Correspondance de Napoléon – Octobre 1806
Potsdam, 25 octobre 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, vingt-quatre heures après la réception du présent ordre, faites partir soixante jeunes gens de l’école de Metz pour se rendre au parc de la Grande Armée comme sous-lieutenants. Le major général leur désignera les compagnies dans lesquelles ils doivent entrer. L’artillerie a besoin de sujets. Expédiez-en également dix pour servir comme adjoints du génie, et remplacez tous ces jeunes gens à l’école de Metz.
J’imagine que vous avez déjà expédié les jeunes gens de l’école de Fontainebleau et de l’école polytechnique que j’ai nommés. Rendez- vous vous-même à Fontainebleau, et choisissez-y deux cents jeunes gens que vous adresserez au major général, qui les attachera aux différents corps. Faites également une inspection à Saint-Cyr, et choisissez-y les jeunes gens au-dessus de dix-sept ans pour être employés dans des corps. Chargez le général Lacuée d’envoyer de l’école polytechnique à l’armée ce qu’il y a de trop. Cinq à six cents jeunes gens instruits ne feront que du bien aux corps et y acquerront plus en trois mois qu’ils ne pourront acquérir en deux ans dans les livres. Mais il faut que tout cela parte quatre ou cinq jours après cette lettre et arrive avant le 10 novembre à Berlin. Je vous ai fait connaître que je ne voulais point d’adjudants commandants ni d’adjoints dans les divisions de l’intérieur, excepté un pour Brest; et il faut donner la réforme à tous ceux qui ne pourraient pas servir activement. Il s’en trouve beaucoup de mauvais parmi ceux qui arrivent ici; je les réformerai à mesure. Il est ridicule d’avoir des officiers qui ne servent point et des restes des événements de la révolution qui ne soient d’aucune utilité. Je n’ai pas besoin davantage, dans l’intérieur, d’inspecteurs aux revues et de commissaires des guerres; cependant la Grande Armée en a besoin. Un général de brigade et un général de division sont suffisants par division militaire. Ainsi la France se trouve organisée avec une trentaine de généraux, autant de commissaires ordonnateurs et des guerres et la moitié d’inspecteurs aux revues. %Mon intention n’est pas d’avoir une organisation nombreuse sans troupes.
J’avais ordonné qu’on passât une inspection générale au 1er octobre pour réformer les hommes blessés ou infirmes; j’imagine qu’elle a eu lieu. Il est bien important de débarrasser nos cadres de ce tas d’hommes inutiles qui y sont encore.
Donnez ordre au général de division Legrand, qui est à Boulogne, de se rendre à Wesel pour y servir sous les ordres du roi de Hollande; le maréchal Brune a beaucoup de généraux; il le fera remplacer par un bon général de brigade.
Comme j’ai retiré de Bordeaux le ler régiment italien et le 112e, il est convenable de mettre en réquisition dans les Landes, dans la Gironde et les Pyrénées, 3,000 hommes de gardes nationales pour garder les côtes. Dans ce cas le sénateur Lamartillière pourra effectuer l’organisation et les commander. Vous trouverez ci-joint le décret que j’ai pris à ce sujet.
Faites connaître au sénateur Gouvion que je le verrai avec plaisir ici, où je l’emploierai utilement pour mon service; qu’il peut partir pour venir me joindre à Berlin.
Je n’entends pas dire qu’on ait organisé les légions du Nord. Vous ne me parlez pas des régiments suisses. Je reçois seulement un rapport sur les Grisons, où il me paraît qu’on a commencé à s’ organiser. Présentez au conseil des ministres un projet de sénatus-consulte pour m’autoriser à appeler la conscription de 1807 avant le temps.
J’ai pris un décret pour dédoubler les trois bataillons du train de dernière formation; j’en ai besoin. Activez le plus possible leur organisation. Pour les chevaux et les harnais, je me les procurerai ici; il suffit qu’il me vienne des soldats du train. Ordonnez au 9e bataillon du train, qui est à Douai, de se diriger sur Erfurt. Avec les fonds que vous lui avez donnés, il se procurera des chevaux en Allemagne avec beaucoup plus de facilité.
J’ai ordonné que les dépôts des cinq régiments de dragon qui sont à Versailles, celui qui est à Moulins et le 10e, qui est à Amiens, eussent chacun 200 chevaux ; mais ces dépôts ont plus de 200 hommes. Ordonnez que le surplus parte pour Berlin avec leurs bottes et leurs sabres; arrivés à Berlin, je les monterai.
Donnez ordre au général de brigade Labruyère, qui est au camp de Boulogne, de se rendre à la Grande Armée.
Donnez ordre à la 4e compagnie du 5e régiment d’artilleries qui est à Boulogne, de se rendre à l’armée. Cette compagnie sera complétée à 100 hommes. Donnez ordre à la 11e compagnie du 8-ed’artillerie, qui est à Boulogne, de se compléter à 100 hommes, pour se rendre également à la Grande Armée.
Potsdam, 25 octobre 1806
Au général Lamartillière
Monsieur le Sénateur Lamartillière, je vous donne une mission qui vous convaincra de l’estime que je vous porte et de ma confiance dans votre talent et dans votre zèle pour mon service.
Transportez-vous à Bordeaux. Réunissez 3,000 hommes de gardes nationales; instruisez-les pour la défense de mes côtes de la Gironde. En cas d’événements ayez même l’oeil sur Rochefort, pour pouvoir vous y porter.
Il me suffit que ces corps soient en état de servir au 1er décembre. Vous les ferez exercer pendant tous les mois d’hiver, afin qu’ils soient en état de servir au printemps, saison où les Anglais peuvent inquiéter mes côtes.
Potsdam, 25 octobre 1806
Au maréchal Kellermann
Mon Cousin, vous n’avez point compris le sens de l’organisation du corps de gendarmerie d’ordonnance. Cela n’a rien de commun avec les corps qu’on avait demandés. Mon intention a été que les officiers fussent pris parmi eux-mêmes. En organisant ce corps, j’ai été induit plus par des raisons politiques que militaires. Je vous envoie la liste que me fait parvenir le ministre de l’intérieur. Quand vous en aurez cent, vous les organiserez et vous les dirigerez sur Bertin, en nommant les officiers pris parmi eux-mêmes.
