Correspondance de Napoléon – Octobre 1806

Bamberg, 7 octobre 1806

Au roi de Naples

Monsieur mon Frère, je reçois enfin une lettre du roi de Prusse. Je ne puis vous envoyer la lettre qu’il m’a écrite; c’est une rapsodie copiée des journaux anglais et qui a vingt pages; mais voici la note que M. de Knobelsdorf a remise et que je reçois à l’instant. Vous y trouverez ma réponse dans ma proclamation à l’armée. Le roi de Prusse a donc déclaré la guerre ! Il me menaçait donc de la commencer le 8 ! Sans doute il voulait empêcher la jonction des forces que je fais venir de France; il ne se doutait pas qu’elles étaient arrivées, et que ma Garde même, qui n’est partie de Paris que le 22 septembre, était à Bamberg dès le 5 octobre. Je ne puis cependant que me louer de ce soin qu’ils ont eu de bien constater mon bon droit aux yeux de l’Europe.

 

Bamberg, 7 octobre 1806

Au roi de Wurtemberg

Monsieur mon Frère, après ce que Votre Majesté m’a dit, je compte que son armée sera prête le 10 octobre à Mergentheim, je la prie de m’en envoyer un état de situation par un de ses officiers, afin que je puisse sans délai lui donner un ordre de marche.

 

Bamberg, 7 octobre 1806

Au général Junot, gouverneur de Paris

Je n’ai pas encore reçu une lettre de vous. Je désire cependant bien recevoir quelquefois de vos rapports. Faites-moi connaître la situation des 15e et 58e, l’état de l’arrivée des conscrits et les progrès des remontes des régiments de dragons qui sont sous vos ordres.

 

Bamberg, 7 octobre 1806

A M. de la Marche

Monsieur l’Officier d’ordonnance, vous vous rendrez sur les limite du pays de Bayreuth. Le maréchal Soult a dû y arriver aujourd’hui. Cependant vous n’entrerez dans ce pays que quand vous saurez que les Français y sont arrivés. Vous porterez la lettre ci-jointe au maréchal Soult, et vous reviendrez me joindre à Kronach, où je serai demain à la pointe du jour.

 

Bamberg, 7 octobre 1806.

Au roi de Naples

Mon Cousin, je vous ai expédié, le 5 octobre, de Würzburg, un de mes officiers d’ordonnance. Il n’est pas encore de retour, non plus que l’adjoint qui vous a porté les ordres d ‘un major général. Je ne vous en suppose pas moins rendu aujourd’hui à Bayreuth. Mon quartier général sera aujourd’hui, à minuit, à Kronach, où je désire apprendre de vos nouvelles et savoir ce que vous aurez vous-même appris de nouveau. Je désire connaître en même temps, d’une manière positive, le nom du lieu où vous passerez la nuit du 8 au 9. Le cavalerie légère de la réserve débouchera le 8 par Lobenstein et poussera des partis du côté de Hof, afin d’avoir le 9 de vos nouvelles.

J’ai reçu ce matin l’ultimatum du roi de Prusse, en date du 1er octobre . C’est le comble de la déraison et de la folie. Il ne veut rien moins que nous faire évacuer l’Allemagne par journées d’étapes. Il me donne pour tout délai, pour répondre, jusqu’au 8 octobre. Vous devez être entré sur son territoire le 7 ; ainsi il n’aura pas à se plaindre de nous. Ils ont tiré quelques coups de carabine sur la gauche. Vous recevrez mon ordre du jour pour la guerre; il sera distribué demain matin.

 

Bamberg, 7 octobre 1806, 2 heures après midi

Au maréchal Lannes

Mon Cousin , j’avais donné au général Victor une division dans le corps du maréchal Augereau, composée de deux régiments d’élite. Grondez-le de ma part du mal qu’il a dit du 14e de ligne, qui est un des plus beaux régiments de l’armée. Toutefois je vois avec plaisir que vous le preniez pour chef d’état-major. Le maréchal Berthier expédie sa commission. C’est un homme solide et en qui j’ai confiance. Je lui en donnerai des preuves aussitôt que les événements me le permettront.

Vous arriverez demain à Cobourg. Prenez une bonne position en avant de cette ville. L’ennemi peut être de deux côtés contre vous; il peut venir par le chemin de Gotha, et par Eisfeld et Saalfeld. La cavalerie légère du centre, qui débouche le 8 au matin par Lobenstein, enverra des reconnaissances sur Grafenthal. Le maréchal Angereau dépassera demain Bamberg pour arriver demain soir près de Cobourg. Il est nécessaire, avant de vous porter trop en avant sur la route de Grafenthal, que vous ayez des nouvelles positives que le maréchal Augereau a passé le pont du Mein, à Oberndorf. D’après tous les renseignements que j’ai pu me procurer, il parait que les principales forces de l’ennemi sont sur Naumburg, Weimar, Erfurt et Gotha.

Je serai aujourd’hui, à deux heures après minuit, à Kronach.

Du moment que vous entrerez à Cobourg, vous m’enverrez tous vos rapports à Kronach. Il est fort urgent qu’ils m’arrivent vite, afin que je puisse comparer vos rapports avec ceux qui m’arrivent d’autres côtés et juger des projets de l’ennemi. Je pense que vous devez placer deux piquets, chacun de 5 chasseurs, entre Cobourg et Kronach, afin que vos rapports puissent arriver rapidement et être fréquents.

Dans tout événement, votre ligne de retraite est sur Bamberg. Il est possible que je fasse attaquer l’ennemi à Saalburg. Je le ferai attaquer le 9. Faites ouvrir les lettres à Cobourg et à la poste Neustadt; cela pourra vous donner quelques renseignements. Placez vous très-militairement. Je vois avec plaisir que vous arriverez demain de très-bonne heure à Cobourg; cela vous mettra à même de vous placer très- militairement et d’avoir déjà reconnu tous les débouchés de la route qui arrive de Saalfeld et de celle qui arrive d’Eisfeld.

