Correspondance de Napoléon – Octobre 1806

Weimar, 16 octobre 1806, 7 heures du matin

Au maréchal Davout

Mon Cousin, je vous fais mon compliment de tout mon cœur sur votre belle conduite. Je regrette les braves que vous avez perdus; mais ils sont morts au champ d’honneur. Témoignez ma satisfaction à tout votre corps d’armée et à vos généraux. Ils ont acquis à jamais des droits à mon estime et à ma reconnaissance. Donnez-moi de vos nouvelles, et faites reposer quelques moments votre corps d’armée à Naumburg.

 

Weimar, 16 octobre 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, donnez l’ordre au général Songis de réunir toute l’artillerie prise à l’ennemi dans la place d’Erfurt; donnez l’ordre à l’intendant général de rassembler tous les magasins des vivres à Erfurt, qui désormais sera le pivot des opérations de l’armée.

Le général Songis enverra à Erfurt la compagnie d’artillerie qui est à Würzburg ; il rappellera à l’armée la demi-compagnie qui est à Kronach, et celle qui est à Forchheim.

Vous donnerez ordre au maréchal Mortier de venir, avec la première division de son corps d’armée, placer son quartier général à Fulde, et d’occuper toute la principauté de Fulde le plus tôt possible.

Chargez un commissaire des guerres d’organiser la route de l’armée sur Francfort et Erfurt. Le général qui commande à Würzburg se rendra à Erfurt pour commander la citadelle, la ville et la province. Le général qui est à Kronach se rapprochera également de la Saxe.

Toute la ligne d’étapes par Bamberg sera reployée et établie sur la ligne d’Erfurt, Fulde et Mayence.

Présentez-moi un rapport sur tous les pays qui ne sont pas de la Confédération du Rhin et qui se trouvent compris entre l’Elbe et le Rhin, et proposez-moi une organisation sur les mêmes bases que celle qui a été établie l’année dernière dans les provinces de Souabe, tant pour le militaire que pour l’administration. Donnez l’ordre que tous les prisonniers qui seront faits désormais soient dirigés sur Erfurt. Il est convenable d’avoir là un bureau d’état-major général pour correspondre. Faites établir à Erfurt un grand hôpital militaire.

 

Weimar, 16 octobre 1806

7e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Le grand-duc de Berg a cerné Erfurt le 15, dans la matinée. Le 16, la place a capitulé. Par ce moyen, 14,000 hommes, dont 8,000 blessés et 6,000 hommes bien portants, sont devenus prisonniers de guerre, parmi lesquels sont le prince d’Orange, le feld-maréchal Moellendorf, le lieutenant général Larisch, le lieutenant général Grawert, les généraux-majors Lossow et Zweiffel. Un parc de 120 pièces d’artillerie, approvisionné, est également tombé en notre pouvoir.

On ramasse tous les jours des prisonniers.

Le roi de Prusse a envoyé un aide de camp à l’Empereur avec une lettre en réponse à celle que l’Empereur lui avait écrite avant la bataille; mais le roi de Prusse n’a répondu qu’après. Cette démarche de l’empereur Napoléon était pareille à celle qu’il fit auprès de l’empereur de Russie avant la bataille d’Austerlitz; il dit au roi de Prusse :

Le succès de mes armes n’est point incertain; vos troupes seront battues; mais il en coûtera le sang de mes enfants; s’il pouvait être épargné par quelque arrangement compatible avec l’honneur de ma couronne, il n’y a rien que je ne fisse pour épargner un sang si précieux. Il n’y a que l’honneur qui, à mes yeux, soit encore plus précieux que le sang de mes soldats.

Il paraît que les débris de l’armée prussienne se retirent sur Magdeburg. De toute cette immense et belle armée, il ne se réunira que des débris.

 

Weimar, 16 octobre 1806, 1 heure après midi

Au grand-duc de Berg

J’ai vu avec plaisir la capitulation d’Erfurt. J’aurais été bien fâché que les prisonniers n’eussent pas été envoyés en France. Faites-moi faire la reconnaissance de la ville et de la citadelle, et faites-m’en rendre compte par un officier du génie.

Les dernières nouvelles sont que deux colonnes ennemies, hier minuit, filaient par Nordhausen à Koelleda. Les maréchaux Soult et Bernadotte sont à leur poursuite. Il parait que le jeu est fort mêlé et que cela produira quelque chose. J’imagine que vous ne perdez pas un moment pour poursuivre l’ennemi, et que, lorsque vous le pourrez, vous vous placerez entre l’ennemi et Naumburg, et que vous vous mettrez en communication avec tous les corps d’armée et surtout avec les maréchaux Soult et Davout.

 

Weimar, 16 octobre 1806

A Joséphine

  1. de Talleyrand t’aura montré les bulletins, ma bonne amie : tu y auras vu mes succès. Tout a été comme je l’avais calculé et jamais une armée n’a été plus battue et plus entièrement perdue. Il me reste à te dire que je me porte bien et que la fatigue, les bivouacs, les veilles m’ont engraissé.

Adieu, ma bonne amie, mille choses aimables à Hortense et à ce grand M. Napoléon.

 

Weimar, 16 octobre 1806, au soir

8e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Les différents corps d’armée qui sont à la poursuite de l’ennemi annoncent à chaque instant des prisonniers, la prise de bagages, de pièces de canon, de magasins, de munitions de toute espèces. Le maréchal Davout vient de prendre 30 pièces de canon; le maréchal Soult, un convoi de 3,000 tonneaux de farine; le maréchal Bernadotte, 1,500 prisonniers. L’armée ennemie est tellement dispersée et mêlée avec nos troupes qu’un de ses bataillons vint se placer dans un de nos bivouacs, se croyant dans le sien.