Potsdam, 25 octobre 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, le roi de Naples renvoie deux régiments de dragons. Aussitôt que la tête sera arrivée à Ancône, vous ferez partir deux régiments de chasseurs que vous dirigerez sur Augsbourg. Les dépôts des cinq régiments de chasseurs et des sept de dragons de l’armée de Naples qui sont en Italie doivent avoir 200 chevaux, mais ils ont beaucoup plus d’hommes; envoyez-m’en l’état sans délai, et donnez-leur l’autorisation de passer un marché pour acheter un plus grand nombre de chevaux. Veillez à l’organisation de ces quatorze escadrons ; faites revenir le bataillon à pied d’Ancône, et portez une grande activité à les monter, afin qu’en mars prochain la cavalerie de Naples vous forme un corps de 4,000 chevaux, instruit et discipliné. Vous devez avoir déjà reçu en Italie plus de 15,000 conscrits. Je vois avec plaisir que leur habillement est prêt, et qu’on ne perd pas de temps à les discipliner. Écrivez-moi si le ministre Dejean a donné la retraite aux vieux officiers, et s’il a envoyé des jeunes pour les remplacer. Lisez et relisez l’instruction générale que je vous ai donnée avant mon départ, et exécutez-la constamment et insensiblement. En me renvoyant deux régiments de chasseurs, envoyez-moi les plus nombreux en hommes; leurs selles seront portées sur des chariots, et vous les dirigerez sur Augsbourg. Donnez ordres aux majors de partir devant pour acheter des chevaux à Augsbourg avec les fonds qu’ils ont; je fournirai le surplus. Comme les chevaux sont rares en Italie, les régiments qui partent pourraient laisser des chevaux aux régiments qui restent en Italie; ils se procureront des chevaux en Allemagne avec l’argent de ceux qu’ils auront vendu aux autres corps; par ce moyen on ne perdra rien en Italie en nombre de chevaux. Surtout ne touchez jamais aux deux régiments de cavalerie du corps du Frioul. Ce corps ainsi organisé formerait votre corps de retraite, comme vos dépôts formeraient vos garnisons. Les grands coups se porteront ici. Toutes ces dispositions ne sont que spéculatives. Il n’y a pas d’apparence que l’Autriche bouge, et aujourd’hui que la Prusse est anéantie.
Potsdam, 25 octobre 1806
Au roi de Naples
Je vois avec plaisir que vous avez renvoyé deux régiments de cavalerie; renvoyez-en deux autres. Les régiments de cavalerie vous sont à ce que je vois, peu nécessaires à Naples. J’aurais bien quelque chose à dire à l’envoi de 2,000 galériens, dont je ne saurai que faire en France. Pourvu, au moins, qu’ils soient bien gardés et qu’ils n’empestent point le Piémont !
Prenez tous les moyens pour préserver vos troupes des maladies. Je vois avec peine que vous avez renvoyé, Verdier; c’est un excellent officier. Vous avez peu d’hommes qui, dans des événements, pourraient vous rendre les services que vous deviez attendre de cet officier. Toutefois renvoyez tous les généraux dont vous n’avez pas besoin, et gardez les bons, ceux qui ont l’habitude du feu et des chances.
J’ai écrasé la monarchie prussienne; j’écraserai les Russes, s’ils arrivent; je ne crains pas davantage les Autrichiens. Je ne vous demanderai pas de troupes; je n’en ai pas besoin. Si cependant vous pouvez m’envoyer de la cavalerie, faites-le ; car autant vous en enverrez, autant j’en retirerai d’Italie pour la Grande Armée. C’est ici le pays de la cavalerie, et elle ne peut rien à Naples contre des brigands, ni dans les rochers et dans les montagnes.
J’ai ordonné à mon ministre du trésor de vous envoyer encore 500,000 francs en or. Si les pertes que vous avez faites en Polonais rendaient leurs cadres incomplets, envoyez-les à Landau, où ils feront partie des légions du Nord. Ce sera un objet d’économie pour vous.
Potsdam, 25 octobre 1806
Au roi de Hollande
Vous avez eu tort de demander qu’on levât des gardes nationales dans les nouveaux départements. Le grand nombre de conscrits qui va arriver dans les 25e et 26, divisions militaires est tel, qu’on pourra mettre facilement 10,000 hommes dans Wesel, si cela était nécessaire. Vous avez eu également tort de demander que les corps qui sont à Paris se dirigeassent sur Wesel, puisque vous n’en avez aucun besoin , et que ces corps sont destinés à se porter en Bretagne, à Cherbourg ou à Boulogne, selon les circonstances. Vous vous décidez trop vite, vous vous alarmez pour peu de chose; il faut délibérer avec plus de sang-froid et mûrir vos instructions. Si ces corps étaient à Wesel, où ils sont inutiles, et que les Anglais fissent un débarquement à Brest, vous voyez combien mes mesures seraient dérangées. Je donne ordre qu’on envoie à votre armée le général Legrand, qui est à Boulogne. Que diable voulez-vous faire du général Desfourneaux, qui n’a jamais fait la guerre sur le continent ? Il ne l’a faite qu’à la Guadeloupe, et il serait bien embarrassé de commander un régiment en ligne.
Aucun événement imprévu ne vous mettait à même de faire ces demandes aux ministres. Qu’ils vous aient, après un conseil, refusé, ils ont eu raison. Votre tête va trop vite. Je n’ai donc pu qu’approuver la conduite des ministres, ce qui est fâcheux. Si vous aviez attendu, au contraire, que les Anglais fussent débarqués en Hanovre, ou en Hollande, ils eussent été au-devant de vos désirs, ou mieux, les eusse prévenus. Une réserve dans un point central doit garder la circonférence; je vous l’ai déjà expliqué dans mes instructions. Jusqu’à cette heure, rien n’est changé depuis mon départ de Mayence, ce qui n’a pas échappé aux ministres. Si j’avais pu penser qu’il fut utile de mettre des gardes nationales à Wesel, je n’y aurais pas manqué; mais là des gardes nationales ne valent rien. Quant au calcul que vous faites, qu’il fallait quinze jours pour porter en Hollande des troupes de Paris, je vous ai déjà fait connaître qu’au moyen des dispositions que j’ai faites elles y seront rendues en quatre jour et ces dispositions sont convenues avec le ministre Dejean, qui n’y manquera pas. J’espère qu’aujourd’hui votre avant-garde se trouve à Goettingen.
