Coudreux – 1805 – Histoire du Consulat et du Premier empire
Fontainebleau (Le jeune Coudreux venait de quitter le corps des Vélites pour l’École militaire également installée à Fontainebleau.), le 1er pluviôse an XIII (21 janvier 1805).
La vie que Ton mène à l’École n’est pas fort amusante pour un homme de vingt-deux ans, accoutumé depuis longtemps à jouir de sa liberté; quoi qu’il en soit, je prends facilement mon parti, et me voilà encore une fois réduit à m’occuper toute la journée de mathématiques, de dessin, d’histoire, de fortifications, etc., etc., sans cependant en être trop fâché.
Le corps des Vélites est licencié; on a fait passer les plus beaux hommes dans la Garde impériale, et tout le reste sera envoyé dans la ligne. Ceux qui sont entrés dans la Garde font dès ce moment partie de l’armée active, et déjà 350 hommes sont partis pour Milan. Cet événement a détruit tout espoir d’avancement, et tous mes anciens camarades sont désolés.
Les frais de mon équipement se sont montés à une assez forte somme; j’ai compté au quartier-maître, outre mon trimestre, 477 francs.
École militaire, 6 ventôse an XIII
(25 février 1805).
Il n’est pas trop facile de se faire une idée de l’administration de l’École militaire. L’autorité s’y trouve partagée entre tant de gens qu’on ne sait véritablement à qui obéir. Depuis six semaines que je suis ici, j’ai seulement appris qu’on était assez mal nourri, et qu’on avait dix heures par jour d’exercice et d’étude.
Pour tuer le temps, je fume et je travaille le plus possible; il paraît, au reste, qu’on n’est pas trop mécontent de moi, car le général vient de me nommer à la compagnie d’élite.
On imprime dans ce moment un vaste programme, qui renferme une foule de questions relatives à tous les cours que l’on suit ici. Il faudra, pour sortir sous-lieutenant, se mettre à même d’y répondre d’une manière satisfaisante. A partir de vendémiaire prochain, le prix de la pension sera doublé; mais j’espère toujours être du nombre des partants.
… L’exécution du projet que j’ai formé ne me paraît pas impossible, mais ce n’est pas encore le moment d’y penser. Je prendrai de nouvelles informations, et, si tu viens ici, nous nous concerterons pour en assurer le succès. Il s’agirait de solliciter une place d’adjoint à un commissaire de guerre ou à un commissaire ordonnateur; je crois que cela pourrait bien valoir une sous-lieutenance. Ton avis, je te prie,àcet égard. Les conscrits de l’an XIII seront donc bien mal traités; d’après toutes les apparences, les remplacements seront presque impossibles. Fais- moi le plaisir de me dire comment nos messieurs s’en seront tirés.
Où en sont donc les affaires de ta société? Je crois que la séparation n’avance guère plus que la vente de Champroux. Tant mieux; le plus tard sera sans doute le meilleur.
Tout à toi.
Ton sincère ami.
PS — Mes respects chez toi. J’espère donc voir M. Émile en culotte à mon prochain voyage.
Fontainebleau, le 11 ventôse an XIII
(2 mars 1805).
Lettre adressée à Madame Coudreux mère.
Enfin, ma chère mère, je puis donc vous accuser réception d’une de vos lettres. Je ne vois rien.que de très simple dans le procédé que vous me reprochez à l’égard deM. et Mlle Dubois. Lorsque je suis arrivé à Paris au mois de nivôse dernier, il faisait un temps affreux et je ne me suis pas trouvé tenté d’aller faire quatre lieues dans Paris pour aller les voir, d’un autre côté il me semble qu’il eût été plus malhonnête de leur remettre leur argent de Paris plutôt que de Fontainebleau.
