États-Unis – Plans supposés
De récents articles, celui de Thomas Fleming, « Napoléons Invasion of North America : Aedes aegypti takes a holiday, 1802 » dans What If ? 2: Eminent Historians Imagine What Might Have Been, rappellent aux historiens les ambitions, rarement évoquées, mais néanmoins grandioses, que le Premier consul a eu envers l’Amérique du nord. [1] Les plans de Bonaparte dépassaient tout de que les régimes français précédents n’avait jamais envisagés, hormis peut-être ceux de Louis XIV, près d’un siècle plus tôt. [2]

Inspiré par Joséphine Bonaparte, son épouse créole de la Martinique, Bonaparte avait d’abord espéré créer un Empire des Caraïbes et tout au long du Consulat, Saint Domingue a joué, pour Bonaparte, un rôle stratégique plus important que la Louisiane. La France contrôle déjà plusieurs îles dans les Caraïbes, telles que la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin, mais en 1801, Toussaint Louverture (1743-1803) avait libéré l’île d’Hispaniola des Européens et avait pris le contrôle complet de Haïti, unifié. Le 11 décembre 1801, Bonaparte envoie une armée de vingt mille hommes, partant de Brest sous les ordres de son beau-frère, le Général Leclerc, pour vaincre la révolte de Louverture à Haïti. En février 1802, les forces de Leclerc arrivent à Haïti et capturent Louverture.
Les correspondances diplomatiques indiquent rapidement à Jefferson qu’avec la plus grande colonie de France dans les Caraïbes sécurisées, Bonaparte espère maintenant créer une nouvelle Nouvelle France, hors de la grande colonie ex-Française dans le nouveau monde, connue sous le nom de la Louisiane, appelée ainsi en l’honneur de Louis XIV. Le 7 octobre 1800, Bonaparte a de nouveau acquis, de l’Espagne, le territoire de la Louisiane et six vaisseaux de ligne, par le deuxième traité secret de San Ildefonse, qui, en retour, assure à l’Espagne le contrôle de la Toscane. En mars 1801, le traité d’Aranjuez confirme la convention de San Ildefonse. Rufus King, le diplomate américain à Londres, expédie une copie de ce traité au secrétaire d’état américain en novembre 1801, quoique Bonaparte ne souhaite pas divulguer les nouvelles du transfert jusqu’à ce que les troupes françaises aient pris contrôle du territoire. Dans la crainte que les Américains pourraient se saisir du territoire, Bonaparte ordonne aux troupes de Leclerc d’occuper la Louisiane dès que possible, une fois qu’elles auront réussi à venir à bout du soulèvement haïtien, alors que d’autres d’armées de Bonaparte se gaspillent loin en Égypte. En 1802, Bonaparte est en mesure d’expédier une armée de quarante-mille hommes en Amérique du Nord. Livingston informe Madison de l’envoi, par Bonaparte, d’une armada commandée par le général Claude-Victor Perrin, en partance de Hollande pour sécuriser la Louisiane et Saint Domingo, à l’hiver de 1802. Peu après, de nouvelles lettres d’Europe amènent Jefferson à se rendre compte, avec de plus en plus de certitude, que Bonaparte projette d’envoyer, en 1802, des troupes en Louisiane, à partir de Saint-Domingue. En 1803, Hamilton reconnaît ouvertement les plans de Bonaparte, pour coloniser la Louisiane, si son armée réussit à Saint-Domingue. Les plans français allaient plus loin que ce qui se passa, Bonaparte ayant d’autres plans, vagues, concernant le Canada de langue française et Pierre Clément Laussat, le préfet français envoyé pour remplacer l’administrateur espagnol à la Nouvelle-Orléans en 1803, avait planifié des réformes étendues pour la colonie..[3]
Jefferson interprète le faisceau d’informations qu’il a reçue au sujet de ces plans, comme témoignage des ambitions de Bonaparte, bien plus grandioses que celles que le Premier Consul a de toute évidence. Jefferson va même jusqu’à envisager Bonaparte conquérant toute l’Europe et tournant ensuite ses ambitions vers l’Amérique. Jefferson exprimé ses inquiétudes à John Langdon, à qui Jefferson demande : « Mais nous attaquera-t-il en premier, de qui il ne recevra que des coups et pas d’argent ? Où bien s’emparera-t-il d’abord de l’or et de l’argent du Mexique et du Pérou, et des diamants du Brésil ? » [4]
Malheureusement pour Bonaparte, l’amiral britannique Nelson avait détruit la flotte française sur le Nil en 1798, rendant impossible pour le Premier consul d’envoyer ses troupes en Égypte, mais l’absence de force maritime entraîna également des difficultés logistiques pour l’armée du général Leclerc, alors à Saint-Domingue. [5] Néanmoins, avant que ses armées soient gaspillées dans la chaleur des Caraïbes, les plans de Bonaparte pour l’Amérique du Nord a influencent de façon décisive la politique étrangère des États-Unis. Comme précédemment mentionné, les Américains comprennent rapidement les plans de Bonaparte, lorsque des rapports vagues et peu clairs de l’acquisition par la France de la Louisiane et de l’envoi possible d’une force militaire française, sous le général Bernadotte, pour occuper le territoire apparaissent dans les journaux américains et dans diverses lettres échangées entre des diplomates américains et européens. L’incertitude existe également de savoir si l’échange entre la France et l’Espagne concerne également la Floride[6] . La peur d’une invasion pénètre le public américain, comme on le voit dans des articles de journaux propageant des idées fausses sur ce que les Français veulent faire, pendant que Président Jefferson dérive de son attitude positive ou pleine d’espoir dans le gouvernement de Bonaparte, à des sentiments profondément négatifs envers Bonaparte et ses ambitions.