Écrivez-moi très-fréquemment.

Arrivé à Cobourg ou à Neustadt, envoyez-moi tous les renseignements que vous pourrez vous procurer sur la route de Grafenthal, Lobenstein et à Saalburg. Arrangez vos affaires comme si, deux trois jours après avoir abandonné Cobourg, l’ennemi devait y venir. Il serait, en effet, possible que l’ennemi y vînt. Tous les embarras que vous avez, dirigez-les sur la citadelle de Kronach, car aujourd’hui vous êtes trop loin de Würzburg pour pouvoir les envoyer là.

En vous disant plus haut que votre retraite serait sur Bamberg, je dois ajouter que ce ne doit pas être sur la route que vous avez prise en venant, mais par la grande chaussée; et vous trouverez des positions intermédiaires derrière Cobourg, qui vous mettraient à même de couvrir la route de Lichtenfels et de Bamberg. Comme j’ai beaucoup de troupes à Lichtenfels et à Kronach, vous serez soutenu non seulement par le maréchal Augereau, mais encore par tout le corps du centre.

J’ai reçu ce matin une note de la Prusse du 1er octobre. Elle veut ne nous obliger à rien moins qu’à évacuer l’Allemagne par journées d’étapes. Quand la nation aura connaissance de cette note, elle frémira d’indignation.

 

Bamberg, 7 octobre 1806, 7 heures du soir

Au général Thouvenot, commandant à Würzburg

Monsieur le Général Thouvenot, il est nécessaire que vous portiez une grande attention à l’approvisionnement des magasins de Würzburg et à la confection du biscuit, et que vous fassiez partir tous les jours 30 ou 40,000 rations de biscuit pour Kronach. Cela est de la plus grande nécessité pour la nourriture de l’armée. Faites partir, par jour, 300 quintaux de farine pour Kronach. Ayez soin qu’on confectionne tous les jours une grande quantité de biscuit, car les consommations vont devenir considérables dans la position que va prendre l’armée.

 

Bamberg, 7 octobre 1806

Au général Lefranc, à Forchheim

Des ordres ont été donnés pour la confection des fours à Forchheim. Le commissaire des guerres a dû prendre des mesures pour l’approvisionnement des magasins de farine. Faites confectionner 30,000 rations de pain biscuité pour l’approvisionnement de Kronach; cela est nécessaire pour la nourriture de l’armée. Je vous recommande de bien veiller à l’armement de la ville. 400,000 rations de biscuit doivent se rendre de Passau à Forchheim. Écrivez et envoyez quelqu’un pour en avoir des renseignements. Les circonstances étant urgentes, prenez des mesures pour que 30,600 rations de biscuit partent dès le 9 au matin. Faites les réquisitions dans le pays prussien d’Erlangen et dans le bailliage de Nuremberg, pour votre approvisionnement et fournir aux besoins les plus pressants de l’armée.

 

Bamberg, 7 octobre 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, les hostilités ont commencé aujourd’hui, ayant fait entrer mes troupes dans le pays de Bayreuth. Pour ne pas donner d’inquiétude au public, il est inutile d’en parler. Faites approcher, sous prétexte de les passer en revue, les neuf escadrons de cuirassiers sur Brescia, afin que, si j’en avais besoin, vous puissiez les faire passer par la Rocca d’Aufo et Innsbruck, pour me joindre. Vous ferez mettre ces escadrons sur le pied de guerre, au moyen de tous les hommes disponibles des 4e escadrons. Toutes les nouvelles que j’ai sont que l’Autriche ne fait aucun mouvement, et qu’elle envoie, au contraire, ses troupes du côté de la Galicie et de la Silésie. Vous devez être à même de voir ce qu’elle fait en Italie. Les conscrits doivent vous arriver.

J’ai envoyé à Gènes le 16e de ligne pour qu’il soit plus près, de sorte qu’il y a dans cette ville deux beaux régiments qui ne laisseraient pas de vous être fort utiles.

Envoyez-moi, par le Tyrol, de vos aides de camp, qui auront soin, en venant chercher des nouvelles de l’armée, de prendre des précautions. Ils iront prendre langue à Forchheim, petite place forte sur la Regnitz. Ils tiendront note de ce qu’ils auront vu sur mes derrières, pour pouvoir m’en rendre compte à leur arrivée.

Jusqu’au moment où l’on puisse apprendre la nouvelle de quelque événement majeur, faites courir indirectement le bruit que tout s’est arrangé avec la Prusse; cela diminuera beaucoup la sollicitude.

 

Bamberg, 7 octobre 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je vous envoie une lettre qui me tombe dans les mains. J’y vois deux irrégularités : la première, que vos aides de camp ne doivent pas signer vos ordres; la seconde, que cette lettre est mauvaise et peut effaroucher les Français. Il est ridicule qu’on compare l’armée française, qui a conquis et défendu l’Italie, à l’armée italien qui est en France pour apprendre son métier. Ces questions-là sont d’une extrême délicatesse, et vous ne deviez pas prendre sur vous de les décider. Il serait trop ridicule qu’un général italien, qui n’a rien fait, passât devant un général français, qui a conquis le pays. Les  Italiens eux-mêmes ne demandent pas cela, ils en seraient même choqués. Il y a dans tout cela de la maladresse.

J’ai reçu vos lettres du 22 septembre. Il ne faut rien mettre à Rovigo, l’air y est trop malsain. Il vaut mieux mettre à Bologne le 52e régiment, que vous avez le projet de placer à Rovigo; 3 ou 4,000 hommes ne sont rien pour Bologne. Du reste, j’approuve ce projet.