Malgré la vie ennuyeuse que l’on mène à l’École militaire, je suis fort content d’y être. Lacretelle est dans ce moment à Paris et je crois qu’il travaille aussi pour y entrer, il y a déjà quinze jours que j’ai reçu sa dernière lettre. Je n’ai d’autre projet que celui d’être officier, le plus tôt possible; je travaille le plus que je peux et il paraît qu’on est assez content de moi. Le général vient de me faire passer à la compagnie d’élite, j’ai tout lieu d’espérer que je ferai partie de la première levée, cependant, je n’ose pas trop y compter. Faites-moi le plaisir de m’envoyer deux paires de souliers semblables à ceux que Moulin m’a dernièrement faits. Priez Pillet de mettre dans le paquet les trois volumes d’éléments de physique de Brisson qu’il trouvera dans mes livres.
Adieu, ma chère mère, aimez toujours votre soumis fils.
Alex. Coudreux.
P.-S. Envoyez-moi ce que je vous demándele plus tôt possible. Faites faire, je vous prie, par Moulin une’paire de souliers et une paire d’escarpins; envoyez-moi une paire de bas de coton blancs dont j’ai besoin; que les bas soient beaux et neufs.
Fontainebleau, le 23 ventôse an XIII
(14 mars 1805).
Ta soirée a dû être charmante, mon cher ami, et j’estime que tes jolies danseuses n’ont pas laissé le temps à tes cavaliers de beaucoup considérer ton orchestre. Je te remercie d’avoir bien voulu t’apercevoir de mon absence au milieu de cette aimable réunion; cependant mon carnaval n’a pas été aussi triste que je devais m’y attendre et j’ai eu le plaisir de passer une soirée tout entière avec mes anciens frères d’armes, messieurs Cesbron, qui sont toujours mes bons amis. Tu me donnes un conseil qui peut être bon; permets-moi cependant d’observer que tu n’as pas toujours raisonné de la même manière. J’aimerais beaucoup l’état militaire si j’aimais moins Mlle Callaud, mais malheureusement on n’est pas toujours maître des sentiments de son cœur et j’ai pris mon parti à cet égard d’une manière invariable. Au reste je redouble d’efforts pour mériter continuellement l’estime de mes supérieurs et je puis t’assurer que depuis que l’École est fondée, personne n’a jamais obtenu un avancement aussi prompt que le mien. Je viens d’être successivement nommé caporal et enfin sergent commandant la 2mo compagnie.
Deux ou trois compositions ont fait taire les jaloux; j’ai en effet été le premier en mathématiques et enlittérature et j’ai aujourd’hui le plaisir de toutes les prérogatives attachées au grade que j’occupe; dans cette circonstance, je dois peut- être plus au hasard qu’à mon propre mérite, mais assurément je ne dois rien aux recommandations. Tu le croiras facilement si tu sais que le plus grand nombre des élèves est composé de fils de généraux, de sénateurs et enfin des premiers de rÉtat. J’ai dans ma compagnie, par exemple, le neveu de l’Impératrice (Un Clary ou un Tascher. Voy. p. 35.) et le fils du préteur Clément de Ris (Clément de Ris, comte de Mony, sénateur, pair, grand officier de la Légion d’honneur, né à Paris, fut appelé un des premiers, après Brumaire, au Sénat conservateur, fut victime d’un rapt célèbre; créé pair le 4 juin 1814. L’un de ses fils fut tué à Friedland. L’autre devint colonel de cavalerie.).
D’un autre côté, j’ai la permission de rester dans ma chambre pendant les classes de fortifications et de dessin, de manière que je ne fais plus l’écolier que tous les deux jours.
Le général va me faire suivre un cours d’administration militaire. J’espère qu’il ne sera pas impossible, à la fin de cette année, d’obtenir un grade dans cette partie.
Adieu, vieux, pousse jusqu’à Fontainebleau, quand tu iras à Orléans, et crois-moi toujours ton sincère ami.
Fontainebleau, le 8 germinal an XIII
(8 avril 1805).
