Discours sur l’État de l’Empire – 1806

L'empire en 1806

Les ministres des finances et du trésor public ont présenté leurs comptes à l’Empereur. Vous y verrez la situation prospère de nos finances. L’ordre et la clarté qui règnent dans ces comptes sont tels, qu’il n’y a point d’exemple qu’une aussi grande nation ait eu une connaissance aussi entière de toutes ses affaires; et c’est là un des principaux avantages des principes de notre monarchie, qui séparent entièrement le trésor du prince de celui de la nation, dont il est l’administrateur suprême sous la responsabilité des ministres. Tout ce que la nation paye est directement employé pour soutenir ses nombreuses armées, pour améliorer son territoire et pour subvenir à toutes les dépenses nationales. 

Un changement assez notable aura lieu dans les lois du budget. Au moment où ces lois vous seront présentées, vous y verrez l’intention de l’Empereur d’établir un système permanent de finances : c’est un des plus grands bienfaits que son peuple puisse attendre de lui. Il faut un prince éclairé et fort pour pouvoir se décider entre les différents partis qui, dans ces derniers siècles, ont partagé les administrateurs et ceux qui se sont occupés d’économie politique.

L’expérience a fait justice du principe d’une imposition unique, tant vantée; et, d’un autre côté, les abus du passé ont signalé tous les inconvénients attachés aux impositions indirectes , vexatoires et fatigantes; et c’est en vain que leurs partisans appellent en témoignage l’Angleterre. Dans les propositions qui vous seront faites sur cet objet, comme sur tous les autres, vous reconnaîtrez modération dans les taxes personnelles, exclusion de tout système absolu, etc.

Mais ici, il faut le dire avec courage à la nation, sa sûreté veut qu’une armée nombreuse soit maintenue, que des flottes soient construites et équipées pour protéger notre commerce, nos colonies et nos droits. Ces circonstances exigent des finances productives; l’Empereur estime que huit cents millions sont nécessaires en temps de guerre, et plus de six cents millions en temps de paix; car jamais le sort de son peuple ne doit être à la merci de quelque complot obscur, ni de quelque intrigue de cabinet; et dans tous les instants il doit être prêt à faire face à l’orage, ou à faire taire les jalouses clameurs de ses ennemis.

La nouvelle législation propose des diminutions dans les impositions directes. Dans les temps ordinaires, la charge n’en est que très pesante pour les propriétaires, mais tout ce qui vous sera proposé a été profondément médité, et aucun abus dont on ait eu à se plaindre avec raison ne sera renouvelé.

Vous verrez dans la loi sur les douanes le soin qu’on a mis à protéger notre commerce, nos manufactures, et à mettre, autant qu’il dépend de nous, des bornes à la prospérité des manufactures de nos ennemis.

L’année dernière, la solde a été augmentée par la fourniture, qui a été faite au soldat, du pain blanc pour sa soupe, qu’il payait auparavant sur sa solde. Cette année, l’Empereur a pensé que les soldats, qui ne sont autres que nos enfants, doivent, en guerre ou en paix, avoir le même genre de nourriture, et que son peuple n’approuverait aucune économie sur cet objet de dépense.

L’augmentation d’une demi-ration de viande, accordée également en temps de paix au soldat, fera aussi une augmentation notable dans la dépense, mais qui ne sera pas plus regrettée que la précédente

Les domaines nationaux, par une combinaison ingénieuse et sage, passeront dans les mains de la caisse d’amortissement. Le Sénat, la Légion d’honneur, le Prytanée, par des contrats où leurs intérêts sont ménagés, ont cédé des domaines à la caisse d’amortissement, qui leur a donné en échange des rescriptions sur le grand livre.

Tout le fonds d’amortissement décrété par la loi du 30 ventôse an IX a été, depuis l’an XII, également soldé en domaines. Les cinquante-deux millions que le trésor devait à cette caisse sont soldés de la même manière, et, par là, la dette publique a cessé d’être flottante et a été fixée dans des mains qui la possèdent comme immeuble. On a trouvé aussi dans ces différentes combinaisons de quoi faire cesser le service des années IX, X, XI, XII et XIII, et de rattacher au service courant tout ce que le trésor percevra sur ces exercices antérieurs.

Il est dans la volonté de l’Empereur, comme dans les intentions de la nation, d’accroître notre marine, et, si nous avons perdu quelques vaisseaux dans les derniers combats de mer, c’est un nouveau motif pour redoubler d’énergie. Un grand nombre de nos escadres parcourent les mers et ont attaqué le commerce de nos ennemis jusque dans ses routes les plus éloignées. Notre flottille tout entière va être ranimée par le retour à son bord des vainqueurs d’Ulm et d’Austerlitz ……. .

Mais tous ces moyens de guerre ne seront jamais que des moyens de paix, d’une paix égale, où nous puissions trouver la garantie que nous ne serons point soudainement attaqués et envahis sous les prétextes les plus frivoles et les plus mensongers; mieux vaut supporter encore les calamités de la guerre que de faire une paix qui nous donnerait la certitude de nouvelles pertes et offrirait un nouvel aliment à la mauvaise foi et à la cupidité de nos ennemis.

