Correspondance de Napoléon – Septembre 1804
Aix-la-Chapelle, 9 septembre 1804
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, vous donnerez ordre à la légion hanovrienne de se rendre à Laon. J’approuve que vous fassiez partir les quatre premier mortiers à plaque que vous aurez de Strasbourg, de Metz, de Rouen ou Paris, pour l’armement de la côte de Brest. Je désire que vous vous entendiez avec le ministre de la marine pour faire couler vingt de ces mortiers à Indret, qui seront immédiatement dirigés sur Brest et Rochefort. J’attache la plus grande importance aux batteries des environs de ces ports. Donnez ordre au directeur de Brest, s’il a de gros mortiers à plaque, de les faire placer en batteries. Il y a trois mois que j’ai donné des ordres pour armer les côtes environnant Brest, Audierne; faites-moi connaître où cela en est.
Aix-la-Chapelle, 9 septembre 1804
Au maréchal Berthier
Je vous envoie un rapport de M. Lacuée. La dame Pinon mérite beaucoup d’intérêt; faites-moi connaître quelle est la quotité de sa pension. Faites-lui remettre 3,000 francs de gratification pour équivaloir à ses demandes. Vous vous ferez faire un rapport pour savoir où est actuellement l’ancien quartier-maître et s’il a des biens. Dans ce dernier cas, faites-le poursuivre par le procureur général de la cour de justice dans l’arrondissement de laquelle il demeure, pour le faire entrer en arrangement avec la dame Pinon. Si le quartier- maître ou ses héritiers étaient insolvables, vous feriez connaître à cette dame, en lui faisant remettre la somme que je lui accorde, que mon intention est qu’au moyen de cette gratification elle n’ait plus rien à réclamer.
Aix-la-Chapelle, 9 septembre 1804
A l’amiral Bruix
Monsieur l’Amiral Bruix, il m’a paru que la manière la plus convenable d’organiser la flottille de guerre était de la partager en sept escadrilles égales en nombre, c’est-à-dire formant chacune 108 bâtiments. Il m’a paru également qu’il était utile de composer chaque escadrille de bâtiments de chaque espèce par tiers. Par ce moyen, la ligne d’embossage, qui est supposée être l’ordre naturel du départ, se trouvera rangée conformément à l’organisation. Elle sera formée sur quatre lignes : la première de péniches, la deuxième de chaloupes canonnières, la troisième de bateaux canonniers, la quatrième de bâtiments de transport. Lorsqu’on sortirait pour évoluer sans bâtiments de transport, les péniches mouilleraient à la troisième ligne, au lieu de mouiller à la première. Les escadrilles se trouvent égales entre elles, hormis deux, qui sont composées de bateaux canonniers au lieu de chaloupes, parce que nous avons un plus grand nombre des premiers que des dernières.
Toute l’armée se trouve ainsi avoir sa destination. La division italienne s’embarquera sur les corvettes de pêche et partira de Calais. L’armée du camp de Bruges s’embarquera sur la flottille hollandaise et viendra, en dernière analyse, se placer à Ambleteuse.
Telles sont les dispositions définitives que j’ai cru devoir adopter, parce qu’elles m’ont paru préférables sous plusieurs points de vue. Organisez sur ce principe tout ce que vous avez, et faites placer les bâtiments dans les ports, en les faisant mouiller. Faites-les sortir par escadrille ou par deux escadrilles, ce qui forme une aile.
Il y aura donc, à Boulogne, 108 chaloupes canonnières, 180 bateaux canonniers et 144 péniches, en tout 432 bâtiments, dont la sortie ne peut être difficile. Il y aura à Wimereux 108 bâtiments, dont la sortie en une marée est facile, et que ce port peut contenir. Il y aura à Étaples 216 bâtiments. Il faudrait sur-le-champ ordonner la construction du pont qui a été demandé dans ce port; mais il faudrait qu’il fût extrêmement léger, afin qu’il coûtât moins et qu’il pût être fait promptement. Il suffirait que deux hommes puissent y passer de front.
Quant aux bâtiments de transport, ils seront également partagés eu sept parties, chaque partie attachée à une escadrille. C’est à vous actuellement à faire votre tactique. Il est impossible de parler à chaque bâtiment; mais on peut parler à chaque nature de bâtiment, ensuite à chaque division et même à chaque section.
Je vais partir d’Aix-la-Chapelle; je serai de retour dans quinze jours à Boulogne. Je désirerais que pour ce temps-là chaque escadrille fût organisée, et que les fonds en fussent formés et prêts à recevoir ce qui pourrait leur manquer, lorsque la flottille du Havre sera arrivée.
