Discours sur l’État de l’Empire – 1806

L'empire en 1806

L’ancienne Savoie, longtemps opprimée par la politique de ses souverains, heureuse d’être réunie par ses lois à une patrie à laquelle elle appartint toujours par ses mœurs, offre à l’Empereur des cœurs fidèleset déjà éprouvés. Tout est en mouvement dans ces vallées jadis presque inaccessibles, bientôt ouvertes aux communications les plus fécondes. Mais les grandes opérations dont elle est le théâtre ne laissent point négliger ses moindres intérêts : le château de Chambéry renaît de ses cendres; des édifices abandonnés sont rendus à l’utilité publique; des asiles sont ouverts à l’indigence ; des points de repos sont assurés aux voyageurs; le germe de l’industrie est semé sur un sol auquel il paraissait étranger.

L’Empereur franchit les Alpes par cette route que son génie a conçue et que sa puissance exécute. Ici une nouvelle scène s’offre à ses regards : le Piémont conserve encore quelques vestiges d’une révolution moins terrible, mais plus récente que la nôtre. Il semble n’être point entièrement français , ni par les sentiments qui le dominent, ni par les avantages dont il jouit : l’Empereur qui, deux fois, avait paru autour des murs de Turin à la tête d’une armée victorieuse, et n’y était point entré par respect pour l’infortune ou la faiblesse, y entre pour la première fois; il s’y montre comme le père de ses nouveaux enfants, sans soldats, sans gardes, accompagné seulement des bienfaits qu’il apporte, plus grand et plus puissant de cette noble sécurité. Les affections auxquelles il s’est confié éclatent de toutes parts. Le peuple piémontais s’est montré digne de la confiance dont il l’honore. Les hommages publics viennent former son cortège; les grands propriétaires restés à l’écart se pressent autour de lui; les administrations incertaines, s’éclairant de son génie , suivent une marche plus ferme et plus régulière; les abus sont réformés, le commerce languissant se ranime , de nouveaux débouchés lui sont promis; les incertitudes sont fixées ; les opinions sont réconciliées ; ceux qui , dans des temps difficiles, se dévouèrent aux intérêts de la France, sont assurés que la France , fidèle, n’oubliera jamais leurs services; ceux qui, engagés par les bienfaits de leurs anciens maîtres, ont cru que le malheur ajoutait aux devoirs de la reconnaissance, apprennent que leur nouveau souverain est trop généreux pour conserver d’autre souvenir que celui du dévouement dont ils se montrèrent capables ; les services sont récompensés, quelle qu’en soit la date, et la nouvelle patrie acquitte les dettes de l’ancienne. Les familles principales, admises autour du trône impérial, répandent autour d’elles l’éclat des honneurs qu’elles ont reçus; les grands propriétaires, sans espérer le retour d’aucun privilège, n’ont plus d’exclusion à craindre; chaque chose reprend la place que lui marquaient la sagesse et la justice; le Piémont, conquis autrefois par les armes, est maintenant naturalisé par les bienfaits.

Tous les points du Piémont verront dater de cette époque des institutions précieuses; mais trois villes surtout ont dû fixer l’attention de l’Empereur : Turin , Casal , Alexandrie ; Turin, jadis résidence dune cour; Casal, ancienne capitale du Montferrat, depuis longtemps naturalisée par les souvenirs, les affections et les mœurs; Alexandrie, autour de laquelle, dans toutes les guerres, roulèrent, comme sur leur pivot, les grandes opérations militaires.

Turin, veuve de ses rois, est consolée par une auguste promesse : un frère de l’Empereur gouvernera cette belle contrée, et son caractère connu garantit le bonheur dont il la fera jouir; il résidera à Turin. Une cour aimable et brillante rendra à cette ville bien plus qu’elle n’a perdu; son magnifique palais deviendra le séjour de la bonté et des grâces. Jadis triste forteresse environnée d’ennemis, maintenant ouverte à la France et à l’Italie dont elle semble être le lien, elle ne sera entourée que de peuples amis , et le commerce et les arts, empressés de s’y rendre, lui prodigueront leurs bienfaits.

Casal, oubliée jusqu’à ce jour, mais toute dévouée au chef de l’Empire, n’a fait entendre que ses acclamations et pas une plainte; l’Empereur a prévu tous ses vœux : un lycée, un évêché, des tribunaux rendent la vie à cette belle cité; des concessions l’enrichissent. Ces bienfaits donneront un développement rapide aux avantages qu’elle tenait de son heureuse situation, d’un climat favorable et de tous les dons de la nature.

Alexandrie, fière de recevoir dans ses murs les mêmes braves dont elle vit la victoire et dont elle fut la conquête, célèbre leur arrivée comme une fête triomphale; ils sont assemblés dans ses murs. Le vainqueur de Marengo est entouré des compagnons de sa gloire dans cette plaine qui en fut l’illustre théâtre. Le prix de la valeur est distribué par les mêmes mains qui en dirigèrent les exploits; un monument est consacré aux mânes de ceux qui s’immolèrent pour la patrie. Les peuples de l’Italie, accourus à ce spectacle, célébrèrent avec les soldats francais l’anniversaire d’un jour qui fixa leurs destinées en assurant celles de la France. En de tels lieux les Français seront toujours sûrs de vaincre , là sera établi le boulevard de l’Empire; là s’élèvera la première place forte de l’Europe. Les fleuves se détournent pour en protéger l’enceinte; les combinaisons les plus profondes de l’art dirigent des travaux immenses, où déjà plus de douze millions de francs ont été dépensés. L’Empereur en a tracé le plan, suivi tous les détails; il rend Alexandrie le siège de tous les grands établissements militaires. Mais en lui assignant une si haute importance dans la guerre, il veut la faire jouir de tous les bienfaits de la paix; il rétablit son administration intérieure; il lui crée un commerce d’entrepôt et de transit que lui destinaient les rivières qui la baignent et les communications dont elle est le centre; ses campagnes, jadis dévastées par des brigands , sont délivrées du fléau qui les désolait depuis plusieurs siècles.

