De sang, de fer, d’honneur et de testerone : le duel
« Les hommes qui ne se battent pas en duel croient que les hommes qui se battent au duel à mort sont courageux »
Jérôme CROYET.
Docteur en Histoire, archiviste adjoint aux A.D. Ain
Conférencier à l’Université Lumière Lyon II
– Article 1er. Chaque fois que MM. Dupont et Fournier se trouveront à trente lieues de distance l’un de l’autre, ils franchiront chacun la moitié du chemin pour se rencontrer l’épée à la main ;
– Article 2. Si l’un des deux contractants se trouve empêché par son service, celui qui sera libre devra parcourir la distance entière, afin de concilier les devoirs du service et les exigences du présent traité ;
– Article 3. </sp an>Aucune excuse autre que celles résultant des obligations militaires ne sera admise ;
– Article 4. Le traité étant fait de bonne foi, il ne pourra être dérogé aux conditions arrêtées du consentement des parties. (« Contrat Fournier-Dupont »)

Pour le dictionnaire de Trévoux « le duel est une action téméraire et l’effet d’une vanité extravagante ». Déjà fléau des gentilshommes sous l’Ancien Régime au point qu’il est interdit par un arrêt du 28 juillet 1752, le duel est un fléau pour les armées impériales. Survivance de l’Ancien Régime, le duel témoignage d’un esprit d’indépendance mais surtout une marque flagrante d’indiscipline[1]. La promiscuité et la vie en commun d’hommes rompus au combat établi des règles, notamment en matière d’honneur. Les soldats de l’Empire, devenus insoucieux de leur vie, comme ils le sont de celle des autres, cherchent dans le duel tous les prétextes pour se battre prouver aux autres, son courage, sa force mais aussi peut être refouler la peur de la mort : « il fait partie intégrante de la façon de vivre du soldat »[2]. Le duel sert aussi de rite initiatique aux nouveaux venus au régiment[3] ainsi qu’un prétexte à ouvrir des bouteilles. Ainsi, le tambour Dupré, prévôt du maître d’armes du 108e Régiment d’Infanterie de Ligne, « se faisait payer à boire par le premier venu, ou bien il invitait les récalcitrants à se rendre sur le terrain pour se rafraîchir à coups de sabre »[4].
Des affaires à régler sur le champ
Les duels n’ont pour motifs souvent que des détails futiles, des causes aucunement valables ; ainsi on se bat pour un cantonnement favorisé, une parole maladroite, la supériorité d’un corps sur un autre ou des dames, le plus souvent de petite vertu. Ainsi, Marbot, jeune cavalier au 1er hussard en fait l’expérience :
« à cette époque, le ceinturon des cavaliers n’était muni d’aucun crochet…il fallait tenir le fourreau de la main gauche en laissant le bout traîner par terre. Cela faisait du bruit sur le pavé et donnait un air tapageur…mais voilà qu’en entrant dans le jardin…le bout du fourreau de mon sabre touche le pied d’un énorme canonnier à cheval…celui dont le bout de mon sabre avait touché le pied me dit d’une voix de stentor et d’un ton fort brutal « housard ! Ton sabre traîne beaucoup trop »…et moi de dire au canonnier « viens le relever », « ce sera facile » réplique celui-ci…à ces mots le canonnier…se dresse…tous les canonniers qui se trouvent dans le jardin prennent aussitôt parti pour leur camarade, mais une foule de housards viennent se ranger auprès de Pertelay et de moi. On s’échauffe, on crie, on parle tout à la fois, je crus qu’il y allait avoir une mêlée générale…les artilleurs comprirent que s’ils dégainaient, ils auraient le dessous…mais comme, dans le tumulte, un trompette d’artillerie d’une vingtaine d’années était venu me dire des injures, et que dans mon indignation je lui avais donné une si rude poussée qu’il était allé tomber la tête la première dans un fossé plein de boue, il fut convenu que ce garçon et moi, nous nous battrions au sabre »[5]
Une erreur ou un faux geste peut mener au combat. Le futur général Boulart se trouve emmené à un duel au pistolet avec le lieutenant Klié, pour avoir reculé en arrière le tabouret de ce dernier qui « sans défiance, voulant se rasseoir, s’assit à terre »[6]. Parquin, fait son premier duel avec un chasseur de son régiment pour lui avoir reproché le mauvais état de son sabre, « il n’y avait qu’un blanc bec qui trouvait à redire à un ancien…et le duel eut lieu aussitôt »[7]. De même, lors des travaux de fortifications de l’île de Lobau, un capitaine de grenadiers provoque un officier du génie, au milieu des troupes car ce dernier avait fait des reproches aux fantassins quelque peu paresseux. Parquin a son deuxième duel avec des hussards du 8e pour une chansonnette.