Aix-la-Chapelle, 9 septembre 1804
ORGANISATION DE LA FLOTTILLE
PROJET DE DÉCRET
TITRE ler
La flottille de guerre sera composée de sept escadrilles, chacune de 108 bâtiments, total 756 bâtiments.
Les deux premières escadrilles se réuniront à Étaples et formeront la gauche de la flottille.
Les 3e et 4e, qui se réuniront à la gauche du port de Boulogne, formeront le centre.
Les 5e et 6e, qui se réuniront à la droite du port de Boulogne, formeront la droite.
La 7e, qui se réunira à Wimereux, formera la réserve.
La gauche, le centre et la droite seront commandés par trois contre-amiraux. Chaque escadrille sera commandée par un capitaine de vaisseau.
La 1e escadrille sera composée de deux divisions de chaloupes canonnières, de deux divisions de bateaux canonniers , de deux divisions de péniches, et portera dix bataillons.
La 2e escadrille sera composée de quatre divisions de bateaux canonniers et de deux divisions de péniches, et portera également dix bataillons.
Ces deux escadrilles, formant la gauche de la flottille composée de 216 bâtiments et portant vingt bataillons, se réuniront à Étaples et en partiront.
Les 3e et 4e escadrilles, formant le centre de la flottille, seront composées de deux divisions de chaloupes canonnières, de deux divisions de bateaux canonniers et deux divisions de péniches , et porteront vingt bataillons.
La 5e escadrille sera composée de la même manière que la 3e et la 4e escadrille.
La 6e escadrille sera formée de quatre divisions de bateaux canonniers et de deux divisions de péniches.
Enfin la réserve serait composée de deux divisions de chaloupes canonnières, de deux divisions de bateaux canonniers et de deux divisions de péniches.
On voit donc que l’organisation est homogène, et qu’il n’y a que deux escadrilles qui diffèrent, ayant quatre divisions de bateaux canonniers au lieu de deux divisions de chaloupes canonnières et deux divisions de bateaux canonniers.
TITRE II
ARMÉE DE TERRE AFFECTÉE AUX ESCADRILLFS
Le corps d’armée du maréchal Ney fournira des garnisons et sera destiné à s’embarquer sur la gauche de la flottille, c’est-à-dire sur la 1e et la 2e escadrille.
Les divisions Vandamme et Legrand s’embarqueront sur le centre, c’est-à-dire sur les 3e et 4e escadrilles.
Les divisions Saint-Hilaire et Suchet s’embarqueront sur la droite, c’est-à-dire sur les 5e et 6e escadrilles.
Les bataillons de la réserve d’Arras s’embarqueront sur la réserve, c’est-à-dire sur la 7e escadrille.
Nota. Les deux bataillons que doivent porter les divisions de péniches seront pris par détachements sur les huit bataillons que portent les divisions de chaloupes ou bateaux canonniers.
TITRE III
PLACEMENT DES BÂTIMENTS DANS LES PORTS
La gauche sera réunie à Étaples, savoir :
La 1e escadrille sera rangée aux pieux du côté de la baraque de l’Empereur.
La 2e escadrille, sera rangée aux pieux de la gauche de la rade, du côté opposé.
On s’occupera de placer ces deux divisions au moment de l’appareillage.
Le centre sera rangé dans la partie ouest du port de Boulogne, c’est-à-dire du côté du bassin et du musoir.
La droite sera rangée dans la partie est du port de Boulogne, c’est-à-dire du côté de la tour d’Ordre.
La réserve sera réunie à Wimereux.
TITRE IV
En rade, chaque escadrille mouillera de la manière suivante :
Les chaloupes canonnières au premier rang, les bateaux canonniers au deuxième rang, les péniches au troisième rang, de manière que derrière les chaloupes canonnières de chaque escadrille se trouvent les bateaux canonniers de la même escadrille, et derrière ceux-ci les péniches de la même escadrille.
Lorsqu’il y aura en rade des écuries ou des bateaux de transport, ils mouilleront à la place des péniches, qui alors mouilleront dans les intervalles, en avant des chaloupes canonnières.
C’est pour conserver les escadrilles dans l’ordre de mouillage qu’on a préféré composer chaque escadrille de trois espèces de bateaux.
ORGANISATION DE LA FLOTTILLE DE TRANSPORT
La flottille de transport se divise en trois flottilles :
Flottille d’écuries;
Flottille d’artillerie;
Flottille de transport.
