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Daru, Pierre (1767-1829)

Pierre DaruPierre Daru

L’homme dont Napoléon à Sainte-Hélène résumait l’éloge en ces termes : « il joint le travail du bœuf au courage du lion, » naquit à Montpellier (Hérault) le d4 janvier 1767. Sa famille n’était ni noble ni riche, mais elle était entourée de l’estime publique ; son père occupait la place de secrétaire de l’intendance de Languedoc.

Le moment venu de choisir un état, il témoigna le désir d’entrer au service ; son père lui obtint une sous-lieutenance dans un régiment de cavalerie : c’était en 1783.

Le sous-lieutenant qui avait rêvé peut-être le bâton de Fabert, ne tarda pas à s’apercevoir qu’il attendrait longtemps le brevet dé capitaine ; les ennuis inséparables de la vie de garnison, les difficultés qu’il éprouvait pour se livrer aux travaux littéraires, pour concilier le goût de l’étude avec les occupations et les devoirs de la sou« -lieutenance, le dégoûtèrent du service militaire, et donnant sa démission de sous-lieutenant, il entra dans l’administration militaire. Il était commissaire des guerres en 1789. La Révolution le trouva disposé à accueillir, à seconder les principes d’une’ sage réforme. Quoique souvent dénoncé comme modéré, il fut conservé cependant à ses fonctions, parce qu’on avait besoin de ses talents, de sa capacité, de son expérience, si bien appréciés par tous les généraux aux armées de l’Ouest, de Sam-bre-et-Meuse, partout où l’appela le ministère de la guerre.

Dans les différents corps auxquels Daru fut attaché, jamais le soldat n’eut à se plaindre de ces cruelles privations qui décimaient les troupes et peuplaient les hôpitaux.

Sa réserve parut la preuve d’un secret penchant pour le royalisme, quoiqu’il ne fût pas noble, quoiqu’il n’eût pas émigré. Un ordre d’arrestation l’enleva même au milieu de l’armée, et conduit à Paris, il y attendit son jugement, ou plutôt il se prépara à la mort.

Il allait comparaîlre devant le tribunal révolutionnaire, lorsque la journée du 9 thermidor, en brisant la tyrannie sanglante de Robespierre et de ses complices, rendit la liberté à Daru.

Il ne cessait de demander à être envoyé à l’armée ; mais il était toujours éconduit par des promesses qui ne se réalisaient pas. Enfin, les circonstances lui devinrent plus favorables ; le ministre de la guerre avait besoin d’un administrateu r intelligent, ferme et probe, afin de régulariser le service des subsistances militaires ; il nomma chef de cette division si importante l’ancien commissaire des guerres qui était désigné à son choix par l’opinion publique. Daru entra d’abord au ministère de la guerre en l’an vi. Quelques mois lui suffirent pour établir un ordre parfait dans le service confié à sa surveillance.

Le tranquille travail des bureaux ne convenait pas à l’activité de Daru ; il aimait le mouvement, l’agitation de la vie militaire ; ils étaient même nécessaires à son tempérament. Il demanda et obtint la permission d’échanger la place de chef de division contre les fonctions de commissaire ordonnateur, et partit pour l’armée du Rhin. 11 n’y resta pas longtemps, et fut forcé de revenir à Paris, pour remplir les fonctions de secrétaire général du ministre de la guerre.

C’est qu’un homme habile à discerner le vrai mérite, à lui assigner les postes spéciaux où il peut briller avec le plus d’éclat et rendre le plus de services, était alors à la tête du gouvernement.

Daru n’avait pas échappé à la perspicacité du premier Consul, qui le nomma secrétaire général du ministère de la guerre, avec le rang d’inspecteur aux revues, puis l’emmena avec lui en Italie.

Daru déploya, sous les yeux de cet excellent juge, les talents dont il avait déjà donné tant de preuves.

Après la bataille de Marengo, il reçut du général en chef de l’armée française une mission qui était un éclatant témoignage de l’estime et de la confiance qu’il lui avait inspirées : nommé l’un des commissaires chargés de veiller aux détails d’exécution de la convention signée par Mêlas etBerthier, il ne tarda pas à revenir à Paris ; il ne devait plus se séparer du chef de l’État. Alors, quelques jours de paix et de bonheur avaient lui pour la France ; un gouvernement régulier avait succédé à l’anarchie et au désordre ; les arts et les lettres sortaient, pour ainsi dire, de leur tombeau, et le signal de leur résurrection était une hymne de reconnaissance au grand homme qui leur promettait une protection éclairée. Daru, admirateur du premier Consul, voulut aussi lui payer le tribut poétique de son enthousiasme, et il emprunta, pour le louer, une forme ingénieuse et délicate ; il adressa à l’abbé Delille une épître pour l’engager à célébrer ses hauts faits et sa gloire.