 

Bamberg, 7 octobre 1806

Au roi de Naples

Je reçois votre lettre du 25 septembre. Je vois avec plaisir vous vous êtes défait de ce misérable Fra-Diavolo. La saison farable arrive. Les malades vont guérir. Du moment que les Français cesseront d’être accablés par la chaleur, ils reprendront de l’énergie.

Renvoyez les généraux dont vous n’avez que faire; cela vous consomme beaucoup d’argent.

Les hostilités ont commencé hier. Votre aide de camp, que j’ai vu aujourd’hui, partira dans deux jours. J’ai recommandé au prince Eugène et à M. l’archichancelier Cambacérès de vous écrire.

Jusqu’à ce que l’on apprenne la nouvelle des premiers événements, faites courir le bruit que la paix est faite et qu’une entrevue des deux souverains a tout arrangé. L’affaire de la Prusse est un véritable délire. C’est le parti de la guerre qui l’a emporté dans ce cabinet.

 

Bamberg, 8 octobre 1806

1er BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

La paix avec la Russie conclue et signée le 10 juillet, des négociations avec l’Angleterre entamées et presque conduites à leur maturité, avaient porté l’alarme à Berlin. Les bruits vagues qui se multiplièrent, et la conscience des torts de ce cabinet envers toutes les puissances, qu’il avait successivement trahies, le portèrent à ajouter croyance aux bruits répandus qu’un des articles secrets du traité conclu avec la Russie donnait la Pologne au prince Constantin avec le titre de roi, la Silésie à l’Autriche en échange de la portion autrichienne de la Pologne, et le Hanovre à l’Angleterre. Il se persuada enfin que ces trois puissances étaient d’accord avec la France, et que de cet accord résultait un danger imminent pour la Prusse.

Les torts de la Prusse envers la France remontaient à des époques fort éloignées. La première, elle avait armé pour profiter de nos dissensions intestines. On la vit ensuite courir aux armes au moment de l’invasion du duc d’York en Hollande; et lors des événements de la dernière guerre, quoiqu’elle n’eût aucun motif de mécontentement contre la France, elle arma de nouveau et signa, ler octobre 1805, ce fameux traité de Potsdam, qui fut, un mois après, remplacé par le traité de Vienne.

Elle avait des torts envers la Russie, qui ne peut oublier l’inexécution du traité de Potsdam et la conclusion subséquente du traité de Vienne.

Ses torts envers l’empereur d’Allemagne et le Corps germanique, plus nombreux et plus anciens, ont été connus de tous les temps. Elle se tint toujours en opposition avec la Diète. Quand le Corps germanique était en guerre, elle était en paix avec ses ennemis. Jamais ses traités avec l’Autriche ne recevaient d’exécution, et sa constante étude était d’exciter les puissances au combat, afin de pouvoir, au moment de la paix, venir recueillir les fruits de son adresse et de leurs succès.

Ceux qui supposeraient que tant de versatilité tient à un défaut de moralité de la part du prince seraient dans une grande erreur. Depuis quinze ans, la cour de Berlin est une arène où les partis se combattent et triomphent tour à tour. L’un veut la guerre et l’autre veut la paix. Le moindre événement politique, le plus léger incident donne l’avantage à l’un ou à l’autre, et le Roi, au milieu du mouvement des passions opposées, au sein de ce dédale d’intrigues, flotte incertain, sans cesser un moment d’être honnête homme.

Le 11 août, un courrier de M. le marquis de Lucchesini arriva à Berlin et y porta, dans les termes les plus positifs, l’assurance de ces prétendues dispositions par lesquelles la France et la Russie seraient convenues, par le traité du 20 juillet, de rétablir le royaume de Pologne et d’enlever la Silésie à la Prusse. Les partisans de la guerre s’enflammèrent aussitôt; ils firent violence aux sentiments personnels du Roi; quarante courriers partirent dans une seule nuit et l’on courut aux armes. La nouvelle de cette explosion soudaine parvint à Paris le 20 du même mois. On plaignit un allié si cruellement abusé; on lui donna sur-le-champ des explications, des assurances précises; et, comme une erreur manifeste était le seul motif de ces armements imprévus, on espérait que la réflexion calmerait une effervescence aussi peu motivée.

Cependant le traité signé à Paris ne fut pas ratifié à Saint-Pétersbourg, et des renseignements de toute espèce ne tardèrent pas à faire connaître à la Prusse que M. le marquis de Lucchesini avait ses renseignements dans les réunions les plus suspectes de la capitale et parmi les hommes d’intrigues qui composaient sa société habituelle. En conséquence il fut rappelé. On annonce pour lui succéder M. le baron de Knobelsdorf, homme d’un caractère plein de droiture et de franchise, d’une moralité parfaite.

Cet envoyé extraordinaire arriva bientôt à Paris, porteur d’une lettre du roi de Prusse datée du 23 août.

Cette lettre était remplie d’expressions obligeantes et de déclarations pacifiques, et l’Empereur y répondit d’une manière franche et rassurante. Le lendemain du jour où partit le courrier porteur de cette réponse, on apprit que des chansons outrageantes pour la France avaient été chantées sur le théâtre de Berlin; qu’aussitôt après le départ de M. de Knobelsdorf les armements avaient redoublé; et quoique les hommes demeurés de sang-froid eussent rougi de ces fausses alarmes, le parti de la guerre, soufflant la discorde de tous côtés, avait si bien exalté toutes les têtes, que le Roi se trouvait dans l’impuissance de résister au torrent.

On commença dès lors à comprendre à Paris que le parti de la paix, ayant lui-même été alarmé des assurances mensongères et des apparences trompeuses, avait perdu tous ses avantages, tandis que le parti de la guerre, mettant à profit l’erreur dans laquelle ses adversaires s’étaient laissé entraîner, avait ajouté provocation à provocation et accumulé insulte sur insulte, et que les choses étaient arrivées à un tel point qu’on ne pourrait sortir de cette situation que par la guerre.