Chacune de ces flottilles se divise en divisions, composées chacune de dix-huit bâtiments, lesquelles se divisent elles-mêmes en deux sections de neuf bâtiments.
Il y a dix-neuf divisions d’écuries, quatre d’artillerie, sept de transport.
Les divisions de la flottille d’écuries portent les n° de 1 à 19; celles d’artillerie, de 20 à 24; celles de transport, de 30 à 37.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
A M. Cambacérès
Mon Cousin, je sens fort bien que tout ce qui est relatif à la réduction des frais de justice, à l’établissement de nouveaux droits sur le tribunal de cassation, aux droits sur les diligences et voitures publiques, ne peut être fait que par une loi; mais faites d’abord recueillir tous les matériaux, et présentez-moi les projets de décret.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
Au vice-amiral Decrès
Je vous renvoie la lettre du commandant de la corvettele Berceau. Il paraît que nous aurons des nouvelles de l’île de France, de floréal dernier. Je suis fort impatient d’avoir des détails sur les Indes , sur la situation de nos colonies et de nos croisières. Le Berceau parait être une grosse corvette, plus forte que la Badine et la Torche. Si elle n’a pas besoin de réparations et qu’elle marche bien , elle pourrait être utile à des missions. J’imagine que vous avez donné ordre au Bélier de tâcher de se rendre au Ferrol.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
A M. Gaudin
Monsieur Gaudin, Ministre des finances, le Piémont a eu des gouvernements provisoires qui ont disposé des biens nationaux à tort et à travers. C’est ainsi qu’ils ont doté la ville et l’athénée de Turin. Je vous prie de me remettre, le plus promptement possible, l’état des dotations et affectations de tout genre faites par le gouvernement provisoire, soit à des villes, soit à des corporations, soit à des particuliers. Vous me proposerez en même temps un projet de décret pour annuler, par un seul acte, toutes ces ridicules dotations et affectations, et pour les faire entrer dans le domaine national. La législation est que tout ce qu’a fait en ce genre le gouvernement provisoire est nul; et que les choses doivent être remises sur le pied où elles étaient avant l’entrée des Français en Piémont. Mais cette législation ne peut être appliquée que par un décret; et il faut, pour rendre ce décret, connaître exactement tout ce qui a été fait, afin de pouvoir, s’il y a lieu, approuver les dispositions qui pourraient mériter de l’être. Je désire que l’état des affectations et dotations me soit remis vers le 15 vendémiaire prochain. Si vous n’avez pas dans vos bureaux tous les documents nécessaires, envoyez quelqu’un en Piémont pour les recueillir; mais recommandez à cette personne le plus grand secret; la moindre publicité mettrait tout le pays en mouvement, et il faut que le décret arrive sans qu’on s’y attende.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
A M. Fouché
Le rapport intitulé Vendée, préparatifs de guerre civile, m’a paru intéressant. Ne perdez point de vue ces différentes traces et suivez-les avec le plus grand soin.
Il ne faut cependant vexer aucunement mesdames Lescure et Larochejaquelein. Le mari de l’une et le frère de l’autre ont fait la guerre avec un tel talent militaire qu’ils auront une page dans l’histoire, et ils conserveront quelque attachement dans le pays. Je ne connais point le caractère de ce Larochejaquelein; mais l’union de ces deux noms est assez intéressante pour chercher à se les attacher. Voyez le parti qu’il est possible d’en tirer, et faites-moi connaître l’âge et le caractère de l’homme et de la femme.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
A M. Fouché
Monsieur Fouché, Ministre de la police générale, je désire savoir où en est l’affaire des deux espions d’Abbeville. J’avais ordonné que les deux matelots convaincus d’espionnage avec la croisière anglaise, et qui sont en ce moment dans les prisons d’Abbeville, fussent traduits devant une commission militaire et fusillés sur la côte de Dieppe et du Tréport. Je n’entends point parler de cela et les peuples croient à l’impunité.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, les casernes des villes de Marseille, Bordeaux, Lyon, Nantes, la Rochelle, Bruxelles, Anvers, Bruges, Turin, Verceil, etc., et en général de toutes celles qui ne sont pas de véritables places de guerre, doivent, à commencer de l’an XIII, être mises à la disposition de ces villes, entretenues et réparées par elles. Tel était l’ancien usage; c’est d’ailleurs le seul moyen de pourvoir à cette dépense. Faites donc dresser un relevé des casernes, magasins, etc., existant dans les villes de l’empire autres que les véritables places de guerre. Ajoutez à ce relevé toutes les notions que vous aurez recueillies sur le montant de la dépense d’entretien de ces casernes et bâtiments. Joignez-y un projet de décret par lequel il sera statué qu’à dater du 1er vendémiaire prochain ces villes doivent tenir en état non-seulement les casernes, mais encore les lits, fournir les draps, etc. Par ce moyen, les frais de casernement et des lits militaires seront diminués de moitié. On ne peut, en général, se dissimuler que ces villes ne soient très-riches aujourd’hui, et il vaudra mieux les charger de ces réparations, qui les intéressent, puisqu’elles désirent avoir des garnisons sans loger les troupes chez les habitants, que de prendre sur leurs revenus pour pourvoir à cette dépense.