La réunion du Piémont à la France, exécutée depuis deux ans, rendait indispensable la réunion de Gênes, qui en est le port. Celle de la place de Gènes, occupée depuis longtemps par les Français, défendue par eux dans la seconde coalition, a été la suite de la volonté et de l’indépendance de cette république. Cette réunion n’augmentait pas notre puissance continentale; l’Angleterre seule avait le droit de s’en plaindre; elle n’a pas été la cause de la guerre que nous venons de terminer. La réunion n’a eu lieu qu’au mois de juin, et, dès le mois d’avril, les intrigues de l’Angleterre avaient séduit le cabinet de Pétersbourg. L’humiliation de la France et le démembrement de ses provinces étaient résolus. Ce n’est pas simplement le royaume d’Italie qu’on voulait nous enlever : le Piémont, la Savoie, le comté de Nice, Lyon même, les départements réunis, la Hollande, la Belgique, les places de la Meuse, tel était le démembrement qui était dicté par l’Angleterre aux coalisés , et sans doute ils ne s’y seraient point arrêtés s’ils avaient triomphé de la constance du peuple francais.

L’Angleterre prend peu d’intérêt à l’Italie : la Belgique, voilà le véritable motif de la haine qu’elle nous porte.

Mais la Hollande, les cent dix départements de la France, le royaume d’Italie, Venise, la Dalmatie, l’Istrie, Naples, sont désormais sous la protection de l’aigle impériale, et la réunion de ces États ne nous donne que les moyens nécessaires pour être redoutables sur nos frontières et sur nos côtes.

La Bavière, le Wurtemberg, Bade et plusieurs des principal puissances d’Allemagne sont nos alliés.

L’Espagne, constante dans sa marche, a montré une activité, une bravoure, une fidélité dont nous n’avons qu’à nous louer.

Dans les guerres précédentes, l’Angleterre et la Russie avaient toujours présenté à l’empereur d’Autriche l’appât d’un agrandissement en Italie , pour le déterminer à y prendre part; mais ce souverain maintenant mieux instruit de l’état des choses, a reconnu le danger de l’alliance d’Angleterre, et laisse à la France seule le soin de mêler des affaires d’Italie; n’ayant recouvré ses États que par modération et la générosité de l’Empereur, il sait que ce n’est que dans l’amitié de la France qu’il pourra trouver la tranquillité et bonheur dont ses sujets ont besoin plus qu’aucun autre peuple l’Europe.

L’empereur de Russie, impuissant pour nous faire du mal, sent que la véritable politique de son pays est aussi dans l’amitié de France , tout comme sa véritable gloire est dans l’affranchissement des mers et dans le refus de reconnaître des principes qui soulèvent même les plus petits États, et qui les ont mis dans le cas de braver les bombardements et les blocus plutôt que de s’y soumettre.

L’Empereur offrait la paix à l’Autriche après chaque victoire. Il l’avait accordée à Naples avant la guerre : paix violée aussitôt que jurée, et qui a entraîné la ruine de cette Maison. Il offre également la paix à l’Angleterre. Il ne prétend pas faire revenir cette puissance sur les immenses changements faits aux Indes, pas plus qu’il prétend faire revenir l’Autriche et la Russie sur le partage de Pologne : mais il a le droit de se refuser à revenir sur les alliances et sur les réunions qui composent les nouveaux éléments fédératifs de l’empire français.

La Turquie a été constamment sous l’oppression de la Russie, l’Empereur, en acquérant la Dalmatie, a eu principalement pour but de se trouver à portée de protéger le plus ancien de nos alliés, de le mettre en état de se maintenir dans son indépendance, à laquelle la France est intéressée plus que toute autre puissance.

La première coalition, terminée par le traité de Campo-Formio, a eu pour résultat favorable à la France l’acquisition de la Belgique, la limite du Rhin, la Hollande mise sous l’influence fédérative de France, et la conquête des États qui, aujourd’hui, forment le royaume d’Italie.

La seconde coalition lui a donné le Piémont.

Et la troisième met dans son système fédératif Venise et Naples. Que l’Angleterre soit donc enfin convaincue de son impuissance, qu’elle n’essaye pas une quatrième coalition, quand même il serait dans l’ordre des choses possibles qu’elle pût la renouveler !

Voilà ce que le Gouvernement a fait pour la gloire et la prospérité de la France; l’Empereur n’envisage que ce qui reste à faire, et il le trouve bien au-dessus de ce qu’il a fait; mais ce ne sont pas des conquêtes qu’il projette ; il a épuisé la gloire militaire ; il n’ambitionne pas ces lauriers sanglants qu’on l’a forcé de cueillir : perfectionner l’administration, en faire pour son peuple la source d’un bonheur durable, d’une prospérité toujours croissante , et, de ses actes, l’exemple et la leçon d’une morale pure et élevée; mériter les bénédictions de la génération présente et celles des générations futures, dont sa pensée embrasse aussi les intérêts, telle est la gloire qu’il ambitionne; telle est la récompense qu’il se promet d’une vie vouée tout entière aux plus nobles, mais aux plus pénibles fonctions.