L’Empereur vit alors que telle était la force des circonstances, qu’il ne pouvait éviter de prendre les armes contre son allié. Il ordonna des préparatifs.

Tout marchait à Berlin avec une grande rapidité; les troupes prussiennes entrèrent en Saxe, arrivèrent sur les frontières de la Confédération et insultèrent les avant-postes.

Le 24 septembre, la Garde impériale partit de Paris pour Bamberg, où elle est arrivée le 6 octobre. Les ordres furent expédiés pour l’armée, et tout se mit en mouvement.

Ce fut le 25 septembre que l’Empereur quitta Paris; le 28 il était à Mayence; le 2 octobre à Würzburg, et le 6 à Bamberg.

Le même jour, deux coups de carabine furent tirés par les hussards prussiens sur un officier de l’état-major francais. Les deux armées pouvaient se considérer comme en présence.

Le 7, Sa Majesté l’Empereur reçut un courrier de Mayence, dépêché par le prince de Bénévent, qui était porteur de deux dépêches importantes : l’une était une lettre du roi de Prusse, d’une vingtaine de pages, qui n’était réellement qu’un mauvais pamphlet contre la France, dans le genre de ceux que le cabinet anglais fait faire par ses écrivains à 500 livres sterling par an. L’Empereur n’en acheva point la lecture et dit aux personnes qui l’entouraient : « Je plains mon frère le roi de Prusse; il n’entend pas le français; il n’a pas sûrement lu cette rapsodie » A cette lettre était jointe la célèbre note de M. de Knobelsdorf. « Maréchal, dit l’Empereur au maréchal Berthier, on nous donne un rendez-vous d’honneur pour le 8 :  jamais un Français n’y a manqué; mais, comme on dit qu’il y a une belle reine qui veut être témoin du combat, soyons courtois, et marchons, sans nous coucher, pour la Saxe. » L’Empereur avait raison de parler ainsi; car la reine de Prusse est à l’armée, habillée en amazone, portant l’uniforme de son régiment de dragons, écrivant vingt lettres par jour pour exciter de toutes parts l’incendie. Il semble voir Armide dans son égarement mettant le feu à son propre palais. Après elle, le prince Louis de Prusse, jeune prince plein de bravoure et de courage, excité par le parti, croit trouver une grande renommée dans les vicissitudes de la guerre. A l’exemple de ces deux grands personnages, toute la cour crie à la guerre. Mais quand la guerre sera présentée avec toutes ses horreurs, tout le monde s’excusera d’avoir été coupable et d’avoir attiré la foudre sur les provinces paisibles du Nord ; alors, par une suite naturelle de l’inconséquence des gens de cour, on verra les auteurs de la guerre non-seulement la trouver insensée, s’excuser de l’avoir provoquée, et dire qu’ils la voulaient mais dans un autre temps, même en faire retomber le blâme sur le Roi, honnête homme qu’ils ont rendu la dupe de leurs intrigues et de leurs artifices.

Voici la disposition de l’armée française :

L’armée doit se mettre en marche par trois débouchés : la droite composée des corps des maréchaux Soult et Ney et d’une division des Bavarois, part d’Amberg et de Nuremberg, se réunit à Bayreuth et doit se porter sur Hof, où elle arrivera le 9;

Le centre, composé de la réserve du grand-duc de Berg, des corps du maréchal prince de Ponte-Corvo et du maréchal Davout, et de la Garde impériale, débouche par Bamberg sur Kronach, arrivera le 8 à Saalburg, et de là se portera par Saalburg et Schleiz sur Gera;

La gauche, composée des corps des maréchaux Lannes et Augereau, doit se porter de Schweinfurt sur Cobourg, Grafenthal et Saalfeld.

 

Kronach, 8 octobre 1806

A M. Maret

Monsieur Maret, je suis arrivé ce matin à Kronach; j’en partirai dans la nuit. Toute l’armée est en grand mouvement. Donnez de mes nouvelles au prince de Bénévent, à M. l’archichancelier; un mot aussi à l’Impératrice.

Renvoyez-moi un des courriers que j’ai laissés à Bamberg, pour m’instruire de tout ce qui est passé par cette ville et de tous les détachements et troupes qui y sont arrivés. Voyez le commandant de la place, voyez la régence, voyez l’ordonnateur, pour qu’on fasse filer farine, biscuit, pain biscuité, sur Kronach. Passez toute la journée du 9 et du 10 à Bamberg pour cet objet. Si vous appreniez le plus léger bruit que des hussards ennemis aient paru du côté de Fulde ou de Cassel , dirigez alors mes courriers sur Mannheim.

 

Kronach, 8 octobre 1806

Au maréchal Berthier

Leprince Jérôme prendra le commandement de la division bavaroise qui doit se trouver demain à Bayreuth, cerner le fort de Culmbach et le faire rendre. Vous en préviendrez le général bavarois, afin qu’il envoie un escadron à la rencontre du prince. Le général Hédouville fera les fonctions de chef d’état-major de ce corps. Après que Culmbach sera rendu, le prince m’enverra un rapport qui me fasse connaître l’état de l’artillerie et des fortifications. A cet effet, il faut qu’un des deux officiers du génie qui sont à Kronach se rende à Culmbach, pour visiter lui-même ce fort, indépendamment du rapport que les officiers bavarois feront. Le prince m’enverra l’état exact de l’infanterie, cavalerie, artillerie, et passera la nuit de demain à Culmbach, où il attendra de nouveaux ordres.

Il écrira, pour ses subsistances, au général Legrand , qui commande toute la province de Bayreuth.