Le roi de Prusse tâche de gagner Magdeburg. Le maréchal Moellendorf est très-malade à Erfurt; le grand-duc de Berg lui a envoyé son médecin.

La reine de Prusse a été plusieurs fois en vue de nos postes; elle est dans des transes et dans des alarmes continuelles. La veille, elle avait passé son régiment en revue; elle excitait sans cesse le Roi et les généraux; elle voulait du sang. Le sang le plus précieux a coulé; les généraux les plus marquants sont ceux sur qui sont tombés les premiers coups.

Le général de brigade Durosnel a fait, avec les 7e et 20e de chasseurs, une charge hardie qui a eu le plus grand effet; le major du 20e régiment s’y est distingué. Le général de brigade Colbert, à la tête du 3e de hussards et du 10e de chasseurs, a fait sur l’infanterie ennemie plusieurs charges qui ont eu le plus grand succès.

 

Weimar, 17 octobre 1806

Au général Clarke

L’ennemi répand que je lui ai accordé un armistice de six semaines. Démentez ce bruit, et écrivez au prince de Berg et au maréchal  Ney que cela est faux.

 

Weimar, 17 octobre 1806, 9 heures du matin

Au général Clarke, gouverneur général du pays d’Erfurt

J’imagine que, dans la journée d’aujourd’hui, vous vous êtes défait de vos prisonniers. Il est important que vous preniez des mesures et que vous organisiez le service de manière que, si un corps d’infanterie légère se présentait devant Erfurt, vous puissez conserver non-seulement la citadelle, mais la ville, et que, si un corps considérable se présentait et enlevait la ville, vous fussiez à même de conserver la citadelle.

Mettez-vous sur-le-champ en correspondance avec le maréchal Mortier, qui doit être à Francfort et qui a ordre de se rendre à Fulde avec son corps d’armée.

Mettez-vous en correspondance avec le roi de Hollande, qui est à Wesel.

Écrivez à M. Bignon, à Cassel, que mon intention est qu’il parte sur-le-champ et qu’il vienne me joindre.

Écrivez souvent à Mayence, à Wesel, au maréchal Mortier, afin de leur faire passer et de me transmettre toutes les nouvelles importantes.

Écrivez au commandant de Würzburg.

 

Weimar, 17 octobre 1806, 11 heures du matin 

Au général Clarke

Je reçois votre lettre. Puisque la contribution a été frappée, il n’y a pas de mal de la faire payer; mais au lieu de la verser dans les mains du payeur du corps d’armée du maréchal Ney, elle sera versée dans la caisse de M. la Bouillerie, receveur général des contributions de la Grande Armée. Vous donnerez ordre au payeur du maréchal Ney de ne pas la percevoir, et vous lui ferez connaître que j’ai les yeux sur lui et que j’ai défendu expressément qu’il fit aucune recette sans une ordonnance du maréchal Berthier, major général.

 

Weimar, 17 octobre 1806

Au roi de Hollande

  1. le prince de Bénévent vous aura envoyé les bulletins; vous y verrez que la fortune a favorisé la justice de ma cause: 60 à 80 drapeaux, 30 à 40,000 prisonniers, 300 pièces de canon, tous les généraux prussiens tués ou pris, le duc de Brunswick tué, le général Rüchel tué; tel est le résultat de la bataille d’Iena que j’ai livrée le 14 de ce mois.

Il faut aujourd’hui que vous preniez possession du comté de la Marck, de Münster, de Paderborn. Faites enlever partout les aigles prussiennes, et déclarez que ces pays n’appartiennent plus à la Prusse. Laissez à Wesel les 3e bataillons du 21e et du 22e; faites réunir, si cela est nécessaire, deux autres 3e bataillons, de ceux qui sont dans la 25e division militaire, et formez six bataillons composés de deux bataillons du 22e, de deux bataillons du 72e et deux du 65e. Mon projet est que vous envoyiez ces 10,000 hommes à Paderborn. Le maréchal Mortier, avec son corps d’armée plus fort que le votre se rend à Fulde. Mon intention est qu’avec ces deux corps vous entriez dans Cassel, que vous fassiez prisonnier l’Électeur, que vous désarmiez ses troupes; mais, avant d’exécuter ce projet, il faut que vous soyez arrivé à Paderborn, et le maréchal Mortier à Fulde. Je suppose que le maréchal Mortier sera arrivé à Fulde avec son corps d’armée le 24 ou le 25 octobre. Si vous étiez arrivé le même jour, vous pourriez, dans les premiers jours de novembre, entrer à Cassel et vous emparer de ce territoire.

Je me suis emparé d’Erfurt, où j’ai nommé le général Clarke gouverneur général. Envoyez-lui demander des nouvelles de l’armée.

Tenez-vous toujours en situation d’amitié avec l’Électeur, sans cependant rien afficher. Je suppose que l’ennemi a retiré son camp de Minden. Faites prendre possession de la Frise, et ôtez-en les armes prussiennes. Emden fera désormais partie de votre territoire. Vous pouvez aussi prendre possession d’Osnabrück. Je suppose que la garnison de Hameln n’est point forte. Ainsi donc , d’ici à ce que vous receviez des nouvelles, prenez possession des pays au delà du Weser. Faites ôter partout les aigles prussiennes, changez les régences qui seraient trop attachées à la Prusse, prenez toutes les mesures et mettez-vous en situation de pouvoir exécuter votre seconde mission, qui est de chasser l’Électeur de Cassel.

