Correspondance de Napoléon – Mars 1815
Mars 1815
Golfe Juan, 1er mars 1815.
AU PEUPLE FRANÇAIS.
Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de l’État, Empereur des Français, etc.
Français, la défection du duc de Castiglione livra Lyon sans défense à nos ennemis. L’armée dont je lui avais confié le commandement était, par le nombre de ses bataillons, la bravoure et le patriotisme des troupes qui la composaient, à même de battre le corps d’armée autrichien qui lui était opposé, et d’arriver sur les derrières de l’aile gauche de l’armée ennemie qui menaçait Paris.
Les victoires de Champaubert, de Montrai rail, de Château-Thierry, de Vauchamps, de Mormans, de Montereau, de Craonne, de Reims, d’Arcis-sur-Aube et de Saint-Dizier, l’insurrection des braves paysans de la Lorraine, de la Champagne, de l’Alsace, de la Franche-Comté et de la Bourgogne, et la position que j’avais prise sur les derrières de l’armée ennemie en la séparant de ses magasins, de ses parcs de réserve, de ses convois et de tous ses équipages, l’avaient placée dans une situation désespérée. Les Français ne furent jamais sur le point d’être plus puissants, et l’élite de l’armée ennemie était perdue sans ressource, elle eût trouvé son tombeau dans ces vastes contrées qu’elle avait si impitoyablement saccagées, lorsque la trahison du duc de Raguse livra la capitale et désorganisa l’armée.
La conduite inattendue de ces deux généraux, qui trahirent à la fois leur patrie, leur prince et leur bienfaiteur, changea le destin de la guerre. La situation désastreuse de l’ennemi était telle, qu’à la (in de l’affaire qui eut lieu devant Paris il était sans munitions par la séparation de ses parcs de réserve.
Dans ces nouvelles et grandes circonstances, mon cœur fut déchiré ; mais mon âme resta inébranlable. Je ne consultai que l’intérêt de la patrie; je m’exilai sur un rocher au milieu des mers : ma vie vous était et devait encore vous être utile. Je ne permis pas que le grand nombre de citoyens qui voulaient m’accompagner partageassent mon sort ; je crus leur présence utile à la France, et je n’emmenai avec moi qu’une poignée de braves nécessaires à ma garde.
Élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Depuis vingt-cinq ans, la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire, qui ne peuvent être garantis que par un gouvernement national et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances. Un prince qui régnerait sur vous, qui serait assis sur mon trône par la force des mêmes armées qui ont ravagé notre territoire, chercherait en vain à s’étayer des principes du droit féodal ; il ne pourrait assurer l’honneur et les droits que d’un petit nombre d’individus ennemis du peuple, qui, depuis vingt-cinq ans, les a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. Votre tranquillité intérieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.
Français, dans mon exil j’ai entendu vos plaintes et vos vœux : vous réclamiez ce gouvernement de votre choix, qui seul est légitime; vous accusiez mon long sommeil, vous ma reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie.
J’ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce ; j’arrive parmi vous reprendre mes droits, qui sont les vôtres.
Tout ce que des individus ont fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je l’ignorerai toujours ; cela n’influera en rien sur le souvenir que je conserve des services importants qu’ils ont .rendus, car il est des événements d’une telle nature, qu’ils sont au-dessus de l’organisation humaine.
Français, il n’est aucune nation, quelque petite qu’elle soit, qui n’ait eu le droit de se soustraire et ne se soit soustraite au déshonneur d’obéir à un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux. Lorsque Charles VII rentra à Paris et renversa le trône éphémère de Henri VI, il reconnut tenir son trône de la vaillance de ses braves et non d’un prince régent d’Angleterre. C’est aussi à vous seuls et aux braves de l’armée que je fais et ferai toujours gloire de tout devoir.
Napoléon.
Golfe Juan, 1er mars 1815.
À L’ARMÉE.
Soldats, nous n’avons pas été vaincus. Deux hommes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, leur prince, leur bienfaiteur.
Ceux que nous avons vus pendant vingt-cinq ans parcourir toute l’Europe pour nous susciter des ennemis, qui ont passé leur vie à combattre contre nous dans les rangs des armées étrangères, en maudissant notre belle France, prétendraient-ifs commander et enchaîner nos aigles, eux qui n’ont jamais pu en soutenir les regards ? Souffrirons-nous qu’ils héritent du fruit de nos glorieux travaux ; qu’ils s’emparent de nos honneurs, de nos biens ; qu’ils calomnient notre gloire? Si leur règne durait, tout serait perdu, même le souvenir de ces immortelles journées. Avec quel acharnement ils les dénaturent! Us cherchent à empoisonner ce que te monde admire; et, s’il reste encore des défenseurs de notre gloire, c’est parmi ces mêmes ennemis que nous avons combattus sur le champ de bataille.
Soldats, dans mon exil j’ai entendu votre voix. Je suis arrivé à travers tous les obstacles et tous les périls.
Votre général, appelé au trône par le choix du peuple et élevé sur vos pavois, vous est rendu ; venez le joindre.
Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et qui, pendant vingt-cinq ans, servirent de ralliement à tous les ennemis de la France! Arborez cette cocarde tricolore; vous la portiez dans nos grandes journées !
Nous devons oublier que nous avons été les maîtres des nations ; mais nous ne devons pas souffrir qu’aucune se mêle de nos affaires. Qui prétendrait être maître chez nous, qui en aurait le pouvoir?
Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, à Friedland, à Tudela, à Eckmühl, à Essling, à Wagram, à Smolensk, à la Moskova, à Lützen, à Wurschen, à Montmirail ! Pensez-vous que cette poignée de Français aujourd’hui si arrogants puissent en soutenir la vue ? Ils retourneront d’où ils viennent; et là, s’ils le veulent, ils régneront comme ils prétendent avoir régné pendant dix-neuf ans.