Cependant, Jefferson croit toujours que la Grande-Bretagne est l’ennemi principal de l’Amérique, bien qu’il se soit opposé à l’idée de l’Amérique rejoignant la Ligue des Neutres, ce qui aurait favorisé la France. En 1801, les nouvelles arrivent officiellement des États-Unis de l’acquisition de la Louisiane par la France, bien que, depuis un certain temps, des rumeurs circulaient à Washington, dont le véracité, était connue que de des Français, tels que Pichon. En mars 1801, le ministre Rufus King rapporte les nouvelles que la France avait acquis la Louisiane et la Floride et commence à faire des ouvertures de paix avec la Grande-Bretagne. En conséquence, jusqu’en 1803, Jefferson pense que la France a acquis la Floride, que le président américain espérait obtenir. Avec cette fiction qu’il ne croit plus sérieusement cru, mais au mécontentement de Jefferson, le 4 mai 1803, Charles Pinckney, ministre américain à Madrid, écrit à Madison l’informant que l’Espagne a refusé de vendre la Floride[7].
Néanmoins, les rumeurs continuent à circuler au sujet de ces divers territoires comme elles l’ont fait tout au long des années de la révolution française, en particulier dans les pages des quelques 234 journaux fournissant des nouvelles aux Américains habitant les États-Unis, en 1800. Ces journaux se dépêchent de rapporter toutes les rumeurs sur les activités françaises concernant la Louisiane, sans se soucier si de ce que les journaux rapportent contient des faits vérifiables. Un problème important pour la crédibilité de ces journaux concerne la façon dont les journaux ont rapporté les faits des semaines ou même des mois après qu’ils se soient produits. Néanmoins, le manque de totale crédibilité des articles des journaux américains du dix-neuvième siècle a en grande partie résulté du fait que la plupart des journaux soutenaient ouvertement les fédéralistes ou les républicains et donc rapportaient des nouvelles avec des arrières pensées politiques. Le fédéraliste Alexander Hamilton soutient le New York Evening Post, alors que Jefferson soutient, au début, le National Intelligencer, puis le moins modéré Philadelphia Aurora, L’ Aurora admet en fait son incapacité à vérifier les rumeurs mais écrit cependant, sans réelle évidence, des garnisons anglaises des forts le long de la frontière du nord-ouest des Etats-Unis.[8].
Dignes de confiance ou pas, ces journaux ajoutent à la crainte que les Français veulent invalider les droits marchands américains du Traité de San Lorenzo de 1795 avec l’Espagne et même qu’un empire nord-américain français pourrait inclure les États-Unis. Les journaux couvrant la crise du Mississippi de 1802 à 1803 inventent en particulier des rumeurs de Bonaparte expulsant les Espagnols et envoyant les troupes françaises en Louisiane.[9] Le 29 mars 29, l’Aurora annonce le transfert espagnol de la Louisiane à la France et le 3 avril 1802, le Richmond Recorder rapporte : « Les Français sont maintenant les maîtres des eaux occidentales… Le Tennessee et le Kentucky ne peuvent envoyer un seul baril de farine en Indes occidentales. . . Buonaparte envoie deux vaisseaux de 74 canons dans les bouches du Mississippi, et c’est la fin de votre commerce occidental vers les Indes Occidentales » [10]. Ajoutant du bois au feu, le New York Evening Post déclare que « le contrôle de la Louisiane par Napoléon, menace seulement le démembrement d’une grande partie du pays; plus immédiatement, la sûreté de tous les états du sud; et à long terme, l’indépendance de l’Union entière. [11]
Des craintes additionnelles à caractère plus sombre affectent les Américains racistes pro-esclavagistes, quand les nouvelles du transfert se propagent. La crainte d’un conflit racial a en particulier influencé la diplomatie de l’esclavagiste Jefferson en acquérant la Louisiane. Les plans de Bonaparte, faisant d’une partie de la Louisiane une colonie pénale pour les rebelles noirs d’Haïti vont à l’encontre des plans de Jefferson d’envoyer progressivement des noirs nord-américains en Indes Occidentales et en Afrique.[12] Les décideurs politiques américains craignent également des alliances françaises avec les Américains indigènes et Jefferson a peur que les Westerners , puisse aller faire la guerre avec la France ou abandonner l’Union[13]. L’administration Jefferson, y compris Madison, craint que Bonaparte n’essaye de gagner l’influence sur l’ouest, alors que les craintes des Westerners, tels que William T. Barry, de Lexington, Kentucky, vont encore plus loin en s’inquiétant que Bonaparte n’essaye réellement de conquérir les états de l’ouest. Les fédéralistes utilisent ce mécontentement des Westerners pour embarrasser l’administration. Cependant, en 1801, Jefferson, au commencement, feint de ne rien savoir sur le transfert territorial, réalisé une année plus tôt, espérant que quelque chose arrivera pour annuler le traité, mais les événements de 1802, forcent Jefferson à annoncer finalement sa connaissance de l’accord entre la France et l’Espagne et son reniement.
