8 février 1807 – Eylau
Et les bombes pleuvaient sur notre cimetière
Comme si l’on cherchait à tuer les tombeaux;
(Victor Hugo)
La Prusse en 1806
Texte de Jean-Philippe Vigne, librement inspiré de Relation du combat et de la bataille d’Eylau – M. Langlois – Paris – 1844 Copyright (C) 1999 – Jean-Philippe Vigne — Tous droits réservés
Pendant longtemps, la Prusse fut sourde aux supplications des puissances coalisées contre la France. Elle fit taire sa haine profonde pour la révolution Française car elle voyait chaque jour approcher le moment où la France, expirant dans les angoisses de la corruption et la violence des partis, deviendrait une proie facile à saisir : il lui suffirait de poser sans combattre son épée dans la balance pour avoir une grande part dans ses dépouilles, et faire voir en même temps aux peuples le danger des révolutions faites par eux et pour eux.
Mais, dans ce chaos de passions déchaînées, la noblesse Prussienne, lasse d’un long repos et qui voyait avec un profond mécontentement le sceptre de la guerre passer aux mains des Français, ne put contenir plus longtemps son ardeur. Elle se précipita avec fureur dans ce mouvement des esprits contre l’Empire de Napoléon; tandis que la belle reine Louise de Prusse se mettait à la tête des imaginations ardentes des jeunes femmes qui ne mesuraient le talent, le courage, le dévouement au pays, et l’amour même qu’elles inspiraient, qu’à l’étendue de la haine qu’on portait à la France et surtout à la dernière formule de sa révolution populaire : l’Empire et l’Empereur.
L’exaltation avait gagné tous les esprits ; on connaissait parfaitement la force de l’armée Française qui était cantonnée en Allemagne et c’eut été une grande honte, un insigne déshonneur, de douter un instant des succès qui attendaient l’armée Prussienne, plus nombreuse, pleine d’ardeur, parfaitement instruite et disciplinée, dont les opérations devaient être dirigées par les compagnons de gloire du grand Frédéric, tandis que les jeunes officiers, pleins d’intelligence et de valeur se chargeaient de les faire exécuter. Le roi fut entraîné, la guerre décidée ; et pour s’ôter tout moyen de retour en arrière, on insulta la France, son ambassadeur à Berlin ; Napoléon reçut l’injonction d’abandonner l’Allemagne et ses alliés : »Huit jours furent le terme fatal passé lequel l’armée Française y serait contrainte par le force ».
A la première nouvelle de cette levée de boucliers, l’Empereur part de Paris et arrive à l’armée au moment où celle des Prussiens s’était ébranlée de toute part pour se porter sur nos cantonnements. Le 8 octobre 1806, tout était en mouvement, et deux jours s’écoulaient à peine, que deux divisions Prussiennes étaient en pleine déroute et le Prince Louis de Prusse tué sur le champ de bataille de Saalfeld, sans que la marche des colonnes Françaises en fût ralentie un instant. La consternation et le trouble pénétrèrent dans les conseils de l’armée Prussienne, qui se trouvait prise en flagrant délit de manœuvre ; six jours après l’ouverture de la campagne, cette armée avait perdu tous ses magasins, elle était coupée de la Saxe et tournée par toute l’armée Française.

L’armée Française (e e) partant de sa base du Mein se concentre en (g g) au revers des montagnes de Franconie, puis elle exécute un changement de front stratégique (h i) afin de couper les Prussiens (k k) de leur base de l’Elbe tout en couvrant ses propres communications (h g e). Si les Prussiens voulaient se jeter entre ‘h’ et ‘e’, alors les Français (i i) reprendraient leurs communications directes avec le Rhin (m m m).
Le 14 octobre 1806, aux champs d’Iéna et d’Auerstadt, la foudre tombait sur cette armée Prussienne et en dispersait les débris dans toutes les directions; elle les attendait sur les bords des fleuves, pénétrait avec eux dans les places fortes pour y semer le désespoir. Aucun obstacle, aucune muraille ne pouvait les rassurer contre cette tempête si subite et un résultat si inattendu. Comment faire connaître tous les combats de chaque jour ? cette poursuite si ardente, si opiniâtre, semblait dépasser les forces humaines… L’armée des Prussiens succomba presque entièrement.
La prise de Magdeburg et l’affaire de Lubeck, après trente-cinq jours de luttes et de marches ininterrompues, terminaient la campagne contre la Prusse. La nombreuse et belle armée sur laquelle reposait l’orgueil et l’existence de cette monarchie était, à quelques exceptions près, entièrement détruite. Le 2 décembre 1806, anniversaire d’Austerlitz, l’Empereur s’adressa de Posen, en parlant de la Prusse, à l’armée française :
"Ses places fortes, ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, deux cent quatre-vingt drapeaux, sept cent pièces de bataille, cinq grandes places fortes de guerre sont en notre pouvoir. L'Oder, la Wartha, les déserts de Pologne, les mauvais temps de la saison n'ont pu vous arrêter un seul moment; vous avez tout bravé, tout surmonté... tout a fui à votre approche."
Pour transmettre de tels événements à la postérité, un ordre du jour de la même date annonçait qu’à Paris, sur l’emplacement de la Madeleine, un monument serait élevé, portant sur son frontispice : « L’Empereur Napoléon aux soldats de la Grande Armée« . Là, sur des tables de marbre devaient être inscrits les noms de tous les hommes, par corps d’armée et par régiment, ayant assisté aux batailles d’Ulm, d’Austerlitz et d’Iéna. Et sur des tablettes en or massif, les noms de tous ceux qui étaient morts sur le champ de bataille…
Peu de mois devaient s’écouler avant que les terribles événements d’Eylau et de Friedland ne vinssent y joindre leurs listes de triomphes et de morts, listes redoutables qui sauvèrent la Turquie des étreintes mortelles de la Russie, obligèrent l’Empereur Alexandre et le Roi de Prusse à demander et à signer eux-mêmes la paix sur les bords du Niémen, limite de leurs états, et anéantirent la quatrième coalition contre la France.
Au 2 décembre 1806, il ne restait plus à la Prusse que le petit nombre de troupes commis à la défense des places fortes et à la garde des provinces comprises entre la Vistule et le Niémen. C’est avec peine que l’on parvint à organiser un faible corps de dix à douze mille hommes d’infanterie et de trois à quatre mille de cavalerie dont le général Lestocq eut le commandement.