 

Weimar, 17 octobre 1806

Au maréchal Mortier

Mon Cousin, les deux régiments italiens doivent être bien près d’arriver à Mayence. Avec les trois régiments que vous avez, cela doit vous former 10,000 hommes ou deux divisions de 5,000 hommes chacune. J’ai donné au général Lacombe-Saint-Ilichel le commandement de votre artillerie; il trouvera bien vite les moyens de donner six pièces d’artillerie à chacune de vos divisions.

Vous devez avoir reçu l’ordre de réunir ces troupes à Fulde, où il est convenable que vous portiez votre quartier général. Vous devez faire ôter les armes du prince d’Orange; s’il y a des soldats du pays, vous en servir; si ce sont des soldats du prince, les casser; le prince d’Orange ne régnera plus à Fulde.

Vous aurez soin d’avoir des postes aux débouchés des montagnes, du côté d’Eisenach. Ayez vous-même votre avant-garde à Eisenach. Mettez-vous en correspondance avec le général Clarke, gouverneur à Erfurt. S’il en était besoin, vous iriez au secours de ce général.

Vous ne devez pas vous mêler du matériel de votre artillerie; il y a à Erfurt plus de 400 pièces de canon; le général Lacombe-Saint- Michel y enverra un officier prendre les pièces dont vous aurez besoin. Il suffit que vous meniez votre personnel.

 

Weimar, 17 octobre 1806

Au maréchal Berthier

Envoyez par un aide de camp du prince Jérôme l’ordre à la seconde brigade bavaroise de presser sa marche de Forchheim, ou de Bayreuth où elle doit être, pour se rendre à Plauen, afin d’y rejoindre la première.

Envoyez l’ordre à la division du général Grouchy, qui doit être à Auma, de se diriger sur Gera et de Gera sur Leipzig.

Envoyez l’ordre aux troupes badoises, qui doivent être rendue Bayreuth, de se diriger sur Plauen. Même ordre aux Wurtembergeois Réitérez l’ordre au commandant de Bamberg de faire partir tous les détachements et de ne rien retenir, et d’accélérer la marche du 28e d’infanterie légère; aux troupes de Hesse-Darmstadt et d’Usingen, qui n’auraient pas encore dépassé Würzburg, de se diriger sur Erfurt. Même ordre à la seconde brigade badoise, et écrivez à Bade pour
qu’on presse le départ de cette seconde brigade.

 

Weimar, 17 octobre 1806

A M. POrtalis

Je vous envoie une lettre aux évêques, que vous voudrez bien expédier à tous. Vous y joindrez le 5e bulletin pour leur faire connaître l’étendue des succès que nous avons remportés.

CIRCULAIRE AUX ÉVÊQUES

Weimar, 15 octobre 1806

Monsieur l’Évêque, les succès que nous venons de remporter sur nos ennemis, avec l’aide de la divine Providence, imposent à nous et à notre peuple l’obligation d’en rendre au Dieu des armées de solennelles actions de grâces. Vous avez vu, par la dernière note du roi de Prusse, la nécessité où nous nous sommes trouvé de tirer pour défendre le bien le plus précieux de notre peuple, l’honneur. Quelque répugnance que nous ayons eue, nous avons été poussé à bout par nos ennemis. Ils ont été battus et confondus. Au reçu de la présente, veuillez donc réunir nos peuples dans les temples, chanter un Te Deum et ordonner des prières pour remercier Dieu de la prospérité qu’il a accordée à nos armes.

Cette lettre n’étant à autre fin, je prie Dieu, Monsieur l’Évêque, qu’il vous ait en sa sainte garde.

 

Weimar, 17 Octobre 1806

9e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

La garnison d’Erfurt a défilé. On y a trouvé beaucoup plus de monde qu’on ne croyait. Il y a une grande quantité de magasins.  L’Empereur a nommé le général Clarke gouverneur de la ville et citadelle d’Erfurt et du pays environnant. La citadelle d’Erfurt est un bel octogone bastionné, avec casemates, et bien armé. C’est une acquisition précieuse, qui nous servira de point d’appui au milieu de nos opérations.

On a dit dans le 5e bulletin qu’on avait pris 25 à 30 drapeaux : il y en a jusqu’ici 45 au quartier général ; il est probable qu’il y en aura plus de 60. Ce sont des drapeaux donnés par le grand Frédéric à ses soldats; celui du régiment des Gardes, celui du régiment de la Reine, brodé, des mains de cette princesse, se trouvent au nombre. Il parait que l’ennemi veut tâcher de se rallier sur Magdeburg. Mais pendant ce temps-là on marche de tous côtés. Les différents corps de l’armée sont à sa poursuite par différents chemins. A chaque instant arrivent des courriers annonçant que des bataillons entiers sont coupés, des pièces de canon prises, des bagages, etc.

L’Empereur est logé au palais de Weimar, où logeait quelques jours avant la reine de Prusse. Il parait que ce qu’on a dit d’elle est vrai; elle était ici pour souffler le feu de la guerre; c’est une femme d’une jolie figure, mais de peu d’esprit, incapable de présager les conséquences de ce qu’elle faisait. Il faut aujourd’hui, au lieu de l’accuser, la plaindre; car elle doit avoir bien des remords des maux qu’elle a faits à sa patrie et de l’ascendant qu’elle a exercé sur le Roi son mari, qu’on s’accorde à représenter comme parfaitement honnête homme, qui voulait la paix et le bien de ses peuples.

 

Naumburg, 18 octobre 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, M. Lacuée me mande que trente jeunes gens de l’école polytechnique veulent entrer dans des corps. Envoyez-les droit ici. Nous avons besoin d’officiers, nous les placerons dans les corps. Envoyez-en aussi en Italie. Le vice-roi m’écrit qu’il lui arrive beaucoup de conscrits et qu’il n’y a pas d’officiers, si ce n’est un tas d’officiers infirmes qui demandent leur retraite.