Potsdam, 25 octobre 1806, 5 heures du soir
Au maréchal Davout
Mon Cousin, je vous annonce la nouvelle que Spandau vient de se rendre. On y a trouvé quatre-vingts pièces de canon, beaucoup de poudre, beaucoup de vivres et 300 prisonniers d’État. On y a fait 1,200 prisonniers.
Potsdam, 25 octobre 1806
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, donnez l’ordre que tous les bateaux qui sont à Neubrück soient envoyés à Spandau, et que les effets qu’ils ont à bord, soient remis dans les magasins de cette place. Envoyez à cet effet un adjoint qui parcourra la rivière jusqu’au lieu où sont nos troupes, et au fur et à mesure fera descendre les bateaux qui seraient pris, sur Spandau.
Potsdam, 25 octobre 1806
A M. Bignon
Monsieur Bignon , mon intention est que vous preniez les ordres du major général pour vous rendre à Spandau et y remplir la mission suivante : il y a 300 prisonniers d’État à Spandau; vous verrez leur écrou, les interrogerez l’un après l’autre et m’en rendrez compte, afin que ceux qui ne sont criminels qu’envers leur gouvernement puissent être relâchés, et que ceux qui ont commis des crimes réels puissent être transférés dans d’autres prisons, mon intention étant de n’avoir aucun prisonnier à Spandau.
Potsdam, 25 octobre 1806
A M. Fouché
Je vous envoie mon approuvé de la dépense relative à la mise en scène du ballet du Retour d’Ulysse. Faites-vous rendre compte en détail de ce ballet, et voyez-en la première représentation pour vous assurer qu’il n’y a rien de mauvais, vous comprenez dans quel sens. Ce sujet me paraît d’ailleurs beau; c’est moi qui l’ai donné à Gardel.
Potsdam, 25 octobre 1806
A M. Mollien
Monsieur Mollien, je reçois votre lettre du 15. Je ne comprends pas qu’il n’y ait que 1,500,000 francs dans la caisse de réserve à Mayence. Quinze millions à la bonne heure, mais 1,500,000 francs me paraissent une somme bien insuffisante, puisqu’il devrait y avoir la solde de quatre mois de l’armée. Prenez donc vos mesures pour compléter à Mayence la solde de ces quatre mois, qui doit toujours y exister.
Le prince de Neufchâtel, par mes ordres, a fait venir deux millions ici, afin de n’être point pris au dépourvu et de les employer selon les circonstances.
Potsdam, 25 octobre 1806
Au prince Eugène
Mon fils, des 2,000 forcats que vous envoie le roi de Naples, faites-en partir 500 pour Gênes, d’où on les fera passer en Corse. 500 seront envoyés en France, où ils seront employés au dessèchement des marais de Rochefort. Vous répartirez les 1,000 autres en Italie.
(Mémoires du prince Eugène)
Potsdam, 26 octobre 1806, 4 heures du matin
Au général Savary
Restez toute la journée dans votre position. Portez-vous partout où vos chevaux peuvent aller. Si vous pouvez aller jusqu’à Fehrbellin, il sera possible que vous y trouviez quelque chose. Si vous prenez des chevaux, envoyez-en à Spandau pour monter les dragons. Envoyez-moi des renseignements si vous en avez d’importance. Vous pourrez les envoyer directement au prince Murat, qui est à Oranienburg.
Potsdam, 26 octobre 1806, 4 heures du matin
Au maréchal Davout
Mon Cousin, envoyez des partis le long du chemin de Francfort et du canal qui se jette dans l’Oder, près de Francfort, afin de prendre tous les bateaux partis de Berlin, il y a cinq ou six jours, portant des objets appartenant à la cour ou des objets d’artillerie. J’imagine que vous avez envoyé des partis sur Küstrin. Les deux divisions de cuirassiers de Nansouty et d’Hautpoul se rendent à Berlin. Je me rends aujourd’hui à Charlottenburg. J’attends des détails sur la situation de Berlin.
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Un parti de cavalerie qui se porterait sur le second canal arrêterait tout ce qui serait évacué de Berlin par là.
Potsdam, 26 octobre 1806, 10 heures du matin
Au grand-duc de Berg
Je reçois votre lettre de six heures du matin de Hennigsdorf. La direction que vous prenez est bonne. Couchez ce soir avec vos divisions à Zehdenick, ayant de fortes reconnaissances sur Gransee et Templin. L’avant-garde du maréchal Lannes couchera à Falkenthal, et son infanterie aussi près de Falkenthal qu’il pourra.
Le maréchal Bernadotte sera demain à Fehrbellin.
Il me tarde de connaître ce qu’ont rapporté vos reconnaissances de Ruppin. C’est derrière cette route que file l’ennemi; je pense qu’il file par Kyritz et Rheinsberg.
Au moment même je reçois une lettre du maréchal Soult, de Hohenwarsleben, le 24, à huit heures du soir. La colonne commandée par le duc de Weimar, forte de 5,000 hommes, s’était présentée à Magdeburg. Voyant le passage obstrué, elle avait tâché de filer sur Tangermünde, où l’ennemi a un pont de bateaux. Le maréchal Soult lui avait coupé le chemin , était en pleine marche pour tomber dessus et apercevait ses feux. Pas un homme de cette colonne n’échappera. Il parait que le 23 l’arrière-garde de Blücher a passé à Tangermünde; nous lui avons fait 120 prisonniers.
Potsdam, 26 octobre 1806, 11 heures du matin
Au maréchal Lannes
Mon Cousin, il n’y a pas qu’une colonne; toutes les troupes de l’ennemi sont depuis Tangermünde jusqu’à Stettin. Elles passent derrière Ruppin, en s’appuyant du côté du Mecklembourg. Vous ne sauriez arriver trop tôt à Zehdenik. Je vous ai écrit il y a une heure sur cet objet.