J’ai reçu, mon cher ami, ta lettre du 14 courant; M. Lhéritier jeune m’a’fait passer un mandat sur Paris de 318 livres que j’ai déjà remis à mon quartier-maître en payement de mon deuxième trimestre; ainsi, comme tu vois, tout est en ordre.
Suivant toutes les apparences, l’École militaire restera à Fontainebleau. D’après quelques renseignements bien positifs, je renonce à mon projet d’entrer dans l’administration militaire. Il n’y a pour toute la République que 51 adjoints, et depuis longtemps non seulement tous les cadres sont remplis, mais encore il y a 80 surnuméraires qui sont employés sans appointements depuis dix-huit mois et même deux ans. Je m’en tiendrai donc à une sous-lieutenance. J’espère entrer dans une demi-brigade d’infanterie légère actuellement à Livourne, toujours en attendant que je puisse me retirer du service, car je n’ai point changé d’avis depuis le premier jour. Je suis fort éloigné, mon cher ami, de te savoir mauvais gré de tes observations, d’abord parce que je suis persuadé qu’elles sont toutes dictées par ton amitié et ton attachement pour moi; d’un autre côté, comme il y à longtemps que mon parti est pris, tout ce qu’on pourrait me dire serait inutile.
Je passe ici mon temps assez agréablement; outre mes galons qui me procurent quelques faveurs auprès de mes supérieurs, je suis encore professeur d’arithmétique et d’algèbre, chef de classe du cours d’administration, enfin instructeur d’une classe d’exercice de 50 ou 60 hommes. Je fais ici le petit colonel tout à mon aise; j’espère toujours què cela ne durera pas longtemps. Je sors souvent en ville; j’y ai fait quelques connaissances et je m’aperçois rarement que je suis réellement prisonnier à l’École. Le tableau que tu me fais des plaisirs de notre bonne ville de Tours n’est pas fort animé; heureusement, les noces de l’ami Codés vont se trouver fort à propos pour faire oublier les privations du carême. Il paraît que nos Tourangeaux ont plus que jamais la furéur de se marier; on ne me parle, en effet, que de mariages depuis un mois. Grand bien leur fasse !
Adieu. Mes amitiés chez toi.
Ton ami sincère.
P.-S. — Entre autres plaisirs, j’ai celui de boire la goutte et de fumer le cigare tous les matins après mon rapport. J’en suis d’autant plus satisfait que l’eau-de-vie et le tabac sont ici le fruit défendu. Juge d’après cela quels militaires nous faisons!
Ecole impériale de Fontainebleau, 7 floréal an XIII
(27 avril 1805).
Ta lettre du 2 courant m’accuse réception de ma dernière du 18 germinal. Il est inutile, mon cher ami, que tu accuses réception de mes notes au général Bellavesne; tous les trois mois, tu en recevras de semblables.
Depuis quinze jours, je suis sergent-major; le double galon d’or est le nec plus ultra de l’École; il en résultera pour moi l’avantage d’emporter d’ici d’excellentes recommandations pour mon corps, et, ce qui m’intéresse bien plus encore, mon grade me donne la certitude de sortir dans cinq mois, quoique, par arrêté du ministre de la guerre, tous les élèves en devront passer à l’École au moins quinze avant d’être nommés sous-lieutenants. On parvient au grade de sergent moins facilement que tu parais le penser. Sais-tu bien que nous n’avons en tout que quatre sergents-majors? Jadis, à Rome, le consulat fut moins brigué que ne le sont ici de simples épaulettes de grenadier. Juge d’après cela de tout ce qu’on fait pour les galons; personne ne se plaint de la manière dont je fais mon service; dans le militaire, la sévérité est toujours supportable quand elle est fondée sur la justice. Je sais donc me faire obéir et conserver en même temps l’amitié de mes subordonnés. Il me paraît pourtant assez singulier de faire porter les gamelles et les corvées à M. le comte d’Estaing> M. le marquis de Briqueville, M. le duc d‘Aiguillon, et ainsi de suite; car ma compagnie est une des mieux composées. Au reste, le sergent-major passe pour l’oracle de la compagnie; c’est à lui qu’on s’adresse quand on se trouve embarrassé pour une proposition de mathématiques; on vient le consulter sur un devoir de littérature, sur une planche de fortification, sur une manœuvre. C’est encore à lui qu’il faut demander la permission d’appel, d’exercice et de se coucher. Tu vois donc, mon ami, que le sergent-major peut se faire même adorer, s’il le désire! Mais c’en est assez sur ce chapitre, et voilà bien du bavardage pour te prouver qu’un major n’est pas un homme ordinaire.