 

Naumburg, 18 Octobre 1806

10e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Parmi les 60 drapeaux qui ont été pris à la bataille d’Iena, il s’en trouve plusieurs des Gardes du roi de Prusse, et un des Gardes du corps sur lequel la légende est écrite en français.

Le roi de Prusse a fait demander un armistice de six semaines. L’Empereur a répondu qu’il était impossible après une victoire de donner à l’ennemi le temps de se rallier.

Cependant les Prussiens ont fait tellement courir ce bruit que, plusieurs de nos généraux les ayant rencontrés, on leur a fait croire que cet armistice était conclu.

Le maréchal Soult est arrivé le 16 à Greussen, poursuivant devant lui la colonne où était le Roi, qu’on estimait forte de 10 ou 12,000 hommes. Le général Kalkreuth, qui la commandait, fit dire au maréchal Soult qu’un armistice avait été conclu. Le maréchal répondit qu’il était impossible que l’Empereur eût fait cette faute; qu’il croirait à cet armistice lorsqu’il lui aurait été notifié officiellement. Le général Kalkreuth témoigna le désir de voir le maréchal Soult, qui se rendit aux avant-postes :

« Que voulez-vous de nous ? lui dit le général prussien ; le duc de Brunswick est mort; tous nos généraux sont tués, blessés ou pris; la plus grande partie de notre armée est en fuite; vos succès sont assez grands. Le roi a demandé une suspension d’armes : il est impossible que votre Empereur ne l’accorde pas.  »

« Monsieur le général, répondit le maréchal Soult, il y a longtemps qu’on en agit ainsi avec nous; on en appel à notre générosité quand on est vaincu, et l’on oublie un instant la magnanimité que nous avons coutume de montrer. Après la bataille d’Austerlitz, l’Empereur accorda un armistice à l’armée russe armistice sauva l’armée : voyez la manière indigne dont agissent aujourd’hui les Russes. On dit qu’ils veulent revenir; nous brûlons du désir de les revoir. S’il y avait eu chez eux autant de générosité que chez nous, on nous aurait laissés tranquilles enfin , après la modération que nous avons montrée dans la victoire. Nous n’avons en rien provoqué la guerre injuste que vous nous faites; vous l’avez déclarée de gaieté de cœur. La bataille d’Iéna a décidé du sort de la campagne. Notre métier est de vous faire le plus de mal que nous pouvons. Posez les armes, et j’attendrai dans cette situation les ordres de l’Empereur.

Le vieux général Kalkreuth vit bien qu’il n’y avait rien à répondre. Les deux généraux se séparèrent, et les hostilités recommencèrent un instant après. Le village de Greussen fut enlevé, l’ennemi culbuté et poursuivi l’épée dans les reins.

Le grand-duc de Berg et les maréchaux Soult et Ney doivent les journées des 17 et 18, se réunir par des marches combinées et écraser l’ennemi. Ils auront sans doute cerné un bon nombre de fuyards; les campagnes en sont couvertes, et les routes sont encombrées de caissons et de bagages de toute espèce.

Jamais plus grande victoire ne fut signalée par de plus grands désastres.

La réserve que commande le prince Eugène de Wurtemberg est arrivée à Halle. Ainsi nous ne sommes qu’au neuvième jour de la campagne, et déjà l’ennemi est obligé de mettre en avant sa dernière ressource. L’Empereur marche à elle. Elle sera attaquée demain , si elle tient dans la position de Halle.

Le maréchal Davout est parti aujourd’hui pour prendre possession de Leipzig et jeter un pont sur l’Elbe. La Garde impériale à cheval vient enfin nous joindre.

Indépendamment des magasins considérables trouvés à Naumburg, on en a trouvé un grand nombre à Weissenfels.

Le général en chef Rüchel a été trouvé dans un village, mortellement blessé; le maréchal Soult lui a envoyé son chirurgien. il semble que ce soit un décret de la Providence, que tous ceux qui ont poussé à cette guerre aient été frappés par ses premiers coups.

 

Merseburg, 19 octobre 1806

11e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Le nombre des prisonniers qui ont été faits à Erfurt est plus considérable qu’on ne le croyait. Les passe-ports accordés aux officiers, qui doivent retourner chez eux sur parole, en vertu d’un des articles de la capitulation, se sont montés à 600.

Le corps du maréchal Davout a pris possession, le 18, de Leipzig. Le prince de Ponte-Corvo, qui se trouvait le 17 à Eisleben pour couper des colonnes prussiennes, ayant appris que la réserve de S. M. le roi de Prusse, commandée par le prince Eugène de Wurtemberg, était arrivée à Halle, s’y porta. Après avoir fait ses dispositions, le prince de Ponte-Corvo fit attaquer Halle par le général Dupont et laissa la division Drouet en réserve sur sa gauche. Le 32e de ligne et le 9e d’infanterie légère passèrent les trois ponts au pas de charge et entrèrent dans la ville, soutenus par le 96e; en moins d’une heure tout fut culbuté. Les 2e et 4e régiments de hussards et toute la division du général Rivaud traversèrent la ville et chassèrent l’ennemi de Diemitz, de Peissen et de Rabatz. La cavalerie prussienne voulut charger le 8e et le 96e d’infanterie; mais elle fut vivement reçue et repoussée. La réserve du prince de Wurtemberg fut mise dans plus complète déroute et poursuivie l’espace de quatre lieues.

Les résultats de ce combat, qui mérite une relation particulièrement soignée, sont 5,000 prisonniers, dont 2 généraux et 3 colonels, 4 drapeaux et 34 pièces de canon.

Le général Dupont s’est conduit avec beaucoup de distinction général de division Rouyer a eu un cheval tué sous lui.