Potsdam, 26 octobre 1806
A M. Cambacérès
Mon Cousin, le roi de Naples envoie 2,000 galériens en Italie; j’ordonne que 1,000 restent en Italie, que 500 soient envoyés en Corse pour travailler aux chemins et être répartis chez les habitants, et que les 500 autres soient envoyés aux marais de Rochefort. Prévenez-en le ministre Dejean et les ministres de l’intérieur et de la marine, pour que des mesures soient prises pour l’exécution de ces dispositions.
Potsdam, 26 octobre 1806
A M. Cambacérès
Mon Cousin, je vous envoie une pièce qui est de l’autre monde. Si les auteurs ne sont pas des fous, ce sont des scélérats qu’il faut sévèrement châtier. Suivez, je vous prie, cette affaire.
Potsdam, 26 octobre 1806
A M. Fouché
Un rapport du 16 octobre, du maréchal Moncey, que j’ai envoyé à M. l’archichancelier, me rend compte d’un plan d’insurrection de 93. Je sais qu’on peut faire des proclamations dans tous les sens et le peu d’attention que méritent ces sortes de proclamations. Mais un homme arrêté s’est ouvert les veines; il faudrait savoir quel cet homme. A-t-il figuré dans le parti révolutionnaire, ou est-il agent de l’étranger ? Si, comme le rapport dit, cet homme est connu pour ses relations avec ce parti, nul doute que ce ne soit un mouvement d’insurrection des frères et amis. C’est là qu’est la question. Si cet homme n’est pas un révolutionnaire, je serai porté à croire qu’il est un instrument du parti étranger, qui cherche tous les moyens propres à jeter de l’agitation dans les esprits.
Potsdam, 26 octobre 1806
A M. de la Rochefoucauld
J’ai reçu votre lettre du 20. J’ai fait donner l’ordre au général Andréossy de se porter à Prague, au quartier général du prince Charles, s’il est vrai que ce prince y soit à la tête d’une armée de 60 à 80,000 hommes. Si vos renseignements sont exacts, causez-en avec le ministère. Dites qu’il est ridicule de tenir une armée aussi considérable dans des provinces frontières, sous prétexte de maintenir sa neutralité que personne ne peut violer, ce qui peut tout au plus mériter 10 à 12,000 hommes; qu’il serait convenable de cesser des préparatifs qui ne sont propres qu’à inspirer la défiance; qu’on arme partout en Autriche, secrètement; qu’on fait rejoindre les semestriers; qu’on organise les remontes, etc. Si tout cela est vrai, ne vous contentez pas d’en parler au ministre, parlez-en à l’Empereur. Vous ne manquerez pas d’observer que c’est ainsi qu’on commence les guerres et qu’on entraîne les puissances où elles ne veulent pas aller. Je désire que vos représentations les portent à diminuer ces armements et à songer surtout à ce qu’ils font.
Je suis à Berlin depuis deux jours. L’armée prussienne est tout à fait détruite; j’en ai pris, dispersé, tué les deux tiers; ce qui reste est sans fusils, sans bagages, etc. Cependant la plus grande partie de mon armée n’a pas donné; de manière que j’ai plus de 100,000 hommes qui n’ont pas tiré un coup de fusil.
Potsdam, 26 octobre 1806
Au grand-duc de Berg
Du moment que vous aurez dépassé Zehdenik, jetez des partis sur Prenzlow et Strelitz. Vous aurez déjà eu les rapports de vos reconnaissances de Ruppin. J’imagine qu’aujourd’hui le maréchal Lannes, s’il n’a pas d’autres renseignements, ne sera pas loin de Zehdenick; il faut que vous vous trouviez à une demi-journée de lui, tant pour ne pas l’embarrasser que pour avoir des vivres. Jetez des partis de cavalerie légère pour avoir des renseignements. Je tiens pour impossible que vous ne finissiez pas par faire quelques bons coups, d’autant plus que le maréchal Bernadotte vous suit à une journée derrière. Selon tous les renseignements que je reçois, il y a des corps entiers, même des colonnes, qui se dirigeaient sur Berlin, et qui errent en suivant tantôt la direction de Küstrin, tantôt celle de Stettin. On m’assure que Stettin n’est pas approvisionné. Vos partis doivent se trouver le 28 sous les murs de Stettin; quelques prisonniers que vous ferez, quelques bourgmestres que vous ferez prendre près de Stettin, vous donneront des renseignements.
Potsdam, 26 octobre 1806
Au général Songis
Je vous ai fait connaître l’importance que j’attache à la place de Wittenberg. Il est donc nécessaire d’y expédier, sans délai, une trentaine de pièces de canon, de celles trouvées à Berlin, et des mortiers et obusiers. Je désire beaucoup que dans six ou sept jours cette place soit armée.
Charlottenburg, 26 octobre 1806
Au général Songis
Mon intention est d’armer le fort et la ville de Spandau; envoyez un général de brigade d’artillerie pour y organiser le service, et, qu’avant demain, à neuf heures du matin, il y ait une compagnie entière d’artillerie de 100 hommes, une escouade d’ouvriers, un chef de brigade ou de bataillon d’artillerie, un officier en résidence, un garde-magasin général, un artificier. Le général de brigade y restera jusqu’à ce que le service soit parfaitement monté.
Toutes les poudres qui se trouvent à Berlin et dans tous les parcs entre la Sprée et l’Oder seront sans délai transportées à Spandau, ainsi que les plombs et tous les matériaux pour faire des cartouches à balle et à boulet; également tous les matériaux propres aux travaux de l’arsenal. Je vous le répète, je ne veux rien à Berlin. Les transports de Berlin à Spandau sont très-faciles, puisqu’il y a la Spree.
