Défense de Ciudad-Rodrigo par les troupes françaises en 1812.

(Extrait de Journaux des sièges faits ou soutenus par les Français dans la Péninsule de 1807 à 1814 – J. Belmas)

 

Auguste Fredéric Louis Viesse de Marmont
Auguste Fredéric Louis Viesse de Marmont

À la fin du mois de septembre 1811, le maréchal Marmont, commandant de l’armée de Portugal, et le général Dorsenne, commandant de l’armée du Nord, agissant de concert, avaient ravitaillé Ciudad-Rodrigo et avaient obligé lord Wellington, qui bloquait cette place, à se retirer sur la Coa. Depuis cette expédition, le maréchal Marmont était resté dans une entière sécurité sur le sort de Ciudad-Rodrigo, qu’il croyait pouvoir toujours secou­rir avec un égal succès, si les Anglais s’en rapprochaient, et il ne craignit pas d’aller reprendre ses cantonnements dans la vallée du Tage, ni de dé­tacher le général Montbrun avec trois divisions pour coopérer à l’expédition du maréchal Suchet contre Valence, laissant ainsi lord Wellington à peu près informé de ses opérations. Au mois de dé­cembre, par suite de nouvelles dispositions de l’empereur, le général Dorsenne [1] reçut l’ordre de se placer en deuxième ligne à Burgos, et de laisser au maréchal Marmont les divisions Souham et Bonet [2], qui occupaient le royaume de Léon et les Asturies. Bientôt après, une partie de l’armée du Nord fut elle-même obligée de se rapprocher de la Biscaye et de la Navarre pour contenir ces pro­vinces qui étaient dans la plus grande fermentation.

Le duc de Wellington
Le duc de Wellington

Lord Wellington, qui n’avait pas renoncé à son projet d’assiéger Ciudad-Rodrigo, faisait travailler avec activité à relever les brèches d’Almeida, afin d’avoir un point d’appui pour ses opérations. Il fit arriver dans cette place un équipage de siège, confectionner des gabions et des fascines, et prépa­rer des bois pour les plates-formes, et un équipage de pont de dix-huit chevalets. Afin d’augmenter encore la sécurité du maréchal Marmont, relati­vement à Ciudad-Rodrigo, en lui faisant croire que la masse des forces anglaises était restée sur la rive gauche du Tage, il ordonna au général Hill, qu’il avait laissé à Portalegre avec quinze cents hommes, Anglais, Portugais et Espagnols, de pousser une pointe sur la route de Séville, pour jeter l’alarme en Andalousie.

Ses préparatifs de siège n’étaient pas encore ter­minés, lorsqu’il apprit le départ des trois divisions que le maréchal Marmont avait détachées sur Valence et le mouvement rétrograde de l’armée du Nord. Profitant alors du moment favorable, il se détermina à agir immédiatement avec la plus grande promptitude. Il mit son armée en mouve­ment le 4 janvier. Toutes les voitures du pays et près de cinq mille bœufs furent mis eu réquisition pour transporter ses approvisionnements et sa grosse artillerie, et lui-même parut le 7 janvier en vue de Ciudad-Rodrigo, à la tête de quarante mille hommes.

Le général Barrié, qui commandait dans la place, en remplacement du général Renaud, pris par les guérillas dans une sortie, y était entré le 7 no­vembre, en même temps qu’un dernier convoi de vivres et de munitions que le général Thiebault, qui commandait à Salamanque, avait réussi à faire passer. La garnison ne comptait que dix-huit cents hommes : l’étendue des ouvrages eu eût exigé trois fois autant. Les magasins renfermaient pour un mois de vivres, tant en farine qu’en lé­gumes, On manquait de viande; mais quelques sorties faites à propos procurèrent une centaine de porcs, et le gouverneur fit alterner la distribu­tion de viande avec celle de légumes.