Le général de division Drouet a pris en entier le régiment Treskow.

De notre côté, la perte ne se monte qu’à 40 hommes tués et 200 blessés. Le colonel du 9e régiment d’infanterie légère a été blessé.

Le général Léopold Berthier, chef de l’état-major du prince de Ponte-Corvo, s’est comporté avec distinction.

Par le résultat du combat de Halle, il n’est plus de troupes ennemies qui n’aient été entamées.

Le général prussien Blücher, avec 5,000 hommes, a traversé division de dragons du général Klein, qui l’avait coupé. Ayant ]llégué au général Klein qu’il y avait un armistice de six semaines, ce général a eu la simplicité de le croire.

L’officier d’ordonnance près de l’Empereur, Montesquiou, qui été envoyé en parlementaire auprès du roi de Prusse l’avant-veille de la bataille, est de retour; il a été entraîné pendant plusieurs jours avec les fuyards ennemis; il dépeint le désordre de l’armée prussienne comme inexprimable. Cependant, la veille de la bataille leur jactance était sans égale; il n’était question de rien moins que de couper l’armée française et d’enlever des colonnes de 40,000 hommes. Les généraux prussiens singeaient autant qu’ils pouvaient les manières du grand Frédéric.

Quoique nous fussions dans leur pays, les généraux paraissaient être dans l’ignorance la plus absolue de nos mouvements; ils croyaient qu’il n’y avait sur le petit plateau d’Iena que 4,000 hommes, et cependant la plus grande partie de l’armée a débouché sur ce plateau.

L’armée ennemie se retire à force sur Magdeburg. Il est probable que plusieurs colonnes seront coupées avant d’y arriver. On n’a point de nouvelles depuis plusieurs jours du maréchal Soult, qui a été détaché avec 40,000 hommes pour poursuivre l’armée ennemie.

L’Empereur a traversé le champ de bataille de Rosbach. Il a oronné que la colonne qui y avait été élevée fût transportée à Paris.

Le quartier général de l’Empereur a été le 18 à Merseburg, et il sera le 19 à Halle. On a trouvé dans cette dernière ville des magasins de toute espèce très-considérables.

 

Balle, 19 octobre 1806

12e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Le maréchal Soult a poursuivi l’ennemi jusqu’aux portes de .Magdeburg. Plusieurs fois les Prussiens ont voulu prendre position, et toujours ils ont été culbutés.

On a trouvé à Nordhausen des magasins considérables et même une caisse du roi de Prusse remplie d’argent.

Pendant les cinq jours que le maréchal Soult a employés à la poursuite de l’ennemi, il a fait 1,200 prisonniers et pris 30 pièces de canon et 2 ou 300 caissons.

Le premier objet de la campagne se trouve rempli. La Saxe, la Westphalie et tous les pays situés sur la rive gauche de l’Elbe sont délivrés de la présence de l’armée prussienne. Cette armée, battue et poursuivie l’épée dans les reins pendant plus de cinquante lieues, est aujourd’hui sans artillerie, sans bagages, sans officiers, réduite au-dessous du tiers de ce qu’elle était il y a huit jours, et, ce qui est encore pis que cela, elle a perdu son moral et toute confiance en elle-même.

Deux corps de l’armée française sont sur l’Elbe, occupés à construire des ponts.

Le quartier général est à Halle.

La lettre suivante, qui a été interceptée, contient un tableau fort détaillé de la situation des Prussiens après la bataille d’Iena.

 

Camp impérial de Halle, 19 octobre 1806

Au roi de Prusse

Monsieur mon Frère, j’ai reçu la lettre de Votre Majesté. Je regrette beaucoup que la lettre que je lui ai envoyée par un de mes officiers d’ordonnance, qui est arrivé à son camp le 13, n’ait pu empêcher la bataille du 14. Toute suspension d’armes qui donnerait le temps d’arriver aux armées russes, qu’elle parait avoir appelées dans l’hiver, serait trop contraire à mes intérêts pour que, quel soit le désir que j’ai d’épargner des maux et des victimes à l’humanité, je puisse y souscrire. Je ne crains point les armées russes, ce n’est plus un nuage; je les ai vues la campagne passée. Mais Votre Majesté aura à s’en plaindre plus que moi. Là moitié de ses États sera le théâtre de la guerre, et dès lors en éprouvera toutes les calamités; l’autre partie sera ravagée par ses alliés et souffrira davantage. Ce sera un éternel sujet de regret pour moi que deux nations qui, par tant de raisons, devaient être amies, aient été entraînées dans une lutte aussi peu motivée. Les principaux instigateurs de cette guerre en ont été les premières victimes. Toutefois je dois réitérer à Votre Majesté que je verrai avec satisfaction les moyens de rétablir, si cela est possible, l’ancienne confiance qui régnait entre nous, et de concilier les sentiments que je lui porte avec mon devoir et la sûreté de mes peuples compromise encore de nouveau depuis quinze ans par la quatrième coalition.

 

Halle, 19 octobre 1806, 5 heures et demie du soir

Au maréchal Lannes, à Dessau

Mon Cousin, votre aide de camp arrive; vous ne me faites pas connaître si le pont sur la Mulde a été coupé, si vous avez passé la Mulde. Il se trouve sur la Mulde des bateaux; faites courir pour les réunir tous. Faites placer des postes le long de l’Elbe, afin de choisir les emplacements les plus favorables pour le passage. Il doit y avoir une grande quantité de bois propres à faire des radeaux; faites-y travailler. Je fais partir sur-le-champ une nouvelle compagnie de pontonniers avec les marins de la Garde pour faire ce travail. Faites remonter l’Elbe par vos patrouilles; il doit y avoir aussi des bateaux; on ne brûle jamais tout. La Mulde forme des îles en se jetant dans l’Elbe; c’est dans ces îles que je voudrais jeter un pont. Si la rive domine, je pourrais en faire une bonne tête de pont.

