Essling – Deuxième passage du Danube – Le Consulat et le Premier empire

5 juillet 1809

Endroit de passage des troupes, en direction du Marchfeld
Endroit de passage des troupes, en direction du Marchfeld

Le 4 juillet, à 9 heures du soir, les Français commencent leur passage dans le Marchfeld.

Marbot:

« D’après les instructions de l’empereur Napoléon, l’armée française commença son attaque le 5 juillet, à neuf heures du soir. »

A la même heure, un orage d’une rare violence éclate au-dessus de leurs têtes. Le tonnerre semble trouver un écho dans la canonnade qui sévit au-dessus de Groß-Enzersdorf. Des milliers d’hommes, certains dans l’eau jusqu’aux genoux, attendent l’ordre de s’avancer, les oreilles battues par le tonnerre et le bruit incessant des batteries. « Une nuit de Macbeth« . Tous les témoins ont gardé un très fort souvenir de ces moments là.

Marbot:

« Un orage épouvantable éclatait en ce moment; la nuit était des plus obscures, la pluie tombait à torrents et le bruit du tonnerre se mêlait à celui de notre artillerie, qui, garantie des boulets ennemis par un épaulement, dirigeait tous ses feux sur Essling et Aspern afin de confirmer le prince Charles dans la penser que nous allions déboucher sur ce point….L’Empereur nous rejoignit bientôt; il était gai et dit au maréchal (Masséna): [Je suis enchanté de cet orage: quelle belle nuit pour nous ! Les Autrichiens ne peuvent voir nos préparatifs de passage en face d’Enzersdorf ! ».

Savary:

« Il y eut un violent orage cette nuit là, qui trempa tout le monde; les gardes s’étaient mis à l’abri de la pluie, qui tombait en torrents,, avec une telle violence que nul  n’aurait travaillé, si l’Empereur n’avait été présent. Il était à pied sur le bord de la rivière, écoutant ce qui se passait sur l’autre rive, et surveillant lui-même les pontonniers, qui l’avaient reconnu; il était aussi mouillé que s’il avait été plongé dns le Danube. A cette tempête accompagnée d’éclairs et de tonnerre, nous ajoutions le bruit d’une immense artillerie , dont les batteries étaient disposée le long de la rivière: elles maintinrent  un feu continu de boulets, d’obus et de grenades   sur la rive ennemie, ce qui permit à nos troupes de débarquer sans  le moindre obstacle. »

Macdonald:

« Il survint un orage épouvantable cette nuit même; la pluie, la grêle tombaient par torrents, chassés par un vent du nord impétueux dont les sifflements se mêlaient aux éclats du tonnerre et au bruit du canon. Cette espèce de tempête favorisa extrêmement le passage du Danube par les ponts (il s’agit des ponts qui vont de la rive droite à l’île) qui avaient été établis sur pilotis et auxquels on travaillait depuis la fatale journée du 22 mai précédent [Essling]; ils étaient masqués par l’île de Lobau, très boisée. »

Girault:

« Dans la nuit du 4 au 5 juillet, vers dix heures du soir, notre division reçut l’ordre de prendre les armes. On rassembla tous les voltigeurs et les grenadiers de la division, on les fit monter sur des barques et ils abordèrent l’autre rive sans obstacles. Mais à peine étaient-ils débarqués, que toutes les batteries françaises et autrichiennes ouvraient le feu: la terre en tremblait sur plus d’une lieue de circonférence. Bientôt la petite ville d’Enzersdorf, sur les bords du Danube, fut tout en feu, et lorsque le clocher brûla, on y voyait dans l’île comme en plein midi. »

Tascher:

« A 10 heures du soir, la canonnade commence, deux cents bouches à feu vomissent la mort avec un épouvantable fracas; l’éclat des bombes se mêle dans l’horizon enflammé à l’éclat du tonnerre; le sifflement des boulets lutte et se confond avec celui des vents. La foudre céleste gronde au loin, se rapproche, éclate et se mêle aux foudres de l’artillerie. Enfin toute la colère de la nature jointe à la colère des hommes, tel est le terrible et sublime tableau qui se développe sous nos yeux »

Larrey:

