Les Français en Dalmatie (1806-1814)
Le littoral oriental de l’Adriatique sera pour un quart de siècle (1789 – 1814) indirectement ou directement présent dans les agitations et les événements européens déclenchés par le tourbillon de la Révolution française et des guerres napoléoniennes.
La Dalmatie (à l’exception de la République de Dubrovnik) appauvrie et abandonnée à l’extrême par une domination vénitienne désintéressée, entend les échos de cette période fatidique qui transformera radicalement les bases de son organisation politique, sociale et économique séculaire.
Les retentissements de la prise de la Bastille atteignent aussi ses côtes. A Split, chez le colonel Juraj Matutinović, dans l’orfèvrerie d’Ivan Cosser ou dans l’appartement du prêtre Josip Sinovcić dès les premiers jours de la Révolution française un groupe « d’adeptes des idées libérales » analyse et critique avec ferveur les décisions du Conseil de la noblesse, des juges et des inspecteurs communaux. Ces « jacobins » rebelles non seulement interviennent dans les affaires de la ville et de la commune, mais font des éloges publics aux « nouveautés venues de France » et particulièrement à « l’égalité de tous devant la loi ». Quelques jours avant la fête du patron de la ville de Split, Saint Domnius, en 1792, à trois endroits en ville apparaissent d’âpres satires contre la noblesse et le clergé. On peut y lire:
« Rappelez-vous des Français ! » « Réveille-toi peuple de Split, prends conscience de ta force ! »
« Au signal donné tout le peuple prendra les armes ! »
Pour cause de son enthousiasme ouvertement proclamé à l’égard des idées libérales de la Révolution française, la noblesse de Split accusera Matutinović et ses disciples devant le Conseil des Dix à Venise. Le procès durera de juillet à décembre 1793, mais nous ignorons son issue.
Pourtant, la majorité de la population influencée par la noblesse et le clergé ne voit dans la Révolution française que blasphème et activité subversive et criminelle d’incroyants. Dans cet esprit un chroniqueur Splitois anonyme décrit longuement dans ses brefs écrits « la révolte des Français contre leur roi » et les expéditions et guerres de conquête de l’armée révolutionnaire dans les Apennins. Le chanoine de Makarska, Pavlović Lucić imprime (à Rome) en 1793 une « lettre » sur les causes de la révolution en France. Voilà pourquoi de nombreuses cernides (troupes de 12.000 hommes) de Dalmatie accourent sous le drapeau de Saint-Marc protéger la République de Venise et combattre le drapeau tricolore français. Le Sénat aristocratique déjà bien usé, dès le mois de mai de l’année suivante les renvoie sur leur côte natale sans coup férir.
Après les préliminaires secrets de Leoben (18 avril 1797) quand on ignorait encore que les Français, par le traité de Campoformio, céderaient aux Autrichiens les anciennes possessions vénitiennes, l’Istrie et la Dalmatie en échange des régions belges et de la Lombardie, en Dalmatie il n’y a plus de pouvoir légal. Cette « anarchie » nous révèle bien à quel point le peuple était endoctriné et effrayé par le danger à venir du nouveau pouvoir démocratique français. L’huile sur le feu est versée par la Proclamation au Peuple de Dalmatie de Dorotić où il fait l’éloge du courage des Dalmates et harangue à la résistance contre les « jacobins et les juifs » qui voudraient de nouveau les gouverner et les soumettre au nouveau pouvoir démocratique de la municipalité vénitienne. Au cours de ces journées de juin 1797 la populace exprime toute sa fureur contre les partisans des Français et les agents secrets du nouveau pouvoir vénitien à Split, Trogir, Šibenik. S’en suivent d’atroces spectacles de quelques décapitations et massacres rappelant ceux dans les rues de Paris. Les petits agriculteurs se rebellent et exigent leurs droits à Makarska, sur les îles de Brać et Hvar. Il est paradoxal de voir le peuple lyncher les adeptes d’un nouvel ordre démocratique et exiger en même temps certains principes jacobins, comme, par exemple, la libération des obligations du colonat.
Entre temps « l’assemblée nationale » – les nobles, les citadins et le peuple – décident unanimement de se soumettre à l’Empereur François I, estimant qu’il était le successeur légitime des souverains hungaro-croates. Ils lui envoient des délégations qui expriment « leur fervent désir de s’unir au peuple du Royaume de Croatie, avec lequel ils ont vécu jadis, comme partie intégrale réunie à la couronne du Royaume de Hongrie ».