Les bénédictions qui accompagnent l’Empereur ont retenti dans toute la chaîne de l’Apennin.

Gênes les a entendues; elle s’est empressée de présenter à l’Empereur son hommage et ses vœux : ses vœux sont d’être française; elle l’est à moitié par ses affections, par ses habitudes. L’intérêt de sa propre existence lui commande de l’être entièrement : resserrée entre la mer qui la nourrissait autrefois et dont nos ennemis, qui sont les siens, ont fermé les passages, et ces montagnes dont nos lois, sagement prohibitives, font une barrière pour elle, Gênes, manquant de tout, sans forces, sans lois, presque sans gouvernement sollicite l’honneur d’une adoption qui la réunisse à un grand peuple et la fasse entrer en partage des biens dont il jouit et du premier de tous : son gouvernement.

Ce vœu a été accompli; il était celui de toutes les classes de citoyens, et pour toutes la réunion a été un bienfait. L’Empereur l’a consacrée par sa présence; il a été accueilli avec les transports que fait naître un libérateur. Gênes, française, reçoit les denrées du Piémont, fournit à la France les produits de son industrie, vit et s’enrichit par elle, et lui promet, à son tour, un accroissement de force maritime et de richesse commerciale. Plusieurs de ses citoyens, déjà connus de l’Empereur, reçoivent de lui des distinctions flatteuses. Les lois françaises y sont introduites sans blesser aucun des intérêts qui l’avaient fait fleurir autrefois. Ses finances sont améliorées ; la dette publique est consolidée. Son territoire est agrandi, il est partagé en départements, et le département le plus près de la France reçoit un nom qui rappelle un des premiers succès du héros de la France, une des premières couronnes dont la victoire orna ce front, depuis si chargé de lauriers. La terre où ce premier laurier, présage de tant d’immortels succès, fut cueilli, avait bien mérité d’être française ! Le bienfait de cette organisation est assuré à Gènes par le choix d’un grand dignitaire nommé pour l’établir.

Parme et Plaisance, longtemps incertaines de leurs destinées, encore soumises à des institutions gothiques, ont aussi possédé le chef de l’Empire, et de son passage datent pour elles un code de lois, un système d’administration assorti aux lumières du siècle. Si de fausses alarmes ont jeté un instant le trouble dans quelques vallées de ces États , des mesures promptes et sans violence ont bientôt ramené l’ordre parmi des pâtres égarés, incapables d’indiquer eux-mêmes le motif d’une agitation presque puérile, et qui a cessé du moment où l’on s’en est sérieusement occupé.

Cependant l’Italie a changé de face, et l’antique royaume des Lombards s’est relevé à la voix de Napoléon. L’Italie se reposant, à l’ombre de la monarchie, de ses longues agitations, n’a plus rien à envier à la France; le même souffle la ranime, la même puissance la protége, le même esprit fonde des institutions nouvelles en les accommodant à sa situation et à ses mœurs.

Milan a salué du nom de son roi celui qu’elle avait appelé son libérateur; Mantoue reçoit avec transport celui qui fut sous ses murs le vainqueur de cinq armées envoyées successivement pour la défendre. Rassemblés à Castiglione, les soldats français, se rappellent les succès de l’armée d’Italie. Dans quelque partie de l’Europe que les conduise le génie qui les mena tant de fois à la victoire ils se promettent encore de plus brillants succès. L’Italie s’enorgueillit de recevoir des lois d’un nouveau Charlemagne, et croit voir renaître avec son antique gloire toute la prospérité que lui assurent son sol et son climat.

Un prince nourri de ses leçons, adopté d’avance par ses affections, comme il l’a été ensuite par ses décrets, continue son oeuvre en se formant sur ce modèle; l’Italie s’attache avec enthousiasme à ses pas. Déployant un nouveau caractère, elle espère prouver que sa longue faiblesse fut le vice de ses institutions et non le tort de ses habitants.

La France, qui recueille avec avidité le détail de ces grandes créations , suppose encore l’Empereur occupé à les accomplir, lorsque déjà il est à la porte de la capitale se faisant rendre compte de la situation intérieure de l’Empire; peu de jours après, l’Angleterre, étonnée, entend retentir la côte de Boulogne du canon qui annonce sa présence; c’est là, au milieu de l’élite de l’armée, dans le derniers soins de ces grands préparatifs, qu’il vient goûter le repos Ses longues combinaisons touchent à leur terme; l’armée impatiente croit atteindre le moment qui récompensera ses longs travaux ; mais l’Angleterre tremblante, non plus pour sa gloire ou son commerce, mais pour sa propre existence, a préparé sur le continent une puissante diversion; elle a lancé un cri de terreur.

A ce cri le continent s’est ébranlé; ses guerriers ont pris les armes de toutes parts, ils s’avancent contre la France, déjà ils menacent sa frontière. A cette agression inattendue, l’Empereur change ses plan de campagne; l’Angleterre triomphe d’avoir versé sur le continent tous les maux qu’elle avait redoutés; vain triomphe ! elle n’a pas tardé d’apprendre qu’elle n’avait fait que précipiter la ruine de ceux qu’elle regardait comme ses appuis et creusé l’abîme qui doit l’engloutir.