Je serai tout bonnement sous-lieutenant; j’espère, quoi que tu puisses en penser, que je ne me noierai point dans une demi-brigade. Celui qui se donne la peine de travailler peut sortir d’ici excellent officier. Je suis déjà un des fameux pour la tactique, et j’ose me flatter qu’à la fin de l’année, je saurai sur ce chapitre tout ce que peut savoir un colonel. Je sens, cher frère, que je m’expose à votre censure et que vous allez vous trouver en droit de me reprocher une forte dose de bonne opinion; vous pouvez en plaisanter à votre aise; n’est-ce pas le sort des cadets que d’être sermonnés par les aînés de la famille?
Avec toutes les belles choses que renferme actuellement votre bonne ville de Tours, on doit s’y amuser comme des bienheureux. Je regrette sincèrement de n’avoir point de part à tous ces plaisirs ; les marionnettes surtout m’auraient enchanté. Enfin je me résigne et pour me consoler de ces douloureuses privations, je vais dîner ce soir avec les frères Cesbron qui sont toujours à Fontainebleau et toujours mes bons amis.
Adieu, mes amitiés chez toi.
PS— A propos de curiosités, sais-tu bien que nous avons ici des femmes charmantes. Je vais une fois par semaine passer quelques heures chez le commandant Koumann, vieux militaire de soixante-quatre ans, et véritablement respectable. Mlle Koumann a vingt-deux ans, de beaux yeux, beaucoup d’esprit et, dit-on, beaucoup d’humanité. Malheureusement, un de nos officiers qui lui fait une cour assez assidue n’aime pas nous rencontrer sur ses brisées. Un mot, je te prie, de Mmes Callaud; les vois-tu souvent, et sont-elles toujours aimables? Comme à l’ordinaire, j’en suis toujours fou.
Mon cours de mathématiques va rondement; le général assiste de temps en temps à mes leçons et il paraît aussi content de moi que je le suis moi-même de mes élèves.
Adieu, écrivez-moi souvent.
École militaire de Fontainebleau, le 11 prairial an XIII
(31 mai 1805).
Le grade de sergent-major est uniquement ad honores; il en résulte beaucoup d’agrément et peu de profit, mais un avantage qui n’est pas à dédaigner, c’est qu’en arrivant à mon corps avec mes galons d’or, je ne serai pas forcé de passer par mes grades, ce sera toujours deux ou trois mois de gagnés.
Nous avons eu connaissance d’une circulaire du ministre de la Guerre, dont le texte n’est guère encourageant; il porte qu’on ne pourra plus passer d’un grade à un autre, sans avoir occupé le précédent pendant quatre années consécutives. Tu vois, mon cher ami, que voilà encore un puissant motif de se détacher tout à fait de l’état militaire. Cependant le nombre des élèves de l’École augmente prodigieusement; j’ai actuellement plus de deux cents numéros après moi. Il est vrai qu’un grand nombre des jeunes gens qui arrivent dans ce moment n’y viennent que pour éviter la conscription et avec l’intention de se retirer du service aussitôt qu’ils le pourront.