Occupant la Dalmatie en juillet 1797 le général autrichien Matija Rukavina s’adresse au peuple en langue croate: « Mes Chers Dalmates, votre fidélité et votre courage sont vos très anciennes vertus… » Le peuple est confus, enthousiasmé et touché. Un général de l’empereur allemand et ses soldats parlent leur langue maternelle. Chez les Dalmates naît la conscience qu’eux aussi appartiennent au peuple croate. Une conscience que le pouvoir vénitien avait endormie à tel point que les Dalmates savaient plus sur les Africains et Américains que sur leurs frères de sang de l’autre côté de la chaîne du Velebit ou de la montagne de la montagne Dinara. Rukavina assurait à chaque occasion le peuple que l’empereur François I était « tout à la fois roi de Hongrie, de Croatie et de Dalmatie ». Pourtant, les espérances des Dalmates d’être réunis, sur la base du droit historique croate, à la couronne hongroise s’évaporeront très vite. La cour de Vienne classera la Dalmatie au rang des terres héréditaires de Habsbourg.
Bien qu’après la bataille de Trafalgar la coalition anti-française contrôlait souverainement toutes les mers, Napoléon à la bataille de décisive d’Austerlitz infligeât une lourde défaite aux Austro-Russes, provoquant la déroute des armées coalisées. L’Autriche est alors obligée de signer le traité de Presbourg (26 décembre 1805) et, entre autres, de céder à la France les territoires de Venise, l’Istrie, la Dalmatie et les Bouches de Kotor. Le dernier commissaire autrichien Brady prit congé des Dalmates de façon pathétique le 18 février 1806.
Dès le lendemain le général français Dumas[1] leur adressa sa Proclamation. Alors que les troupes françaises, sous le commandement du général Molitor[2] et du commissaire militaire Lauriston[3], s’emparaient des villes dalmates et progressaient lentement vers le sud-est « surmontant des difficultés (de transport routier) sans exemple dans aucun pays du monde »[4], le commissaire autrichien Ghislieri cédait les Bouches de Kotor au vice-amiral russe Senjanin inaugurant ainsi la présence russe en Adriatique pour dix-huit mois.

La Dalmatie était particulièrement intéressante pour Napoléon à cette époque pour compléter son blocus continental: l’Adriatique avec les ports de Trieste et Rijeka était la dernière liaison anglaise avec le continent. Maintenant dans les eaux de l’Adriatique il y avait aussi des bâtiments de guerre de la Russie impériale. La Dalmatie était donc devenue d’une grande importance stratégique. Cette côte très découpée rendait possible l’établissement de bases militaires navales idéales et peut-être même un pont pour une pénétration par les Balkans vers Constantinople et plus loin vers l’Orient.
Au cours de la première période de l’administration française (1806-1809) la Dalmatie est annexée au Royaume d’Italie avec à sa tête le Vice-Roi Eugène de Beauharnais (beau-fils de Napoléon) qui avait son siège à Milan. Le préfet civil (selon le modèle vénitien il portait le titre de « provéditeur« ) Vicenco Dandolo[5] arrive à Zadar le 3 juillet et le commandant militaire, le général Auguste Marmont, le 21 juillet 1806. Tous deux étaient de caractère vaniteux et ambitieux, mais leurs objectifs et leurs actions étaient différents. Dandolo, outre le développement de l’économie et de l’instruction, avait pour principale mission « d’italianiser » le plus rapidement possible cette ancienne région vénitienne. Marmont, par contre, voulait résoudre les problèmes militaires et politiques existants, construire des routes stratégiques, urbaniser les villes. En outre, il s’aperçut tout de suite que les Dalmates n’étaient pas enclins à une italianisation et que l’une des principales causes de l’animosité des autochtones envers la nouvelle administration résidait dans le fait que la Dalmatie avait été incorporée au Royaume d’Italie et l’administration civile confiée à un Vénitien, à Dandolo et à sa camarilla qu’il avait fait venir d’Italie.
