Correspondance de Napoléon – Mars 1812

Paris, 28 mars 1812.

A M. Maret, duc de Bassano, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Bassano, je vous envoie un état de l’armée russe remis par les Prussiens. Demandez au prince Schwarzenberg de vous communiquer les idées qu’on a là-dessus à Vienne. Il me semble que par cet état il y a trois divisions de plus.

 

Paris. 28 mars 1812.

Au général Lacuée, comte de Cessac, ministre directeur de l’administration de la guerre, à Paris

Monsieur le Comte de Cessac, par le dernier état que vous m’avez présenté, je vois qu’on doit fournir encore 4,800 chevaux en France et 8,400 à Hanovre. Comme il paraît que la Prusse exécute vive­ment la livraison des chevaux, je ne serais pas éloigné de n’employer à la Grande Armée que ce qui serait fourni au 15 avril, ou en route, sur les 4,800 chevaux achetés en France. Le surplus serait fourni à Berlin, où les hommes se rendraient à pied avec leurs selles. Le reste des marchés passés en France pourrait continuer de recevoir son exécution, mais les chevaux qui en proviendraient seraient destinés à l’armée d’Espagne. Faites-moi un rapport là-dessus.

 

Paris, 28 mars 1812.

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, je reçois l’organisation des troupes qui restent dans l’intérieur de l’Italie, conformément à l’instruction que je vous ai donnée.

La 1e division sera composée de la brigade du général Schilt, de quatre bataillons du 13e de ligne ayant deux pièces d’artillerie, qui se réunira à Udine, et d’une brigade commandée par le général Zucchi, se réunissant à Padoue, composée de six bataillons italiens et de quatre pièces d’artillerie ; ce qui forme une division de dix bataillons, de six pièces d’artillerie régimentaires, de quatre escadrons et de six pièces d’artillerie à cheval, présentant une force de près de 8,000 hommes. Je nommerai incessamment un général de division.

La 2e division sera commandée par le général Barbou. Elle sera composée de la brigade Renard, qui se réunit à Ancône, ayant deux pièces d’artillerie, un escadron de chasseurs et un escadron de dra­gons, et formant 2,000 hommes d’infanterie et 400 chevaux. La 2e brigade sera composée de deux bataillons du 112e, qui sont encore à Florence et qui recevront incessamment l’ordre de se rendre à Bologne; ce qui portera cette division à 4,000 hommes. Il y sera attaché une batterie de six pièces d’artillerie, servie par une compa­gnie d’artillerie à pied italienne.

Indépendamment de ces deux divisions, il y aura le corps d’ob­servation de l’Italie méridionale, que commande le général Grenier, placé à Perugia, en situation de se porter sur Ancône, sur Livourne et sur Naples, selon les événements.

La 1e et la 2e division se porteront, selon les circonstances, sur Venise, sur les provinces illyriennes, sur le Tyrol, sur Ancône, sur Livourne, sur Gênes. Il y aura donc en Italie une force active de 20,000 hommes, qui pourra se porter partout où besoin serait, sans comprendre ce qui serait en Piémont.

J’approuve la composition que vous avez arrêtée des garnisons des places de Palmanova, Osoppo, Venise, Mantoue, Legnago, Peschiera, de la Rocca d’Anfo, du château de Vérone. Il est nécessaire que vous preniez toutes les mesures pour compléter les cadres des corps italiens; les cadres français vont l’être. Les compagnies d’ar­tillerie entières à Palmanova, à Venise, à Mantoue, seront dis­ponibles.

Disposez tout pour donner aux choses cette direction ; accélérez le complètement des dépôts et la remonte des 5e escadrons, afin d’avoir, cet été, 1,500 chevaux disponibles.

Je suppose que tout ce qui doit partir pour la Grande Armée est déjà parti.

Il est nécessaire que vous vous concertiez avec les Bavarois pour connaître la quantité de troupes qu’ils laisseront dans le Tyrol. Il est convenable de laisser quelques troupes à Trente. Une colonne d’in­fanterie, avec quelque cavalerie, et six pièces de canon sont indis­pensables pour surveiller tout le Tyrol italien, étouffer sur-le-champ tout mouvement et maintenir la tranquillité.

Le général Vignolle restera en Italie comme chef d’état-major ; je nommerai un général pour y commander.

Quant au gouvernement civil, je m’imagine qu’il sera le même qu’à l’époque de la campagne de Vienne; vous laisserez au duc de Lodi la présidence du conseil des ministres ; je suppose qu’il est en état d’agir.