 

Halle, 20 octobre 1806, 3 heures du matin

Au maréchal Davout

Mon Cousin, je vous ai expédié hier des ordres. Il est bien important d’avoir un pont sur l’Elbe. Je fais essayer par trois corps d’armée différents; mais, comme, le vôtre est le seul qui ait des bateaux, je ne doute point que ce pont ne soit jeté dans la journée, ou la nuit du 20 ou 21. Le pont une fois jeté, faites tracer une bonne tête de pont, et faites-y travailler. Emparez-vous de Wittenberg; si cette place est aussi bonne qu’on me l’assure, faites-la mettre sur-le-champ en bon état de défense. Nous sommes sous Magdeburg. Le maréchal Soult a suivi dans sa retraite, pendant cinq jours, une colonne où était le Roi, et lui a pris la moitié de son monde.

 

Halle, 20 octobre 1806, 11 heures et demie du matin

Au maréchal Lannes

Mon Cousin, le grand-duc de Berg et les maréchaux Soult et Ney bloquent Magdeburg du côté de la rive gauche. On a pris un régiment des Gardes, encore des canons, des bagages et un régiment de hussards. On compte prendre beaucoup de choses qui gagnent Magdeburg pour entrer dans la place. J’attends avec impatience de vos nouvelles pour savoir où nous en sommes. Davout, de son côté, transporte aujourd’hui son quartier général à Wittenberg, pour tâcher de jeter un pont entre Dessau et Bernburg.

 

Halle, 20 octobre 1806, midi et demi

Au maréchal Soult

Mon Cousin, je suis content de votre conduite. La position que vous avez prise est bonne. Ayez des patrouilles qui ne laissent pas reposer l’ennemi. Magdeburg est une souricière. Du reste, ne vous laissez point aveugler par la bonne fortune, et tenez-vous toujours en mesure.

Songez que 8,000 hommes ne sont rien; tenez votre corps d’armée réuni. Prenez du repos. J’essaye de faire jeter des ponts sur l’Elbe; du moment que j’aurai réussi, je vous dirai ce que vous devez faire.

 

Halle, 20 octobre 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, donnez des ordres pour que l’université de Halle soit fermée, et que sous vingt-quatre heures les écoliers soient partis pour leur demeure. S’il s’en trouve demain en ville, ils seront mis en prison, pour prévenir le résultat du mauvais esprit qu’on a inculqué à cette jeunesse.

 

Halle, 20 octobre 1806

Au roi de Hollande

Mon Frère, je vous expédie deux aides de camp par deux routes différentes. Je vous ai déjà donné les mêmes ordres par la voie de Mayence. Vous aurez sans doute appris la bataille d’Iena. Nous sommes sur Magdeburg et sur l’Elbe. Prenez possession du comté de la Marck, des pays de Münster, d’Osnabriick, de l’évêché de Paderborn, de l’Ost-Frise, sans toucher au pays danois.

Par l’état de situation que vous m’avez envoyé, votre avant-garde est de 9,000 hommes. Joignez-y 2,000 hommes du 22e de ligne; laissez le 3e bataillon à Wesel. Joignez-y aussi les 1,500 hommes du grand-duc de Berg. Quand je verrai toutes ces forces à Goettingen et sur le Weser, et que j’aurai votre rapport sur le Hanovre, je verrai s’il me convient de vous faire prendre possession du Hanovre. Je donne ordre que le corps qui est à Paris se rende sur-le-champ à Nimègue, tant pour défendre la Hollande, si les circonstances l’exigeaient, que pour renforcer votre corps. Formez, de votre corps, deux divisions. Si vous n’avez pas de général de division, je vous en enverrai un. Attachez à chaque division douze pièces d’artillerie. Vous placerez un poste d’observation devant Hamein. Vos troupes peuvent hardiment attaquer les Prussiens; nous sommes plus braves qu’eux. Vous laisserez à Wesel les 3e bataillons, et vous y ferez venir quelques autres 3e bataillons de la 25e division militaire. La grande quantité de conscrits qui arrivent garnira suffisamment cette place.

Votre corps à peine arrivé sur Goettingen et Alfeld, votre cavalerie enverra des partis sur Magdeburg pour se lier avec le corps que je laisserai devant cette place. Vous enverrez également des partis sur Erfurt et sur le Hanovre. Le but de ces partis sera de ramasser les hommes égarés et de mettre la police dans les villes. Vous ôterez partout les armes du roi de Prusse, auquel ces pays ne doivent plus appartenir. Mettez la plus grande rapidité dans tous ces mouvements.

 

Camp impérial de Halle, 20 octobre 1806

Au roi de Wurtemberg

Monsieur mon Frère, je suis sur l’Elbe devant Magdeburg. L’armée prussienne a existé; de 160,000 hommes, plus de 100,000 hommes sont détruits; artillerie, bagages, munitions, magasins, tout a été pris. J’ai plus de 40,000 hommes prisonniers, 400 pièces de canon, 1,200 caissons, 60 à 80 drapeaux; les trois quarts des généraux sont pris ou tués. Le duc de Brunswick est blessé dangereusement d’un coup de mitraille dans la figure. Rüchel est mort dans nos mains; Schmettau est mort dans nos mains; plusieurs princes et frères dit Roi sont dangereusement blessés. Le prince Louis-Ferdinand a été tué le premier. La Reine a erré de poste en poste, poursuivie par nos hussards; j’ignore le lieu où elle s’est retirée. La cavalerie prussienne, dont vous m’aviez tant parlé, est détestable; elle est bien au-dessous de la cavalerie autrichienne. Les troupes prussiennes se sont médiocrement battues. Leurs généraux n’entendent rien à la guerre. Moellendorf, le prince d’Orange et dix-huit autres généraux sont prisonniers sur parole. Moellendorf, blessé, est resté malade à Erfurt, dont je suis maître. Je n’ai fait aucune perte de marque; un simple général de brigade a été tué. Dites toutes ces nouvelles à la princesse Catherine; comme je la considère de la famille, j’espère qu’elle y prendra part à double titre. Le corps de réserve que commande votre frère le prince Eugène a été battu à Halle; il a perdu 5,000 hommes, 4 drapeaux et 30 pièces de canon. Le prince de sa personne n’a pas eu de mal.