Le logement de la gendarmerie coûte un million de loyer. Il convient de se débarrasser aussi de cette dépense, et de faire loger aussi la gendarmerie au compte des communes et des départements. Il est nécessaire pour cela d’avoir un état, dressé par départements, de ce que coûtent les loyers de la gendarmerie pour les maisons qui appartiennent à des particuliers, et les réparations des maisons nationales affectées à ce service. Je désire avoir ces états avant huit ou dix jours.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, le dépôt du 30e régiment de ligne a douze conscrits de l’Yonne qui sont estropiés. Ils ont déclaré n’avoir pas été passé en revue par le général de brigade commandant le département, qui est cependant du conseil de recrutement. Ce général est d’autant plus coupable qu’il n’a rien à faire. Écrivez-lui une lettre de mécontentement, que vous ferez circuler aux autres généraux de la division, pour leur rappeler qui faut que les conscrits qui partent soient en état de servir.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
Au maréchal Bernadotte
Mon Cousin, l’aide de camp colonel Gérard m’a remis la médaille que vous avez fait frapper avec le produit des mines de Hanovre. J’agrée avec plaisir les sentiments que vous m’exprimez.
Profitez de l’automne pour améliorer l’instruction, surtout ceux des états-majors. Faites commander les bataillons par les aides camp et adjoints pour qu’ils se forment.
Aix-la-Chapelle, 10 septembre 1804
Au vice-amiral Decrès
Monsieur Decrès, Ministre de la marine, j’ai lu avec attention votre lettre du 17. Il me paraît convenable que les garnisons de la flotte, ne changent qu’à la pointe du jour, avant la distribution des rations.
La proposition de faire des masses pour les hamacs est tout à fait inadmissible; ce serait un moyen de dépenser le double. Il faut faire un règlement pour que les hamacs soient consignés par les garnisons sortantes aux garnisons qui les relèvent, et qui en seront responsables si elles les abîment.
La ration de marine consiste en pain, en viande et en légumes; la ration de la guerre est la même à Boulogne; je ne conçois donc pas pourquoi celle de la marine coûte 19 sous et celle de la guerre 10 sous. Il me paraîtrait plus simple d’ordonner qu’à dater du 1er vendémiaire les vivres seront fournis sur les bâtiments des ports de rassemblement, depuis la Somme jusqu’à Ostende, par les administrations de terre et au compte de la guerre, pour toutes les troupes embarquées ou non. Cette mesure serait plus simple et rendrait inutile une grande partie de vos établissements et employés.
Je suppose, ce dont je ne suis pas parfaitement sûr, que la ration est la même pour la marine et pour la guerre. Il me semble avoir entendu dire à des soldats qu’ils étaient mieux traités au camp qu’à bord, parce que la viande y était meilleure.
Une seconde dépense que vous pourriez économiser dans les ports de réunion serait celle des hôpitaux de la marine; on peut les supprimer et arrêter que la marine ne fera aucun service de santé, lequel sera fait par les ambulances et les hôpitaux de l’armée de terre. Nous avons là du matériel pour 100,000 hommes en pleine campagne, c’est-à-dire pour panser, en vingt-quatre heures, 6 à 7,000 hommes. Il est donc inutile qu’il y ait un grand nombre d’officiers de santé de mer. Le personnel de la marine est peu de chose sur la flottille, comparativement à l’armée de terre; c’est le comble de la folie d’y avoir deux administrations; la plus forte doit servir à la plus faible.
Quant aux couvertures, ordonnez également que, dans les ports de rassemblement, elles seront fournies par la guerre, hormis les hamacs, dont la guerre ne se sert point. Les soldats, en s’embarquant, porteraient leurs couvertures. Ordonnez que celles de la marine qui sont dans les ports de rassemblement ou sur les bâtiments qui se rendent dans ces ports, entrent dans la comptabilité des magasins de l’armée de terre.