Vos rangs, vos biens, votre gloire, les biens, les rangs et la gloire de vos enfants, n’ont pas de plus grands ennemis que ces princes que les étrangers nous ont imposés : ils sont les ennemis de notre gloire, puisque le récit de tant d’actions héroïques qui ont illustré le peuple français combattant contre eux pour se soustraire à leur joug est leur condamnation.
Les vétérans des armées de Sambre-et-Meuse, du Rhin, d’Italie, d’Égypte, de l’Ouest, de la Grande Armée, sont tous humiliés; leurs honorables cicatrices sont flétries. Leurs succès seraient des crimes; ces braves gens seraient des rebelles, si, comme le prétendent les ennemis du peuple, les souverains légitimes étaient au milieu des armées étrangères. Les honneurs, les récompenses, leur affection, sont pour ceux qui les ont servis contre la patrie et contre nous.
Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. Son existence ne se compose que de la vôtre ; ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres ; son intérêt, son honneur et sa gloire ne sont autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge. L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. Alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices. Alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait ; vous serez les libérateurs de la patrie ! Dans votre vieillesse, entourés et considérés de vos concitoyens, ils vous entendront avec respect raconter vos hauts faits; vous pourrez dire avec orgueil : « Et moi aussi je faisais partie de cette Grande Armée qui est entrée deux fois dans les murs de Vienne, dans ceux de Rome, de Berlin, de Madrid, de Moscou, et qui a délivré Paris de la souillure que la trahison et la présence de l’ennemi y ont empreinte !
Honneur à ces braves soldats, la gloire de la patrie ! Et honte éternelle aux Français criminels, dans quelque rang que la fortune les ait fait naitre, qui combattirent vingt-cinq ans avec l’étranger pour déchirer le sein de la patrie !
Napoléon.
D’après le placard primitif.
Golfe Juan, 1er mars 1815.
LA GARDE IMPÉRIALE
AUX GÉNÉRAUX, OFFICIERS ET SOLDATS DE L’ARMÉE.
Soldats, Camarades, nous vous avons conservé votre Empereur, malgré les nombreuses embûches qu’on lui a tendues ; nous vous le ramenons à travers les mers, au milieu de mille dangers. Nous avons abordé sur la terre sacrée de la patrie avec la cocarde nationale et l’aigle impériale. Foulez aux pieds la cocarde blanche, elle est le signe de la honte et du joug imposé par l’étranger et la trahison ; nous aurions inutilement versé notre sang, si nous souffrions que les vaincus nous donnassent la loi !
Depuis le peu de mois que les Bourbons règnent, ils vous ont convaincus qu’ils n’ont rien oublié ni rien appris. Ils sont toujours gouvernés par des préjugés ennemis de nos droits et de ceux du peuple. Ceux qui ont porté les armes contre leur pays, contre nous, sont des héros ! Vous, vous êtes des rebelles, à qui l’on veut bien pardonner jusqu’à ce que l’on soit assez consolidé par la formation d’un corps d’armée d’émigrés, par l’introduction à Paris d’une garde suisse et par le remplacement successif de nouveaux officiers dans vos rangs ! Alors il faudra avoir porté les armes contre sa patrie pour pouvoir prétendre aux honneurs et aux récompenses ; il faudra avoir une naissance conforme à leurs préjugés pour être officier; le soldat devra toujours rester soldat; le peuple aura les charges, et eux les honneurs.
Un Vioménil insulte au vainqueur de Zurich en le naturalisant français, lui qui avait besoin de trouver, dans la clémence de la loi, pardon et amnistie. Un Bruslart, chouan, sicaire de Georges, commande nos légions.
En attendant le moment où ils oseraient détruire la Légion d’honneur, ils l’ont donnée à tous les traîtres et l’ont prodiguée pour l’avilir. Ils lui ont ôté toutes les prérogatives politiques que nous avions gagnées au prix de notre sang.
Les 400 millions du domaine extraordinaire sur lesquels étaient assignées nos dotations, qui étaient le patrimoine de l’armée et le prix de nos succès, ils les ont fait porter en Angleterre.
Soldats de la grande nation, soldats du grand Napoléon, continuerez-vous à l’être d’un prince qui vingt ans fut l’ennemi de la France, et qui se vante de devoir son trône à un prince régent d’Angleterre?
Tout ce qui a été fait sans le consentement du peuple et le nôtre, et sans nous avoir consultés, est illégitime.
Soldats, la générale bat ; nous marchons ! Courez aux armes, venez nous joindre, joindre votre Empereur et nos aigles tricolores. Et si ces hommes, aujourd’hui si arrogants et qui ont toujours fui à l’aspect de nos armes, osent nous attendre, quelle plus belle occasion de verser notre sang et de chanter l’hymne de la victoire !
Soldats des 7e, 8e et 19e divisions militaires, garnisons d’Antibes, de Toulon, de Marseille, officiers en retraite, vétérans de nos armées, vous êtes appelés à l’honneur de donner le premier exemple. Venez avec nous conquérir ce trône palladium de nos droits, et que la postérité dise un jour : Les étrangers, secondés par des traîtres, avaient imposé un joug honteux à la France; les braves se sont levés, et les ennemis du peuple, de l’armée, ont disparu et sont rentrés dans le néant.
Ont signé à l’original :
Le général de brigade barra Cambronne, major du 1er régiment des chasseurs de la Garde; le lieutenant-colonel, chevalier Mallet; artillerie de la Garde, Cornuel, Raoul , capitaines ; Lanoue , Demons , lieutenants ; infanterie de la Garde, Loubers, Lamourette, Mompez, Combes, capitaines; Dequeux, Thibault, Chaumet, Mallet, lieutenants; chevau-légers de la Garde, le baron Jermanowski, major; Balinski, Schultz, capitaines.
Suivent les autres signatures des officiers, sous-officiers et soldats de la Garde.