Ces duels ne sont pas l’apanage de la cavalerie légère. Tous les corps se livrent à cette pratique; ainsi, le 24 nivôse an IX, Jean-Baptiste Porret, né à Armix dans l’Ain, sapeur à la 3e compagnie du 4e bataillon de sapeurs, décède de ses blessures à l’hôpital de Landau, après un duel, le 30 frimaire an IX. Au printemps 1793, un lieutenant du 5e bataillon de l’Ain refuse de rendre au sous lieutenant Godet, un pistolet que ce dernier lui a prêter :
«mon lieutenant m’avait emprunté un des mes pistolets…alors il me dit que le lieutenant a répondu que si je veux avoir mon pistolet il faut que je le gagne…nous voilà parti ayant pour témoins notre capitaine Bulliot et le capitaine Bouvet…nous nous dirigeons vers le bois…il pleuvait à verse ; arrivé au point convenable, je jette mon habit sur un buisson et prends mon sabre à la main dont je suspend le fourreau à un chêne. Je devais avoir un air pas mal comique car je n’avais jamais vu une salle d’armes et n’avais dégainé mon sabre que pour défiler la parade. Je m’attendais sûrement à être touché…mais quel est mon étonnement lorsque j’entends mon provocateur qui n’était pas dévêtu, dire qu’il était bien désagréable d’en venir là entre camarades qui devaient bien vivre ensemble…je ne fis pas le matamore, car au fond j’étais bien aise de ce dénouement…nous rentrons, on me rend mon pistolet »[8].
Une fois l’accident survenu, les différents se règlent alors sur le champ, que ce soit dans un jardin, dans la rue, voire même devant l’ennemi ; un cavalier et un grenadier d’infanterie français vont jusqu’à croiser le fer devant des hussards ennemis aux avant postes de l’armée française, en Forêt Noire. Il est en effet de bon ton qu’un ferrailleur de l’infanterie préfère toujours se battre contre un cavalier, son ennemi naturel, et de préférence contre un cuirassier, surtout s’il est grand et gros.

Si les querelles d’individus sont nombreuses, celles entre corps le sont aussi. Ainsi, plusieurs cavaliers du 12e hussards et du 15e chasseurs s’affrontent quatre à quatre dans un champ clos « tandis que leur camarade se massent autour d’eux pour dissimuler la scène aux indiscrets »[9]. De même, la vanité d’un corps et son sentiment de supériorité sur un autre est une excuse de duel à Leoben, durant le Directoire, lorsque
« les vieux corps de l’armée d’Italie[10], en grande partie recrutés dans nos provinces méridionales, se prétendaient l’armée citoyenne par excellence ; ils appelaient l’armée du Rhin, l’armée des Messieurs, et ce sobriquet, ils l’appliquèrent à la division Bernadotte…plusieurs duels s’en suivirent aussitôt. Des officiers furent envoyés de pat et d’autre pour rétablir l’ordre ; mais, au lieu de séparer les combattants, ils prirent fait et cause pour eux. Plus de cent hommes avaient déjà succombé, et dans ce nombre, la division Masséna avait à en regretter au moins soixante »[11].
Les maîtres
Si l’idée du combat pour l’honneur est sans appel dans la mentalité des soldats de la Révolution et de l’Empire, elle est toutefois régie par quelques règles du moins par les maîtres d’armes de chaque régiment, aidés par les tambours particulièrement susceptibles qui reçoivent le nom de prévôt. Ces tambours « ne portant point de fusil, n’ayant pour toute arme qu’un sabre, il s’en sert mieux que les autres soldats ; il le caresse, il le polit, il le manie tant que…quand vient l’occasion de dégainer, la lame ne tient pas au fourreau »[12]. Pour les maîtres d’armes, le duel est une excuse à la démonstration de bottes ou pour essayer leur force, et le simple fait d’évoquer les talents d’un maître d’armes devant celui du régiment suffit à faire monter la pression :
« lorsque nous voulions le mettre en colère, nous vantions devant lui les maîtres d’armes des autres régiments ; alors M. Malta levait les épaules en signe de mépris et finissait toujours par dire : aucun de ces gens là ne serait digne de balayer ma salle d’armes »[13].
Pour le maître d’armes Jourdain,
« tout le secret des armes ne consiste qu’en deux choses : à donner et à ne pas recevoir, or, pour ne pas recevoir, détournez l’épée de votre adversaire de la ligne de votre corps, ce qui ne dépend que d’un petit mouvement du poignet, ou en dedans, ou en dehors »[14].