 

Kronach, 8 octobre 1806, 3 heures et demie après midi

Au maréchal Soult

Mon Cousin, je reçois votre lettre du 7 octobre, que m’apporte mon officier d’ordonnance. Je vous recommande de mettre désormais l’heure à laquelle vous écrirez.

Je pensais qu’il y avait 100,000 rations de biscuit qui vous suivaient; je ne pense pas qu’elles soient encore loin.

Je n’ai pas encore reçu de nouvelles des avant-postes du centre. Le prince Murat et le maréchal Bernadotte étaient, à huit heures du matin, à Lobenstein. Si Saalburg n’a pas tenu, il serait possible qu’on interceptât la communication du corps de Hof avec Schleiz.

Je serai demain , à deux heures du matin, près de Lobenstein. Tout le corps du maréchal Davout est à trois lieues derrière Lobenstein. Le maréchal Lannes est à Neustadt; il est entré à Cobourg ce matin, à la pointe du jour, et a pris quelques hussards. Si vous avez des nouvelles des Bavarois, donnez-m’en; je désire beaucoup qu’ils arrivent demain à Culmbach.

Donnez-moi plus fréquemment de vos nouvelles; dans une guerre combinée comme celle-ci, on ne peut arriver à de beaux résultats que par des communications très-fréquentes; mettez cela au rang de vos premiers soins. Ce moment est le plus important de la campagne; ils ne s’attendaient pas à ce que nous voulons faire; malheur à eux s’ils hésitent et s’ils perdent une journée !

Si vous avez des hommes malingres ou d’autres embarras qui vous gênent, et que vous trouviez que Forchheim soit trop éloigné, vous pouvez les envoyer à Kronach, où il y a une forteresse et des dépôts.

Il est certain que des régiments qui ont débouché de Dresde avec le prince de Hohenlohe, venant de Silésie, étaient lundi en position à Saalfeld.

 

Kronach, 8 octobre 1806, 4 heures après midi

Au maréchal Lannes

Mon Cousin, je n’ai point de vos nouvelles. Je suis fâché que vous soyez entré à Cobourg hier : vos instructions portaient d’y entrer ce matin et en masse. Si vous l’eussiez fait ainsi, il vous eût été facile de combiner vos opérations pour enlever, à la petite pointe du jour, tout ce qui était à Cobourg. La prise d’une cinquantaine de chevaux eût été agréable.

Le maréchal Bernadotte a passé Lobenstein. Son avant-garde trouve aujourd’hui à midi à Ebersdorf. Le maréchal Soult avait enlevé plusieurs postes ennemis; il était à Münchberg aujourd’hui; il sera ce soir à Hof. Marchez le plus rapidement que vous pourrez sur Grafenthal. Le maréchal Augereau vous suivra à une demi-journée. Je serai de ma personne à Lobenstein à deux heures après minuit.

Comme vous formez la gauche de l’armée, je pense qu’il sera fort utile , lorsque vous ferez bivouaquer vos divisions, que vous les fassiez bivouaquer chaque division en bataillon carré.

Faites en sorte que j’aie de vos nouvelles fréquemment; cela est important pour que je puisse connaître les mouvements de l’ennemi. Faites-moi aussi, à mesure que vous passez, la description des lieux.

Envoyez des postes pour vous lier avec le centre.

Le maréchal Davout, avec tout son corps d’armée, est à la porte de Steinwiesen. Il envoie des patrouilles sur Grafenthal, sur Neustadt et sur Judenbach pour se lier avec vous.

 

Kronach, 8 octobre 1806, 5 heures après midi

Au grand-duc de Berg, à Lobenstein

Mon Frère, je reçois votre lettre écrite à dix heures du matin. Vous n’avez pas mis des piquets de cavalerie comme je vous avais dit de le faire; je vous en témoigne mon mécontentement, parce que votre lettre écrite à dix heures ne m’est parvenue que vers quatre heures. Vous devez savoir que la poste n’est pas, en ce moment, un moyen sûr de correspondre. Le maréchal Soult est arrivé hier à Bayreuth. Il était aujourd’hui à minuit à Münchberg, et sera demain, de bonne heure, à Hof. Le maréchal Lannes est entré à Cobourg, à la pointe du jour, et couchera ce soir à Neustadt. Le maréchal Davout est à deux heures en avant de Kronach, du côté de Lobenstein. Je serai, à quatre heures du matin, à Nordhalben, où il est vraisemblable que je monterai à cheval pour me rendre à l’avant-garde. Faites-moi toujours passer à Nordhalben tous les renseignements que vous vous serez procurés.

 

Kronach, 8 octobre 1806, 6 heures après midi

A M. Scherb

  1. Scherb, Officier d’ordonnance, se rendra à Cobourg, où il arrivera à neuf heures du soir. Si le maréchal Lannes était déjà rendu à Neustadt, il s’y rendra. Il me portera la réponse et tous les renseignements qu’il pourra se procurer dans l’armée ou dans le pays. Il viendra me joindre, avant cinq heures du matin, à Nordhalben, où il me trouvera.

 

NOTE (Cette note, présumée du 10 octobre, est en entier de la main de l’Empereur)

Garde, 10 au soir, à Ramberg; – 11, à Lichtenfels; – 12, en avant de Kronach; – 13, Lobenstein.

D’Hautpoul, le 11, à deux lieues en avant de Kronach; – 14 Auma; – 15, Iena.

Klein, le 11 , à deux lieues en avant de Kronach; – 13, à Iena, le 14, à Iena, le 13, à Auma

Klein, le 12, à Lobenstein.
Iena à Weimar, quatre lieues.
Naumburg à Weimar, sept lieues.
Kahla à Weimar, cinq lieues.
Neustadt à Iena, cinq lieues,
Gera à Iena, sept lieues.
De Zeitz à Iena, sept lieues.