 

Halle, 20 octobre 1806

Au maréchal Berthier

Donnez l’ordre au capitaine Lamarche de partit, avec 60 chevaux du 1e de hussards, de se rendre en partisan partout où il croira pouvoir ramasser des hommes ennemis. Il dirigera tous les prisonniers qu’il fera sur Erfurt, Naumburg, selon le lieu où il se trouvera. Il fera passer aussi toutes les nouvelles qui viendraient à sa connaissance.

Faites partir deux autres détachements de 60 chevaux du 9e de hussards pour battre, en patrouilles, tout le local compris entre la Saale, Magdeburg et la Saxe ducale. Ces patrouilles doivent ramasser un grand nombre de prisonniers. Donnez-leur pour commandants deux hommes intelligents et qui aient envie de se distinguer.

Quand les commandants de ces détachements auront voltigé ainsi pendant huit jours, et qu’ils s’apercevront que les routes deviennent libres et qu’il n’y a plus d’hommes isolés, ils se rapprocheront du quartier général.

Ils auront soin de vous tenir informé des lieux où ils seront, en ayant des correspondances avec les commandants des places qui reçoivent l’ordre du jour, ou par des officiers des autres troupes qui vont au quartier général.

 

Halle, 20 octobre 1806

13e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Le général Macon, commandant à Leipzig, a fait aux banquiers, négociants et marchands de cette ville la notification ci-jointe. Puisque les oppresseurs des mers ne respectent aucun pavillon, l’intention de l’Empereur est de saisir partout leurs marchand et de les bloquer véritablement dans leur île.

On a trouvé dans les magasins militaires de Leipzig 15,000 taux de farine et beaucoup d’autres denrées d’approvisionnement.

Le grand-duc de Berg est arrivé à Halberstadt le 19. Le 20, il a inondé toute la plaine de Magdeburg par sa cavalerie, jusqu’à portée du canon. Les troupes ennemies, les détachements isolés, les hommes perdus seront pris au moment où ils se présenteront pour entrer dans la place.

Un régiment de hussards ennemis croyait que Halberstadt était encore occupée par les Prussiens; il a été chargé par le 25e de dragons et a éprouvé une perte de 300 hommes.

Le général Beaumont s’est emparé de 600 hommes de la Garde du Roi et de tous les équipages de ce corps. Deux heures auparavant deux compagnies de la Garde royale à pied avaient été prises par le maréchal Soult.

Le lieutenant général comte de Schmettau, qui avait été fait prisonnier, vient de mourir à Weimar.

Ainsi, de cette belle et superbe armée qui, il y a peu de jours, menaçait d’envahir la Confédération du Rhin, et qui inspirait à son souverain une telle confiance qu’il osait ordonner à l’empereur Napoléon de sortir de l’Allemagne avant le 8 octobre, s’il ne voulait pas y être contraint par la force, de cette belle et superbe armée, disons- nous, il ne reste que des débris, chaos informe qui mérite plutôt le nom de rassemblement que celui d’armée. De 160,000 hommes qu’avait le roi de Prusse, il serait difficile d’en réunir plus de 50,000; encore sont-ils sans artillerie et sans bagages, armés en partie, en partie désarmés.

Tous ces événements justifient ce que l’Empereur a dit dans sa première proclamation, lorsqu’il s’est exprimé ainsi :

« Qu’ils apprennent que, s’il est facile d’acquérir un accroissement de domaines et de puissance avec l’amitié du grand peuple, son inimitié est plus terrible que les tempêtes de l’Océan.  »

Rien ne ressemble, en effet, davantage à l’état actuel de l’armée prussienne que les débris d’un naufrage. C’était une belle et nombreuse flotte qui ne prétendait pas moins qu’asservir les mers : les vents impétueux du nord ont soulevé l’Océan contre elle; il ne rentre au port qu’une petite partie des équipages, qui n’ont trouvé de salut qu’en se sauvant sur des débris.

Les lettres ci-jointes peignent au vrai la situation des choses.

Une autre lettre, également ci-jointe, montre à quel point le cabinet prussien a été dupe de fausses apparences. Il a pris la modération de l’empereur Napoléon pour de la faiblesse. De ce que ce monarque ne voulait pas la guerre et faisait tout ce qui pouvait être convenable pour l’éviter, on a conclu qu’il n’était pas en mesure, et qu’il avait besoin de 200,000 conscrits pour recruter son armée.

Cependant l’armée française n’était plus claquemurée dans les camps de Boulogne; elle était en Allemagne. M. Charles-Louis de Hesse et M. de Haugwitz auraient pu la compter. Reconnaissons donc ici la volonté de cette Providence, qui ne laisse pas à nos ennemis des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, du jugement et de la raison pour raisonner.