On choisira à Spandau des souterrains pour qu’ils puissent contenir un million de poudre et des emplacements pour contenir quatre à cinq millions de cartouches; on établira une salle d’artifice, je n’en veux que là, un arsenal de construction, et on organisera tout ce que j’ai déjà ordonné pour Erfurt et Wittenberg. Erfurt, Wittenberg et Spandau, voilà mes trois places de dépôts. Quelle que soit celle de ces places où je me dirige, j’y dois trouver poudre, pierres à feu, fusils, cartouches à balle et à boulet, moyens de rechange et de réparations nécessaires après une bataille gagnée ou perdue. On doit constamment considérer le reste du pays comme pouvant être occupé d’un moment à l’autre par la cavalerie ou les colonnes ennemies. Ainsi l’artillerie à Spandau doit être considérée sous deux points de vue : artillerie nécessaire à la défense de la place, artillerie et munitions de guerre de toute espèce, de dépôt, pour réparer les consommations et les pertes. Il faut donc que, dans trois jours, si cette place était cernée, l’artillerie y fût en mesure pour défendre; que, pour cela, les plates-formes fussent établies; que le bois soit déjà coupé pour faire des saucissons et des gabions; enfin que la citadelle et la place soient armées. Il faut qu’avant six jours tout ce que j’ai à Berlin, qui peut m’être nécessaire, comme munitions, pièces de rechange, artillerie de campagne, se trouve emmagasiné dans le fort de Spandau. Je vous ai déjà ordonné de faire revenir tout ce que vous aviez en arrière, à Augsbourg, Ulm, Würzburg, Kronach, non pas en matériel, car je crois que vous avez ici plus qu’il ne vous faut, mais en personnel; enfin en tout ce qui vous est nécessaire. Répartissez ces moyens, sur Erfurt, Wittenberg et Spandau.
Charlottenburg, 26 octobre 1806
A M. Daru
Monsieur Daru, je vous ai fait connaître qu’Erfurt et Wittenberg étaient des dépôts de l’armée. Spandau est une place que l’ennemi ne prendra jamais; elle est située sur la Sprée, à deux lieues de Berlin. C’est dans cette place qu’on doit mettre tous les dépôts de l’armée, car mon intention n’est point de garder Berlin. Le payeur de l’armée sera rappelé de Wittenberg à Spandau; sous quelque prétexte que ce soit, il ne logera point à Berlin. Il y a dans ce moment-ci dans le fort de Spandau deux fours capables de confectionner 10,000 rations par jour. J’ai ordonné au génie de désigner l’emplacement pour construire les fours nécessaires à la confection de 60,000 rations par jour. Faites construire ces fours; faites aussi travailler à faire autant de biscuit qu’il sera possible, sans nuire au service journalier. Il y a à Spandau. des magasins très-considérables; à la visite que j’en ai faite, je pense qu’il y a au moins 60,000 quintaux de farine et autant de seigle ou de blé; cela suffit pour nourrir mon armée pendant deux mois. Mon intention est que ces magasins soient augmentés au lieu d’être diminués, que le seigle et le blé soient convertis en farines, les farines en biscuit. Il faut donc que demain, avant la pointe du jour, il y ait un commissaire des guerres dans le fort de Spandau; qu’il y reste sans que sous aucun prétexte il puisse en être retiré; qu’il y ait un garde-magasin et un inspecteur des vivres. Les inventaires seront faits sans délai, et vous nommerez un auditeur pour assister aux dits inventaires. Vous prendrez des mesures pour réunir dans la citadelle de Spandau 1,500,000 boisseaux d’avoine, des légumes, du riz et de l’eau-de-vie ou de la bière pour l’armée pendant deux mois. Je n’ai besoin à Berlin que du journalier de l’armée.
Tous les effets d’habillement qui seraient à Berlin ou ailleurs devront être réunis à Spandau; s’ils ne peuvent tenir dans la citadelle, on les mettra dans la ville. On réunira à Spandau mes moyens pour les hôpitaux. On retirera de Berlin ce qui sera nécessaire. On formera à la citadelle, dans le local que désignera le génie, un hôpital pour 1,200 blessés, et dans la ville trois hôpitaux, chacun de 2 ou 300 malades. J’autorise qu’on établisse à Berlin un hôpital pour 400 malades; je ne veux point de blessés à Berlin.
Camp impérial de Potsdam, 26 octobre 1806
PROCLAMATION A L’ARMÉE
Soldats, vous avez justifié mon attente et répondu dignement à confiance du peuple français.
Vous avez supporté les privations et les fatigues avec autant courage que vous avez montré d’intrépidité et de sang-froid au milieu des combats. Vous êtes les dignes défenseurs de l’honneur de la couronne et de la gloire du grand peuple. Tant que vous serez animés de cet esprit, rien ne pourra vous résister. La cavalerie a rivalisé avec l’infanterie et l’artillerie; je ne sais désormais à quelle arme je dois donner la préférence; vous êtes tous de bons soldats.
Voici les résultats de nos travaux : une des premières puissances militaires de l’Europe, qui osa naguère nous proposer une honte capitulation, est anéantie. Les forêts, les défilés de la Franconie, la Saale, l’Elbe, que nos pères n’eussent pas traversés en sept ans, nous les avons traversés en sept jours, et livré, dans l’intervalle quatre combats et une grande bataille. Nous avons précédé à Postdam, à Berlin, la renommée de vos victoires. Nous avons 60,000 prisonniers, pris 65 drapeaux, parmi lesquels ceux des Gardes du roi de Prusse, 600 pièces de canon, 3 forteresses, plus de 20 généraux. Cependant près de la moitié de vous regrettent de n’avoir pas encore tiré un coup de fusil. Toutes les provinces de la monarchie prussienne jusqu’à l’Oder sont en notre pouvoir.
Soldats, les Russes se vantent de venir à nous; nous marcherons à leur rencontre, nous leur épargnerons la moitié du chemin. Nous retrouveront Austerlitz au milieu de la Prusse. Une nation qui a aussi tôt oublié la générosité dont nous avons usé envers elle après cette bataille où son empereur, sa cour, les débris de son art n’ont dû leur salut qu’à la capitulation que nous leur avons accordée, est une nation qui ne saurait lutter avec succès contre nous.
Cependant, tandis que nous marchons au-devant des Russes, de nouvelles armées formées dans l’intérieur de l’empire viennent prendre notre place pour garder nos conquêtes. Mon peuple tout entier s’est levé, indigné de la honteuse capitulation que les ministres prussiens, dans leur délire, nous ont proposée.