A signé enfin le général de division, aide de camp de S. M. l’Empereur, aide-major général de la Garde, comte Drouot.
Gap, 6 mars 1815.
AUX HABITANTS DES HAUTES ET BASSES-ALPES.
Citoyens, j’ai été vivement touché de tous les sentiments que vous m’avez montrés. Vos vœux seront exaucés; la cause de la nation triomphera encore ! Vous avez raison de m’appeler votre Père; je ne vis que pour l’honneur et le bonheur de la France. Mon retour dissipe toutes vos inquiétudes ; il garantit la conservation de toutes les propriétés. L’égalité entre toutes les classes, et les droits dont vous jouissez depuis vingt-cinq ans, et après lesquels nos pères ont tant soupiré, forment aujourd’hui une partie de votre existence.
Dans toutes les circonstances où je pourrai me trouver, je me rappellerai toujours avec un vif intérêt tout ce que j’ai vu en traversant votre pays.
Napoléon.
Grenoble, 9 mars 1815.
AUX HABITANTS DU DÉPARTEMENT DE L’ISÈRE.
Citoyens, lorsque, dans mon exil, j’appris tous les malheurs qui pesaient sur la nation, que tous les droits du peuple étaient méconnus, et qu’on me reprochait le repos dans lequel je vivais, je ne perdis pas un moment : je m’embarquai sur un frêle navire, je traversai les mers au milieu des vaisseaux de guerre des différentes nations, je débarquai sur le sol de la patrie, et je n’eus en vue que d’arriver avec la rapidité de l’aigle dans cette bonne ville de Grenoble , dont le patriotisme et l’attachement à ma personne m’étaient particulièrement connus.
Dauphinois, vous avez rempli mon attente.
J’ai supporté, non sans déchirement de cœur, mais sans abattement, les malheurs auxquels j’ai été en proie il y a un an. Le spectacle que m’a offert le peuple sur mon passage m’a vivement ému. Si quelques nuages avaient pu altérer la grande opinion que j’avais du peuple français, ce que j’ai va m’a convaincu qu’il était toujours digne de ce nom de grand peuple dont je le saluai il y a plus de vingt ans.
Dauphinois, sot le point de quitter vos contrées pour me rendre dans ma bonne ville de Lyon, j’ai senti le besoin de vous exprimer toute l’estime que m’ont inspirée vos sentiments élevés. Mon cœur est tout plein «tes émotions que vous y avez fait naître; j’en conserverai toujours le souvenir.
Napoléon.
Lyon, 13 mars 1815.
DÉCRET.
Napoléon, etc.
Considérant que la chambre des Pairs est composée en partie des personnes qui ont porté les armes contre la France et qui ont intérêt au rétablissement des droits féodaux, à la destruction de l’égalité entre les différentes classes, à l’annulation des ventes des domaines nationaux, enfin à priver le peuple des droits qu’il a acquis par vingt-cinq ans de combats contre les ennemis de la gloire nationale;
Considérant que les pouvoirs des Députés au Corps législatif étaient expirés, et que dès lors la chambre des Communes n’a plus aucun caractère national ;
Qu’une partie de cette chambre s’est rendue indigne de la confiance de la nation en adhérant au rétablissement de la noblesse féodale abolie par les constitutions acceptées par le peuple, en faisant payer par la France des dettes contractées à l’étranger pour tramer des coalitions et soudoyer des armées contre le peuple français, en donnant aux Bourbons le titre de rois légitimes ; ce qui était déclarer rebelles le peuple français et les armées, proclamer seuls bons Français les émigrés qui ont déchiré pendant vingt-cinq ans le sein de la patrie, et violer tous les droits du peuple en consacrant le principe que la nation était faite pour le trône et non le trône pour la nation ;
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article premier. La chambre des Pairs est dissoute.
Art. 2. La chambre des Communes est dissoute.
Il est ordonné à chacun des membres convoqués et arrivés à Paris depuis le 7 mars dernier de retourner sans délai dans leur domicile.
Art. 3. Les collèges électoraux des départements de l’Empire seront réunis à Paris dans le courant du mois de mai prochain en Assemblée extraordinaire du Champ de Mai, afin de prendre les mesures convenables pour corriger et modifier nos constitutions, selon l’intérêt et la volonté de la nation ; et en même temps pour assister au couronnement de l’Impératrice, notre chère et bien-aimée épouse, et à celui de notre cher et bien-aimé fils.
Art. 4. Le grand maréchal, faisant fonctions de major général de la Grande Armée, est chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent décret.
Napoléon.
Lyon, 13 mars 1815.
AUX LYONNAIS.
Lyonnais, au moment de quitter votre ville pour me rendre dans ma capitale, j’éprouve le besoin de vous faire connaître les sentiments que vous m’avez inspirés. Vous avez toujours été au premier rang dans mon affection. Sur le trône ou dans l’exil, vous m’avez toujours montré les mêmes sentiments. Ce caractère élevé, qui vous distingue spécialement, vous a mérité toute mon estime. Dans des moments plus tranquilles, je reviendrai pour m’occuper de vos besoins et de la prospérité de vos manufactures et de votre ville. Lyonnais, je vous aime.
Napoléon.
Lyon, 13 mars 1815.
RÉPONSE DE L’EMPEREUR A UNE DÉPUTATION DE LYONNAIS.
Admis devant l’Empereur, l’un de nous a dit : « Sire, d’un mouvement spontané les Lyonnais viennent offrir aux braves qui composent votre Garde ce guidon d’honneur et de la victoire. Daignez l’agréer comme un tribut de notre admiration et de notre reconnaissance. »
Sa Majesté a répondu :
« Je le reçois avec plaisir, au nom de la Garde. Nous allons à Paris; ce sera celui que nous porterons, et nous nous rappellerons toujours que nous le tenons de nos bons habitants de Lyon, la seconde ville de l’Empire. »
L’un de nous, prenant la parole, a dit : « Sire, il sera bien glorieux pour nous de songer que cette aigle sera toujours auprès de votre personne. »
L’Empereur a repris aussitôt : « Elle sera toujours dans ma Garde. »
Lyon, le .. mars 18152.