Cavalerie de réserve, le 14, à Iena
Garde, le 15, à Iena.
Parc, le 15, à Auma.
Davout, le 14, à Apolda.
Lannes, le 15, à Weimar,
Augereau, le 14, à Mellingen.
Bernadotte, le 14, à Dornburg.
Soult, le 14, à Iena.
Ney, le 14, à Kabla.

 

Ebersdorf, 10 octobre 1806, 5 heures du matin

A M. Maret

Monsieur Maret, envoyez-moi la proclamation aux Saxons en grand nombre d’exemplaires; il m’est très-important de l’avoir. Vous pouvez la faire mettre dans les journaux de Bamberg, de Nuremberg et de Würzburg, afin qu’elle pénètre de tous côtés.

Faites mettre dans ces journaux que, le 9, le général prussien Tauenzien, avec 6,000 Prussiens et 3,000 Saxons, a été attaqué par l’avant-garde de l’armée française, commandée par le grand-duc de Berg, et culbuté; que les hussards prussiens ont été écrasés et n’ont pas soutenu le choc des hussards français ; que les dragons saxons ont fait une perte notable; que le régiment des gardes a perdu son colonel, vieillard respectable âgé de soixante ans ; que les Français ont fait un grand nombre de prisonniers; que la conduite des Prussiens est indigne; qu’ils ont incorporé un bataillon saxon en deux bataillons prussiens, pour être ainsi sûrs d’eux; que, certes, une telle violation de l’indépendance et une telle violence contre la puissance plus faible ne peut que révolter toute l’Europe.

 

Quartier impérial d’Ebersdorf, 10 octobre 1806, 5 heures du matin.

Au grand-duc de Berg, à Schleiz

Le général Rapp m’a fait connaître l’heureux résultat de la soirée. Il m’a paru que vous n’aviez pas sous la main assez de cavalerie réunie; en l’éparpillant toute, il ne vous restera rien. Vous avez six régiments; je vous avais recommandé d’en avoir au moins quatre dans la main; je ne vous en ai vu hier que deux. Les reconnaissances sur la droite deviennent aujourd’hui beaucoup moins importantes. Le maréchal Soult arrivant à Plauen, c’est sur Poesnech et sur Saalfeld qu’il faut porter de fortes reconnaissances, pour savoir ce qui s’y passe. Le maréchal Lannes est arrivé le 9 au soir à Grafenthal; il attaquera demain Saalfeld. Vous savez combien il m’importe de connaître dans la journée le mouvement sur Saalfeld, afin que, si l’ennemi avait réuni là plus de 25,000 hommes, je puisse y faire marcher des renforts par Poesneck et les prendre en queue. J’ai donné l’ordre aux divisions Dupont et Beaumont de se porter sur Schleiz.
Il faut, à tout événement, reconnaître une belle position en avant de Schleiz qui puisse servir de champ de bataille à plus de 80,000 hommes. Cela ne doit pas vous empêcher de profiter de la pointe du jour pour pousser de fortes reconnaissances sur Auma et Poesneck, en les faisant même soutenir par la division de Drouet. La 1e division du maréchal Davout sera à Saalburg; les deux autres divisions seront en avant, près d’Ebersdorf, et la cavalerie légère en avant. Je donne ordre au maréchal Ney de se rendre à Tanna.

Votre grande affaire doit être aujourd’hui, d’abord de profiter de la journée d’hier pour ramasser le plus de prisonniers et recueillir le plus de renseignements possible ; 2° de reconnaître Auma et Saalfeld, afin de savoir positivement quels sont les mouvements de l’ennemi.

 

Ebersdorf, 10 octobre l806, 8 heures du matin

Au maréchal Soult

Mon Cousin, nous avons culbuté hier les 8,000 hommes qui, de Hof, s’étaient retirés à Schleiz, où ils attendaient des renforts dans la nuit. Leur cavalerie a été écharpée; un colonel a été pris; plus de 2,000 fusils et casquettes ont été trouvés sur le champ de bataille. L’infanterie prussienne n’a pas tenu. On n’a ramassé que 2 ou 300 prisonniers, parce que c’était la nuit et qu’ils se sont éparpillés dans les bois; je compte sur un bon nombre ce matin.

Voici ce qui me parait le plus clair : il paraît que les Prussiens avaient le projet d’attaquer; que leur gauche devait déboucher par Iena, Saalfeld et Cobourg; que le prince de Hohenlohe avait son quartier général à Iena et le prince Louis à Saalfeld; l’autre colonne a débouché par Meiningen sur Fulde; de sorte que je suis porté penser que vous n’avez personne devant vous, peut-être pas 10,000 hommes jusqu’à Dresde. Si vous pouvez leur écraser un corps, faites-le. Voici du reste mes projets pour aujourd’hui : je ne puis marcher, j’ai trop de choses en arrière; je pousserai mon avant-garde à Auma; j’ai reconnu un bon champ de bataille en avant Schleiz pour 80 ou 100,000 hommes. Je fais marcher le maréchal Ney à Tanna; il se trouvera à deux lieues de Schleiz; vous-même, de Plauen, n’êtes pas assez loin pour ne pas pouvoir dans vingt-quatre heures y venir.

Le 5, l’armée prussienne a encore fait un mouvement sur la Thuringe, de sorte que je la crois arriérée d’un grand nombre de jours. Ma jonction avec ma gauche n’est pas encore faite, ou du moins des postes de cavalerie qui ne signifient rien.