Préparez tout pour votre départ, car dans trois ou quatre jours je vous écrirai de venir à Paris, et peut-être de Paris vous rendrez-vous directement à Glogau, et de là à votre corps d’armée.

Je ne veux point vous laisser ignorer que j’ai conclu depuis plu­sieurs mois une alliance avec l’Autriche, qui fait cause commune avec moi et me fournit un contingent de 40,000 hommes.

 

Paris, 29 mars 1812.

A M. Maret, duc de Bassano, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Bassano, il est nécessaire d’écrire à mes mi­nistres en Bavière, Wurtemberg et Bade, pour leur faire connaître que je désire que ces trois princes aient des contingents dans l’inté­rieur de leurs États pour se secourir mutuellement, en cas d’insur­rection dans quelqu’une de leurs provinces.

Écrivez aussi à mon ministre en Suisse. Je désire que la Suisse entre dans cette confédération et qu’elle ait un corps de 4 à 5,000 hommes disponibles pour contenir le Tyrol et le Vorarlberg, en cas de mouvement de ce côté, conjointement avec la Bavière, Wurtemberg et Bade, et les troupes qui partiront d’Italie.

Mes ministres connaîtront cet ensemble; car, si le Tyrol était agité, pendant qu’un corps partirait de Trente, un corps bavarois marcherait par Innsbruck, un corps wurtembergeois se porterait sur le Vorarlberg, et un corps partirait de Suisse. Une division française de réserve même sera réunie à Strasbourg ; j’en déterminerai la force après que les différents princes auront fait connaître ce qu’ils auront disponible. Vous aurez soin d’ajouter que je n’ai aucune raison de rien craindre du Tyrol, puisque l’Autriche est avec nous; mais que toutes les précautions doivent être prises, et qu’il faut avoir un sys­tème bien lié, afin de n’être point pris au dépourvu.

Il faudrait également écrire à mes ministres et chargés d’affaires près les cours de Saxe, de Westphalie et de Hesse-Darmstadt, pour connaître les forces qui resteront dans ces pays et les secours que ces princes pourraient réciproquement s’envoyer à la demande de l’un d’eux, en cas d’insurrection. Vous leur ferez également connaître que ces mesures sont de pure précaution; que le Danemark entre dans mon système et fournit, en cas de descente des Anglais, un corps de 10,000 hommes.

 

Paris, 29 mars 1812.

Au comte Mollien, ministre du trésor public, à Paris

Monsieur le Comte Mollien, j’ai accordé, il y a plus d’un mois, un million pour l’emprunt de Saxe; cependant ce million tant attendu n’était pas encore arrivé le 16 mars à Varsovie. Faites-moi un rap­port là-dessus.

Remettez-moi l’état des fonds que vous avez faits pour payer les remontes du dépôt de Hanovre, l’état des fonds que vous avez faits à Danzig pour solder le budget de neuf millions de 1811, l’état des fonds que vous avez faits à Danzig pour les 500,000 francs par mois en février, mars et avril, pour le service de l’administration de la guerre, l’état des fonds que vous avez faits pour le service du mois d’avril de la Grande Armée, les dispositions que vous avez prises pour fournir les millions que j’ai pris dans l’emprunt de la Saxe, enfin l’état des fonds que vous avez faits pour payer la partie de l’armée polonaise que j’ai prise à ma solde par le traité conclu le mois passé.

Il faut préciser le jour où les fonds seront versés.

Nous sommes dans un moment précieux où il faut que les fonds ne manquent nulle part.

 

Paris, 29 mars 1812.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Paris.

Mon Cousin, instruisez le duc de Raguse des nouvelles qu’on reçoit du général Thouvenot, et faites-lui comprendre que voilà le funeste effet de l’occupation des Asturies par les insurgés.

Faites-moi un rapport sur l’accroissement des bandes qui, des Asturies et de la Galice, inondent les derrières de l’armée.

Voyez si les estafettes qui ont été interceptées ne portaient point de lettres importantes de vous.

 

Paris. 30 mars 1812.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Paris.