Sous l’administration française la Dalmatie jouissait même d’un ministre a latere à Milan. Elle obtint le premier journal officiel bilingue Kraglski Dalmatin. Par ses décrets du 4 septembre 1806, Napoléon abolit le fideicommis, la loi Grimani, instaure les principes du Concordat et introduit le Code Civil. Bien que progressifs ces décrets provoquèrent de grands bouleversements dans toutes les couches sociales. C’était pour les Dalmates engourdis un trop grand saut d’une léthargie médiévale vers des courants européens modernes. Les prêtres et les ordres religieux s’y opposaient le plus fermement. Toutefois, protégeant par son blason personnel les couvents des franciscains contre l’arbitraire de la soldatesque, Marmont réussit à acquérir la sympathie des frères franciscains et à obtenir leur soutien.
Dans une région où l’administration vénitienne durant des siècles n’avait ouvert la moindre école, on crée une trentaine d’écoles primaires pour garçons et filles, sept écoles secondaires (gymnases), deux lycées avec internat et une quarantaine de bourses, une école supérieure au rang de faculté. En outre, deux académies et quatre séminaires sont en activités. Il était prévu d’ouvrir huit écoles d’artisanat pour forgerons et menuisiers.
Pourtant, les routes nouvellement construites furent et restèrent pour longtemps la trace matérielle la plus précieuse de la présence française en Dalmatie. Pour la première fois après la chute de l’empire romain, on construit « des voies terrestres et côtières et des chemins de raccourcis » qui relieront les villes et les agglomérations par une excellent réseau routier et feront disparaître l’isolement communal et le fractionnement régional. Construites par un effort commun des soldats et de la population locale, les routes rapprochaient et reliaient les gens et les régions.
Bien que construites pour des raisons militaires et stratégiques, leur contribution au progrès économique de la Dalmatie fut primordiale. (Une documentation détaillée sur la construction des routes avec projets, devis, factures sur les matériaux achetés et utilisés, les honoraires versés aux contremaîtres etc., repose toujours, non étudiée sous la poussière des archives personnelles de Marmont à Châtillon-sur-Seine). Fascinés par la vitesse de la construction, les habitants de l’arrière pays dalmate racontaient durant des décennies à leurs petits enfants :
« Marmont monta à cheval et dit « Qu’on fasse les routes ! » et quand il en descendit, les routes étaient faites ».
Marmont prit soin d’aménager et d’assainir du point de vue urbanistique les villes de Split et Trogir. Il était émerveillé par le paysage dalmate (considérant la baie de Split avec les champs fertiles des Kastela comme » l’un des plus beaux sites au monde« ). Il aimait la population locale et admirait la grande et ancienne tradition culturelle de Dubrovnik. Bien que ce soit précisément lui qui ait aboli pour toujours la République de Dubrovnik (le gouvernement aristocratique est dissous le 31 janvier 1808) à Dubrovnik il ouvre un nouveau lycée, rénove le nouveau théâtre, rassemble les intellectuels, encourage et finance la publication de deux ouvrages importants pour le développement de la langue croate: La Grammaire d’Appendini et le troisième volume du Dictionnaire « Rječoslozje » de Stulli. La Commune de Split frappe en son honneur une médaille commémorative et donne son nom au jardin public (aujourd’hui Place de la République) et à la principale rue du noyau historique de la ville. Les habitants de Trogir lui élèvent une gloriette et ceux de Makarska un obélisque.
L’esprit des temps nouveaux se ressent aussi en Dalmatie. On propage une modernisation de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. On effectue un assèchement et assainissement des sols marécageux, on organise un reboisement, on introduit la garde forestière de l’état. On fonde des ateliers industriels: une usine de savon et de papier. On ouvre de nouveaux ateliers de forgerons, des scieries, des moulins et des auberges. Au début de 1808 on introduit un service de poste régulier de Zadar aux Bouches de Kotor avec dix-sept relais…
Mais, l’administration française avait aussi son sombre aspect.
La levée des soldats, la réquisition pour les besoins de l’armée, les impôts et taxes, les représailles contre les rebelles affligeaient profondément la population locale. Dès le 31 mai 1806 Napoléon promulgue un décret sur la formation de la première Légion royale dalmate. Sur 255.750 habitants (220.130 catholiques, 35.450 orthodoxes et 170 juifs) il fallait enrôler 2.700 jeunes gens. Non seulement il n’y avait pas de volontaires, mais le recrutement provoquât une série de révoltes. Les conscrits des régions limitrophes fuient vers les territoires voisins autrichiens et turcs. Les villages de Kresevo et Katuni les Kastela, l’arrière pays dalmate et les faubourgs de Split se soulèvent. A peine deux bataillons ont pu être constitués jusqu’au 31 avril 1807. Un nouveau recrutement au mois de juin de la même année fut la cause d’une rébellion à Poljica et sur le littoral de Makarska. Les autochtones, incités et soutenus par les troupes d’invasions russes, résistèrent les armes aux poings. Les Français les punissent et la zone est mise à feu et à sang. Ce n’est qu’en décembre 1807 (le service militaire est alors réduit à quatre ans) qu’un enrôlement normal fut possible pour la première fois.