Le sieur Héron est donc enfin marié? Ses noces sont arrivées fort à propos pour vous dédommager de la tristesse de notre foire. Mesdames Callaud parlaient dernièrement de madame Coudreux; il paraît qu’elles sont fort bien ensemble, j’en suis charmé pour Emilie surtout, qui est une bonne enfant et qui voyait avec peine l’éloignement que lui témoignaient les personnes de ma famille; j’espère que ma chère mère reviendra facilement sur son compte; elle ne m’a jamais témoigne d’aversion pour elle, au contraire, et peut-être es-tu mal instruit; élans tous les cas, tu feras fort bien de n’en rien dire à Mlle Callaudla jeune; il est des vérités qui sont fort désagréables à répéter et à entendre, et quelles qu’aient été ses intentions, je suis trop attaché à sa cousine pour lui savoir mauvais gré de tout ce qu’elle a pu faire.
Je finis dans ce moment mon éducation militaire par les manœuvres de l’artillerie; je m’en acquitte passablement, mais en même temps je suis payé pour m’en souvenir. Nous étions dernièrement occupés à remettre une pièce de 12 dans son encastrement de tir par le moyen d’une chèvre; nos messieurs, qui manquent souvent de force et de bonne volonté, ont tout à coup abandonné leurs leviers; nos efforts n’ont plus été suffisants pour maintenir la machine et j’ai eu l’agrément de recevoir un vigoureux coup par la tête accompagné d’une hernie, simple heureusement. Je ne me sens déjà plus du premier, et, grâce aux soins de notre médecin, j’espère quitter mes bandages avant trois semaines,
Si le malheur d’autrui pouvait contribuer à consoler du sien propre, je pourrais te citer notre pauvre diable de capitaine qui a manqué d’être assommé, mais le brave homme a encore la tête plus dure que moi et il était sur pied deux jours après.
Au reste, il faut se consoler de tout et s’attendre à tout dans ce monde.
Tout à toi.
Fontainebleau, le 30 messidor an XIII
(19 juillet 1805).
Jamais avis ne fut plus maladroitement donné que celui de M. Lhéritier l’aîné : si tu m’avais consulté avant d’écrire au général Bellavesne, je t’aurais engagé h me laisser le soin de me tirer d’affaire et j’en serais venu tout seul à bout parce que j’ai trop bien commencé ici sans le secours de personne pour ne pas finir de même en me donnant la peine d’ètre sage. Je dis « sans le secours de personne » et j’espère que tu seras de mon avis quand tu sauras que personne n’est en effet plus insensible à la voix des protections que le général qui nous commande. Je puis t’en donner une excellente preuve en te citant les noms de quelques illustres personnages qui sont mes soldats depuis huit mois : par exemple Clary (Clary Joseph-Marie Bienvenu, né à Marseille, le 8 février 1788, entré à l’Ecole de Fontainebleau, le 10 pluviôse an XIII; sorti sous-lieutenant au 4® chasseurs à cheval, le 19 février 1806; passé au service de Naples en 1807.) et Tascher (Tascher Charles-Marie Maurice, né à Orléans (Loiret), le 4 décembre 1786. Entré à l’École spéciale militaire, le 24 pluviôse an XII; sous-lieutenant au 8e hussards, le 7 pluviôse an XIII ; lieutenant au 12® chasseurs, le 16 janvier 1807 ; membre de la Légion d’honneur, 1er octobre 1807; capitaine au 12® chasseurs, le 6 juin 1809; décédé à l’hôpital de Berlin, le 26 janvier 1813, par suite de fièvre), tous les deux neveux de l’Impératrice; Lawœstine (Lawoestine Anatole-Charles-Àlexis, marquis de, né à Paris, le 14 décembre 1786. Élève à l’Ecole militaire, le 23 décembre 1804; sous-lieutenant au 9« dragons, le 17 avril 1806; successivement aide de camp des généraux de France, Valence et Sébastiani; colonel, le 3 avril 1814; mis en non-activité,le 12 septembre 1815; démissionnaire, le 15 février 1816; maréchal de camp, le 2 avril 1831 ; lieutenant-général, le 26 avril 1841; commandant supérieur des gardes nationales de la Seine, le l,r décembre 1851; admis à la retraite, le 9 décembre 1851; sénateur, le 26 janvier 1852; gouverneur de ¡’Hôtel des Invalides, le 22 octobre 1863; décédé à Paris, le 24 avril 1870.) petit-fils de l’ambassadeur à la Cour de Prusse; le fils de M. Clément de Ris, aussi âgé et deux fois plus grand que moi, etc., etc. ; mais enfin, puisque tu as fait pour le mieux, je suis bien éloigné de t’en savoir mauvais gré.