Mon Cousin, faites connaître au prince d’Eckmühl que je suppose que les Russes se garderont bien de faire aucun mouvement ; qu’ils ne peuvent pas ignorer que la Prusse, l’Autriche et probablement la Suède sont avec moi; que, les hostilités recommençant en Turquie, les Turcs feront de nouveaux efforts; que le sultan lui-même va se rendre à l’armée, et que tout cela parait de nature à ne pas les enga­ger à me braver facilement; que je pense qu’au 1er avril le 1er corps d’armée, avec six divisions d’infanterie, et le 1er corps de cavalerie se trouveront entre Thorn et Danzig, occupant Marienburg et Marienwerder, ayant pour avant-garde le corps prussien occupant Pillau et ayant des détachements sur leurs frontières; qu’à la même époque les Westphaliens, les Saxons et les Polonais seront près de Varsovie, et les Bavarois à Posen ; que la division Verdier et une division de la Garde se trouveront à Stettin, que le 3e corps d’armée, avec le 2e corps de cavalerie, sera à Francfort-sur-l’Oder; enfin que le corps d’Italie sera à Glogau. Si les Russes ne font aucun mouvement, mon intention est de passer ainsi tout le mois d’avril, me contentant de travailler avec la plus grande activité à relever la tête de pont de Marienburg et à l’armer; à fortifier le pont de Marienwerder, en rattachant à des pilote et non simplement à des ancres ; à avoir de bons ponts à Marienburg et à Dirscbau, à établir une bonne tête de pont à Dirschau sur la rive droite de la Vistule, dans l’île de Nogat, pouvant servir de retraite à l’armée, au cas qu’elle se retirât sur Danzig ; à occuper l’extrémité du Nehrung, vis-à-vis Pillau ; à appro­visionner le magasin de Thorn ; à faire moudre le plus de farine que possible à Danzig ; à préparer des bateaux pour embarquer de 50 à 60,000 quintaux de farine; à préparer des bateaux pour embarquer tout l’équipage de siège; enfin à préparer l’équipage de pont; les chevaux arriveront dans le courant d’avril pour l’atteler.

Le prince d’Eckmühl placera son parc de réserve près de Dirschau, dans l’île de Nogat. Il fera concentrer de grands magasins à Pillau. Le prince Poniatowski réunira de grands magasins à Zamosc et surtout à Modlin.

Le prince d’Eckmühl approchera insensiblement sa droite de Marienwerder, vu que le corps du duc d’Elchingen doit se porter sur Thorn. Pour ne pas alarmer les Russes, il ne poussera aucune recon­naissance sur la rive droite de la Vistule, à plus de deux lieues d’Elbing, de Marienburg, de Marienwerder, de Kulm, de Thorn; mais les Prussiens, qui lui feront des rapports, lui serviront pour former des magasins à Osterode et dans toute autre position.

Vous préviendrez le prince d’Eckmühl qu’il est probable que le 15 avril je donnerai ordre au 2e corps de cavalerie, qui est à Franc­fort- sur-l’Oder, de se porter sur Thorn ; et le 20 avril, au 3e corps, de se porter sur Thorn, et aux Bavarois de se porter sur Plock. L’armée d’Italie se portera également sur Plock. Ce sera là la ligne de bataille de l’armée au moment de déboucher, savoir : le 1er corps à Elbing, à Marienburg, à Marienwerder; le 2e corps à Danzig; le 3e corps à Thorn ; le 4e corps et les Bavarois, sous les ordres du vice-roi, à Plock; les Westphaliens, les Saxons, les Polonais et une division de Prussiens à Varsovie; les Autrichiens, appuyant sur la Vistule, à l’extrême droite; le quartier général et la Garde à Posen. Il est nécessaire que le prince d’Eckmühl fasse faire des magasins à Posen, à Plock, à Varsovie, à Pulawy, à Marienwerder, à Marien­burg , à Elbing ; que, du reste, il ne fasse connaître ses projets de mouvement à personne ; qu’au contraire il annonce qu’il va porter son quartier général à Varsovie; que, si les Russes ne bougent pas, il se rende à Danzig pour y inspecter tout. Par la date des ordres que je lui ai donnés, il verra que ce ne sera que le 1er mai que mon armée se trouvera ainsi en bataille sur la Vistule. Du reste, il ne doit faire aucun mouvement qu’il n’en ait reçu l’ordre. Mandez-lui que ceci est pour le prévenir, afin qu’il puisse faire ses dispositions en conséquence.