La place était en assez bon état de défense. La brèche du front nord était réparée, et tout ce front qui, depuis l’attaque faite par le maréchal Masséna en 1810, était considéré comme le plus faible, avait été perfectionné. On avait construit sur la hauteur du grand Teso qui lui fait face, la lunette Renaud, ouvrage en terre, palissade, armé de deux pièces et d’un obusier, et défendu par cinquante hommes. Pour protéger cette lunette, on avait construit une batterie de deux pièces sur la terrasse du couvent fortifié de San-Francisco, qui s’en trouvait à moins de quatre cents mètres ; et, au pied du glacis à gauche, se trouvait le cou­vent de Santa-Crux, crénelé et converti en un poste pour l’infanterie. Le front nord de la place, situé en arrière, était armé de quarante-huit bouches à feu, dont un grand nombre de mortiers et d’obusiers; il battait tous les cheminements qu’aurait pu entreprendre l’ennemi en partant du grand Teso. Le reste de l’enceinte était armé de soixante-onze bouches à feu. Les magasins étaient d’ailleurs bien approvisionnés de poudre et de projectiles. On avait conservé les mauvais retranchements en terre que les Espagnols avaient élevés autour du faubourg de San-Francisco, et, sous l’appui des couvents de San-Francisco, de Santo-Domingo et de Santa-Clara, ces retranchements pouvaient être regardés comme à l’abri d’un coup de main.

Le 7 janvier, lord Wellington fit jeter un pont de chevalets sur l’Agueda à Mariai va, deux lieues au-dessous de la ville, tandis qu’une division de troupes légères passait à gué au-dessus et près du couvent de la Caridad, situé au nord de la place, à une distance de dix-huit cents mètres. Le même jour, il se porta sur la rive droite, et forma l’in­vestissement de la ville. Les troupes anglaises se cantonnèrent dans les villages environnants. Le temps était très-froid, et la terre était couverte de neige.

Le matériel du génie arriva le 8 et fut parqué au couvent de la Caridad. Ce matériel se compo­sait de deux mille deux cents outils, de onze cents gabions, de six cents fascines, de trente mille sacs à terre et d’autres menus approvisionnements. Le matériel de l’artillerie, qui avait été réuni à Gallegos, arriva quelques jours après. Il se composait de trente-quatre pièces de 24 et de quatre pièces de 18, avec un approvisionnement à huit cents coups : huit mortiers et vingt-deux obusiers qui faisaient partie de l’équipage de siège restèrent en arrière et ne furent pas employés.

Après avoir fait la reconnaissance de la place, lord Wellington se détermina, à l’exemple de Masséna, à attaquer du côté du nord. Il y trouvait l’avantage que, des hauteurs du grand et du petit Teso, il pouvait battre immédiatement en brèche la muraille; tandis que, en attaquant sur les fronts opposés, il aurait été obligé de cheminer jusqu’à la crête du glacis pour venir y établir ses batteries de brèche.

1e Nuit, du 8 au 9 janvier.

Lord Wellington, voulant ouvrir immédiatement la tranchée sur la hauteur du grand Teso, donna des ordres pour enlever de vive force la lunette Renaud. À neuf heures du soir, une colonne anglaise de trois cents hommes se porta sur la con­trescarpe de cette lunette, jeta des fascines sur les palissades, sauta dans le fossé, gravit l’escarpe en terre, et arriva dans le terre-plein, en même temps qu’une autre colonne forçait la porte de la gorge. Les cinquante hommes qui gardaient cet ouvrage firent une vive fusillade et jetèrent des grenades dans le fossé; mais, accablés par le nombre, ils durent mettre bas les armes. Quatre hommes seulement parvinrent à se sauver dans la place et trois autres furent tués. La perte des Anglais fut de six hommes tués et de dix blessés, parmi lesquels trois officiers.

L’artillerie de la place et celle du couvent de San-Francisco tirèrent toute la nuit sur la lunette, dans la présomption que l’ennemi travaillait à s’y loger; mais les Anglais, se tenant un peu en arrière sur le sommet de la hauteur, ouvrirent avec sept cents travailleurs une portion de première parallèle d’en­viron trois cents mètres de longueur, avec une communication pour y arriver.

Au jour, notre artillerie apercevant cette paral­lèle, dirigea contre elle tous ses feux ; mais l’ennemi, qui se trouvait à couvert, ne cessa pas de travailler !

Le gouverneur engagea les habitants qui redou­taient le siège à quitter immédiatement la ville.

 

2e Nuit, du 9 au 10 janvier.

