Correspondance de Napoléon – Mars 1806
Paris, 20 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, vous avez bien fait de prendre en considération la demande de M. de la Luzerne relativement aux secours de la religion à donner aux soldats malades dans les hôpitaux.
Paris, 20 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Frère , je reçois votre lettre du 7 mars. Je suis tout étonné que vous n’ayez pas fait fusiller les espions du roi de Naples que la mer a rejetés. Que voulez-vous que j’en fasse à Fenestrelle. Il n’y a que les abbés et les Anglais qu’il faut envoyer à Fenestrelle.
Faites condamner à mort les chefs de masses. Votre administration de Naples est trop faible. Il me semble que vous ménagez trop cette populace. Je ne conçois pas comment vous ne faites pas exécuter les lois. Tout espion doit être fusillé; tout chef d’émeute doit être fusillé; tout lazzarone qui donne des coups de stylet à un soldat doit être fusillé. Les biens des hommes qui ont suivi la Cour doivent être confisqués; et s’il est vrai, comme les journaux le disent, que vous ayez fait arrêter ce misérable Castel-Cicala, envoyez-le à Fenestrelle sous bonne escorte, et confisquez ses bijoux et ses biens.
Quant au maréchal Masséna , Solignac a dû se rendre près de lui, et j’espère qu’il restituera tout ce qu’il a pris à la caisse de la Grande Armée; cela se monte à sept ou huit millions. Faites une bonne justice de quelques officiers, fût-ce même des officiers généraux.
Les 7 à 8,000 galériens et autres que vous avez ne sont pas dangereux à Naples; ils le seraient, s’ils venaient à s’échapper dans les Abruzzes. Vous attachez trop d’importance à une populace que deux ou trois bataillons et quelques pièces de canon mettront à la raison; elle ne sera soumise que lorsqu’elle se sera insurgée et que vous aurez fait des exemples sévères. Si vous avez trop de cavalerie, envoyez-en dans le royaume d’Italie; cependant, à vous dire vrai, je ne conçois pas que dans un pays comme Naples, les Abruzzes, Tarente, où elle peut s’étendre, elle puisse vous nuire. La rapidité de ses mouvements est très-utile dans la campagne. J’ai organisé les dépôts de votre armée; il faut les laisser dans la Romagne et dans le Bolonais, et en faire venir des conscrits; vous avez dix fois le monde qu’il vous faut. Il ne faut pas 6,000 hommes pour contenir le royaume de Naples. Montrez de la vigueur et faites des exemples. Je vous le répète, faites fusiller les espions, et ne les envoyez pas à Fenestrelle; n’ayant point de preuves, je ne sais que faire de ces misérables. Vos lettres ne me disent rien , ne me donnent aucun rapport de la mer. Je ne sais pas s’il y paraît des Anglais, ni le monde qu’ils ont du côté de la Sicile. Vos mouvements sont beaucoup trop lents. Vous devriez déjà être maître de la Sicile. Ne craignez rien des Russes, ils ne peuvent vous faire aucun mal. J’espère qu’à l’heure qu’il est vous êtes maître de Reggio et de toutes les villes du continent. La perte du temps est irréparable à la guerre; les raisons que l’on allègue sont toujours mauvaises, car les opérations ne manquent que par des retards.
Paris, 21 mars 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur Talleyrand, je ne veux plus de commissaire autrichien à Strasbourg. Mon intention est que les faux billets de banque qui ont été arrêtés jusqu’à concurrence de cent millions soient remis au ministre autrichien, afin de faire voir à sa Cour combien il nous était facile de répandre ces billets en Autriche pendant la guerre, si nous avions été d’aussi mauvaise foi que nous ennemis l’ont été du temps des assignats.
Faire une note d’apparat sur cet objet.
Paris, 21 mars 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur de Talleyrand, la Dalmatie sera difficilement gouvernée par l’administration de Milan. Mon intention serait de la diviser, avec l’Istrie et le pays de Monfalcone, entre six princes. J’y nommerai ceux des généraux qui m’ont le mieux servi à Austerlitz et à Ulm. Ils seraient feudataires des royaumes d’Italie et de France. Ils seraient tenus, avant la prise de possession, d’y faire un an de séjour. L’aîné de la famille porterait le titre et hériterait de la principauté. Il faudrait faire un travail particulier pour bien établir la division. Monfalcone serait une principauté, l’Istrie une autre. Il y en aurait trois dans la Dalmatie, et une dans les bouches de Cattaro. Voyez à prendre secrètement tous les renseignements convenables, afin de me faire un projet. J’ajouterai que Guastalla et Neufchâtel formeraient deux autres principautés.
Faire un projet qui aurait pour objet d’augmenter la principauté de Lucques et Piombino; lui donner Massa di Carrara et la Garfagnana, afin de former ses limites et de mettre cette principauté dans une belle position. Mais je voudrais la vendre au prince de Lucques moyennant 400,000 francs de rente qu’il m’inscrirait sur son grand-livre, et que je donnerais pour récompense à mon armée.