Le maréchal Lannes n’arrivera qu’aujourd’hui à Saalfeld, à moins que l’ennemi n’y soit en force considérable. Ainsi les journées du 10 et du 11 seront perdues. Si ma jonction est faite, je pousserai en avant jusqu’à Neustadt et Triptis ; après cela, quelque chose que fasse l’ennemi, s’il m’attaque, je serai enchanté; s’il se laisse attaquer, je ne le manquerai pas; s’il file par Magdeburg, vous serez avant lui à Dresde. Je désire beaucoup une bataille. S’il a voulu m’attaquer, c’est qu’il a une grande confiance dans ses forces; il n’y a point d’impossibilité alors qu’il ne m’attaque; c’est ce qu’il eut me faire de plus agréable. Après cette bataille, je serai à Dresde ou à Berlin avant lui.

J’attends avec impatience ma Garde à cheval; elle est aujourd’hui à Bamberg; quarante pièces d’artillerie et 3,000 hommes de cavalerie comme ceux-là ne sont pas à dédaigner. Vous voyez actuellement mes projets pour aujourd’hui et demain; vous êtes maître de vous conduire comme vous l’entendrez; mais procurez-vous du pain, afin que, si vous venez me joindre, vous en ayez pour quelques jours.

Si vous trouvez à faire quelque chose contre l’ennemi, à une marche de vous, vous pouvez le faire hardiment. Établissez de petits postes de cavalerie pour correspondre rapidement de Schleiz à Plauen.

Jusqu’à cette heure, il me semble que la campagne commence sous les plus heureux auspices.

J’imagine que vous êtes à Plauen; il est très-convenable que vous vous en empariez. Faites-moi donc connaître ce que vous avez devant vous. Rien de ce qui était à Hof ne s’est retiré sur Dresde.

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Je reçois à l’instant votre dépêche du 9, à six heures du soir; j’approuve les dispositions que vous avez faites. Les renseignements que vous me donnez, que 1,000 hommes de Plauen se sont retirés sur Gera, ne me laissent plus aucun doute que Gera ne soit le point de réunion de l’armée ennemie. Je doute qu’elle puisse s’y réunir avant que j’y sois. Au reste, dans la journée, je recevrai des renseignements et j’aurai des idées plus précises; vous-même à Plauen vous en aurez beaucoup. Les lettres interceptées à la poste vous en donneront. Dans cette incertitude ne fatiguez pas vos troupes.

 

Quartier impérial d’Ebersdorf, 10 octobre 1806

AUX PEUPLES DE LA SAXE

Saxons, les Prussiens ont envahi votre territoire. J’y entre pour vous délivrer. Ils ont dissous violemment le lien qui unissait vos troupes, et ils les ont réunies à leur armée. Vous devez répandre votre sang non-seulement pour des intérêts étrangers, mais même pour des intérêts qui vous sont contraires.

Mes armées étaient sur le point de quitter l’Allemagne lorsque votre territoire fut violé; elles retourneront en France lorsque la Prusse aura reconnu votre indépendance et renoncé au plan qu’elle a formé contre vous.

Saxons, votre prince avait refusé jusqu’à ce moment de former des engagements aussi opposés à ses devoirs; s’il y a consenti depuis, c’est qu’il y a été forcé par l’invasion des Prussiens.

Je fus sourd à la vaine provocation que la Prusse dirigea contre mon peuple; j’y fus sourd aussi longtemps qu’elle n’arma que dans ses Etats, et ce n’est qu’après qu’elle eut violé votre territoire que mon ministre quitta Berlin.

Saxons, votre sort est maintenant dans vos mains. Voulez-vous rester incertains entre ceux qui vous mettent sous le joug et ceux qui veulent vous protéger  ? Mes succès assureront l’existence et l’indépendance de votre prince, de votre nation. Les succès des Prussiens vous imposeraient d’éternelles chaînes. Demain ils demanderaient la Lusace , et après-demain la rive de l’Elbe. Mais que dis-je ? n’ont- pas tout demandé ? n’ont-ils pas tenté depuis longtemps de forcer votre souverain à reconnaître une souveraineté qui, vous étant imposée immédiatement, vous effacerait du rang des nations ?

Votre indépendance, votre constitution, votre liberté n’existerai plus alors qu’en souvenir, et les mânes de vos ancêtres, des braves Saxons, s’indigneraient de vous voir réduits sans résistance, par vos rivaux, à un esclavage préparé depuis si longtemps, et votre pays serait rabaissé jusqu’à devenir une province prussienne.

 

Schleiz, 10 octobre 1806, 5 heures et demie du soir

Au grand-duc de Berg

Comme j’ai cessé d’entendre la canonnade ce soir, je suis porté penser que l’ennemi ne s’est pas longtemps défendu à Saalfeld. Le maréchal Soult se rend à Weida. Il est possible que sa tête soit demain à Weinshach. Je lui ai donné l’ordre d’envoyer des partis sur Auma pour correspondre avec vous. Envoyez-en à sa rencontre.

Le maréchal Ney sera probablement demain à Schleiz.

J’imagine que le général Dupont sera arrivé à Poesneck.

 

Schleiz, 10 octobre 1806, 6 heures du soir

Au maréchal Soult

Mon Cousin, je crois que le maréchal Lannes a attaqué aujourd’hui Saalfeld. La canonnade a été vive, mais n’a duré que deux heures; j’en ignore le résultat. J’ai fait couper le chemin de Saalfeld à Gera par des positions aux deux chemins de Poesneck et de Neustadt. Je vous ai envoyé l’ordre de vous porter sur Gera. Je serai bien aise de savoir quand votre tête se trouvera à Langen-Weitzendorf.

A Gera, les affaires s’éclairciront. Je crois être encore en mesure d’être à Dresde avant eux; mais une fois que je serai tranquille sur ma gauche, tout prendra une vive tournure. Le maréchal Bernadotte est à Auma, le prince Murat au delà; le maréchal Davout est en avant de Schleiz. J’espère que les maréchaux Lannes et Augereau sont à Saalfeld. Faites savoir de vos nouvelles à Auma. Arrivé à Langen-Weitzendorf, faites-moi connaître si j’aurai là une route qui mène à Zwickau.