Le général Paul Thiébault, gouverneur de la Vieille Castille
Le général Paul Thiébault, gouverneur de la Vieille Castille

Le gouverneur fit partir deux émissaires pour Salamanque, afin d’annoncer au général Thiebault, commandant de cette place, que le siège était commencé. Notre artillerie lança des pots à feu pour découvrir les points où l’ennemi travaillait, et les postes qui occupaient les couvents de San-Francisco et de Santa-Crux tirent de petites sorties. Néanmoins, les Anglais continuèrent d’étendre la première parallèle à leur droite. Ils construisirent en avant la batterie n° 1, de sept pièces de 24, le n° 2, de sept pièces de 24 et deux de 16, et le n° 3, de onze pièces de 24. Mais s’étant aperçus le lendemain que les cinq pièces de droite de la batterie n° 1 se trouvaient masquées par la lunette Renaud, ils les transportèrent à la gauche de la batterie n° 2, qui fut agrandie et contint alors seize pièces : deux des pièces de la batterie n° 1 furent dirigées contre le couvent de San-Francisco. Pour faire plus rapidement ces batteries, les An­glais les enfoncèrent de trois pieds dans le terrain naturel, et couvrirent par une gabionnade les tra­vailleurs qui excavaient le fossé extérieur.

 

Au jour, notre artillerie fit un feu très-vif sur les travaux de l’ennemi et dirigea particulièrement des bombes sur les batteries commencées ; trente fusils de rempart furent en outre répartis sur le front d’attaque pour tirer sur les travailleurs. On vit l’ennemi transporter beaucoup de sacs à terre dans sa parallèle, soit pour remplir le coffre de ses batteries, soit pour faire des créneaux sur les parapets de ses tranchées.

 

3e Nuit, du 10 au 11 janvier.

L’ennemi fit des communications pour arriver à ses batteries, il forma un crochet à chacune des extrémités de la première parallèle pour s’opposer aux sorties de nos postes des couvents de Santa-Crux et de San-Francisco, et embusqua des tirailleurs dans des trous creusés près de ce dernier couvent, afin d’inquiéter nos canonnière ; mais au jour, il fut obligé de les retirer.

Le général Barrié envoya un nouvel émissaire à Salamanque pour instruire le général Thiebault de l’état de la place.

 

4e Nuit, du 11 au 12 janvier.

L’ennemi déboucha de l’extrémité droite de la première parallèle, et fit avec des gabions qu’il remplit de sacs à terre une branche de zigzag, di­rigée vers la place. Au jour, il perfectionna ce tra­vail en l’enfonçant.

Nos mortiers continuèrent à lancer des bombes sur les travaux de l’ennemi, principalement sur les batteries, dont elles détruisirent des portions de parapet et forcèrent les travailleurs à abandonner les fossés. L’une des deux pièces du couvent de San-Francisco étant tombée du haut de la terrasse, fut remplacée par un obusier, qui fut placé dans le jardin du couvent, de manière à enfiler la batterie n° 1.

 

5e Nuit, du 12 au 13 janvier.

L’ennemi avança peu vers la place, mais il tra­vailla avec activité à ses batteries. L’excessive ri­gueur du froid l’obligeait à relever deux fois par nuit ses travailleurs qui, ainsi, ne restaient pas plus de six heures sur le terrain.

Notre artillerie fit un feu continuel, et les postes des couvents de Santa-Crux et de San-Francisco ne cessèrent pas de faire une fusillade des plus vives.

 

6e Nuit, du 13 au 14 janvier.

À l’entrée de la nuit, l’ennemi attaqua le cou­vent de Santa-Crux, dont les feux arrêtaient ses cheminements. Il s’en rendit maître et s’y logea. Le poste de cinquante hommes qui s’y trouvait parvint à se jeter dans le fossé de la place après avoir éprouvé quelques pertes. L’ennemi reprit alors le cheminement qu’il avait commencé à la droite de la première parallèle, et le poussa jusque sur le petit Teso, où il fit l’amorce de la deuxième parallèle. Nous lançâmes sur ce travail des pots à feu qui génèrent beaucoup l’ennemi.