Indépendamment de ces dispositions, il y a encore d’autres objets sur lesquels vous pouvez économiser beaucoup d’argent et où vous mettrez beaucoup de simplicité. En parcourant la flottille, j’y ai vu une nuée d’agents comptables; il y a aussi dans l’armée de terre une nuée d’agents qui ne font rien et qui attendent d’être de l’autre côté. Je paye donc aujourd’hui des appointements à une grande quantité d’employés qui me sont inutiles ici, et je paye à la marine des employés qui me sont utiles aujourd’hui et qui ne feront rien en Angleterre. Vous voyez que les fonctions des uns finissent où commencent celles des autres. Il faut que la marine ne se mêle ni des vivres ni des hôpitaux dans les ports de rassemblement. Je ne parle point de Dunkerque ni de Flessingue, qui contiennent des bâtiments de la grande armée navale.
Ces idées méritent d’être approfondies; présentez-moi un projet de décret après les avoir bien pesées et méditées. Vous simplifierez par là le service et ferez disparaître toute concurrence. La flottille par elle-même n’est rien; elle n’existe que par l’armée de terre. Ce qui continuera à appartenir à la marine sera la réparation des bâtiments et la solde des équipages, l’une et l’autre ne pouvant être faites que par la marine.
Quant à l’idée de diminuer de moitié les garnisons, il y a beaucoup d’inconvénients, dont le moindre est celui d’avoir l’air d’anéantir la flottille.
La terre, payant la solde, donnerait des gratifications aux officiers embarqués. Si la garnison change tous les quinze jours, je voudrais que nécessairement l’officier y restât le mois; on fixerait alors la gratification par mois, ce qui donnerait les moyens de la réduire un peu. Il faudrait, par des règlements généraux et non par décision des commandants de port, déterminer le traitement de chaque commandant de bâtiment. Si vous y comprenez les frais de table, ils sont trop payés. S’ils n’ont pas de ration, c’est une faute; il faut la leur donner, car il est impossible dans de petits bâtiments d’empêcher de prendre des rations; il faut les bien traiter, mais non ridiculement. La flottille a été considérée jusqu’ici comme d’expédition; il faut la considérer désormais comme établissement fixe, et dès ce moment porter la plus grande attention à tout ce qui doit être immuable, en la régissant par d’autres règles que l’escadre. Nous avons des capitaines de vaisseau de guerre et de frégate entretenus; il faut avoir aussi un certain nombre de capitaines de bateaux, comme on avait des capitaines de brûlots. Cette organisation offrira un prétexte pour diminuer les traitements et leur donner un état fixe. Vous ne serez d’ailleurs jamais embarrassé de ces hommes, parce qu’on peut leur donner une fonction de leur grade sur les vaisseaux de ligne, en cas que la flottille ne soit pas armée. Quant à la flottille d’Ostende, elle devra être traitée comme celle de Boulogne. En général, la flottille est administrés sur de fausses maximes, car elle l’est par les règles des escadres; or rien ne se ressemble moins.
Aix-la-Chapelle, 11 septembre 1804
DÉCRET
NAPOLÉON, Empereur des Français, à tous ceux qui les présentes verront, salut :
Étant dans l’intention d’encourager les sciences, les lettres et les arts, qui contribuent éminemment à l’illustration et à la gloire des nations;
Désirant non-seulement que la France conserve la supériorité qu’elle a acquise dans les sciences et dans les arts, mais encore que le siècle qui commence remporte sur ceux qui l’ont précédé;
Voulant aussi connaître les hommes qui auront le plus participé à l’éclat des sciences, des lettres et des arts,
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
ARTICLE 1er. – Il y aura, de dix ans en dix ans, le jour anniversaire du 18 brumaire, une distribution de grands prix, donnés de notre propre main , dans le lieu et avec la solennité qui seront ultérieurement réglés.
ART. 2. – Tous les ouvrages de sciences, de littérature et d’arts, toutes les inventions utiles, tous les établissements consacrés au progrès de l’agriculture ou de l’industrie nationale, publiés, connus ou formés dans un intervalle de dix années, dont le terme précédera d’un an l’époque de la distribution, concourront pour les grands prix.
ART. 3. – La première distribution des grands prix se fera le 18 brumaire an XVIII, et, conformément aux dispositions de l’article précédent, le concours comprendra tous les ouvrages, inventions ou établissements publiés ou connus depuis l’intervalle du 18 brumaire de l’an VII au 18 brumaire de l’an XVII.
ART. 4. – Ces grands prix seront, les uns de la valeur de dix mille francs, les autres de la valeur de cinq mille francs.