Nos routes et nos villes frontières sont remplies de conscrits, qui brûlent de marcher sur vos traces. Nous ne serons plus désormais les jouets d’une paix traîtresse, et nous ne poserons plus les armes que nous n’ayons obligé les Anglais, ces éternels ennemis de notre nation, à renoncer au projet de troubler le continent et à la tyrannie des mers.
Soldats, je ne puis mieux vous exprimer les sentiments que j’ai pour vous qu’en vous disant que je vous porte dans mon cœur l’amour que vous me montrez tous les jours.
Potsdam, 26 octobre 1806
18e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE
L’Empereur a passé à Potsdam la revue de la Garde à pied, composée de dix bataillons et de soixante pièces d’artillerie, servies par l’artillerie à cheval. Ces troupes, qui ont éprouvé tant de fatigues, avaient la même tenue qu’à la parade de Paris.
A la bataille d’Iena, le général de division Victor a reçu un biscaïen qui lui a fait une contusion; il a été obligé de garder le lit pendant quelques jours. Le général de brigade Gardane, aide de camp de l’Empereur, a eu un cheval tué et a été légèrement blessé. Quelques officiers supérieurs ont eu des blessures, d’autres des chevaux tués, et tous ont rivalisé de courage et de zèle.
L’Empereur a été voir le tombeau du grand Frédéric. Les restes de ce grand homme sont enfermés dans un cercueil de bois recouvert en cuivre, placé dans un caveau sans ornements, sans trophées, sans aucunes distinctions qui rappellent les grandes actions qu’il a faites.
L’Empereur a fait présent à l’hôtel des Invalides de Paris de l’épée de Frédéric, de son cordon de l’Aigle Noir, de sa ceinture de général, ainsi que des drapeaux que portait sa Garde dans la guerre de Sept Ans. Les vieux invalides de l’armée de Hanovre accueilleront avec un respect religieux tout ce qui a appartenu à un des premiers capitaines dont l’Histoire conservera le souvenir.
Lord Morpeth, envoyé d’Angleterre auprès du cabinet prussien, ne se trouvait, pendant la journée d’Iena, qu’à six lieues du champ de bataille; il a entendu le canon. Un courrier vint bientôt lui annoncer que la bataille était perdue, et en un moment il fut entouré de fuyards qui le poussaient de tous côtés. Il courait en criant : « Il ne faut pas que je sois pris ». Il offrit jusqu’à soixante guinées pour obtenir un cheval; il en obtint un et se sauva.
La citadelle de Spandau, située à trois lieues de Berlin et à quatre lieues de Potsdam, forte par sa situation au milieu des eaux enfermant 1,200 hommes de garnison et une grande quantité de rations de guerre et de bouche, a été cernée le 24 dans la nuit. Le général Bertrand, aide de camp de l’Empereur, avait déjà reconnu la place. Les pièces étaient disposées pour jeter des obus et intimider la garnison. Le maréchal Lannes a fait signer par le commandant la capitulation ci-jointe.
On a trouvé à Berlin des magasins considérables d’effets de campagne et d’habillement. On en dresse les inventaires.
Une colonne commandée par le duc de Weimar est poursuivie par le maréchal Soult ; elle s’est présentée le 23 devant Magdeburg; nos troupes étaient là depuis le 20. Il est probable que cette colonne, forte de 15,000 hommes, sera coupée et prise. Magdeburg est le premier point de rendez-vous des troupes prussiennes. Beaucoup de corps s’y rendent. Les Français le bloquent.
Une lettre de Helmstaedt, récemment interceptée, contient des détails curieux. Elle est ci-jointe.
- le prince de Hatzfeld, Busching, président de la police, le président de Kircheisen, Formey, conseiller intime, Polzig, conseiller de la municipalité, MM. Ruck, Sieger et de Hermensdorf, conseillers députés de la ville de Berlin , ont remis ce matin à l’Empereur, à Potsdam , les clefs de la ville de Berlin. Ils étaient accompagnés de MM. Grote, conseiller intime des finances, le baron de Weilknitz et le baron d’Eckartstein. Ils ont dit que les bruits qu’on avait répandus sur l’esprit de cette ville étaient faux ; que les bourgeois et la masse du peuple avaient vu la guerre avec peine; qu’une poignée de femmes et de jeunes officiers avaient fait seuls ce tapage; qu’il n’y avait pas un seul homme sensé qui n’eût vu que ce qu’on avait à craindre et qui pût deviner ce qu’on avait à espérer. Comme tous les Prussiens, ils accusent le voyage de l’empereur Alexandre des malheurs de la Prusse. Le changement qui s’est dès lors opéré dans l’esprit de la Reine, qui, de femme timide et modeste s’occupait de son intérieur, est devenue turbulente et guerrière, a été une révolution subite. Elle a voulu tout à coup avoir un régiment, aller au conseil, et elle a si bien mené la monarchie qu’en peu de jours elle l’a conduite au bord du précipice.
Le quartier général est à Charlottenburg.
Berlin, 21 octobre 1806
DÉCRET
ARTICLE 1er. – Les mémoires, cartes, plans et vues relatifs à la partie nautique et géographique de l’expédition de découvertes qui avait été confiée au capitaine de vaisseau Baudin, seront publiés (voir)
ART. 2. – Une somme de 32,000 francs sera mise à la disposition de notre ministre de la marine et des colonies, pour subvenir aux frais d’impression et de gravure dudit ouvrage.
ART. 3. – Notre ministre de la marine et des colonies et notre ministre du trésor public sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.