Après un court répit et une brève période de paix, au mois de mai 1809 Marmont avec l’Armée de Dalmatie (16.000 hommes) pénètre, après de furieux combats, par la Lika et débouche sur Senj et Rijeka, puis continue vers Ljubljana et rejoint les troupes de Napoléon en Autriche. La Dalmatie donna plusieurs milliers de bêtes de trait – la seule île de Brac 400 mulets et 200 muletiers.
Dans les places fortes de Dalmatie il ne resta alors que quelques milliers de soldats de garnison. Pendant la bataille de Wagram, les Autrichiens depuis Lika pénètrent en Dalmatie et soulèvent la population. Le franciscain Dorotić se joint à eux en fonction de commissaire militaire ! Les troupes du général Knežević assiègent Knin et Šibenik.
Skradin est parmi les premières villes à chasser l’autorité française. Alors que les officiers français se réfugient dans les villes fortifiées, les Autrichiens entrent à Trogir et Split. La population leur facilite la tâche car elle est toujours favorable à la cour de Vienne. De nombreux membres de l’administration civile française passent du côté des révoltés. Les plus réticents sont fait prisonniers par les Autrichiens.
Au mois d’août ils débarquent à Brač et Hvar et prennent Sinj et Imotski. Le général Knežević assiège Zadar.
Que le traité entre les Français et les Autrichiens a été signé à Schönbrunn (le 14 octobre 1809) cela on ne l’apprend en Dalmatie qu’au début du mois de novembre. L’Autriche doit céder à la France une partie de la Croatie Civile au sud de la Save, la Croatie militaire, l’Istrie avec Trieste, Rijeka, les îles du Kvarner, la Carinthie et, en partie, la Carniole, la Styrie et le Tyrol et, bien sûr, céder de nouveau la Dalmatie avec les territoires de l’ancienne République de Dubrovnik et les Bouches de Kotor. Napoléon réunira toutes ces terres en une zone appelée les Provinces Illyriennes (les États Slaves) et formera ainsi un état tampon entre les possessions françaises en Italie du nord et l’Autriche qui est ainsi définitivement séparée de la mer. Cette nouvelle création étatique devait devenir « un avant-poste devant les portes de Vienne« .
Alors que les Autrichiens se retirent, de nombreux Dalmates rebellés, de peur des représailles, fuient sur le territoire turc ou sur les bâtiments de guerre anglais. Les troupes françaises sous le commandement des généraux Clauzel[6] et Bertrand[7] reviennent et pacifient rapidement toute la région. Dans l’attente des nouvelles autorités Zadar est en état d’alerte jusqu’au 1 janvier 1810, quand le général Maureillan[8] remet au nom du gouvernement provisoire les clefs de la ville au commissaire du gouvernement Psaldi. Profondément offensé et humilié, le procureur Dandolo quitte la Dalmatie le 29 janvier 1810. Avant de partir il remet solennellement au maire de Zadar quatre volumes de rapports annuels écrit de sa propre main et adressés à Napoléon pour qu’ils soient pour toujours déposés aux archives communales en témoignage durable de son activité en Dalmatie.
Par son décret du 25 décembre 1809 Napoléon nomme Marmont – maintenant maréchal d’Empire – gouverneur général des Provinces Illyriennes ayant pleins pouvoirs. Il est intéressant de rappeler que Napoléon n’avait pas accepté la proposition du Dalmate Ivan Luka Garagnine de diviser le nouvel état d’Illyrie sur le modèle des départements français en neuf régions rappelant les noms des rivières ou des montagnes afin d’effacer les « souvenirs historiques« . Napoléon ne considérait pas le centralisme – qu’il mettait en exécution sur le territoire de la France métropolitaine et en Italie – approprié pour nos terres. Il le confirmera par un décret organique (du 15 avril 1811) quand ce territoire long de plus de 250 milles, du Tyrol au pachalik de Skadar, sera divisé en sept régions avec leurs noms historiques: la Croatie militaire (Gospić), la Carniole (Ljubljana), la Carinthie (Villach – Beljak), l’Istrie (Trieste), la Croatie civile (Karlovac), la Dalmatie (Zadar), Dubrovnik-Kotor (Dubrovnik), avec pour capitale la ville de Ljubljana. Pour les Slaves, il était d’une importance capitale que l’Istrie et la Dalmatie soient enfin séparées du Royaume d’Italie et réunies à leur arrière pays naturel. Dans son Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon déclarera:
« Je voulais introduire en Illyrie nos principes de gouvernement et notre administration européenne (…) L’un de mes plus beaux souhaits était d’unir les peuples qui forment une entité géographique et que le temps et la politique ont séparés« .