ART. 5. Les grands prix de la valeur de dix mille francs seront au nombre de neuf, et décernés,
1° Aux auteurs des meilleurs ouvrages de science, l’un pour les sciences physiques, l’autre pour les sciences mathématiques;
2° A l’auteur de la meilleure histoire ou du meilleur morceau d’histoire, soit ancienne, soit moderne;
3° A l’inventeur de la machine la plus utile aux arts et aux manufactures;
4° Au fondateur de l’établissement le plus avantageux à l’agriculture ou à l’industrie nationale;
5° A l’auteur du meilleur ouvrage dramatique, soit comédie, soit tragédie, représenté sur les théâtres français;
6° Aux auteurs des meilleurs ouvrages, l’un de peinture, l’autre de sculpture, représentant des actions d’éclat ou des événements mémorables, puisés dans notre histoire;
7° Au compositeur du meilleur opéra représenté sur le théâtre de l’Académie impériale de musiques
ART. 6. – Les grands prix de la valeur de cinq mille francs seront au nombre de treize, et décernés,
1° Aux traducteurs de dix manuscrits de la Bibliothèque impériale ou des autres bibliothèques de Paris, écrits en langues anciennes ou en langues orientales, les plus utiles, soit aux sciences, soit à l’histoire, soit aux belles-lettres, soit aux arts;
2° Aux auteurs des trois meilleurs petits poèmes ayant pour sujet des événements mémorables de notre histoire, ou des actions honorables pour le caractère français.
ART. 7. – Ces prix seront décernés sur le rapport et la proposition d’un jury composé des quatre secrétaires perpétuels des quatre classes de l’Institut, et des quatre présidents en fonctions dans l’armée qui précédera celle de la distribution.
Aix-la-Chapelle, 11 septembre 1804
A M. Fouché
Monsieur Fouché, Ministre de la police générale, faites écrire à Charron, à Turin, que je ne veux point d’intrigues. Qu’il vive bien avec Menou, avec le maire, et qu’il ne desserve personne. J’ai vu de très-mauvais oeil la conduite qu’il a tenue lors de l’événement arrivé au général Menou. L’agent du Gouvernement devait couvrir, dans un pays nouvellement réuni, un mouvement de vivacité, extrêmement blâmable sans doute; mais ce qui est plus blâmable, c’est qu’il s’est attaché à donner de l’éclat à cette aventure. Je sais qu’il y a un système de perdre Menou, le corps municipal de Turin et autres bons, citoyens du Piémont; il ne réussira pas plus que le système opposé n’a réussi. Quelque mouvement qu’ils se donnent, Menou restera encore à Turin cinq ou six ans. Les commissaires de police aiment trop l’argent; Charron doit dépenser moins à Turin qu’à Marseille.
Château de la Haye, près Gueldres, 12 septembre 1804
A Cambacérès
Mon Cousin, j’ai reçu votre lettre du 22. Je suis aujourd’hui dans un château à l’extrémité de l’empire. J’ai visité hier Crevelt, et ce matin Venloo. Ce pays, tant sus le point de vue des fortifications militaires que de la partie administrative, avait besoin d’un coup d’œil.
Château de la Haye, près Gueldres, 12 septembre 1804
Au vice-amiral Decrès
Monsieur Decrès, Ministre de la marine, j’ai lu avec attention le rapport et les différentes lettres du capitaine général Decaen. La conduite du général Linois est misérable, celle du capitaine Larue est plus misérable encore. Comment un capitaine de vaisseau se dégrade-t-il au point de faire les fonctions de midshipman ? Comment un capitaine qui commande un vaisseau peut-il l’abandonner ? Ne laissez le capitaine Larue que vingt-quatre heures à Paris, et dites-lui que je ne le recevrai point. Faites-le partir pour l’Inde; enjoignez-lui de s’embarquer à Bayonne aussitôt sur un petit bâtiment. Je lui ai confié son vaisseau; il faut qu’il m’en réponde. Faites connaître dans tous les ports que je n’ai pas voulu le voir, parce qu’il a quitté son vaisseau. C’est à un lieutenant ou à un officier d’état-major à remplir ces missions, s’il y a lieu. La marine a besoin d’être remontée par quelques exemples. Faites imprimer dans le Moniteur les 1e, 2e, 3e, 4e, 5e et 6e pages, jusqu’à l’endroit marqué du numéro 45, du rapport du général Decaen ; faites-y imprimer également les n° 2 et 3 des dépêches interceptées sur le bâtiment anglais, ainsi que le volume de lettres imprimées; faites-y mettre aussi l’extrait de la Gazette de Madras. Je désire que ces publications aient lieu dans le Moniteur le lendemain du reçu de mon courrier. Je tiens à ce qu’elles soient faites, car il faut que la marine se fasse une idée sur ces affaires si déshonorantes. C’est la seule manière d’avoir une marine. Toutes les expéditions sur mer qui ont été entreprises depuis que je suis à la tête du gouvernement ont toujours manqué, parce que les amiraux voient double et ont trouvé je ne sais où qu’on peut faire la guerre sans courir aucune chance. Faites mettre dans le Moniteurégalement l’extrait de la dépêche du général Decaen qui annonce la prise de l’Althée.