Au maréchal Ney, prince de la Moskova, à Lons-le-Saulnier.
Mon Cousin, mon major général vous expédie l’ordre de marche. Je ne doute pas qu’au moment où vous aurez appris mon arrivée à Lyon vous n’ayez fait reprendre à vos troupes le drapeau tricolore. Exécutez les ordres de Bertrand et venez me joindre à Chalon. Je vous recevrai comme le lendemain de la bataille de la Moskova.
RELATION DE LA MARCHE DE NAPOLÉON DE L’ILE D’ELBE A PARIS.
(Cette relation officielle du retour de l’Ile d’Elbe ne saurait être attribuée qu’à l’Empereur; c’est pour cette raison qu’on a cru devoir la reproduire ici; on y trouve d’ailleurs rapportées plusieurs de ses allocutions).
L’Empereur, instruit que le peuple en France avait perdu tous ses droits acquis par vingt-cinq années de combats et de victoires, et que l’armée était attaquée dans sa gloire, résolut de faire changer cet état de choses, de rétablir le trône impérial, qui seul pouvait garantir les droits de la nation, et de faire disparaître ce trône royal que le peuple avait proscrit comme ne garantissant que les intérêts d’un petit nombre d’individus.
Le 26 février, à cinq heures du soir, il s’embarqua sur un brick portant vingt-six canons, avec 400 hommes de sa Garde. Trois autres bâtiments qui se trouvaient dans le port, et qui furent saisis, reçurent 200 hommes d’infanterie, 100 chevau-légers polonais et le bataillon des flanqueurs, de 200 hommes.
Le vent était du sud et paraissait favorable. Le capitaine Chautard avait espoir qu’avant la pointe du jour l’île de Capraja serait doublée, et qu’on serait hors des croisières française et anglaise qui observaient de ce côté. Cet espoir fut déçu : on avait à peine doublé le cap Saint-André de l’île d’Elbe, que le vent mollit, la mer devint calme; à la pointe du jour, on n’avait fait que six lieues, et l’on était encore entre l’île de Capraja et l’île d’Elbe, en vue des croisières.
Le péril paraissait imminent. Plusieurs marins étaient d’opinion de retourner à Porto-Ferrajo. L’Empereur ordonna qu’on continuât la navigation, ayant pour ressource, en dernier événement, de s’emparer de la croisière française. Elle se composait de deux frégates et d’un brick; mais tout ce qu’on savait de l’attachement de l’équipage à la gloire nationale ne permettait pas de douter qu’ils arboreraient le pavillon tricolore et se rangeraient de notre côté.
Vers midi, le vent fraîchit un peu. À quatre heures après midi, on se trouva à la hauteur de Livourne. Une frégate paraissait à cinq lieues sous le vent; une autre était sur les côtes de Corse; et, de loin, un bâtiment de guerre venait droit, vent arrière, à la rencontre du brick. À six heures du soir, le brick que montait l’Empereur se croisa avec un brick qu’on reconnut être le Zéphyre, monté par le capitaine Andrieux, officier distingué autant par ses talents que par son véritable patriotisme. On proposa d’abord de parler au brick et de lui faire arborer le pavillon tricolore. Cependant l’Empereur donna ordre aux soldats de la Garde d’ôter leurs bonnets et de se cacher sous le pont, préférant passer à côté du brick sans se laisser reconnaître, et se réservant le parti de le faire changer de pavillon si l’on était obligé d’y recourir. Les deux bricks passèrent bord à bord. Le lieutenant de vaisseau Taillade, officier de la marine française, était très-connu du capitaine Andrieux; et, dès qu’on fut à portée, on parlementa. On demanda au capitaine Andrieux s’il avait des commissions pour Gènes; on se fit quelques honnêtetés, et les deux bricks allant en sens contraire furent bientôt hors de vue, sans que le capitaine Andrieux se doutât de ce que portait ce frêle bâtiment !
Dans la nuit du 27 au 28, le vent continua de fraîchir. À la pointe du jour, on reconnut un bâtiment de 74, qui avait l’air de se diriger ou sur Saint-Florent ou sur la Sardaigne. On ne tarda pas à s’apercevoir que ce bâtiment ne s’occupait pas du brick.
Le 28, à sept heures du matin, on découvrit les côtes de Noli ; à midi, Antibes. À trois heures, le 1er mars, on entra dans le golfe Juan.
L’Empereur ordonna qu’un capitaine de la Garde, avec vingt-cinq hommes, débarquât avant la garnison du brick pour s’assurer de la batterie de côte, s’il en existait une. Ce capitaine conçut, de son chef, l’idée de faire changer la cocarde du bataillon qui était dans Antibes. Il se jeta imprudemment dans la place. L’officier qui y commandait pour le roi fit lever les ponts-levis et fermer les pertes ; sa troupe prit les armes, mais elle eut respect pour ces vieux soldats et pour leur cocarde qu’elle chérissait. Cependant l’opération du capitaine échoua, et ses hommes restèrent prisonniers dans Antibes.
À cinq heures après midi, le débarquement au golfe Juan était achevé; on établit un bivouac au bord de la mer jusqu’au lever de la lune.
À onze heures du soir, l’Empereur se mit à la tête de cette poignée de braves au sort de laquelle étaient attachées de si grandes destinées. Il se rendit à Cannes, de là à Grasse, et, par Saint-Vallier, il arriva, dans la soirée du 2, au village de Séranon, ayant fait vingt lieues dans cette première journée. Le peuple de Cannes reçut l’Empereur avec des sentiments qui furent le premier présage du succès de l’entreprise.