« Le 4 au soir, les armées furent réunies dans la grande île de Lobau. Une flottille portant trois mille hommes de débarquement, commandée par le commandant Baste, capitaine de vaisseau, était destinée à protéger le passage de l’armée sur le dernier bras du fleuve, et à enlever les postes avancés de l’ennemi retranché sur ses bords. Toutes ces opérations devaient être exécutées en même temps. Le signal est donné précisément à l’instant où un orage éclate avec la plus grande violence. Le bruit des fortes canonnades des deux armées est couvert par les éclats fréquents et terribles du tonnerre, accompagnés de grêle et de torrents de pluie. Dans les ténèbres épaisses et lugubres ù nous sommes plongés, il n’est plus possible de se reconnaître qu’à la lumière électrique et instantanée des éclairs »

Czernin :

« Un orage épouvantable éclata dans la nuit du 4 au 5 juillet ; il avait été précédé, dans l’après-midi du 4 par une pluie diluvienne. Pendant que le ciel tonnait, les canons tonnaient à terre. Les Français bombardaient Stadt-Enzersdorf, à leur aile droite. »

Bellot:

« Le mouvement commença à minuit, du 4 au 5 juillet, par un temps épouvantable et une nuit obscure; on en profita pour enlever la petite ville d’Enzersdorf, qui fut brûlée ».

Guyot:

« Le 4 a été  employé à faire entrer toute l’armée française dans ces îles; à 10 heures du soir, par une pluie des plus fortes, le passage du dernier bras du Danube a été ordonné; alors une batterie très forte a foudroyé Enzersdorf et empêché que les autrichiens ne se tinssent au bord du fleuve; plusieurs ponts de bateaux et de radeaux ont été jetés avec succès et l’armée passe sans de grands obstacles au-dessous d’Enzersdorf… »

Bertrand:

« A peine arrivés, nous sommes accablés par un violent orage; placés dans un bas-fond nous passâmes la nuit avec de l’eau jusqu’à mi-jambes, recevant, heureusement sans beaucoup de mal, les obus des batteries ennemies et des têtes de pont de la rive gauche ».

Plaige:

« La nuit approchait, doublement obscurcie par un horizon orageux qui faisait présumer de la continuation des ondées. Les éclairs et le tonnerre le disputaient par leur éclat au feu et au bruit de plusieurs batteries établies dans l’île et surtout de celles qui étaient en face d’Enzersdorf. C’est à la lueur de ces feux que le régiment arriva à l’entrée des ponts qui tenaient plutôt de l’enchantement que de la réalité en se rapportant au temps et aux circonstances où ils avaient été construits »

Peyrusse:

Déjà les batteries de Lobau nous annoncent le passage de l’armée sous le feu des Autrichiens, lorsqu’un orage affreux se déclare et vient ajouter à l’horreur du tableau. Des torrents de pluie inondent la terre. Les coups de canon et les éclats du tonnerre se succèdent si rapidement, qu’il est difficile de les distinguer. On a à combattre et les hommes et les éléments. Jamais la guerre n’avait présenté un spectacle aussi effrayant. Vers minuit, deux villages en flammes signalent l’impétuosité de notre avant-garde, qui s’était emparée d’Enzersdorf. J’avais établi mon bivouac devant l’hôpital. »

Dans le camp adverse, l’officier autrichien Karl August Varnhagen von Ense a lui aussi vécu cette nuit (il sera sévèrement blessé durant la bataille de Wagram):

« Le 4 juillet au soir, nous reçûmes l’ordre, même si la canonnade se faisait entendre, de rester calme jusqu’au lever du jour, mais ensuite d’être prêts à marcher.  En fait,  dès qu’il commença de faire sombre, commença dans la Lobau un violent tir d’artillerie, le ciel étant illuminé par les éclairs des canons, la trace des bombes et des grenades. Cet   échange dura plus de deux heures, car les français avaient au même moment commencé leur attaque, et, tandis que nous pensions anéantir leurs positions dans la Lobau, ils détruisaient les nôtres et réduisaient Groß-Enzersdorf en cendres…. Le ciel se couvrit de noirs nuages d’orage, la pluie se mit à tomber, les flammes [de l’incendie du village] diminuèrent, les canons tirèrent de moins en moins, pour   s’arrêter finalement. Un orage épouvantable, comme personne ne se souvenait d’avoir vu, se répandait maintenant sur le Marchfeld, qui tremblait sous les grondement s du tonnerre, les trombes d’eau et le hurlement du vent faisaient un tel vacarme que même le bruit du canon eut été couvert. Cette tempête ne pouvait que profiter à l’ennemi »

Passage du Danube le 54 juillet 1809. Musée de la ville de Vienne.
Passage du Danube le 54 juillet 1809. Musée de la ville de Vienne.