Recommandez-lui de faire venir à lui les 14e et 16e bataillons de voitures comtoises et le 20e bataillon de voitures à bœufs., qu’il a été chargé d’organiser. Les bataillons de voitures comtoises étant de 600 voitures, les deux bataillons formeront 1,200 voitures, portant 12,000 quintaux. Le chargement des voitures à bœufs étant de 20 quintaux, le 20e bataillon portera 6,000 quintaux ; enfin les 240 voitures du 12e bataillon porteront 4,800 quintaux, ce qui fera 22,000 quintaux de farine, ou près de 2 millions de rations de vivres fournissant à la nourriture de 100,000 hommes pendant vingt jours. Je compte qu’au 1er mai ces trois bataillons seront prêts, et que le prince d’Eckmühl pourra partir d’Elbing, de Marienburg, de Marienwerder et de Thorn, avec vingt jours de vivres sur les voitures et quatre jours dans le sac. Il est convenable que les vivres soient en farine, parce que les fours sont toujours assez promptement con­struits, et parce que c’est ce qui fait le moins d’encombrement. Jus­qu’au Niemen, le prince d’Eckmühl fera vivre son corps avec les ressources du pays, car la consommation de ces vivres ne doit commencer qu’après le passage du Niémen. Chargez-le de prendre des informations pour savoir si les fours que j’ai fait construire à Osterode existent toujours.

 

Paris, 31 mars 1812.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Paris.

Mon Cousin, je vous renvoie la lettre du général prussien Yorck ; faites-la repasser au prince d’Eckmühl en lui réitérant l’ordre, non d’occuper Memel, puisque le fort n’est pas occupable (sic), mais d’occu­per fortement Pillau et de faire en sorte que, dans aucun cas, il n’y ait aucun danger pour cette place.

 

Paris. 31 mars 1812.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Paris.

Mon Cousin, la route de Mayence à Berlin par Magdeburg est de vingt jours de marche et trois séjours; en tout vingt-trois journées.

Si, à partir d’Eisenach, la route se dirigeait par Leipzig et Wittenberg, on n’aurait que dix-sept jours de marche et trois séjours, en tout vingt journées ; ce serait trois journées d’épargnées. Il faut faire tracer ces deux routes ; celle par Magdeburg se trouverait trop fati­guée, et, pour tout ce qui se dirige sur Berlin, la route par Wittenberg parait plus convenable. Il faut cependant s’assurer si de Wittenberg à Berlin et vers Lüterbock la route est praticable, afin d’éviter Potsdam. Au reste, comme il n’y a réellement point de routes dans ce pays, il ne peut y avoir que peu d’obstacles pour passer soit à droite, soit à gauche de Potsdam; il y aura tout au plus quelques ponts à raccommoder et quelques haies à abattre. Je désire que vous fassiez tracer sur une carte ces routes, ainsi que celle de Wesel à Berlin par Magdeburg, celle de Hambourg à Stettin, celle de Mayence à Dresde par Würzburg (il faut savoir si celle par Bayreuth et Hoff est meilleure que celle par Kronach, et tracer la meilleure), celle de Strasbourg à Dresde, de Stettin à Danzig, de Stettin à Marienwerder, de Berlin à Thorn, par Schwedt et Schneidemûhl, de Berlin à Küstrin, de Berlin à Francfort, de Glogau à Posen, de Dresde à Posen par Glogau, de Dresde à Varsovie par Kalisz, de Dresde à Plock sur la Vistule par Glogau. Faites-moi mettre sur ces routes bien tracées les distances ; faites indiquer de quelle espèce de lieues il est question, combien elles ont de toises. Faites marquer la popu­lation des villes d’étapes, et, en marge de la carte, des renseigne­ments pris dans la dernière guerre, de manière que cette carte puisse servir pour toutes les opérations. Vous ferez tracer sur la même carte le canal de Magdeburg à Küstrin et à Bromberg, le temps nécessaire pour la navigation, les communications latérales et le genre d’obstacles qu’on peut éprouver.

 

Paris, …. mars 1812. (La minute ne porte pas la date du jour.)

Au vice-amiral comte Decrès, ministre de la marine, à Paris

Monsieur le Comte Decrès, faites-moi connaître le nombre des officiers français qui sont en Angleterre et celui des officiers anglais qui sont en France. J’ai 7,000 officiers espagnols, peut-être serait-il à propos, si j’ai un égal nombre d’officiers en Angleterre, de proposer au Transport-Office de faire pour les officiers l’arrangement qu’ils n’ont pas voulu accepter pour les soldats, c’est-à-dire d’échanger 1,000 officiers français contre une partie d’Anglais et une partie d’Espagnols. Cela aurait l’avantage d’économiser plusieurs millions et de me rendre de bons officiers qui gémissent dans les prisons ; cela serait aussi avantageux aux Anglais, puisque ce serait des hommes dont ils pourraient disposer, et qu’il paraît qu’ils craignent quelque chose de nos prisonniers, qui seraient beaucoup moins à craindre quand ils n’auraient plus d’officiers.