Je vous ai envoyé des rapports sur Sainte-Hélène; l’individu est à Givet, vous pouvez l’envoyer chercher; il me parait, par tout ce que je vois, que ce n’est point une chose à dédaigner.
Donnez ordre au Havre que deux flottilles sortent, qu’elles se rendent à Boulogne et défendent la rivière.
Je désire que vous sachiez de Larue ce qu’ont fait les forces hollandaises à Batavia, et comment elles se sont comportées. Je désire avoir une idée nette de cela.
Cologne, 14 septembre 1804
A M. Fouché
Monsieur Fouché, Ministre de la police, j’ai vu avec peine dans les journaux que le conseiller d’ État du 1er arrondissement avait envoyé le signalement de M. Octave Ségur, comme si toutes les probabilités n’étaient pas que cet homme fût noyé; s’il en était autrement, ce serait un événement bien extraordinaire et que la police ne devrait jamais divulguer, car il ne tend qu’à effrayer, et la sûreté est, comme tout le reste, une affaire d’opinion.
Je vous renvoie l’état des individus en surveillance à la préfecture de police. Comme il faut accoutumer à obéir aux règlements, faites rechercher s’il y en a de compris dans l’ordonnance de police et qui ne s’y soient pas rendus; il est nécessaire que vous vous fassiez rendre compte de la conduite et de la moralité de ces individus, et que ceux dont la présence à Paris pourrait avoir des inconvénients, surtout ceux qui ont fait la guerre de la Vendée, en soient éloignés sans délai à trente ou quarante lieues. Je pense que vous supprimerez alors l’obligation où ils sont de se présenter à la préfecture de police, ce qui, comme vous l’observez très-bien, offre plus d’inconvénients que d’avantages.
Cologne, 15 septembre 1804
A S.S. le Pape
Très-saint Père, l’heureux effet qu’éprouvent la morale et le caractère de mon peuple par le rétablissement de la religion chrétienne me porte à prier Votre Sainteté de me donner une nouvelle preuve de l’intérêt qu’elle prend à ma destinée et à celle de cette grande nation, dans une des circonstances les plus importantes qu’offrent les annales du monde. Je la prie de venir donner, au plus éminent degré, le caractère de la religion à la cérémonie du sacre et du couronnement du premier empereur des Français. Cette cérémonie acquerra un nouveau lustre lorsqu’elle sera faite par Votre Sainteté elle-même. Elle attirera sur nous et nos peuples les bénédictions de Dieu, dont les décrets règlent à sa volonté le sort des empires et des familles.
Votre Sainteté connaît les sentiments affectueux que je lui porte depuis longtemps, et par là elle doit juger du plaisir que m’offrira cette circonstance de lui en donner de nouvelles preuves.
Cologne, 15 septembre 1804
A M. Fouché
Monsieur Fouché, Ministre de la police générale, je désire avoir des renseignements sur Véron, ex-prêtre, et qui doit être un courtier d’intrigues qui se rallient à Durand , des relations extérieures, et Sainte-Foix. Ces renseignements doivent porter sur sa fortune, ses liaisons, ses voyages. Mais vous devez y mettre la plus grande circonspection , pour que cet individu ne soupçonne pas qu’il est l’objet d’une surveillance, car l’éveil donné à Sainte-Foix et Durand pourrait avoir de funestes conséquences.
Cologne, 15 septembre 1804
A M. Fouché
Monsieur Fouché, Ministre de la police générale, il faut arranger vos bureaux pour qu’ils ne coûtent pas plus qu’ils ne sont portés au budget. En général, vos bureaux sont susceptibles de réformes, soit pour la quotité des appointements, soit pour le nombre des individus.
Je vois, dans votre bulletin du 26 , que « le manifeste de l’empereur de Russie est connu »; il n’y a point de manifeste de la Russie; nous ne sommes point en guerre, et personne ne sait l’état dans lequel se trouvent les deux puissances.