Durant la première année de l’existence des Provinces Illyriennes (Les Etats Slaves), Marmont établit une division territoriale et administrative, s’efforçant de conserver dans la majorité des cas la tradition – « car rien ne trouble autant la population qu’une modification inutile de ses habitudes ». Il réorganise la Croatie militaire, renforce les intérêts des Croates à la frontière avec la Turquie, introduit les impôts, les droits de douane et diverses taxes, mais propage aussi le libre commerce. De Trieste à Kotor, il crée une nouvelle garde nationale. Au niveau de l’administration locale, il introduit la langue illyrienne (le croate et le slovène). Pour la correspondance avec Paris on utilise uniquement le français. Par le décret du 4 juillet 1810, il ordonne la création de trois types d’écoles: les écoles primaires, les gymnases (école secondaire) et les lycées ainsi que l’école centrale de rang universitaire. La grande nouveauté fut l’enseignement dans toutes les écoles primaires en langue maternelle et partiellement même au lycée. Comme le journal Kraglski Dalmatin avait cessé de paraître, on édita à Ljubljana le journal officiel, le Télégraphe officiel, qui devait être imprimé en quatre langues ! Des difficultés dans le choix de la version définitive en langue illyrienne empêchèrent la parution de l’édition slave. Marmont a aussi introduit le croate dans le commandement militaire des troupes illyriennes. A cette fin, il fit venir de Dubrovnik l’abbé Antun Sivric et le nomma enseignant de langue croate auprès du Quartier Général de Ljubljana. Il créa un bureau spécial pour les ponts et chaussées formant une équipe de spécialistes du pays les plus renommés. A l’été 1810 il envoie à Paris une délégation composée de représentants de toutes les régions pour participer aux festivités qui ont suivi le mariage de Napoléon avec l’impératrice Marie-Louise. En désaccord avec les idées décentralisatrices des ministres de Napoléon, il quitte les Provinces Illyriennes en février 1811. Ses successeurs (Bertrand, Junot[9], Fouché[10]) n’agiront que suivant les instructions de Paris.

Après la création des Provinces Illyriennes, les Anglais doublent leurs forces navales en Adriatique, y introduisant de nombreux corsaires et des bateaux de différents pavillons. Les Anglais contrôlaient sans cesse et menaçaient la navigation sur les côtes occidentales et orientales de l’Adriatique empêchant ainsi toute liaison entre la Dalmatie et Corfou. Ayant perdu leurs points d’appui navals sur les anciens territoires autrichiens (Trieste et Lošinj), ils établissent une nouvelle et puissante base navale sur l’île de Vis. Napoléon avait remarqué la grande importance stratégique de cette île au large mais n’avait pas pu l’occuper en temps utile par ses troupes. A la bataille décisive du 13 mars 1811[11], les Anglais infligèrent une lourde défaite à la flotte franco-italienne du capitaine Dubourdieu[12]. Depuis lors Vis demeura une forteresse anglaise imprenable, le « Petite Malte« , véritable « clef de l’Adriatique » et riche emporium pour les corsaires et les contrebandiers.
Dès qu’au mois d’août 1813 furent interrompu les pourparlers de Prague, les troupes autrichiennes passent la Save et pénètrent sur le territoire des Provinces Illyriennes. Les Français se retirent hâtivement vers Rijeka et Trieste. Les soldats de l’armée Illyrienne désertent en masse et la population se rebelle. Entre les mains des Français ne restent que quelques garnisons dans les places fortes de Dalmatie et à Dubrovnik et Kotor. En octobre 1813 le général Tomašić avance de Gospić. Knin se rend sans combat. La voie vers Zadar est ouverte.