A onze heures du matin, le général Barrié or­donna une sortie de cinq cents hommes, qui re­prirent le couvent de Santa-Crux et comblèrent la plus grande partie des tranchées ouvertes pendant la nuit. Nos troupes atteignirent même la première parallèle, menaçant de détruire toutes les batte­ries. Le moment de cette sortie avait été bien choisi. L’ennemi relevait alors ses gardes de tran­chée; et, comme celles qui devaient être relevées s’en allaient dès qu’elles apercevaient de loin le dé­tachement qui venait les remplacer, les parallèles se trouvaient un moment désertes. Nos troupes ren­trèrent dans la place, quand les réserves anglaises se furent avancées.

Dans la journée, l’ennemi acheva l’armement et l’approvisionnement de ses batteries. Lord Wel­lington, qui appréhendait toujours que le maréchal Marmont ne vînt au secours de la place, donna l’ordre de battre immédiatement en brèche la mu­raille, pensant pouvoir donner ensuite l’assaut, si l’armée de secours s’avançait, sans être obligé de renverser la contrescarpe.

À quatre heures et demie du soir, vingt-trois pièces de 24, réparties dans les batteries n° 1, 2 et 3, commencèrent donc à battre le saillant nord de la muraille; en même temps, deux pièces de 16 tirèrent contre le couvent de San-Francisco.

 

7e Nuit, du 14 au 15 janvier.

Le soir, le général Barrié [3] fit rentrer le poste qui avait réoccupé le couvent de Santa-Crux, dans la crainte qu’il ne fût enlevé pendant la nuit.

L’ennemi fit attaquer le couvent de San-Francisco par une colonne qui escalada la muraille extérieure, tandis qu’une autre colonne pénétrant dans le faubourg se présentait à la gorge; nos troupes firent leur retraite, après avoir encloué l’artillerie. L’ennemi se retrancha aussitôt dans ce couvent, fit un fossé en avant, et y ouvrit une communication partant de la batterie n° 1. Il put alors étendre d’environ deux cent trente mètres à la gauche la deuxième parallèle, qu’il avait amor­cée sur le petit Teso, à cent quatre-vingts mètres de la place. Nous jetâmes des pots à feu pour éclairer ces travaux, mais les sapeurs anglais en éteignirent plusieurs en les couvrant de sacs à terre.

Au jour les batteries ennemies recommencèrent à battre le saillant nord de la muraille et l’endom­magèrent beaucoup. Nous avions sur le front d’at­taque quarante-huit pièces qui firent un feu très-vif; mais l’ennemi n’y riposta pas par un seul coup de canon, et ce jour-là, comme les jours sui­vants, il concentra tous ses feux sur le saillant nord qu’il voulait ouvrir : dans aucun siège peut-être, l’assiégeant n’avait à ce point négligé d’étein­dre le feu de la place. La brèche fit des progrès effrayants, bien que les batteries s’en trouvassent à cinq cents mètres; mais cette partie de la mu­raille, déjà ouverte en 1810, avait été fraîchement reconstruite en pierres de taille maçonnées seule­ment sur une partie de son épaisseur avec un mor­tier de terre grasse, faute de chaux qui était très-rare dans le pays.

 

8e Nuit, du 15 au 16 janvier.

Le commandant du génie fit déblayer le pied de la brèche et étendre les décombres dans le terre-plein de la fausse braie. Il fit aussi commen­cer sur le terre-plein du rempart un retranchement intérieur en arrière de la brèche. Une circonstance particulière facilitait la construction de ce retran­chement : le rempart était soutenu, du côté de la ville, par un mur qui formait une contrescarpe de six mètres; en sorte qu’il suffit de faire, de cha­que côté de la brèche, une coupure appuyée à cette contrescarpe, pour empêcher l’ennemi qui aurait gravi la brèche de se répandre dans la ville.