Au reste, mon cher ami, on t’a fait le mal beaucoup plus grand qu’il n’était; mon séjour à l’hospice a effacé tous les souvenirs désagréables et j’en suis sorti le 25 pour commander le 27 devant notre Empereur et Roi, par ordre du général. Une préférence aussi marquée, accordée à un sergent-major sur tous les autres, est le nec plus ultra de la considération, et, sans me flatter, j’ose espérer que j’occuperai un rang distingué dans les annales de l’École.
Pour tout l’or du monde, mon cher ami, je ne voudrais pas être adjudant sous-lieutenant; il me suffit qu’on se soit attendu pendant huit jours à me voir donner l’épaulette d’un moment à l’autre. Après avoir été le premier sergent- major de l’École militaire, j’y serais tout à fait déplacé en qualité d’officier; dans deux mois, j’espère t’en expliquer de vive voix tous les motifs; en attendant, je serai sage comme un Caton.
L’Empereur avait promis de venir aussi nous visiter dans nos classes et je l’attendais de pied ferme, car j’étais désigné par tous pour être interrogé devant lui; malheureusement, la mort (sic) de la princesse Borghèse (Le 21 juillet l’Empereur visita la princesse Pauline au Petit-Trianon.) l’a rappelé à Paris un peu plus tôt qu’on ne pouvait le croire et hier il est parti incognito avec l’Impératrice à 6 heures du matin. On commence à s’occuper de la prochaine levée; j’espère que les élèves partiront vers le milieu de vendémiaire.
J’espérais entrer dans la 9e demi-brigade d’infanterie légère, mais elle vient de s’embarquer à Naples où elle était en garnison. M. Dornier (Serait-ce le futur maréchal de camp, Gabriel-François Dornier, chevalier de l’Empire, créé baron par Louis XVIII?), mon capitaine., a profité de l’occasion pour me demander la permission d’envoyer mon nom au colonel du lbc de ligne qui vient de lui écrire pour lui demander quelques sous- lieutenants de l’École; la réponse du capitaine est extrêmement à mon avantage, et j’ai tout lieu de croire que le colonel Reynaud (Reynaud Benoit-Hilaire, né à Agde (Hérault), le 9 mai 1772; sergent-major au bataillon de chasseurs du Midi, le 12 août 1791; sous-lieutenant, le 1er décembre 1792; lieutenant à la 129® demi-brigade, le 23 germinal an 111 ; aide de camp du général Serrurier, le 13 fructidor an III; capitaine, aide de camp, le 13 ventôse an V; adjoint à l’état- major de la garde des Consuls, le 2 ventôse an VIII; colonel du 15° de ligne, adjoint au grand maréchal du Palais Impérial, le 16 germinal an XII; blessé à la bataille de Friedland, le 14 juin 1807; général de brigade, le 28 juin 1808 ; employé en Espagne jusqu’en 1811 où il a commandé Ciudad-Rodrigo; prisonnier de guerre, le 15 octobre 1811 et conduit en Angleterre; rentré en France, le 2 mai 1814; inspecteur d’infanterie, en 1819; admis à la retraite, le lv juillet 1834; mort à Montpellier (Hérault), le 25 décembre 1855.) me demandera incessamment au ministre delà Guerre.
Mes amitiés à ta femme et caresses de ma part au petit Émile.