Je réunirai Venise au royaume d’Italie, mais je désire m’emparer de tous les biens domaniaux. Je désire également mettre sur le grand-livre de mon royaume d’Italie deux millions hypothéqués sur Venise, que je donnerais également à mon armée.
Faites-moi connaître la quantité de biens nationaux dont je deviendrais propriétaire pour cet objet et la manière de les distribuer à mon armée. Il faudrait imaginer des ordonnances ou espèces d’assignats, et prendre des mesures pour qu’ils ne devinssent pas un objet d’agio.
Paris, 21 mars 1806
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, les corps d’armée des maréchaux Ney et Davout et une portion de la cavalerie se rapprochent de la France. Je viens d’arrêter les garnisons que doivent prendre définitivement les différents corps. Je vous les ferai connaître par le prochain courrier. Mon intention est qu’aucun corps de mon armée ne passe le Rhin avant le 15 avril, c’est-à-dire lorsque le maréchal Soult aura dépassé le Lech. Du moment que vous saurez que la cour de Vienne m’a accordé le passage de la Dalmatie, et que le ler avril sera arrivé, vous ferez évacuer Braunau; vous aurez soin d’en faire ôter tout ce qui peut être utile à nous ou à la Bavière. Le maréchal Soult se mettra alors en marche à très-petites journées par Augsbourg pour se placer derrière le Lech, où il attendra mes ordres; vous vous rendrez à Strasbourg, où vous atteindrez également mes ordres. Vous pourrez loger à Strasbourg dans mon palais.
Vous ordonnerez aux maréchaux Ney, Soult et Davout de vous envoyer des rapports détaillés à Strasbourg, lorsque vous partirez de Munich, et vous m’enverrez ces rapports, afin que je sois à même de vous envoyer enfin l’ordre de revenir à Paris. Je vous dis cela par précaution , car probablement vous recevrez plusieurs de mes courriers.
Quand vous partirez de Munich, vous suivrez la route d’Augsbourg, Ulm et Stuttgart, afin que mes courriers puissent vous rencontrer.
Paris, 21 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, j’ai reçu la réclamation de la commune de Crespino. Je n’entends pas raillerie; mes drapeaux ont été insultés, mes ennemis accueillis : il faut du sang pour expier le crime de cette révolte. Si cette commune veut se laver de l’opprobre dont elle est couverte, il faut qu’elle livre les trois principaux coupables pour être traduits devant une commission militaire et être fusillés avec un écriteau portant ces mots : Traditori al liberatore d’Italia e alla patria italiana. Alors je pardonnerai à la commune et je révoquerai mon décret. Je vous renvoie donc toutes vos pièces, que je ne lirai que quand sera fait.
Paris, 21 mars 1806
Au prince Eugène
Mon fils, il résulte des états que je me suis fait mettre sous les yeux que le pays vénitien rend aujourd’hui vingt-cinq millions de Milan, et qu’en y suivant le même système d’imposition qu’en Italie, il rendra trente-six millions de Milan.
Cc sera donc un grand accroissement de ressources pour mon royaume d’Italie.
(Mémoires du prince Eugène)
Paris, 21 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, dans ce moment-ci, le traité avec la cour de Vienne doit être signé; par ce traité elle m’accorde le passage par terre, soit pour joindre avec ma province d’Istrie, soit pour aller en Dalmatie. J’approuve beaucoup votre projet d’éviter à mes troupes de longs trajets par terre et de les faire embarquer à Fianona, pour de là passer sur des barques dans les îles et se rendre à Zara. Vous enverrez un officier de marine prendre le commandement du port de Fianona. Envoyez-y de Venise 6 chaloupes canonnières armées de pièces de 12 et 24. Établissez votre correspondance avec Zara par le canal intérieur. Faites faire le plan et lever les sondes du port de Fianona, afin que je voie si les frégates et les gros bricks peuvent entrer. Faites-moi connaître également quelle espèce de bâtiment peuvent naviguer de Fianona jusqu’à Zara. Établissez aussi à Fianona des magasins de biscuit et un chef d’administration maritime. Je ne trouve rien de plus propre à communiquer facilement avec la Dalmatie que le canal de la Montagua ou Morlacca, surtout toutes les îles étant occupées. J’approuve beaucoup le projet que vous avez d’envoyer quelques pièces de fer de Venise pour armer les différentes îles. On doit avoir à Venise des renseignements précis sur toutes la côte d’Istrie et Dalmatie; envoyez-moi des mémoires et des renseignements sur les côtes, sur les ports et surtout les sondes des différents ports. J’approuve également que le 66e se rende de Monfalcone à Muggia ou à Capo d’Istria.
Tenez-moi tous les jours au courant de la force des croisières ennemies.