 

Auma, 12 octobre 1806, 4 heures du matin

Au maréchal Berthier

Donnez ordre au maréchal Davout de partir de sa position pour se diriger sur Naumburg, où il arrivera le plus vite qu’il pourra, en tenant cependant toujours ses troupes en situation de combattre. Il se fera précéder par toute sa cavalerie légère, qui enverra des coureurs aussi loin que possible, tant pour avoir des nouvelles de l’ennemi que pour faire des prisonniers, arrêter les bagages et avoir des renseignements précis.

La division de dragons du général Saline sera sous ses ordres. Elle se rendra à Mittel, où elle prendra les ordres du maréchal Davout. Le prince Murat et le maréchal Bernadotte ont ordre également de se rendre à Naumburg, mais de suivre la route de Zeitz.

Le maréchal Lannes, de Neustadt, se rend sur Iena. Le maréchal Augereau se rend sur Kahla. Le maréchal Ney sera à Mittel. Le quartier général sera à Gera à midi.

Donnez ordre qu’on fasse filer les divisions de grosse cavalerie et les divisions de dragons qui seraient restées en arrière, ainsi que le parc, sur Gera.

 

Quartier impérial, Auma, 12 octobre 1806, 4 heures du matin

Au maréchal Lannes

Mon Cousin, j’ai reçu avec grand plaisir la nouvelle de votre affaire du 10 du courant. J’avais entendu la canonnade et j’avais envoyé une division pour vous soutenir. La mort du prince Louis de Prusse semble être une punition du ciel, car c’est le véritable auteur de la guerre. Réitérez les ordres que vous avez déjà donnés pour que les canons pris sur les ennemis soient évacués sur Kronach et ne soient pas volés par les paysans, comme il arrive souvent. J’étais hier au soir à Gera. Nous avons mis en déroute l’escorte des bagages  de l’ennemi et pris cinq cents voitures; le cavalerie est chargée d’or. Vous recevrez l’ordre du mouvement de la part du major général. Toutes les lettres interceptées font voir que l’ennemi a perdu la tête. Ils tiennent conseil jour et nuit, et ne savent quel parti prendre. Vous verrez que mon armée est réunie, que je leur barre le chemin de Dresde et de Berlin. L’art est aujourd’hui d’attaquer tout ce qu’on rencontre, afin de battre l’ennemi en détail et pendant qu’il se réuni. Quand je dis qu’il faut attaquer tout ce qu’on rencontre, je veux dire qu’il faut attaquer tout ce qui est en marche et non dans une position qui le rend trop supérieur. Les Prussiens avaient déjà lancé une colonne sur Francfort, qu’ils ont bientôt repliée. Jusqu’à ce heure, ils montrent bien leur ignorance de l’art de la guerre. Ne manquez pas d’envoyer beaucoup de coureurs devant vous pour intercepter les malles, les voyageurs, et recueillir le plus de renseignements possible. Si l’ennemi fait un mouvement d’Erfurt sur Saalfeld, ce qui serait absurde, mais dans sa position il faut s’attendre à toute sorte d’événements, vous vous réunirez au maréchal Augereau et vous tomberez sur le flanc des Prussiens.

 

 

Auma, 12 octobre 1806, 4 heures du matin

Au grand-duc de Berg

Je serai aujourd’hui, avant midi, à Gera. Vous verrez, par la situation de l’armée, que j’enveloppe tout à fait l’ennemi. Mais il me faut des renseignements sur ce qu’il veut faire. J’espère que vous en trouverez dans la poste de Zeitz. Vous avez vu ce que j’ai fait à Gera; faites de même; attaquez hardiment ce qui est en marche. Ce sont des colonnes qui cherchent à se rendre à un point de réunion, et la rapidité de mes mouvements les empêche de recevoir à temps un contre-ordre. Deux ou trois avantages de cette espèce  écraseront l’armée prussienne, sans qu’il soit peut-être besoin d’affaire générale. Le maréchal Davout envoie directement à Naumburg toute sa cavalerie; il mène avec son corps d’armée la division Sahuc. Inondez avec la vôtre toute la plaine de Leipzig.

 

Auma, 12 octobre 1806, 4 heures du matin

Au maréchal Soult

Réunissez-vous à Gera et à Ronneburg. Il est possible que vous ne fassiez pas aujourd’hui d’autre mouvement. Je serai d’ailleurs à midi à Gera, où est le quartier général.

 

Auma, 12 octobre 1806, 1 heures du matin

A M. de Talleyrand

Je vous adresse les bulletins. Vous ne les ferez pas imprimer, parce que je ne désire pas qu’ils arrivent sitôt. Vous les enverrez à M. Cambacérès, pour qu’il les fasse mettre dans le Moniteur, et vous en expédierez une copie au prince Eugène. Vous en ferez faire une copie pour le roi de Hollande, mais en lui faisant connaître que je ne veux pas qu’il les imprime; les ennemis les recevraient cinq ou six jours trop tôt.

 

Auma, 12 octobre 1806, 8 heures et demie du matin

Au maréchal Davout

Mon Cousin, je monte à cheval pour me rendre à Gera. Instruisez-moi de la route que vous prenez pour vous rendre à Naumburg. Il serait possible que l’ennemi exécutât son mouvement de retraite derrière l’Ilm et la Saale; car il me paraît qu’il évacue Iena; il vous sera facile de vous en assurer une fois arrivé à Naumburg. Faites battre la plaine par toute votre cavalerie légère, et envoyez, aussi rapidement que vous pourrez, des nouvelles au prince Murat, qui sera du côté de Zeitz, et à moi, qui serai du côté de Gera. Le maréchal Ney sera à Gera de bonne heure. Vous pourrez lui faire part de ce qui viendra à votre connaissance.