Tout à toi.
A l’hospice à Fontainebleau, le 24 thermidor an XIII
(12 août 1805).
Depuis ta dernière du 22 messidor dernier, je n’ai pas reçu de tes nouvelles.
Je suis à l’hospice depuis quinze jours, mon cher ami ; j’y ai été étrillé d’une vigoureuse façon; une fièvre chaude m’a fait souffrir le martyre pendant huit jours; enfin la sueur est venue à mon secours et après avoir mouillé au moins quarante chemises, me voilà à peu près tiré d’affaire. Je crains bien que ma convalescence soit longue. Une chose qui n’était point gaie du tout, c’est qu’un sergent-major de mes amis qui occupait le lit le plus voisin du mien s’est avisé de faire son paquet pour l’autre monde ; tous mes amis ont tremblé pour moi et je reçois tous les jours leurs compliments actuellement que je me porte un peu mieux.
Adieu, je n’ai pas la force d’en écrire davantage.
Tout à toi,
Je suis au mieux avec le général qui a la bonté de venir souvent me voir.
Fontainebleau, le il fructidor an XIII
(29 août 1805).
Sous pli de ta lettre du 8 courant je trouve ta remise sur Jacques Récamier au 20 courant franc et une lettre de crédit pour Frédéric Lhéritier, auquel en temps et lieu j’aurai recours. Encore une fois, mon bon ami, le général ne fait point donner de congé absolu; quand on veut quitter l’École, on est absolument le maître de disposer de sa personne, mais on rentre dans la classe ordinaire des conscrits et on s’arrange ensuite comme l’on peut. Rappelle- toi donc que pour entrer ici, on est censé fournir des certificats qui attestent en même temps une bonne conduite et une santé robuste. Sois persuadé d’ailleurs que l’état militaire n’a pas plus d’attraits pour moi que par le passé; quand l’occasion se présentera, je ne la laisserai point échapper et je rentrerai dans mes foyers; alors, si tes intentions sont toujours les mêmes, nous pourrons vivre et travailler ensemble comme deux bons amis. Ma chère mère m’a très bien tenu parole et Callaud m’est comptable sur le produit de la vente du Chausse d’une somme de 1,250 francs dont récrit bien en forme existe entre ses mains.
Il te semble étonnant que j’aie demandé une somme de 50 louis à la fois? Fais attention, mon cher ami, qu’en sortant sous-lieutenant de l’École militaire, j’aurai à acheter depuis le chapeau jusqu’aux souliers! J’estime que l’équipement est une affaire de 1,500 francs si on y comprend le manteau et mon compte est parfaitement exact. Il paraît certain maintenant que les permissions seront très difficiles à obtenir; nous verrons dans le courant du mois prochain si nous ne trouverons pas quelque moyen d’en avoir une; si ma santé continue à être faible, peut-être nous y parviendrons assez facilement, mais il faudra cependant alléguer quelque puissant motif et je me charge de te mettre sur la voie quand il en sera temps.
Paris, vendredi 19 fructidor an XIII
(6 septembre 1805).
Par ordre de notre officier de santé en chef, tous nos convalescents ont quitté depuis deux jours TÉcole militaire. Je ne veux pas passer le temps de ma permission à Paris, et cette nuit je pars pour arriver dimanche au soir à X…
On attend maintenant les brevets d’un jour à l’autre; il est tout à fait décidé que les élèves sous-lieutenants rejoindront de suite leurs régiments.
C’est l’ordre exprès du ministre de la Guerre.
Nous commençons à nous mettre sur la défensive envers les Autrichiens; nous avons dans ce moment plus de cent cinquante mille hommes en route pour l’Italie et l’Allemagne (Débuts de la fameuse campagne de 1805 contre l’Autriche et la Russie). Masséna commandera en Italie; Lannes va se mettre à la tête d’une division composée de six mille hommes de la garde et de deux régiments de carabiniers ; enfin, l’Empereur commandera en chef l’armée du Rhin et nous désirons tous aller brûler des cartouches sous ses ordres.