De leur côté, les Anglais, prévoyant que nous ferions un retranchement en arrière de la brèche, cherchèrent les moyens de le tourner. Dans ce but, ils commencèrent entre la redoute Renaud et le couvent de San-Francisco, sur la pente du grand Teso, une batterie n° 4, de sept pièces de 24, destinée à ouvrir une nouvelle brèche à une petite tour située sur la courtine du front est de la place, près de la porte del Conde, dite de Salamanque. Cette tour, formée d’une mauvaise maçonnerie, était vue jusqu’au pied par-dessus la fausse braie. L’ennemi pensait que quelques salves suffiraient pour la renverser, et qu’alors il pourrait donner l’as­saut avant que nous eussions eu le temps de faire un retranchement. Ce point était en effet d’autant mieux choisi que la muraille était basse, le parapet sans épaisseur, et que la tour était le seul endroit d’où nous pouvions flanquer par de l’artillerie la brèche principale. L’ennemi ajouta cinq pièces de 24 à ses batteries n° 1 et 2, et il continua à étendre à gau­che sur la crête du petit Teso sa deuxième parallèle, où il plaça des tirailleurs qui inquiétèrent beaucoup nos canonniers.

Au jour, l’ennemi reprit son feu contre la brè­che avec vingt-huit pièces de 24 et deux pièces de 18. Dans la matinée, un brouillard épais l’obli­gea de suspendre son tir, mais favorisa ses travaux.

Lord Wellington, jugeant que la brèche serait bientôt praticable, somma le gouverneur de se rendre : le général Barrié répondit que lui et sa garnison s’enseveliraient plutôt sous les décombres de la place. Il répartit ses troupes sur les remparts du corps de place et de la fausse braie, et fit faire de fréquentes patrouilles dans les fossés.

 

9e Nuit, du 16 au 17 janvier.

La garnison resta sur pied toute la nuit dans l’attente de l’assaut. On travailla avec activité au retranchement intérieur et au déblaiement du pied de la brèche; des poutres furent placées sur les parapets pour être jetées sur les assiégeants, s’ils tentaient l’escalade.

L’ennemi ayant achevé sa deuxième parallèle, y construisit une nouvelle batterie n° 5, de six pièces de 24, pour aider au perfectionnement de la brèche. Il déboucha de la droite de cette parallèle par un cheminement pour se rapprocher de la contrescarpe. Mais, au jour, notre artillerie, qui n’était pas contre-battue, fit un feu si vif et si bien dirigé sur ce cheminement, qu’elle renversa une partie des gabions déjà placés et obligea les tra­vailleurs à se retirer : elle fit aussi éprouver des dommages aux batteries ennemies, principalement à la batterie n° 2, où deux affûts et une pièce de 24 furent mis hors de service par un boulet.

 

10e Nuit, du 17 au 18 janvier. 

L’ennemi dirigea de sa deuxième parallèle un feu très-vif sur la brèche pour nous empêcher d’y travailler, et plaça dans le même but une ligne de ti­railleurs dans un ravin situé au pied du petit Teso, ainsi que quelques pièces de campagne, derrière une gabionnade près du couvent de Santa-Crux; mais notre artillerie réduisit ces pièces au silence.

A neuf heures du matin, la batterie n° 4 commença à battre en brèche, avec sept pièces de 24, la vieille tour voisine de la porte del Conde, et vingt-cinq pièces des batteries n° 1, 2 et 3 continuè­rent leur feu sur la grande brèche. À la fin de la journée, cette Vieille tour s’écroula comme une avalanche, et cette nouvelle brèche, que nous croyions devoir nous faire gagner du temps, devint au con­traire pour nous un grand sujet d’alarme. Notre feu arrêta une seconde fois la tête de sape que l’en­nemi cherchait à pousser en avant de la deuxième parallèle pour se rapprocher de la contrescarpe et soutenir de plus près ses colonnes d’assaut.

 

11e Nuit, du 18 au 19 janvier.

La garnison fut sur pied toute la nuit et fit un feu continuel. Le commandant du génie fit entreprendre des coupures en arrière de la nouvelle brè­che, mais sans espoir de les voir terminées à temps. L’ennemi cessa tous ses travaux de chemine­ment. Il arma sa batterie n° 5 d’un obusier et d’une pièce de 6 qui tirèrent toute la nuit sur la grande brèche pour en éloigner les travailleurs, et au jour, il reprit son feu de toutes ses batteries, tant sur cette brèche que sur celle qui en était voisine.

Le général Barrié, voyant s’approcher l’instant de l’assaut, lit ses dernières dispositions de défense et adressa une allocution énergique à la garnison.