Le 3, l’Empereur coucha à Barrême; le 4, il dîna à Digne. De Castellane à Digne, et dans tout le département des Basses-Alpes, les paysans, instruits de la marche de l’Empereur, accouraient de tons côtés sur la route et manifestaient leurs sentiments avec one énergie qui ne laissait plus de doutes.
Le 5, le général Cambronne, avec une avant-garde de 40 grenadiers, s’empara du pont et de la forteresse de Sisteron.
Le même jour, l’Empereur coucha à Gap avec 10 hommes à cheval et 40 grenadiers.
L’enthousiasme qu’inspirait la présence de l’Empereur aux habitants des Basses-Alpes, la haine qu’ils portaient à la noblesse, faisaient assez comprendre quel était le vœu général de la province du Dauphiné.
À deux heures après midi, le 6, l’Empereur partit de Gap, et la population de la ville tout entière était sur son passage.
À Saint-Bonnef, les habitants, voyant le petit nombre de sa troupe, eurent des craintes, et proposèrent à l’Empereur de sonner le tocsin pour réunir les villages et l’accompagner en masse.
« Non, dit l’Empereur, vos sentiments me font connaître que je ne me suis pas trompé ; ils sont pour moi un sûr garant des sentiments de mes soldats. Ceux que je rencontrerai se rangeront de mon côté; plus ils seront, plus mon succès sera assuré. Restez donc tranquilles chez vous. »
On avait imprimé à Gap plusieurs milliers des proclamations adressées par l’Empereur à l’armée et au peuple, et de celle des soldats de la Garde à leurs camarades. Ces proclamations se répandirent avec la rapidité de l’éclair dans tout le Dauphiné.
Le même jour, l’Empereur vint coucher à Corps. Les 40 hommes d’avant-garde du général Cambronne allèrent coucher jusqu’à la Mure. Ils se rencontrèrent avec l’avant-garde d’une division de 6,000 hommes de troupes de ligne qui venait de Grenoble pour arrêter leur marche. Le général Cambronne voulut parlementer avec les avant-postes. On lui répondit qu’il y avait défense de communiquer. Cependant cette avant-garde de la division de Grenoble recula de trois lieues et vint prendre position entre les lacs, au village de Laffrey.
L’Empereur, instruit de cette circonstance, se porta sur les lieux. Il trouva sur la ligne opposée un bataillon du 5e de ligne, une compagnie de sapeurs, une compagnie de mineurs, en tout, 7 ou 800 hommes. Il envoya son-officier d’ordonnance, le chef d’escadron Roui, pour faire connaître à ces troupes la nouvelle de son arrivée; mais cet officier ne pouvait se faire entendre : on lui opposait toujours la défense qui avait été faite de communiquer. L’Empereur mit pied à terre et alla droit au bataillon, suivi de la Garde portant l’arme sous le bras. Il se fit reconnaître et dit que le premier soldat qui voudrait tuer son Empereur le pouvait. Le cri unanime de Vive l’Empereur ! fut leur réponse. Ce brave régiment avait été sous les ordres de l’Empereur dès ses premières campagnes d’Italie. La Garde et les soldats s’embrassèrent. Les soldats du 5e arrachèrent sur-le-champ leurs cocardes et prirent, avec enthousiasme et la larme à l’œil, la cocarde tricolore. Lorsqu’ils furent rangés en bataille, l’Empereur leur dit :
« Je viens avec une poignée de braves, parce que je compte sur le peuple et sur vous. Le trône des Bourbons est illégitime, puisqu’il n’a pas été élevé par la nation; il est contraire à la volonté nationale, puisqu’il est contraire aux intérêts de notre pays, et qu’il n’existe que dans l’intérêt de quelques familles. Demandez à vos pères ; interrogez tous ces habitants qui arrivent ici des environs : vous apprendrez de leur propre bouche la véritable situation des choses, lis sont menacés du retour des dîmes, des privilèges, des droits féodaux et de tous les abus dont vos succès les avaient délivrés. N’est-il pas vrai, paysans ? »
« Oui, Sire, répondent-ils tous d’un cri unanime; on voulait nous attacher à la terre. Vous venez, comme l’ange du Seigneur, pour nous sauver. »
Les braves du bataillon du 5e demandèrent à marcher des premiers sur la division qui couvrait Grenoble. On se mit en marche au milieu de la foule d’habitants, qui s’augmentait à chaque instant.
Vizille se distingua par son enthousiasme. « C’est ici qu’est née la Révolution! disaient ces braves gens. C’est nous qui, les premiers, avons osé réclamer les privilèges des hommes ! C’est encore ici que ressuscite la liberté française et que la France recouvre son honneur et son indépendance ! »
Quelque fatigué que fût l’Empereur, il voulut entrer le soir même dans Grenoble.
Entre Vizille et Grenoble, le jeune adjudant-major du 7e de ligne vint annoncer que le colonel Labédoyère, profondément navré du déshonneur qui couvrait la France et déterminé par les plus nobles sentiments, s’était détaché de la division de Grenoble et venait avec le régiment, au pas accéléré, à la rencontre de l’Empereur. Une demi-heure après, ce brave régiment vint doubler la force des troupes impériales ; à neuf heures du soir, l’Empereur fit son entrée dans le faubourg de Saint-Joseph. On avait fait rentrer les troupes dans Grenoble, et les portes de la ville étaient fermées. Les remparts qui devaient défendre cette ville étaient couverts par le 3e régiment du génie, composé de 2,000 sapeurs, tous vieux soldats couverts d’honorables blessures; par le 4e d’artillerie de ligne, ce même régiment où, vingt-cinq ans auparavant, l’Empereur avait été fait capitaine; par les deux autres bataillons du 5e de ligne, par le 11e de ligne et les fidèles hussards du 4e. La garde nationale et la population entière de Grenoble étaient placées derrière la garnison, et tous faisaient retentir l’air des cris de Vive l’Empereur ! On enfonça les portes, et, à dix heures du soir, l’Empereur entra dans Grenoble au milieu d’une armée et d’un peuple animés du plus vif enthousiasme.
