Discours sur l’État de l’Empire – 1806

L'empire en 1806

Les Alpes et les Apennins, ces deux grandes barrières posées par la nature, que le génie de la guerre avait seul franchies jusqu’à ce jour, s’ouvrent aux efforts de l’art et unissent l’Italie et la France, le Piémont et la Rivière de Gênes, par les liens du commerce, comme ils seront unis désormais par les intérêts politiques. Sur les pentes et sur les sommets du Simplon et du mont Cenis roulent facilement d’énormes voitures; prodiges des arts de la paix presque aussi étonnants que ces exploits de la guerre dont ces montagnes ont été le théâtre. Sur les rives du lac Léman, au travers des précipices de la Maurienne, des chemins escarpés sont aplanis; bientôt une seule pente, adroitement ménagée, conduira le voyageur tranquille de Pont-de-Beauvoisin au pied du mont Cenis. Le mont Genèvre offrira à l’Espagne une communication plus abrégée avec l’Italie. Les rochers qui bornent la Méditerranée, de Toulon à Gènes, témoins des héroïques exploits de nos armées, pour lesquelles seules ils ont paru accessibles, cessant d’être le théâtre de la guerre et aplanis par d’immenses travaux, leur offriront désormais un passage plus facile et plus sûr vers des contrées lointaines.

Le produit de la taxe d’entretien des routes, s’élevant à quinze millions, a été abandonné à chaque département et réparti sur le routes de le, 2e et 3e classe. Le trésor public y a joint de cinq à six millions. La totalité de ces fonds a été employée en réparations des routes des deux premières classes. Plusieurs communication nouvelles, désirées par les administrés, ont fixé l’attention du Gouvernement : celle de Valogne à la Hougue est achevée; celle de Caen à Honfleur se termine; celle d’Ajaccio à Bastia est à moitié; celle d’Alexandrie à Savone est tracée; celles de Paris à Mayence par Hombourg, Aix-la-Chapelle à Montjoie, sont ordonnées. Le zèle des départements a concouru , sur plusieurs points, avec les efforts de l’administration. Une louable émulation anime un grand nombre de communes pour la restauration des chemins vicinaux, et on doit espérer que cet exemple, ouvrant les yeux aux habitants des campagnes sur leurs premiers intérêts, se propagera chaque jour.

Des ponts se rétablissent; sur le Rhin, à Kehl et à Brisach; st la Meuse, à Givet; sur le Cher, à Tours; sur la Loire, à Nevers i à Roanne; sur la Saône, à Auxonne; sur le Rhône, à Avignon; celui de Nemours est achevé. Enfin ces deux indomptables torrents, la Durance, qui n’avait pas encore été mise sous le joug, l’Isère, qui avait brisé ceux qu’on lui avait imposés, seront asservis à passer sous des ponts déjà avancés, que la campagne prochaine verra finir : ouvrage énorme par ses difficultés, que l’on n’avait osé entreprendre ou qu’on avait entrepris sans succès.

Les rivages des mêmes fleuves, ceux de la Seine, de l’Aube, de la Moselle, de la Seille, du Tarn, ont été le théâtre d’un vaste système de travaux, qui les bordent de chemins de halage, rendent leurs cours plus libres, et protègent les champs qui les avoisinent.

Des savants distingués appelés sur les bords du Pô en ont parcouru toute l’étendue, visité, la sonde à la main, tous les passages. Délivré des nombreux obstacles qui entravaient son cours, soumis à une police plus sage, le Pô conduira, du pied des Alpes à Venise, nos marchandises et nos soldats. Une législation bienfaisante encourage ce commerce, qu’embarrassaient et les mesures fiscales des anciens princes et la rivalité des États. L’Empereur l’a prononcé : Le Pô est libre.

Six grands canaux sont en exécution. Celui de Saint-Quentin, auquel plus de cinq millions de francs ont déjà été employés, peut être fini dans le courant de l’année prochaine à l’aide des moyens que vous serez appelés à fournir; les souterrains se prolongent; il ne reste plus que deux écluses à fonder, sur vingt-quatre. 800,000 francs ont été consacrés au canal Napoléon, qui doit joindre le Rhin au Rhône. La portion du canal de Bourgogne qui s’étend de Dijon à Saint-Jean-de-Losne compte onze écluses sur vingt-deux. Les canaux du Blavet, de l’Ille-et-Rance, qui établissent au sein de la Bretagne des communications intérieures entre le golfe de Gascogne et la Manche, sont déjà conduits, le premier au tiers, le second au huitième de leurs travaux. Celui d’Arles , qui doit donner au Rhône une issue navigable vers la mer, est au quart. Les canaux d’embranchement, qui accroissent la fertilité naturelle de la Belgique, ont été réparés, continués, multipliés.

Quelques autres canaux, non moins importants, sont commencés, ou du moins tracés, et seront entrepris dès cette campagne; tels sont : celui de Saint-Valery, qui perfectionnera la navigation de la Somme à la mer; celui de Beaucaire à Aigues-Mortes, qui abrégera la communication de ce grand rendez-vous commercial avec la Méditerranée; celui de Sedan, qui unira la haute à la basse Meuse; mais surtout ceux de Niort à la Rochelle et de Nantes à Brest. Le premier a ranimé déjà toutes ces contrées, auxquelles il promet une nouvelle existence; le second, touchant à la Loire et à la Vilaine, débouchera par quatre points sur la mer, et portera de tous côtés, dans les départements de l’ouest, les productions du commerce et les approvisionnements de la marine.

Plusieurs autres, enfin, sont projetés, comme celui de la Censée, destiné à unir l’Escaut à la Scarpe; celui de Charleroi à Bruxelles, qui unira la Sambre à l’Escaut; celui d’Ypres, qui abrégera la communication de Lille à la mer; ceux qui se développeront le long d la Haisne, de la Vesle et de l’Aisne; et enfin le canal latéral de la Loire, allant de Digoin à Briare, et rendant facile et praticable ci tous temps la navigation de la plus belle et la plus capricieuse de nos rivières.

L’histoire a conservé les noms des princes qui, dans l’antiquité ont illustré leurs règnes par de semblables travaux; les États les plus florissants leur doivent leur prospérité intérieure. Quel avenir ne promet pas à l’activité de l’industrie française une sollicitude qui les étend et les multiplie ainsi, au milieu de tant d’autres soins, sur toutes les parties de l’Empire !

Si vous jetez les regards sur nos ports, vous verrez qu’on s’occupe sur les deux mers, à les rendre plus accessibles, plus commodes et plus sûrs. A Anvers, on creuse des bassins. A Dieppe, à Ostende, Dunkerque, le Havre, on construit des écluses de chasse et de canaux d’écoulement. A Honfleur, Bordeaux, Nice, Halinghen, Belle Île, Ajaccio, Bastia, des quais sont relevés, des jetées ou des môle prolongés ou reconstruits. La Rochelle réunit à la fois tous ces travaux. Le curage des ports de Cette et de Marseille se continue; on agrandit celui d’Oléron. Les ports de Dielette et Carteret sont préparés de manière à recevoir un grand nombre de bateaux et chaloupe canonnières qui inquiéteront les habitants des îles anglaises de Jersey et de Guernesey, comme celles de Boulogne menacent Douvres et Londres.