Dis-moi, souffriras-tu qu’une Muse vulgaire S’empare d’un sujet digne d’un autre Homère ? L’abbé Delille’ garda son inflexible silence ; il ne voulut pas être l’Homère du premier Consul ; mais s’il refusa des vers au chef de l’État, il rendit justice au mérite d’une versification élégante, à l’esprit du poëte. Le jugement du public ne fut pas moins favorable à l’épître de Daru ; mais son poëme intitulé les Alpes, composition sans plan déterminé, ne réussit pas. Toutefois, cet ouvrage se distinguait par la même pureté de goût, la même correction qu’pn avait louées dans la traduction en vers des Odes d’Horace, publiées quelques années auparavant.

Un nouveau théâtre s’ouvrit bientôt pour M. Daru, appelé au Tribunat ; il apporta dans cette assemblée les leçons et les enseignements de son expérience dans tous les détails de l’administration de la guerre.

On ne doit pas s’étonner de voir Daru concourir dans les limites de son influence personnelle à l’établissement de l’Empire, car le premier Consul avait été son général et même son ami ; et puis le nouvel Empereur légitimait son’ introduction par le génie et par la gloire.

Napoléon, empereur, ne fut pas ingrat envers ceux qui avaient favorisé sa promotion, mais Daru avait encore d’autres droits à la bienveillance du nouveau monarque ; ce fut moins le membre du Tri-bunat que l’administrateur que Napoléon nomma membre de la Légion-d’Honneur le 4 frimaire an XII, et commandant le 25 prairial suivant.

La place de Daru était marquée au conseil d’État, et il s’y assit à côté des capacités dont l’Empereur s’entourait. Il prit une part glorieuse à toutes les discussions qui avaient lieu souvent devant Napoléon.

De l’an XII à 1806, Daru fut nommé successivement conseiller d’État, intendant général de la maison militaire de l’Empereur, intendant général de la liste civile, en remplacement de Fleurieu. Commissaire général de la grande armée à l’ouverture de la campagne contre la Prusse, en 1806, il eut une tâche plus pénible à remplir après la bataille d’Iéna : L’Empereur le nomma intendant général des pays conquis, et ces fonctions comprenaient l’exécution terrible de la victoire. Il fallait que, suivant l’axiomemilitaire, la guerre nourrît la guerre. La Prusse vaincue, devait payer d’énormes contributions au vainqueur ; un décret de l’Empereur en avait fixé le chiffre, et Daru se trouva investi d’un pouvoir dont il n’était pas en sa puissance d’adoucir la rigueur. Toutefois, s’il fut rigoureux, il ne fut point injuste et jamais on n’attaqua sa probité.

La campagne de 1809 terminée par la bataille de Wagram avait livré aux armées françaises les États héréditaires de l’empire d’Autriche et une grande partie de ses autres provinces. Daru fut investi à Vienne dés mêmes fonctions qu’il avait remplies à Berlin. Il y montra le même droiture, la même modération.

En 1814, de Champagny, ministre des relations extérieures, avait encouru la disgrâce de l’Empereur ; celui-ci voulut néanmoins compenser pour le ministre destitué la perte de son portefeuille ; il le nomma intendant général des domaines de la couronne à la place de Daru, qui reçut le titre de ministre secrétaire d’État. Il le nomma comte de l’Empire et grand officier de la Légion-d’Honneur le 30 juin 1811.

Vers la fin de 1811 et au commencement de 1815, de graves symptômes de mésintelligence annonçaient l’imminence d’une rupture entre la France et la Russie. L’Angleterre, par ses intrigues et par son or, avait rallié le Czar à la cause de sa haine. De chaque côté on se préparait à la lutte. Napoléon partit et Daru l’accompagna.