Le lendemain, l’Empereur fut harangué par la municipalité et par toutes les autorités départementales. Les discours des chefs militaires et ceux des magistrats étaient unanimes. Tous disaient que des princes imposés par une force étrangère n’étaient pas des princes légitimes, et qu’on n’était tenu à aucun engagement envers des princes dont la nation ne voulait pas.
À deux heures, l’Empereur passa la revue des troupes au milieu de la population de tout le département, aux cris : À bas les Bourbons ! À bas les ennemis du peuple ! Vive l’Empereur, et un gouvernement de notre choix !
La garnison de Grenoble, immédiatement après, se mit en marche forcée pour se porter sur Lyon.
Une remarque qui n’a pas échappé aux observateurs, c’est qu’en un clin d’œil ces 6,000 hommes se trouvèrent parés de la cocarde nationale, et chacun d’une cocarde vieille et usée, car, en quittant leur cocarde tricolore, ils l’avaient cachée an fond de leur sac ; pas une ne fut achetée au petit Grenoble. « C’est la même, disaient-ils, en passant devant l’Empereur; c’est la même que nous portions à Austerlitz ! Celle-ci, disaient d’autres, nous l’avions à Marengo ! »
Le 9, l’Empereur coucha à Bourgoin. La foule et l’enthousiasme allaient, s’il est possible, en augmentant. « II y a longtemps que nous vous attendions, disaient tous ces braves gens à l’Empereur. Vous voilà enfin arrivé pour délivrer la France de l’insolence de la noblesse, des prétentions des prêtres et de la honte du joug de l’étranger ! »
De Grenoble à Lyon, la marche de l’Empereur ne fut qu’un triomphe. L’Empereur, fatigué, était dans sa calèche, allant toujours au pas, environné d’une foule de paysans chantant des chansons qui exprimaient toute la noblesse des sentiments des braves Dauphinois.
« Ah ! Dit l’Empereur, je retrouve ici les sentiments qui, il y a vingt ans, me firent saluer la France du nom de grande nation ! Oui, vous êtes encore la grande nation, et vous le serez toujours ! »
Cependant le comte d’Artois, le duc d’Orléans et plusieurs maréchaux étaient arrivés à Lyon. L’argent avait été prodigué aux troupes, les promesses aux officiers. On voulait couper le pont de la Guillotière et le pont Morand. L’Empereur riait de ces ridicules préparatifs; il ne pouvait avoir de doutes sur les dispositions des Lyonnais, encore moins sur les dispositions des soldats. Cependant il avait donné ordre au général Bertrand de réunir des bateaux à Miribel, dans l’intention de passer dans la nuit et d’intercepter les routes de Moulins et de Mâcon au prince qui voulait lui interdire le passage du Rhône. À quatre heures, une reconnaissance du 4e de hussards arriva à la Guillotière et fut accueillie aux cris de Vive l’Empereur! Par cette immense population d’un faubourg qui s’est toujours distingué par son attachement à la patrie. Le passage de Miribel fut contremandé, et l’Empereur se porta au galop sur Lyon, à la tête des troupes qui devaient lui en défendre l’entrée.
Le comte d’Artois avait tout fait pour s’assurer les troupes. Il ignorait que rien n’est possible en France quand on y est l’agent de l’étranger et qu’on n’est pas du côté de l’honneur national et de la cause du peuple. Passant devant le 13e régiment de dragons, il dit à un brave que des cicatrices et trois chevrons décoraient : « Allons, camarade, crie donc Vive le Roi ! — Non, Monsieur, répond ce brave dragon, aucun soldat ne combattra contre son père ! Je ne puis vous répondre qu’en criant Vive l’Empereur ! » Le comte d’Artois monta en voiture et quitta Lyon escorté d’un seul gendarme.
À neuf heures du soir, l’Empereur traversa la Guillotière presque sans escorte, mais environné d’une immense population.
Le lendemain 11, il passa la revue de toute la division de Lyon, qui, le brave général Brayer à sa tête, se mit en marche pour avancer sur la capitale.
Les sentiments que pendant deux jours les habitants de cette grande ville et les paysans des environs témoignèrent à l’Empereur le touchèrent tellement, qu’il ne put leur exprimer ce qu’il sentait qu’en disant : Lyonnais, je vous aime ! C’est pour la seconde fois que les acclamations de cette ville avaient été le présage des nouvelles destinées réservées à la France.
Le 13, à trois heures après midi, l’Empereur arriva à Villefranche, petite ville de 4,000 âmes, qui en renfermait en ce moment plus de 60.600. Il s’arrêta à l’hôtel de ville. Un grand nombre de militaires blessés lui furent présentés.
Il entra à Mâcon à sept heures du soir, toujours environné du peuple des cantons voisins. Il témoigna son étonnement aux Maçonnais du peu d’efforts qu’ils avaient faits dans la dernière guerre pour se défendre contre l’ennemi et soutenir l’honneur des Bourguignons : « Sire, pourquoi aviez-vous nommé un mauvais maire ? »
À Tournus, l’Empereur n’eut que des éloges à donner aux habitants pour la belle conduite et le patriotisme qui, dans ces mêmes circonstances, ont distingué Tournus, Chalon et Saint-Jean-de-Losne. À Chalon, qui pendant quarante jours a résisté aux forces de l’ennemi et défendu le passage de la Saône, l’Empereur s’est fait rendre compte de tous les traits de bravoure, et, ne pouvant se rendre à Saint-Jean-de-Losne, il a du moins envoyé la décoration de la Légion d’honneur au digne maire de cette ville. À cette occasion, l’Empereur s’écria :
« C’est pour vous, braves gens, que j’ai institué la Légion d’honneur, et non pour les émigrés pensionnés de nos ennemis ! »
L’Empereur reçut à Chalon la députation de la ville de Dijon, qui venait de chasser de son sein le préfet et le mauvais maire dont la conduite, dans la dernière campagne, a déshonoré Dijon et les Dijonnais. L’Empereur destitua ce maire, en nomma un autre, et confia le commandement de la division au brave général Devaux.