Fontainebleau, le 3 frimaire an XIV
(24 novembre 1805).
Quand je pense à la rapidité avec laquelle le temps s’écoule, je prends bravement mon parti, et je me résigne à attendre patiemment le moment de ma promotion. Je me figure, pour m’étourdir sur l’idée de ma captivité, que le moment de la liberté n’est plus éloigné, et je m’occupe provisoirement d’une foule de choses qui me font bâiller de bon cœur.
Il fut un temps où l’on pouvait oncore se consoler quelquefois avec ses amis. La goutte, les cigares et la course en ville étaient en vénération; mais, à présent, toutes ces passades sont autant de titres de proscription, et l’École militaire est vraiment transformée en pension de jeunes demoiselles. Aussi, pour ma part, je ne fume plus, je ne bois plus, et depuis mon retour j’ai à peine mis le nez dans la cour.
Pendant que nous vivons ici comme des cénobites, mes anciens frères d’armes, messieurs Cesbron et autres se battent en Allemagne comme des enragés. La neige, le froid, la boue, les fleuves, rien ne les arrête. Ils m’écrivaient dernièrement de Linz qu’ils n’avaient plus de souliers, mais qu’ils en trouveraient à Vienne. Ils y sont maintenant, et j’y voudrais être aussi avec eux, quoiqu’ils prétendent cependant qu’on est encore mieux chez soi qu’à l’armée.
Fontainebleau, le 18 frimaire an XIV
(9 décembre 1805).
… Il y a donc déjà un mois tout entier que je suis de retour ici. Encore un peu de patience et je verrai peut-être la fin de ma captivité. Il est cruel d’être enfermé à l’École militaire quand nos armées sont àBrünn et je t’assure que j’aurais fumé une pipe avec plaisir sur les remparts de la capitale de Autriche.
Les circonstances actuelles ne permettent pas à des apprentis sous-lieutenants de penser à autre chose qu’à faire la guerre. Cependant mes regards se tournent encore quelques fois vers mon cher pays. Au reste une campagne ne me fera pas grand mal, et je partirai, même assez gaiement, avec l’espoir de battre les ennemis, et de revenir ensuite, s’il y a lieu, me reposer sur mes lauriers.
Il est donc vrai que nos armées ont eu des succès qui ont passé toutes les espérances? Noire histoire de France n’a pas encore fait mention d’une campagne aussi courte et aussi mémorable. On répand déjà quelques bruits de paix; puissent-ils être vrais! Je le désire de bon cœur, quoique la guerre nous soit bien précieuse, à nous autres militaires, puisque c’est uniquement par elle que nous pouvons espérer l’avancement.
Fontainebleau, le 24 frimaire an XIV
(15 décembre 1805).
Encore une victoire plus éclatante que celles que nous avons déjà remportées! (La bataille d’Austerlitz livrée le 11 frimaire an XIV, 2 décembre 1805)
Quel homme nous avons à la tête de nos armées, et combien il est digne de notre admiration! La nouvelle d’hier se confirme aujourd’hui avec des détails bien positifs; le premier bulletin annoncera sans doute que nous sommes maîtres de toute la Moravie. Sans doute aussi tant de brillants succès seront couronnés par une paix solide; puisse-t-elle être aussi prochaine qu’on le dit!
Fontainebleau, le 8 nivôse an XIV (29 décembre 1805).
Le bruit du retour prochain de notre Empereur a ranimé toutes nos espérances. J’espère que pour cette fois je ne serai pas mis de coté comme en vendémiaire passé. Je sais tout ce qu’il faut savoir pour faire un sous-lieutenant, et, de plus, j’aurai une année de service à l’École : cette dernière condition est plus rigoureusement exigée que jamais, et à cet égard on ne nous fait pas grâce d’un jour.