Napoléon a parfaitement préparé cette opération. Profitant de la protection offerte par l’important rideau d’arbre, les français se sont approchés du bras du Danube à franchir: Masséna (dans une calèche) est à hauteur de Groß-Enzersdorf, Davout en face de ce qui est aujourd’hui la Uferhaus, Oudinot un peu plus bas, presqu’à l’endroit où le Stadlauer Arm rejoint le Danube. Un premier détachement de 2500 grenadiers, sous le commandement du colonel Sainte-Croix, passe dans le Marchfeld, sur les barques préparées à cet effet.

Marbot:

« L’Empereur dit à Masséna : Comme cette première colonne sera très exposée…..il faut la composer de nos meilleurs troupes et choisir pour la commander un colonel brave et intelligent. Mais Sire, cela me revient ! s’écria Sainte-Croix. Pourquoi donc ? répondit l’Empereur Pourquoi ? reprit le colonel, mais parce que de tous les officiers qui sont dans l’île, c’est moi qui depuis des semaines ai supporté le plus de fatigues, étant constamment sur pied jour et nuit pour faire exécuter vos ordres, et je demande que votre Majesté veuille bien m’accorder comme récompense le commandement des deux mille cinq cents grenadiers qui doivent aborder les premiers sur la rive ennemie ! Eh bien, tu l’auras ! répliqua Napoléon. »

Dans son élan, Sainte-Croix s’empare de Groß-Enzersdorf. Une cinquenelle est installée, qui permet immédiatement aux nombreux bacs de transporter la division Tharreau. Puis l’ensemble du corps d’Oudinot (qui a remplacé Lannes à la tête du IIe corps) prend pied dans le Marchfeld. À 11 heures, Masséna (IVe corps d’armée), passe le bras du fleuve à hauteur de la Uferhaus, et s’oriente vers Groß-Enzersdorf: c’est la gauche de l’armée française. Davout, à la tête du IIIe corps, porte son effort à hauteur de Wittau.

Von Ense :

« En toute hâte, six ponts sont jetés, pour lesquels tous les moyens avaient été tenus prêts. Ce sont les fantassins du maréchal Masséna , puis sa cavalerie et son artillerie qui passèrent les premiers sur la rive gauche, puis, plus bas, les troupes de Davout et celles d’Oudinot. Silencieuses et en ordre elles occupaient les positions qui leur avaient été assignées. A trois heures du matin, plus de 40000 hommes sont à Mühlheiten, le reste des troupes se pressant derrière. Ce n’est que vers midi que les derniers arrivent, alors que les plus avancés sont déjà engagés dans  les combats à l’avant. »

A quatre heures du matin, le 5 juillet, l’orage s’était dissipé et le soleil avait fait son apparition.

Marbot:

« A la plus horrible des nuits avait succédé la plus belle journée »

Dans la plaine du Marchfeld, les troupes de Napoléon se déploient, dans un ordre parfait, en grande tenue de parade (comme le raconte Marbot).

Bertrand:

« Le 5 juillet, au petit jour, nous passons les ponts. Les Autrichiens, après une vigoureuse résistance sont culbutés et reculent »

Tascher:

« A sept heures du matin nous mettons le pied de l’autre coté. Trois heures après nous arrivons à portée de canon de l’ennemi. Nous sommes placés à l’aile droite »

Cette droite, c’est Oudinot qui la commande et avance dans la plaine, après avoir réglé le problème du Sachsengang. A gauche, à Groß-Enzersdorf, les combats font encore rage, mais Masséna est près d’en finir. Entre les deux, le corps de Davout tout entier. La garde est sur le point de passer dans le Marchfeld à son tour, suivie des Saxons de Bernadotte, puis, un peu plus tard, de l’armée d’Italie conduite par le prince Eugène.

Devant eux, les Autrichiens reculent, essayant de défendre vainement les positions qu’ils occupent, notamment à Raasdorf. Le général Nordmann, commandant l’avant garde autrichienne, est tué au cours de ces combats (d’origine alsacienne, colonel des housards de Bercheny, il avait émigré en 1793, en même temps que Dumouriez, et s’était mis au service de l’Autriche).

Les Français occupent bientôt Essling, Aspern, Breitenlee, Raasdorf, Süssenbrunn.

L’opération de passage du Danube a parfaitement réussi.