Charlottenburg, 27 octobre 1806
Au général Chasseloup
Monsieur le Général Chasseloup, Erfurt, Wittenberg et Spandau, voilà les trois places qu’il faut mettre en état. J’ai déjà fait connaître mes intentions sur Wittenberg. Voici ce que j’entends qu’il soit fait pour Spandau. Il faut que, dans trois jours d’ici, il y ait des ponts-levis, ou du moins des ponts sur chevalets, à toutes les portes de la ville; que toutes les maisons qui sont sur la muraille qui ferme la place du côté de la rivière soient abattues; que deux ou trois points soient choisis sur cette rivière pour trois petites flèches palissadées, qui flanquent les murs et contiennent du canon pour s’opposer à une surprise par des bateaux; que toutes les demi-lunes soient palissadées, et que l’on travaille à creuser les fossés de manière à donner plus d’escarpe aux talus et rendre l’escalade plus difficile. Le projet général que vous me remettrez me fera connaître s’il convient d’approfondir tous ces fossés ou de chercher leur défense dans les manœuvres d’eaux. Mon intention est qu’on travaille à fraiser toute la place, à palissader tous les chemins couverts, et à établir une grosse palissade au milieu de tous les fossés; car les eaux, dans la saison où nous allons entrer, peuvent disparaître par la gelée, et, comme la Sprée n’est point rapide, la place ne pourra se trouver à l’abri d’un coup de main qu’en mettant en bon état le mur qui ferme la place du côté de la rivière et les trois flèches ci-dessus ordonnées. Je donne ordre à l’artillerie de construire sur-le-champ les batteries. Les terres que vous retirerez de la cunette ordonnée dans les fossés serviront à relever d’autant les parapets.
Toutes les maisons qui masquent la citadelle seront abattues dans l’espace de trois jours; les moulins seuls resteront, mais se trouveront par là très-isolés.
Il sera aussi établi pour le canon de campagne, ou au moins pour les hommes à pied, une communication entre la citadelle et la place, le long de l’estacade qui existe; il est même nécessaire que le passage qu’on y établira, soit en sacs à terre ou en gros morceaux de bois, soit à l’abri de la mitraille. Cette première défense est indispensable, mais ne sera pas suffisante. On travaillera donc à palissader sur les démolitions ordonnées, sur lesquelles on fera un tracé qu’on palissadera. Ces deux moyens me paraissent suffisants sous le feu de la citadelle, dans le cas où le lac disparaîtrait par une forte gelée; car, sans cette circonstance, la première défense serait suffisante.
Vous désignerez sans délai, dans l’intérieur du fort, l’emplacement pour les fours nécessaires à la confection de 60,000 rations de pain par jour. Vous désignerez les souterrains capables de contenir un million de poudre et quatre millions de cartouches, un emplacement où l’on puisse établir un hôpital pour 1,200 blessés. Vous désignerez dans la ville sept locaux pour les dépôts de sept corps de la Grande Armée, devant chacun contenir 200 hommes convalescents de chacun des corps d’armée. Vous aiderez l’artillerie à relever les parapets des bastions par de bons épaulements en gabion ou saucissons.
Mon intention est qu’avant huit ou dix jours tout ce que je viens de prescrire soit terminé.
J’attends le rapport que vous me ferez pour adopter un plus grand plan relativement au système des eaux, et à un système de redoutes qui embrasserait le local et qui ferait que 8 à 10,000 hommes puissent résister à toute une armée, en supposant les eaux non gelées.
Par toutes ces flèches et redoutes, je n’entends point de simples redoutes de campagne, auxquelles je n’accorde aucune confiance, mais de bonnes redoutes revêtues en bois, ayant aussi des contrescarpes en bois. Il est prouvé qu’une pièce de bois de 8 pouces de diamètre n’est point brisée par un obus ni un coup de canon. La manière de les placer, en conciliant l’économie du temps avec une plus grande solidité, est absolument du ressort des officiers du génie. Si leurs idées ne sont point assises, il sera peut-être convenable que, dans les différentes redoutes, ils essayent de différentes méthodes. Vous ne manquerez point de renfermer dans la citadelle une grande quantité de bois, de manière que la garnison, en cas d’attaque, ait le moyen de se blinder rapidement le long des talus intérieurs. On pourrait même, sous ces blindages, mettre à couvert la farine et autres objets qui ne seraient plus en sûreté dans le magasin.
Il est convenable qu’il y ait au moins quatre officiers du génie chargés de cette place, dont un chargé du détail, et un commandant le génie, seront destinés à défendre Spandau. Vous soumettrez à ma signature l’ordre qui les placera dans Spandau, afin que, sous aucun prétexte, même celui de maladie, ils ne puissent sortir de la place. Le commandant doit avoir au moins le grade de colonel.
Charlottenburg , 27 octobre 1806
19e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE
L’Empereur, parti de Potsdam aujourd’hui à midi, a été visiter la forteresse de Spandau. Il a donné ses ordres au général de division Chasseloup, commandant le génie de l’armée, sur les améliorations à faire aux fortifications de cette place. C’est un ouvrage superbe; les magasins sont magnifiques. On a trouvé à Spandau des farines, des grains, de l’avoine pour nourrir l’armée pendant deux mois, des munitions de guerre pour doubler l’approvisionnement de l’artillerie. Cette forteresse, située sur la Sprée, à deux lieues de Berlin, est une acquisition inestimable. Dans nos mains elle soutiendra deux mois de tranchée ouverte. Si les Prussiens ne l’ont pas défendue, c’est que le commandant n’avait pas reçu d’ordre, et que les Français y sont arrivés en même temps que la nouvelle de la bataille perdue. Les batteries n’étaient pas faites et la place était désarmée.
Pour donner une idée de l’extrême confusion qui règne dans cette monarchie, il suffit de dire que la Reine, à son retour de ses ridicules et tristes voyages d’Erfurt et de Weimar, a passé la nuit à Berlin sans voir personne; qu’on a été longtemps sans avoir de nouvelles du Roi; que personne n’a pourvu à la sûreté de la capitale, et que les bourgeois ont été obligés de se réunir pour former un gouvernement provisoire.
L’indignation est à son comble contre les auteurs de la guerre. Le manifeste, que l’on appelle à Berlin un indécent libelle où aucun grief n’a été articulé, a soulevé la nation contre son auteur, misérable scribe, nommé Gentz, un de ces hommes sans honneur qui se vendent pour de l’argent.
