fatigue. Cinq de mes domestiques sont morts. J’en ai heureusement conservé cinq.

Trop occupé de la troupe pour surveiller mes propres affaires, j’ai perdu caisson, voitures, bagages et vingt beaux chevaux. Trente mille francs ne rétabliraient pas mes équipages comme je les avais à l’entrée de la campagne. (Lettre à sa soeur, 6 février 1813, Magdebourg)

En décembre, Ledru est à Mariembourg, d’où il écrit à son frère de le

« féliciter d’être échappé sain et sauf aux dangers de cent combats, ayant fait depuis deux mois l’extrême arrière garde avec le duc d’Elchingen« .

A Custrin, Ledru est chargé de recueillir les débris des divers corps et d’en former des bataillons.

Le 1er avril 1813, Ledru des Essarts est nommé, à la place du général Gérard, commandant de la 31e division d’infanterie du XIe corps de la Grande Armée, sous les ordres de Macdonald [14]Sa division se compose des 11e et 13e demi-brigades provisoires, formées avec des bataillons du 27e léger et des 5e et 50e de ligne, ainsi que du régiment d’infanterie d’élite … Continue reading . Durant la campagne de 1813, il est à Bautzen (20/21 mai 1813), Wurschen (21 mai),

Je n’ai rejoint l’armée qu’après la bataille de Lützen, mais j’étais les 20 et 21 à celle de Bautzen. Ma division s’y est distinguée en attaquant et chassant l’aile gauche de l’armée russe, qui était retranchée sur des hauteurs couvertes de bois. J’ai perdu nombre de braves, mais j’ai eu le bonheur de n’être point touché. L’ennemi est en retraite, et tous les jours nous combattons et repoussons son arrière-garde. (Lettre à sa cousine, 28 mai 1813, Camp de Lignitz, en Silésie)

La période de cessez-le-feu, pendant laquelle les belligérants vont s’efforcer de trouver un impossible  terrain d’entente, Ledru se repose à Freideberg, en Silésie méridionale:

Ma division est campée depuis six semaines. Adossé à une forêt, appuyé à la Quiess, mon camp est dans une position charmante, ayant en face les hautes montagnes de la Bohême; il est bâti en planches avec beaucoup d’élégance et de régularité. J’ai 15 bataillons, savoir : 6 français, 4 de grenadiers et voltigeurs napolitains et 5 Westphaliens, dont la garde royale qui est admirable par la beauté et la tenue des hommes; en outre trois compagnies d’artillerie française, en tout 6.900 baïonnettes et 28 bouches à feu. J’ai l’avantage d’avoir de vieilles troupes.

Les bruits de guerre et de paix se succèdent ici journellement. Nous avons cependant l’espoir de la paix. (Lettre à son frère, 4 août 1813)

Après la reprise des hostilités, il va combattre à Katzbach (26 août) [15]C’est ce que mentionnent les sources françaises, notamment Six. En fait, la division de Ledru fut empêchée de progresser, bloquée par l’artillerie du XIe corps d’armée, et ne … Continue reading . A la bataille de Leipzig [16]A Leipzig, Ledru a sous ses ordres les brigades Freissinet, O’Henin et Macdonald, au total environ 5000 hommes et 20 canons., il est blessé le 18 octobre, mais est de nouveau rétabli pour combattre à Hanau, le 30 octobre.

La France envahie, Ledru est d’abord envoyé en Belgique. Puis il est à Meaux, dont il a été nommé commandant supérieur de la place, lorsque les Prussiens franchissent la Marne. Avec le général Compans, il retraite avec précaution jusqu’à Belleville, où il combat avec acharnement, le 30 mars 1814.

Rentré dans Paris, Ledru se dirige ensuite sur Essonne, pour y apprendre la défection de Marmont.

Voilà donc où nous ont conduit les fureurs et l’ambition sans but de l’homme qui nous gouvernait ! Depuis deux ans, j’entrevoyais cette catastrophe, et mes lettres te l’ont fait pressentir, quand je te parlais toujours de retraite, ne pouvant autrement m’expliquer, car on décachetait mes lettres.

(…) J’ignore encore ce que je vais faire. Si je continue à servir, ce sera pour me mettre en mesure d’être encore utile à ma famille, car je ne suis pas riche; d’un autre coté, ma santé est détruite. (Lettre à son frère, 10 avril 1814, Mantes sur Seine)

Après la première abdication, Ledru des Essarts se rallie au nouveau gouvernement, est fait chevalier de Saint-Louis, le 2 juin, Grand-Officier de la Légion d’honneur, le 29 juillet,  est nommé commandant la 1e division d’infanterie à Paris.

Durant les Cent-Jours, il se rallie à Napoléon, et reçoit un commandement dans l’armée des Alpes, sous les ordres du maréchal Suchet, le 6 avril 1815. Il participe à la défense de Lyon, le 10 juin.

Ledru est mis en non activité le 1er août 1815, puis nommé inspecteur général d’infanterie dans la 19e division militaire, le 25 juillet 1816. En 1817 il est chargé d’organiser 3 régiments suisses que la France vient de prendre à sa solde.