Le 15, l’Empereur vint coucher à Autun, et d’Autan il alla coucher, le 16, à Avallon. Il trouva sur cette route les mêmes sentiments que dans les montagnes du Dauphiné. Il rétablit dans leurs places tous les fonctionnaires qui avaient été destitués pour avoir concouru à la défense de la patrie contre l’étranger. Les habitants de Chassey étaient spécialement l’objet des persécutions d’un freluquet, sous-préfet à Senior, pour avoir pris les armes contre les ennemis de notre pays. L’Empereur a donné ordre à un brigadier de gendarmerie d’arrêter ce sous-préfet et de le conduire dans les prisons d’Avallon.
L’Empereur déjeuna, le 17, à Vermanton, et vint à Auxerre, où le préfet Gamot était resté fidèle à son poste. Le brave 14e avait foulé aux pieds la cocarde blanche. L’Empereur apprit que le 6e de lanciers avait également arboré la cocarde tricolore et se portait sur Montereau pour garder ce pont contre un détachement de gardes du corps qui voulait le faire sauter. Les jeunes gardes du corps, n’étant pas encore accoutumés aux coups de lance, prirent la fuite à l’aspect de ce corps, et on leur fit deux prisonniers.
À Auxerre, le comte Bertrand, major général, donna ordre qu’on réunit tous les bateaux pour embarquer l’armée, qui était déjà forte de quatre divisions, et la porter le soir même à Fossard, de manière à pouvoir arriver à une heure du matin à Fontainebleau.
Avant de partir d’Auxerre, l’Empereur fut rejoint par le prince de la Moskova. Ce maréchal avait fait arborer le drapeau tricolore dans tout son gouvernement.
L’Empereur arriva à Fontainebleau le 20, à quatre heures du matin ; à sept heures, il apprit que les Bourbons étaient partis de Paris et que la capitale était libre. Il partit sur-le-champ pour s’y rendre.
Il est entré aux Tuileries à neuf heures du soir, au moment où on l’attendait le moins.
Ainsi s’est terminée, sans répandre une goutte de sang, sans trouver aucun obstacle, cette légitime entreprise qui a rétabli la nation dans ses droits, dans sa gloire, et a effacé la souillure que la trahison et la présence de l’étranger avaient répandue sur la capitale ; ainsi s’est vérifié ce passage de l’adresse de l’Empereur aux soldats, que l’aigle, avec les couleurs nationales, volerait de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame.
En dix-huit jours, le brave bataillon de la Garde avait franchi l’espace entre le golfe J uan et Paris, espace qu’en temps ordinaire on met quarante-cinq jours à parcourir.
Arrivé aux portes de Paris, l’Empereur vit venir à sa rencontre l’armée tout entière, que commandait le duc de Berri. Officiers, soldats , généraux, infanterie légère, infanterie de ligne, lanciers, dragons, cuirassiers, artillerie , tous vinrent au-devant de leur général, que le choix du peuple et le vœu de l’armée avaient élevé à l’empire, et la cocarde tricolore fut arborée par chaque soldat, qui l’avait dans son sac. Tous foulèrent aux pieds cette cocarde blanche qui a été pendant vingt-cinq ans le signe de ralliement des ennemis de la France et du peuple.
Le 21, à une heure après midi, l’Empereur a passé la revue de toutes les troupes qui composaient l’armée de Paris. La capitale entière a été témoin des sentiments d’enthousiasme et d’attachement qui animaient ces braves soldats. Tous avaient reconquis leur patrie, tous étaient sortis d’oppression, tous avaient retrouvé dans les couleurs nationales le souvenir de tous les sentiments généreux qui ont toujours distingué la nation française !
Après que l’Empereur eut passé dans les rangs, toutes les troupes furent rangées en bataillons carrés.
« Soldats, dit l’Empereur, je suis venu avec 600 hommes en France, parce que je comptais sur l’amour du peuple et sur le souvenir des vieux soldats. Je n’ai pas été trompé dans mon attente. Soldats, je vous en remercie. La gloire de ce que nous venons de faire est toute au peuple et à vous; la mienne se réduit à vous avoir connus et appréciés.
Soldats, le trône des Bourbons était illégitime, puisqu’il avait été relevé par des mains étrangères, puisqu’il avait été proscrit par le vœu de la nation exprimé par toutes nos assemblées nationales, puisque enfin il n’offrait de garantie qu’aux intérêts d’un petit nombre d’hommes arrogants, dont les prétentions sont opposées à nos droits. Soldats, le trône impérial peut seul garantir les droits du peuple, et surtout le premier de nos intérêts, celui de notre gloire.
Soldats, nous allons marcher pour chasser du territoire ces princes auxiliaires de l’étranger; la nation non-seulement nous secondera de ses vœux, mais même suivra notre impulsion. Le peuple français et moi nous comptons sur vous. Nous ne voulons pas nous mêler des affaires des nations étrangères ; mais malheur à qui. se mêlerait des nôtres ! »
Ce discours fut accueilli par les acclamations du peuple et des soldats. Un instant après, le général Cambronne et des officiers de la Garde du bataillon de l’île d’Elbe parurent avec les anciennes aigles de la Garde.L’Empereur reprit la parole et dit aux soldats :
« Voilà les officiers du bataillon qui m’a accompagné dans mon malheur; ils sont tous mes amis. Ils étaient chers à mon cœur : toutes les fois que je les voyais, ils me représentaient les différents régiments de l’armée, car, dans ces six cents braves, il y a des hommes de tous les régiments; tous me rappelaient ces grandes journées dont le souvenir est si cher, car tous sont couverts d’honorables cicatrices reçues à ces batailles mémorables. En les aimant, c’est vous tous, Soldats de l’armée française, que j’aimais! Ils vous rapportent ces aigles : qu’elles vous servent de point de ralliement! En les donnant à la Garde, je les donne à toute l’armée. La trahison et des circonstances malheureuses les avaient couvertes du crêpe funèbre; mais, grâce au peuple français et à vous, elles reparaissent resplendissantes de toute leur gloire. Jurez qu’elles se trouveront toujours partout où l’intérêt de la patrie les appellera! Que les traîtres et ceux qui voudraient envahir notre territoire n’en puissent jamais soutenir le regard ! »
— « Nous le jurons ! » s’écrièrent avec enthousiasme tous les soldats.