Toute le monde avoue que la Reine est l’auteur des maux que souffre la nation prussienne. On entend dire partout :
« Elle était si bonne, si douce, il y a un an; mais depuis cette fatale entrevue avec l’empereur Alexandre, combien elle a changé ! »
Il n’y a eu aucun ordre donné dans les palais, de manière qu’on a trouvé à Potsdam l’épée du grand Frédéric, la ceinture du général qu’il portait à la guerre de Sept Ans et son cordon de l’Aigle Noir. L’Empereur s’est saisi de ces trophées avec empressement et a dit :
« J’aime mieux cela que vingt millions. »
Puis, pensant un moment à qui il confierait ce précieux dépôt :
« Je les enverrai, dit-il, à mes vieux soldats de la guerre de Hanovre, j’en ferai présent au Gouverneur des Invalides; cela restera à l’Hôtel. »
On a trouvé dans l’appartement qu’occupait la Reine, à Potsdam, le portrait de l’empereur de Russie dont ce prince lui avait fait présent. On a trouvé à Charlottenburg sa correspondance avec le Roi pendant trois ans, et des mémoires rédigés par des écrivains anglais; pour prouver qu’on ne devait tenir aucun compte des traités conclus avec l’empereur Napoléon, mais se tourner tout à fait du côté de la Russie. Ces pièces surtout sont des pièces historiques; elles démontreraient, si cela avait besoin d’une démonstration, combien sont malheureux les princes qui laissent prendre aux femmes de l’influence sur les affaires politiques. Les notes, les rapports, les papiers d’État étaient musqués et se trouvaient mêlés avec des chiffons et d’autres objets de la toilette de la Reine. Cette princesse avait exalté les têtes de toutes les femmes de Berlin ; mais aujourd’hui elles ont bien changé. Les premiers fuyards ont été mal reçus; on leur a rappelé avec ironie le jour où ils aiguisaient leurs sabres sur les places de Berlin, voulant tout tuer et tout pourfendre.
Le général Savary, envoyé avec un détachement de cavalerie à la recherche de l’ennemi, mande que le prince de Hohenlohe, obligé de quitter Magdeburg, se trouvait le 25 entre Rathenow et Ruppin, se retirant sur Stettin.
Le maréchal Lannes était déjà à Zehdenick; il est probable que les débris de ce corps ne parviendront pas à se sauver sans être de nouveau entamés.
Le corps bavarois doit être entré ce matin à Dresde; on n’en a pas encore de nouvelles.
Le prince Louis-Ferdinand, qui a été tué dans la première affaire de la campagne, est appelé publiquement à Berlin le petit duc d’Orléans. Ce jeune homme abusait de la bonté du Roi au point de l’insulter. C’est lui qui, à la tête d’une troupe de jeunes officiers, se porta pendant une nuit à la maison de M. de Haugwitz, lorsque ce ministre revint de Paris, et cassa ses fenêtres. On ne sait si l’on doit le plus s’étonner de tant d’audace ou de tant de faiblesse.
Une grande partie de ce qui a été dirigé de Berlin sur Magdeburg et sur l’Oder a été intercepté par la cavalerie légère. On a déjà arrêté plus de 60 bateaux chargés d’effets d’habillement, de farine et d’artillerie. Il y a des régiments de hussards qui ont plus de 500,000 francs. On a rendu compte qu’ils achetaient de l’or pour de l’argent à cinquante pour cent de perte.
Le château de Charlottenburg, où loge l’Empereur, est situé à une lieue de Berlin, sur la Sprée.
Charlottenburg, 27 octobre 1806
20e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE
Si les événements militaires n’ont plus l’intérêt de l’incertitude du dénouement, ils ont toujours l’intérêt des combinaisons, des marches et des manœuvres. L’infatigable grand-duc de Berg se trouvait à Zehdenick le 26, à trois heures après midi, avec la brigade de cavalerie légère du général Lasalle, et les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy étaient en marche pour arriver sur ce point.
La brigade du général Lasalle contint l’ennemi, qui lui montra près de 6,000 hommes de cavalerie. C’était toute la cavalerie de l’armée prussienne, qui, ayant abandonné Magdeburg, formait l’avant-garde du corps du prince de Hohenlohe qui se dirigeait sur Stettin. A quatre heures après midi, les deux divisions de dragons étant arrivées, la brigade du général Lasalle chargea l’ennemi avec cette singulière intrépidité qui a caractérisé les hussards et les chasseurs français dans cette campagne. La ligne de l’ennemi, quoique triple, fut rompue, l’ennemi poursuivi dans le village de Zehdenick et culbuté dans les défilés. Le régiment des dragons de la Reine voulut se reformer; mais les dragons de la division Grouchy se présentèrent, chargèrent l’ennemi et en firent un horrible carnage. De ces 6,000 hommes de cavalerie, partie a été culbuté dans les marais, 300 hommes sont restés sur le champ de bataille, 700 ont été pris avec leurs chevaux : le colonel du régiment de la Reine et un grand nombre d’officiers sont de ce nombre. L’étendard de ce régiment a été pris. Le corps du maréchal Lannes est en pleine marche pour soutenir la cavalerie. Les cuirassiers se portent en colonne sur la droite, et un autre corps d’armée se porte sur Gransee. Nous arriverons à Stettin avant cette armée, qui, attaquée dans sa marche de flanc, est déjà débordée par sa tête. Démoralisée comme elle l’est, on a lieu d’espérer que rien n’en échappera, et que toute la partie de l’armée prussienne qui a inutilement perdu deux jours à Magdeburg pour se rallier n’arrivera pas sur l’Oder.
Ce combat de cavalerie de Zehdenick a son intérêt comme fait militaire; de part et d’autre, il n’y avait pas d’infanterie; mais la cavalerie prussienne est si loin de la nôtre, que les événements de la campagne ont prouvé qu’elle ne pouvait tenir vis-à-vis de forces moindres de la moitié.
Un adjoint de l’état-major, arrêté par un parti ennemi, du côté de la Thuringe, lorsqu’il portait des ordres au maréchal Mortier, a été conduit à Küstrin, et y a vu le Roi. Il rapporte qu’au delà de l’Oder il n’est arrivé que très-peu de fuyards. Soit à Stettin, soit Küstrin, il n’a presque point vu de troupes d’infanterie.