Le 1er janvier 1818, il est de nouveau mis en non activité. Il va ensuite continuer d’occuper différents postes dans l’inspection générale de l’infanterie, jusqu’en 1830. le 3 novembre 1827, Charles X le fait Grand Croix de la Légion d’honneur.

Admis à la retraite le 11 juin 1832, fait pair de France le 11 septembre 1835, François-Roch, baron Ledru des Essarts meurt à Champrosay (Seine et Oise), le 23 avril 1844, à l’âge de 79 ans.

Lieux de mémoire

La tombe de Ledru des Essarts se trouve au cimetière de  Draveil (rue du Repos), à 18 km au sud de Paris

Tombe de Ledru des Essarts

Sources

  • Jean-Louis Bonnéry. Ledru des Essarts – Un grand patriote sarthois méconnu, Le Mans, 1988
  • Fastes de la Légion d’honneur. Biographies de tous les décorés. Paris, 1843
  • Georges Six. Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l’Empire. Paris, 1934
  • Digby Smith, Napoleonic Wars Data Book. Greenhill Books, Londres, 1998.

 

References

References
1La confusion règne ici sur sa date de naissance. Fastes etc. donne 1766, le livre de Jean-Louis Bonnery, indique 1765, citant le Grand Larousse du XIXe siècle, tout en reproduisant un discours de son frère dans lequel on peut lire : 16 août 1765; enfin Georges Six affirme qu’il s’agit du 25 avril 1770, précisant « et non le 16 août 1765, date de naissance de son frère, qui figure dans toutes les pièces de son dossier). Pensant que ledit frère savait de quoi il parlait, nous avons retenu 1765. Quant au jour, Ledru précisant dans une lettre à son beau-frère, le 24 août 1809 (voir plus bas) que le 15 août « est aussi le jour de ma naissance », nous avons repris ici cette à notre compte cette affirmation.
2Lorsque, peu après, Ledru présente lui-même ses prises à Napoléon et au maréchal Soult, il est récompensé par un laconique « C’est fort bien « , de l’Empereur
3Il remplace le général Merle, Sa brigade se compose  du 26e léger (Pouget), du 18e de ligne (Ravier) et du 75e de ligne (Lhuillier), complétés par le 1er bataillon des Tirailleurs corses (d’Ornano) et le 1er bataillon des Tirailleurs du Pô (Hulot). A Iéna les divisions Legrand et Leval n’arriveront que pour la fin de la bataille.
4La division Ledru pénètre la première dans la place, suivie bientôt par les troupes de Bernadotte
5Il a deux chevaux tués sous lui.
626e léger, bataillon des tirailleurs corses, bataillon des tirailleurs du Pô
7Sa brillante tenue lors de cette journée, et notamment la manière dont il  maintint en carré le seul bataillon qui lui restait, permettant à Murat, Soult, Lasalle, d’Espagne, Belliart et quelques autres de se mettre un moment à l’abri , lui value la croix de Commandant de la Légion d’honneur. Mais le Bulletin n’en parla pas !
8Nouvelle confusion de date ici. Six indique la date du 23 février 1809, mais « Fastes etc. » celle du mois d’août 1810, n’hésitant pas à préciser même que cette nomination vient en récompense de sa belle tenue à Essling !!! Mais dans sa lettre, datée du 7 avril (présentée plus bas) 1809, Ledru écrit « On voulait me faire prendre le nom de Moringen, mais j’ai préféré reprendre celui des Essarts. C’est celui que mon père m’a donné et que j’ai porté pendant mon enfance et une partie de ma jeunesse », rendant la date d’août 1810 invraisemblable.
9Division Legrand, 26e léger et 18e de ligne
10« Fastes etc.  » donne le 1er juillet
11Il est remplacé à la tête de sa brigade par le général Stabenrath
12Selon « Fastes… », « Ledru, à la tête du corps d’armée, enlève la ville de façon énergique ». Digby Smith, de son coté, écrit que la 10e division Ledru « en réserve, ne fut pas engagée » !!! Il est intéressant de noter ici que, du 25 juin (jour du passage du Niemen) au 3 août, la division Ledru perd 30% de ses effectifs, alors qu’elle n’a encore participé à aucun combat sérieux ! (Oleg Sokolov – La campagne de Russie – in Napoléon Ier, n° 6, janvier 2001).
13La 10e division d’infanterie di IIIe corps d’armée de Ney, se compose du 24e léger (général Gengoult), de la légion portugaise et du 1er régiment d’infanterie (colonel Pego), du 46e de ligne (général Morion), et du 72e de ligne (général Bruny) – in Digby Smith. Borodino. 1998
14Sa division se compose des 11e et 13e demi-brigades provisoires, formées avec des bataillons du 27e léger et des 5e et 50e de ligne, ainsi que du régiment d’infanterie d’élite napolitain
15C’est ce que mentionnent les sources françaises, notamment Six. En fait, la division de Ledru fut empêchée de progresser, bloquée par l’artillerie du XIe corps d’armée, et ne fut, de ce fait, que très peu engagée dans cette bataille (Communication personnelle de Digby Smith – Source: `Zeitschrift fürr Heereskunde`, Nr 32, août 1931, p 277.
16A Leipzig, Ledru a sous ses ordres les brigades Freissinet, O’Henin et Macdonald, au total environ 5000 hommes et 20 canons.