Il plaça trois compagnies à la grande brèche qui avait plus de vingt mètres de large, et dont le ta­lus était très-doux. Deux pièces de 24 démontées, qui se trouvaient au sommet, furent chargées à mitraille pour recevoir l’ennemi. On fit des approvisionnements d’obus et de grenades pour rou­ler sur les assaillants; des sachets remplis de pou­dre, reliés par des saucissons, furent disposés sous les décombres de la brèche, et l’on profita d’une ancienne poterne qui existait sous le rempart, pour préparer un fourneau de mine que les dé­fenseurs devaient faire sauter s’ils étaient obligés de se retirer; de plus la fausse braie fut garnie de troupes pour la défense du fossé. Une compagnie de voltigeurs fut chargée de défendre la petite brèche, dont on chercha à fermer le mieux qu’on put les issues du côté de la ville avec des voitures et des bois. Les autres troupes se tinrent à portée des brèches, ou furent réparties sur le pourtour de la place pour repousser les tentatives d’escalade. Le gouverneur se posta entre les deux brè­ches avec son état-major et une soixantaine d’hommes formant sa réserve.

Dans l’après-midi, lord Wellington fit avec soin la reconnaissance de la place, et se disposa à livrer l’assaut.

 

12e Nuit, du 19 au 20 janvier.

À six heures et demie du soir, une vive fusil­lade s’engagea sur presque tout le développement du front d’attaque entre les troupes de l’ennemi, réparties dans les tranchées, et les défenseurs de la fausse braie. Bientôt après, un détachement d’infanterie anglaise traversa le pont de l’Agueda, et attaqua deux pièces qui, placées près de la porte d’Almeida, battaient l’entrée du fossé. En même temps, un régiment anglais, débouchant de la droite du couvent de Santa-Crux, força la porte qui donnait entrée dans le fossé au point de jonc­tion de la contrescarpe avec l’escarpe, et donna l’escalade à la fausse braie, tandis qu’un autre régiment, débouchant de la gauche du couvent de Santa-Crux, attaquait aussi cette fausse braie en un point plus rapproché de la grande brèche. À la nouvelle de cette attaque, le gouverneur accou­rut avec sa réserve sur le point menacé : il fit rouler des bombes et des obus et lancer des gre­nades sur l’ennemi; mais, voyant qu’il ne pouvait empêcher l’escalade de la fausse braie, il revint animer par sa présence les défenseurs des brèches. Les troupes anglaises s’avancèrent alors par le terre-plein de la fausse braie jusqu’au pied de la grande brèche. Une autre colonne, munie d’é­chelles, formée de la brigade du général McKinnon [4] et suivie du reste de la division Picton [5] dont elle faisait partie, s’était portée directement de la deuxième parallèle sur la contrescarpe en face de la brèche. En tête de cette colonne marchaient cent cinquante sapeurs, portant chacun deux sacs de bruyère qu’ils jetèrent dans le fossé, et dont ils réduisirent ainsi la profondeur de quatre mètres, à deux mètres cinquante centimètres. Les Anglais sautèrent sur les sacs ou descendirent avec leurs, échelles, et se mirent à gravir la brèche de la fausse braie, au sommet de laquelle ils rencontrèrent les deux régiments arrivés par le terre-plein de la fausse braie dont ils avaient escaladé l’es­carpe. Toutes ces troupes se ruèrent en masse sur la brèche du corps de place, mais elles y trou­vèrent la plus vive résistance. Deux fois clins fu­rent repoussées, laissant le rempart et la brèche couverts de leurs morts.