Les Croates rebellés de la garnison de Zadar précipitent la reddition de Zadar. Les Français abandonnent Zadar le 8 décembre…De toutes les forteresses françaises celle de la Kula Norinska (la Tour de Norin) sera défendue le plus longtemps. Le colonel Nonković résista aux Autrichiens soixante-trois jours. Puis, le 18 février 1814 il fait une percée et, ne quittant pas des mains le drapeau français tricolore, sort de la forteresse en direction du territoire turc.
Ainsi prit fin la présence française en Dalmatie.
Frano Baras

Médaille de la ville de Split en l’honneur de Marmont – Revers : La Dalmatie est assise sur un rocher, à côté d’une roue et d’une corne d’abondance « ALEXANDRO MARMONT SVPREMO GALLORVM DVCI IN DALMATIA ». « ANNO MDCCCVII ». Signature « L. M. F. ».
Médaille de la ville de Split en l’honneur de Marmont – Avers : deux vaisseaux devant un plan de la forteresse – « VIA PUB. ERECTA. LITTORE. AVCTO. URBE. EXORN. IMPERANTE. NAPOLEONE. M. », « SPALATI VOTUM ».
NOTES
[1] Mathieu Dumas (1753 – 1837). Il est envoyé à la fin du mois de décembre, pour suppléer Lauriston en Dalmatie. Il y restera jusqu’au 12 janvier 1806.
[2] Gabriel-Jean-Joseph Molitor (1770 – 1849). Arrivé en janvier 1806, il quittera la Dalmatie le 14 octobre de la même année.
[3] Jacques-Alexandre-Bernard law, comte Lauriston (1768 – 1828). Aide de camp de Napoléon durant la campagne de 1805, il est nommé commissaire impérial en Dalmatie, en février 1806.
[4] Les Français entrent à Raguse (Dubrovnik) le 26 mai.
[5] Vincenzo Dandolo (1758 – 1819). Il sera gouverneur de la Dalmatie jusqu’en 1809
[6] Bertrand Clauzel (1772 – 1842)
[7] Henri-Gatien Bertrand (1773 – 1844). Gouverneur général des Provinces Illyriennes du 28 mars 1811 au 2 décembre 1812..
[8] Jean-Etienne-Casimir Poitevin, vicomte de Maureillan (1772 – 1829). Il fit une grande partie de sa carrière dans les Provinces Illyriennes.
[9] Jean-Andoche Junot, duc d’Abrantès (1771 – 1813), nommé provisoirement gouverneur général des Provinces Illyriennes le 20 février 1813, avant d’être victime de la folie qui l’emportera.
[10] Joseph Fouché (1759 – 1820), succède à Junot, lorsque celui-ci est rapatrié en France.
[11] C’est, pour les Français, la bataille de Lissa
[12] Bernard Dubourdieu (1773 – 1811), capitaine de frégate depuis le 5 juillet 1806. Il est touché mortellement durant la bataille
Sa division, composée des frégates françaises Favorite, Danaé et Flore, toutes trois de 40 canons, et des frégates italiennes Corona (40 canons), Bellona et Carolina (toutes deux de 32 canons), appareille d’Ancône dans la soirée du 11 mars. Le 13 mars, devant l’île de Lissa, la division anglaise du commodore Hoste, forte de 4 frégates, l’Amphion, le Cerberus et la Volage, de 40 canons, ainsi que l’Active, de 38 canons, se porte à sa rencontre. A 6 heures du matin, Dubourdieu met sa division en ligne bâbord amures. Les Anglais attendent sous le vent, en ligne serrée. A 8 heures, la Favorite de Dubourdieu, très en tête de la ligne, met en panne pour attendre sa division. A 8H10, elle arrive sur la ligne ennemie, avec l’intention d’aborder l’Amphion, navire amiral anglais. Mais la Favorite, encore isolée, subit les tirs des 4 frégates britanniques, qui balayent le pont où s’était massé l’équipage qui préparait l’abordage. A 9H10, Dubourdieu est tué. Son second tombe à son tour en tentant une nouvelle tentative d’abordage, et la frégate va s’échouer sur la pointe sud-est de l’île. Elle sera incendiée à l’issue du combat. La bataille se poursuit en ordre dispersé. Privée de son commandant, la division franco-italienne est bientôt à la merci de ses ennemis : la Bellona se rend vers midi, suivie de la Corona vers 14H30. Si les autres frégates parviennent à s’échapper, cette bataille aura coûté à la France 3 frégates et 700 hommes, contre seulement 200 hommes aux Anglais.