NOTES
[1] Thomas Fleming, “Napoléon’s Invasion of North America: Aedes aegypti takes a holiday, 1802” in What If? 2: Eminent Historians Imagine What Might Have Been (New York: Berkley Books, 2002).
[2] Figure 1.
[3] South of Montreal, a petition of the villagers of Saint-Constant was addressed to Emperor Napoleon I on March 1, 1805 requesting that Napoleon make it possible for French-Canadians to again bear « the glorious name of Frenchmen, » but Napoleon’s government never made any open moves towards this. Yet, the Napoleonic influence on the former French colonies of North America has not died, as both Montréal and Quebec City, on the Grande Allée, feature Restaurant Bonapartes and the Stewart Museum in Montreal recently showcased a Napoleonic exhibit. See Figure 2. Bernard Chevallier, Napoleon (Montreal: David M. Stewart Museum, 1999); Dupuy 770-773, 819; Durant 521-525; Rufus King, “To the Secretary of State, November 20, 1801” in American State Papers: Foreign Affairs 2: 511-512; Felix Markham, Napoleon (New York: Penguin Books USA Inc., 1963), 103-119.
[4] Thomas Jefferson, “To John Langdon” in The Writings of Thomas Jefferson, edited by H. A. Washington (Washington: United States Congress, 1853-54), 512.
[5] Fernandez 96; Hamilton, “Alexander Hamilton on the Louisiana Purchase” in The Louisiana Purchase, 170; Thomas Jefferson, “Letter from Thomas Jefferson to Robert R. Livingston, April 18, 1802” in The Louisiana Purchase, edited by Peter J. Kastor (Washington: CQ Press, 2002), 162; Kastor, The Louisiana Purchase: Emergence of an American Nation, 4; Robert R. Livingston, “Letter from Robert R. Livingston to James Madison, November 10, 1802” in The Louisiana Purchase, edited by Peter J. Kastor (Washington: CQ Press, 2002), 164-165; Pope 306, 436; Sofka 58.
[6] Figure 1.
[7] Jefferson, “Letter from Thomas Jefferson to Robert R. Livingston, April 18, 1802,” 161; Kaplan 94-96; Kastor, The Louisiana Purchase: Emergence of an American Nation, 3; Charles Pinckney, “Letter from Charles Pinckney to James Madison, May 4, 1803” in The Louisiana Purchase, edited by Peter J. Kastor (Washington: CQ Press, 2002), 167.
[8] Winfield 39-42.
[9] Kastor, The Louisiana Purchase, 2-3; Kaplan 100; Winfield 41.
[10] Winfield 41-42.
[11] Winfield 42.
[12] Perhaps equally haunting, a gathering secession movement in New England, which continued during Jefferson’s second term as well over the trade embargo against the nations involved in the Napoleonic Wars, marked Jefferson’s first four-year term of office.
[13] Robert E. Bonner, “Empire of Liberty, Empire of Slavery: The Louisiana Territories and the Fate of American Bondage” in The Louisiana Purchase, edited by Peter J. Kastor (Washington: CQ Press, 2002), 130-131; Kaplan 97-98, 100; Jefferson, “Letter from Thomas Jefferson to Robert R. Livingston, April 18, 1802,” 161-162; James E. Lewis Jr., “The Burr Conspiracy and the Problem of Western Loyalty” in The Louisiana Purchase, edited by Peter J. Kastor (Washington: CQ Press, 2002), 68.