Tandis que ceci se passait à la grande brèche, la division légère du général Crawfurd[6] avait dé­bouché du couvent de San-Francisco pour assaillir la petite brèche. Parvenue sur la contrescarpe, cette division sauta dans le fossé, après y avoir jeté des sacs de foin ; et malgré la vive fusillade avec laquelle elle fut accueillie, et la perte du général Crawfurd blessé mortellement, elle s’empara sans beaucoup d’efforts de la brèche, qui n’était dé­fendue que par une compagnie de voltigeurs. Aussitôt les Anglais se formèrent sur le rempart et commencèrent à se répandre dans la ville. Les défenseurs de la grande brèche, entendant tirer derrière eux, jugèrent que toute résistance deve­nait inutile, et ils se retirèrent en mettant le feu à la mine préparée sous la poterne du rempart. L’explosion fut meurtrière pour les assaillants : le général anglais McKinnon, qui s’était mis à la tête des colonnes, en fut victime. Nos soldats se reti­rèrent de maison en maison jusque sur la place du château où se trouvait parqué l’équipage de siège de l’armée de Portugal. Ils se rendirent pri­sonniers ainsi que le gouverneur, qui était par­venu avec quelques hommes à se jeter dans le château. La ville devint alors le théâtre du plus affreux désordre. Les vainqueurs se livrèrent au pillage, et aucune maison ne fut épargnée; ils mi­rent le feu en plusieurs endroits, et le sac dura toute la nuit.

Le jour vint éclairer les horreurs de cette scène. Lord Wellington ne parvint à faire cesser le dé­sordre qu’en faisant évacuer la ville, où il ne laissa que quelques postes de garde pour rétablir la tranquillité et arrêter les progrès de l’incendie, qui dura six jours et menaça de consumer toute la ville.

Les Anglais eurent, la seule nuit de l’assaut, cent quarante-six hommes de tués et cinq cent soixante de blessés; leur perte totale pendant le siège fut de deux cent vingt-six hommes tués et de mille quatre-vingt-quatre blessés, dont sept ingénieurs. Ils avaient tiré neuf mille cinq cent quinze coups de canon, et consommé soixante-quinze mille cent soixante livres de poudre. Ils trouvèrent dans la place cent soixante-trois bou­ches à feu, dont cent dix-neuf étaient en batte­rie sur les remparts, une immense quantité de boulets, de bombes et de cartouches d’infanterie, un dépôt considérable d’armes et un arsenal bien approvisionné. [7]

Lord Wellington laissa provisoirement à Ciudad-Rodrigo le général Leith [8] avec la cinquième division pour combler les tranchées et réparer les brèches, et il se retira à Fuente-GuinaJdo.

Le maréchal Marmont s’était rendu à Valladolid, le 13 janvier, avec une division pour prendre des mains du général Dorsenne le commandement des troupes qui, d’après la nouvelle délimitation faite par l’Empereur, devaient faire partie de l’ar­mée de Portugal, et pour appuyer le général Dorsenne dans l’escorte d’un convoi que ce général avait fait préparer pour Ciudad-Rodrigo. Ce n’est que le 15 janvier au soir qu’il apprit que cette place était assiégée. Il donna aussitôt des ordres pour rassembler ses troupes, mais elles étaient si dispersées qu’il ne put les réunir à Salamanque qu’à la fin du mois de février, lorsque déjà Ciudad-Rodrigo avait été remis en état de défense et approvisionné. Lord Wellington, n’appréhendant rien du maréchal Marmont, qui n’avait ni point d’appui ni magasins, et qui avait laissé prendre son équipage de siège à Ciudad-Rodrigo, remit la place aux troupes espagnoles; puis, ne laissant en observation sur l’Agueda qu’une division d’infan­terie et une brigade de cavalerie, il se mit en marche, les premiers jours de mars, pour aller faire le siège de Badajoz.

Lieux de mémoire

  • Le couvent de La Caridad.

  • Près de la Plaza Amayuelas, plaque commémorative à la mémoire du général Carufurd.

  • Face à l’entrée de l’église, monument (cavalier sculpté dans la pierre) en l’honneur de Don Julián Sánchez, chef des Guerilleros de la région de Salamanque.

  • Le fort de la Conception, à 35 km au nord-ouest de la ville servi de QG à Masséna, durant le siège d’Almeida.

NOTES

[1] Jean-Marie-Pierre Dorsenne (1773 – 1812)

[2] Jean-Pierre-François Bonet (1768 – 1857)

[3] Jean-Leonard Barrié (1762 – 1848)

[4] Major General Henry McKinnon (1773 – 1812)

[5] Thomas Picton (1758 – 1815-Waterloo)

[6] Robert Craufurd (1764 – 1812)

[7] Des 1 900 hommes de la garnison française, environ 600 furent tués ou blessés pendant le siège.

[8] James Leith (1763 – 1845)