Extrait du Moniteur do 23 mars 1815.
Paris, 21 mars 1815.
À M. Fouché, duc d’Otrante, ministre de la police générale.
Selon les premiers renseignements que j’ai reçus, le duc de Bourbon s’est rendu dans la Vendée, où il organise quelques chouans ; le duc d’Orléans s’est rendu à Besançon, et le roi, à ce qu’il parait, est du côté de la Somme. Tâchez de recueillir des renseignements sur cet objet et faites-les les moi passer sur-le-champ. Envoyée des agents dans ces trois directions.
Remettez-moi demain une liste de tous les préfets qu’il faudra déplacer de suite et la liste de ceux qui pourraient les remplacer. Également pour les sous-préfets. Je parle de ceux qui sont tellement mauvais qu’ils ne peuvent pas rester un instant.
Paris, 21 mars 1815.
Au maréchal Davout, prince d’Eckmühl, ministre de la guerre.
Donnez ordre au comte de Lobau de prendre le commandement de la 1e division militaire et de toutes les troupes qui s’y trouvent. Appelez à d’autres fonctions le sieur Beurnonville, colonel du ler régiment léger, et proposez-moi un bon colonel pour commander ce régiment. Si dans les autres régiments qui sont à Paris il y a de mauvais colonels, proposez-moi sur-le-champ leur remplacement. Proposez-moi également dans la matinée l’organisation de toute la 1e division militaire en officiers généraux, adjudants commandants et officiers d’état-major qui doivent y être employés. Mon intention serait, en général, de changer tous les généraux qui s’y trouvent, sauf à les envoyer dans les autres divisions militaires.
Faites connaître dans la matinée, par le télégraphe, 1° mon entrée à Paris; 2° votre nomination au ministère de la guerre. Aussitôt après la réception des deux nouvelles ci-dessus, faites connaître au commandant de la 16e division militaire que, le roi se dirigeant du côté de Calais et Montreuil, il ait à réunir ses troupes et à marcher dessus pour dissiper les rassemblements et reprendre les trésors que les agents du roi emportent avec eux et dont la perte serait notable pour l’Empire.
Recommandez-leur surtout de ne les laisser entrer dans aucune place forte, puisqu’ils pourraient les livrer à l’ennemi.
Expédiez cette nuit même des officiers de confiance, qui prendront une autre route que le roi, pour annoncer ce qui s’est passé à Paris et engager les garnisons et les généraux de la 16e division militaire à veiller à la conservation de leur frontière.
Expédiez également des courriers qui se rendront à Châlons-sur-Marne, à Mézières, en Lorraine et en Alsace, pour annoncer que toutes les troupes en marche s’arrêtent et fassent connaître le lieu où elles se trouvent.
Que la cocarde tricolore soit arborée partout conformément à notre proclamation.
Enfin recommandez la plus grande surveillance pour la garde de mes places.
Le duc d’Albufera rentrera en Alsace s’il en était sorti, afin de veiller à la conservation de toutes les places et de vous faire connaître tous les mouvements de la frontière.
Donnez ordre que la Garde impériale et les dépôts, soit de chasseurs, soit de grenadiers, qui sont à Nancy et à Metz, se rendent à Paris ; que les lanciers rouges qui sont à Orléans et les dragons de la Garde qui sont sur la Loire se rendent à Paris. Quant aux chasseurs qui sont dans le Nord, cet ordre doit être subordonné à la marche du roi, puisqu’il sera peut-être nécessaire de les réunir pour marcher contre.
Donnez ordre, par le télégraphe et par courrier extraordinaire, que le général Drouet, comte d’Erlon, soit sur-le-champ remis en liberté et rétabli dans le commandement de sa division. Chargez-le spécialement de l’exécution des mesures pour la poursuite des fuyards.
Il y a en marche des troupes de la 14e et de la 15e division, ainsi que de la 20e et de la 22e. Faites dresser un état de tous ces mouvements, et provisoirement suspendez-les, jusqu’à ce qu’on sache quel était leur but.
Écrivez au prince d’Essling pour lui faire connaître les événements qui sont arrivés, et chargez-le de prendre des mesures pour faire exécuter mon décret sur la cocarde nationale, tant à Marseille que dans tout son commandement.
Proposez-moi tous les changements à faire dans le personnel des divisions militaires.
Paris, 28 mars 1815.
Au général Caulaincourt, duc de Vicence, ministre des affaires étrangères, à Paris.
Monsieur le Duc de Vicence, je désire avoir une analyse de toutes les dépêches de M. de Talleyrand et du roi contre le roi de Naples, afin de pouvoir la lui faire communiquer.
Paris, 23 mars 1815.
Au maréchal Moncey, duc de Conegliano, à Lille.
Mon Cousin, j’ai reçu votre lettre du 22. Je crois à la sincérité des sentiments que vous m’exprimez, car je connais depuis longtemps votre caractère. J’approuve que vous vous retiriez à votre campagne. Votre fils, que j’ai élevé dès son jeune âge, peut compter qu’il trouvera en moi un second père. Dans toutes les circonstances, vous pouvez compter sur mon désir de vous être utile et agréable.