Il paraît que M. Charles-Louis de Hesse convoitait seulement Mayence; pourquoi pas Metz ? pourquoi pas les autres places de l’est de la France ? Ne dites donc plus que l’ambition des Français vous a fait prendre les armes; convenez que c’est votre ambition mal raisonnée qui vous a excités à la guerre. Parce qu’il y avait une armée française à Naples, une autre en Dalmatie, vous avez projeté de tomber sur le grand peuple ! Mais en sept jours vos projets ont été confondus. Vous vouliez attaquer la France sans courir aucun danger, et déjà vous avez cessé d’exister !

On rapporte que l’empereur Napoléon ayant, avant de quitter Paris, rassemblé ses ministres, leur dit :

« Je suis innocent de cette guerre; je ne l’ai provoquée en rien ; elle n’est point entrée mes calculs. Que je sois battu si elle est de mon fait ! Un des principaux motifs de la confiance dans laquelle je suis que mes ennemis seront détruits, c’est que je vois dans leur conduite le doigt de la Providence qui, voulant que les traîtres soient punis, a tellement éloigné toute sagesse de leurs conseils, que, lorsqu’ils pensent m’attaquer dans un moment de faiblesse, ils choisissent l’instant où je suis le plus fort. »

 

Halle , 21 octobre 1806

Au maréchal Bernadotte

L’Empereur, Monsieur le Maréchal, me charge de vous écrire qu’il est très-mécontent de ce que vous n’avez pas exécuté l’ordre que vous avez reçu de vous porter hier à Kalbe, pour jeter un pont à l’embouchure de la Saale, à Barby. Cependant vous deviez sentir que toutes les dispositions de l’Empereur étaient combinées.

Sa Majesté, qui est très-fâchée que vous n’ayez pas exécuté ses ordres, vous rappelle à ce sujet que vous ne vous êtes point trouvé à la bataille d’Iena; que cela aurait pu compromettre le sort de l’armée et déjouer les grandes combinaisons de Sa Majesté, et a rendu douteuse et très-sanglante cette bataille, qui l’aurait été beaucoup moins. Quelque profondément affecté qu’ait été l’Empereur, il n’avait pas voulu vous en parler, parce qu’en se rappelant vos anciens services il craignait de vous affliger, et que la considération qu’il a pour vous l’avait porté à se taire. Mais, dans cette circonstance où vous ne vous êtes pas porté à Kalbe, et où vous n’avez pas tenté le passage de l’Elbe, soit à Barby, soit à l’embouchure de la Saale, l’Empereur s’est décidé à vous dire sa façon de penser, parce qu’il n’est point accoutumé à voir sacrifier ses opérations à de vaines étiquettes de commandement.

L’Empereur, Monsieur le Maréchal, me charge encore de vous parler d’une chose moins grave : c’est que, malgré l’ordre que vous avez reçu hier, vous n’avez pas encore envoyé ici trois compagnies pour conduire vos prisonniers. Il en reste à Halle 3,500 sans aucune escorte. L’Empereur, Monsieur le Maréchal, vous ordonne d’envoyer sur-le-champ un officier d’état-major à la tête de trois compagnies complètes, formant 300 hommes, pour prendre tous les prisonniers qui sont à Halle et les conduire à Erfurt. Il ne reste ici que la Garde impériale, et l’Empereur ne veut pas qu’elle escorte les prisonniers faits par votre corps d’armée.

Il est neuf heures, et il n’est pas question des trois compagnies que je vous ai demandées hier.

 

Camp impérial de Halle, 21 octobre 1806

A l’Électeur de Saxe

Mon Frère, je reçois la lettre de Votre Altesse Sérénissime Électorale. L’estime que je lui porte est égale au désir que j’ai de voir le plus tôt possible les relations de paix rétablies et consolidées entre nous. Dans deux ou trois jours, je nommerai un ministre à cet effet, pour s’entendre avec la personne que Votre Altesse aura désignée. J’ai ordonné, toutefois, que les hostilités cessassent, et je la prie, en conséquence, de vouloir bien ordonner, de son côté, que toutes ces troupes soient rappelées de l’armée prussienne. Votre Altesse ne peut douter du plaisir que j’aurai de la voir et de faire sa connaissance, ainsi que celle de l’Électrice.

 

Dessau, 22 octobre 1806

A M. Cambacérès

Mon Cousin, j’ai passé l’Elbe. Toutes mes affaires vont au mieux. Le roi de Prusse, toute son armée et la nation prussienne demandent à grands cris la paix. Je serai probablement à Berlin dans quelques jours. J’ai remarqué que, le même jour où vous faisiez votre publication au Sénat, je remportais la grande bataille d’Iena.

 

Dessau, 21 octobre 1806

Au grand-duc de Berg

Si vous ne pouvez pas passer à Barby, venez passer l’Elbe au pont de Dessau; le pont a été brûlé, mais il a été raccommodé. Je me rends cette nuit à Wittenberg. Le corps du maréchal Davout a passé là; le pont était en bon état. Le corps du maréchal Lannes a passé à Dessau.

 

Dessau, 22 octobre 1806

A M. de Talleyrand

Monsieur le Prince de Bénévent, je pense que, du moment vous serez assuré que le maréchal Mortier est arrivé à Fulde avec son corps d’armée, il n’y a pas d’inconvénient que vous vous dirigiez sur Erfurt, et de là sur Wittenberg et Berlin.

Immédiatement après la bataille, le roi de Prusse m’a envoyé son aide de camp avec une lettre. Aujourd’hui il m’envoie le marquis Lucchesini. Je l’ai fait rester aux avant-postes, et j’ai envoyé Duroc voir ce qu’il veut. J’attends son retour. Le Roi me paraît tout à fait décidé à s’arranger; je le ferai; mais cela ne m’empêchera pas d’aller à Berlin, où je pense que je serai dans quatre ou cinq jours.