Les maîtres d’armes s’instituent juges des duels au point que si un des duelliste est blessé à mort ils peuvent reprendre à leur compte l’honneur du régiment, perpétuant le duel. Lorsque Parquin se bat en duel avec des hommes du 8e hussards en 1807, c’est l’inverse qui se produit, les deux maîtres d’arme des régiments, un brigadier de la compagnie d’élite pour le 20e chasseurs et un trompette major pour le 8e hussards, s’affrontent les premiers, Parquin étant chargé de relever l’affront en cas de blessure de son maître d’arme :
« les explications ne furent pas longues, elles se bornèrent à mesurer les armes, qui étaient de même ordonnance. Chacun des adversaires tenait son sabre la lame dessus, aucun coup d’espadon ne fut tiré, mais les dégagements et les coups de pointes se succédaient rapidement…Popineau arriva trop tard à la parade…qui…ne le mit pas moins hors de combat. Je mis l’habit bas aussitôt et demandai à continuer la partie »[15]
Ces derniers sont aussi redoutés que peut l’être le colonel, ce sont eux qui règlent les modalités du duel, désignant, si nécessaire, un homme de force égal pour répondre à l’adversaire. Généralement, le duel se fait en présence de témoins eux aussi armés et prêt à combattre en cas d’irrégularité. Pour les querelles légères, les duellistes s’arrêtent au premier sang, mais en cas d’affront grave, de démentis ou de soufflets, le combat peut aller jusqu’à la mort. Au 4e régiment d’artillerie à cheval, un code régi les duels ; si un canonnier se bat sans la permission du maître d’armes, la punition est de deux jours de salle de police et de deux jours de prison en cas de mort d’homme. Si le combattant est un sous-officier, la peine est portée à 4 jours de salle de police. Si un officier se bat sans la permission du chef de bataillon, l’officier écope d’une semaine de salle de police et de huit jours en cas de mort d’homme. Car les officiers aussi se prêtent à cette pratique et certains se font un honneur de se battre une fois par mois. Ainsi, Claude Jacquet, natif de Lyon, lieutenant au 16e régiment de dragons et récipiendaire d’un sabre d’honneur, « semble avoir été un familier des duels. S’il n’en est pas toujours sorti vainqueur, il a survécu à tous »[16]. Les duels entre officiers sont courants et « la différence de grade n’arrête pas les combattants »[17] : au 2e régiment de chasseurs en 1793, le futur général Bordessoulle, alors chef d’escadron, se bat en duel avec un capitaine de son régiment qui l’avait insulté. Blessé à la main, Bordessoulle est cassé de son régiment et envoyé dans la gendarmerie pour s’être battu. De même, le colonel du 2e chasseurs, de Montmorency-Laval, est cassé de son grade par Custine et passé chef de bataillon dans l’infanterie pour s’être battu en duel avec le futur général Coutard, alors capitaine au régiment.
Mais le fait d’être un duelliste chanceux ou vainqueur n’est pas une sinécure, « l’un des dangers des fines lames…est de se trouver souvent provoqué »[18], rendant entre autre célèbre l’adversité opposant Fournier Sarlovèze au général Dupont.
Le duel, alors très à la mode sous le 1er Empire devient victime de son succès et tombe lentement en désuétude lors de la Restauration pour ne devenir qu’un fait divers marginal.
[1] Benoît Corsain, né en 1748 à Bourg, alors soldat au régiment de l’Isle de France, est accusé, le 3 décembre 1772, auprès du bailliage de Bourg d’avoir livré un duel contre un inconnu. Devenu voiturier sous la Révolution, il est membre de la société populaire de Bourg jusqu’en frimaire an III.
[2] Pigeard (Alain) : Joies, peines et misères à la Grande Armée in Tradition Magazine, n°36, janvier 1990.
[4] Blaze (E.) : Souvenirs d’un officier de la Grande Armée, Arthème Fayard éditeur.
[5] Mémoires du général baron de Marbot, page 73.
[6] Mémoires militaires du général Boulart, page 68. A.D. Ain Bibliothèque Napoléonienne.
[7] Jourquin (Charles) : Souvenirs et biographie du commandant Parquin. Tallandier éditeur, Paris, 2003.
[8] Godet (Capitaine) : Mémoires du capitaine Godet. A.D. Ain bibliothèque C451.
[9] Baldet (Marcel) : La vie quotidienne dans les armées de Napoléon, page 219.
[10] Sous les ordres de Masséna, alors absent.
[11] Mémoires du général baron Thiébault, page 102. A.D. Ain bibliothèque Napoléonienne.
[12] Blaze (E.) : Souvenirs d’un officier de la Grande Armée, Arthème Fayard éditeur.
[13] Blaze (E.) : Souvenirs d’un officier de la Grande Armée, Arthème Fayard éditeur.
[14] Blaze (E.) : Souvenirs d’un officier de la Grande Armée, Arthème Fayard éditeur.
[16] Dupasquier (Jérôme) : Claude Jacquet in La Feuille de Route.
[17] Baldet (Marcel) : La vie quotidienne dans les armées de Napoléon, page 219.
[18] Pigeard (Alain) : L’armée de Napoléon, organisation et vie quotidienne, page 267.