Après la bataille de Smolensk, Daru, consulté par l’Empereur, était d’avis que l’armée s’arrêtât, se fortifiât dans cette ville ; il ne la voyait pas sans crainte s’enfoncer au sein de la vieille Russie, en s’acharnant à la poursuite d’un ennemi qui se dérobait devant elle par une fuite calculée. Il objecta, au nom de son expérience, que les approvisionnements ne suivraient plus avec sécurité la marche de l’armée française, et que les convois ne pouvaient s’aventurer dans un pays où manquaient les lieux propres à recevoir des magasins. L’incendie deMoscou justifia les craintes de Daru : « Que faire ? disait l’Empereur à Daru, en jetant les yeux sur les ruines fumantes de la cité sainte. — Rester ici, répondit Daru, nous loger dans ce qui reste de maisons, dans les caves ; recueillir les vivres qu’on pourra encore trouver dans cette ville immense ; presser les arrivages de Wilna, faire de ces décombres un grand camp relranché, rendre inattaquables nos communications avec les provinces lithuaniennes, avec l’Allemagne, avec la Prusse, et recommencer au printemps prochain.

«  C’est un conseil de lion, s’écria l’Empereur. »

Le conseil de lion ne fut pas suivi : Napoléon donna le signal de la retraite.

Pendant cette retraite, le général Mathieu Dumas, malade et dans l’impossibilité de continuer ses fonctions d’intendant général, fut remplacé par le comte Daru. Vers la fin de la campagne il crut devoir donner à ces fonctions le titre d’un ministère spécial dont elles avaient d’ailleurs l’importance.

En 1813, l’intendant général de la grande armée fut nommé grand aigle de la Légion-d’Honneur (22 novembre) et ministre’chargé de l’administration de la guerre. Dans les campagnes de 1813 et 1814, Daru fut ce qu’il avait toujours été, actif, infatigable, fertile en ressources ; mais l’épuisement de la France imposait des limites à sa volonté. Cependant l’administration de la guerre, avec les faibles moyens dont elle pouvait’ disposer, sut pourvoir à toutes les nécessités des différents services ; elle ne put rien dans les malheurs qui amenèrent l’abdication de Fontainebleau.

Louis XVIII le nomma intendant général honoraire et lui donna la croix de Saint-Louis. Témoin et juge sévère des fautes de la Restauration, il seconda de ses vœux seulement le succès de la Révolution du 20 mars. Quand il vint saluer Napoléon aux Tuileries, l’Empereur lui serra affectueusement la main, car il savait qu’il pouvait toujours compter sur son dévouement.

Le désastre de Waterloo et la seconde Restauration forcèrent Daru de quitter définitivement la carrière administrative ; il perdit toutes ses places, excepté celle qu’il occupait à l’Institut, où il avait succédé, en 1806, à Colin d’Harleville. Il échappa aux épurations de l’ordonnance de 1816. Rendu à ses livres et à l’étude, Daru trouva le bonheur dans sa retraite studieuse. Il avait renoncé sans regret à la vie politique, il y fut rappelé par l’ordonnance royale du 5 mars 1819 qui le comprit dans la nombreuse promotion de Pairs nommés par le ministre Decazes, à la suite de la réaction contre le parti qu’on appelait alors ultra monarchique.

Quoique appartenant à l’opposition de la Chambre, les opinions et le langage de Daru repoussaient l’idée des hostilités systématiques qui compromettent le succès des meilleures causes. Les ministères Villèle et Polignac trouvaient en lui un rude, mais loyal adversaire.

Daru vit se préparer la révolution de Juillet, mais il mourut avant qu’elle s’accomplît. Une attaque d’apoplexie termina son existence le o septembre 1829. Il se trouvait alors à sa terre de Meulan. Indépendamment de ses traductions du Traité de l’orateur, de Cicéron, et cfes Odes d’Horace, le comte Daru a publié plusieurs grands ouvrages et beaucoup de poésies ; il a laissé surtout un ouvrage qui lui a survécu, et qui assurera sa mémoire contre l’oubli : c’est l’ Histoire de la République de Venise. On ne connaissait de Venise que les souvenirs de sa grandeur et de sa décadence ; Daru arracha cette République au roman et à la poésie pour la restituer au domaine des faits et à la réalité. L’Histoire de Bretagne suivit de près celle de la République de Venise ; mais elle est bien inférieure. L’historien s’est arrêté à la Révolution française, il est à regretter qu’il l’ait laissée incomplèle.

(Extrait de la biographie de Daru, par C. SAINT-MAURICE.)