Cologne, 15 septembre 1804
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, j’ai vu le 58e régiment. Écrivez au préfet de l’Allier et au général qui commande ce département que, de 400 conscrits qu’il doit fournir, 100 ne sont pas arrivés au corps, 100 ont déserté, de manière qu’il n’en reste pas 200, et la moitié est boiteux, sourd et d’aucun bon service.
Ce que je vois des 3e bataillons est vraiment une dérision. Le cinquième de la conscription est composé du rebut de la nation; cela nous coûte des routes, de l’habillement en pure perte. Les officiers du 58e sont bons, et ce corps a un bon esprit; mais j’ai été extrêmement mécontent du major, qui n’a pas la moindre idée des manœuvres. Vous voudrez bien le suspendre pendant trois mois sans appointements, et lui donner l’ordre de se rendre au camp de la réserve, à Arras, pour s’y instruire dans les manœuvres; il ne sera réintégré dans sa place de major que quand j’aurai l’assurance qu’il les sait parfaitement, assurance que je prendrai par moi-même, car je le ferai venir à Paris. Si, dans ces trois mois, il ne justifiait pas que ses manœuvres lui sont très-familières, vous retarderez son retour au corps de six mois. En attendant, il est nécessaire de nommer un autre major. Vous lui ferez connaître que si je ne me souvenais pas des services qu’il a rendus à la guerre, je l’aurais fait destituer, car aucun officier ne doit prendre l’emploi de major s’il ne sait à fond les détails de l’ordonnance. Vous mettrez à l’ordre de l’armée que l’Empereur ayant fait manœuvrer le 58e régiment à Cologne, a été content de la tenue des officiers et des soldats, mais a vu avec peine que le major n’avait aucune connaissance de ses manœuvres; qu’en conséquence Sa Majesté a ordonné qu’il serait suspendu pendant trois mois, et envoyé pendant ce temps à un des camps pour s’y instruire dans les manœuvres, et qu’il ne serait réintégré dans sa place de major que lorsqu’il aurait justifié les connaître dans le plus grand détail.
Le colonel Dufour, du 58e, est absent du corps depuis très-longtemps. On me dit qu’il est à Paris. Ce corps a cependant besoin d’un bon chef : on ne se fait pas d’idée de son ignorance. Faite-moi connaître l’état du colonel Dufour, et ordonnez-lui de rejoindre, s’il est en état de continuer le commandement de son corps. Sans cela, je le nommerai adjudant commandant, car c’est un brave homme, et je le remplacerai. Vous ferez connaître au général Jacobé-Trigny que je suis mécontent qu’il n’ait pas fait manœuvrer le 58e. Écrivez aux généraux commandant les divisions de faire faire les manœuvres aux 3e bataillons et aux corps qui sont dans les arrondissements. Cela sert toujours à l’instruction des officiers et des sous-officiers.
Cologne, 15 septembre 1804
Au vice-amiral Decrès
Monsieur Decrès, Ministre de la marine, je vous ai déjà exprimé tout ce que je ressentais de la conduite du général Linois : il a rendu le pavillon français la risée de l’univers. Le moindre reproche qu’on peut lui faire, c’est d’avoir mis beaucoup trop de prudence dans la conservation de sa croisière. Des vaisseaux de guerre ne sont pas de vaisseaux marchands. C’est l’honneur que je veux qu’on conserve, et non quelques morceaux de bois et quelques hommes. Le mépris contre lui, en Angleterre, est au dernier point de la part des officiers de la marine. Je voudrais pour beaucoup que ce malheureux événement ne fût pas arrivé; je préférerais avoir perdu trois vaisseaux. Si le capitaine Larue est celui qui a été en Égypte, et qui commandait la frégate la Muiron, je suis extrêmement surpris qu’un homme qui a pu approcher de moi un instant ait pu si mal se conduire; car enfin, s’il eut représenté à l’amiral qu’il ne pouvait pas abandonner son vaisseau, l’amiral n’eut pas insisté. Témoignez-lui mon mécontentement et l’espèce de mépris que sa conduite m’inspire; il ne peut la faire oublier qu’en se rembarquant sur-le-champ et en suivant le sort de son vaisseau.
Cologne, 15 septembre 1804
Au vice-amiral Decrès
Monsieur Decrès, Ministre de la marine, il paraît convenable de mettre l’embargo sur la côte depuis la Somme jusqu’à l’Escaut, et de ne plus laisser sortir aucun bâtiment, ni permettre aucune communication avec la mer.