Le bataillon entier des Grecs n’est plus à Marseille; il a été débarqué à Cadix pour donner le change à l’ennemi; mais il reste une soixantaine d’hommes; j’ai ordonné qu’on les fit embarquer à Toulon vous en ferez ce que vous jugerez convenable.
Faites partir, indépendamment des chaloupes canonnières de Venise, quelques barques légères pour servir de postes et communiquer facilement avec Fianona; ayez là un homme de confiance pour correspondre avec vous. Je sais déjà par Vienne que mes troupes ont occupé les bouches de Cattaro; je suis étonné que vous ne m’ayez pas encore fait un rapport officiel.
Je n’approuve pas le projet de changer le préfet de Bologne, c’est aller trop loin ; mais il faut le prévenir qu’il doit être le premier à déclarer que le procès intenté contre le cardinal est calomnieux et à faire toutes les réparations possibles à ce cardinal.
Paris, 21 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, vous avez pour aide de camp le colonel Sorbier, du génie; envoyez-le dans la Dalmatie, dans l’Istrie et l’Albanie; mais qu’il voie bien, et qu’il vous envoie des mémoires qui lui fassent honneur. Envoyez une autre compagnie d’artillerie italienne en Istrie; il en faut au moins quatre. Je vous recommande de bien veiller à l’exécution de mes dispositions pour l’armement des ports de l’Istrie et de la Dalmatie, car d’un moment à l’autre mes frégates, mes vaisseaux peuvent y arriver poursuivis par des forces supérieures. Je ne connais point l’état de l’artillerie du pays vénitien, de l’Istrie, de la Dalmatie; il doit y avoir des canons en fer et des mortiers à Venise. Mon intention est de garder en Istrie deux régiments au grand complet de guerre, c’est-à-dire à 6, 060 hommes, mais la première condition est de les tenir dans des endroits sains. Je voudrais y établir deux camps à peu près comme à Boulogne , hormis qu’ils seraient en carrés, et qu’ils soient placés dans des positions importantes. Par ce moyen, la discipline serait maintenue; ces corps s’instruiraient , ils contiendraient le pays; mais il faut bien choisir l’emplacement de ces camps; il faudrait qu’ils fussent à portée des deux grands ports. Vous n’êtes pas assez instruit de ce qui se fait dans votre armée. Vous m’aviez dit que le 8e d’infanterie légère était parti , et depuis vous m’avez écrit qu’il ne l’était pas; le 60e de même. Faites qu’avant la fin du mois d’avril j’aie les mémoires de d’Anthouard et des officiers du génie et d’artillerie de ces lieux , afin que je connaisse bien la Dalmatie et que je puisse l’organiser. Je n’ai pas de cartes des ports de ces côtes comme je les voudrais. Faites-les-moi demander à Venise, où elles doivent être en abondance.
Paris, 21 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je vous envoie un rapport que me remet mon ministre du trésor. Je ne comprends pas ce que c’est que la caisse de l’armée active sous les ordres du maréchal Masséna, ce que c’est que la caisse des troupes françaises stationnées en Italie, ce que c’est que la caisse des troupes françaises dans les États vénitiens. Il me semble qu’il y a trois mois que ces trois armées n’en font qu’une. Faites vérifier comment s’est faite la recette des 2,300,000 francs, si c’est par les ordres du maréchal Masséna ou par des ordonnances de l’ordonnateur, ou si c’est par des déplacements de fonds d’Ardant et autres.
Paris, 21 mars 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean , je n’ignorais pas que les états du comité ne présentaient que l’état de l’effectif au Ier du mois courant. Je savais aussi que les différences entre ces états et ceux du munitionnaire général ne pouvaient provenir que des mouvements survenant pendant le cours du mois; aussi vos observations, ne me faisant pas connaître la cause des différences, ne m’ont point satisfait. Au lieu de vous borner à dire, « La force du camp a changé ; il est rentré des troupes dans l’intérieur », j’aurais désiré que vous m’eussiez dit quelles troupes ont quitté les camps, quelles sont rentrées dans l’intérieur. Je désire que vous essayiez de me motiver de cette manière les différences que je vous ai indiquées; c’est le vrai moyen de me prouver, 1° que les revues sont exactes; 2° que le munitionnaire général est probe; 3° que les bureaux de la guerre peuvent contrôler les opérations qu’ils sont chargés de surveiller.
Paris, 22 mars 1806
A M. Gaudin
Je pense qu’il faut faire monter le budget des recettes plus haut qu’il n’est. Cent soixante et quatorze millions ne me paraissent pas suffisants pour l’enregistrement. Cette branche a rendu cent soixante et douze millions en l’an XIII; mais c’était la première année de la publication du Code civil, et les améliorations ont été progressives. Il faut porter au budget de cette année cent quatre-vingt millions pour cette partie. Il faut porter cinq millions de plus aux douanes. Elles ont rendu cinquante-trois millions en l’an XIII; elles rendront certainement davantage en 1806. Cela ferait une augmentation de dix millions, qui porterait le budget des recettes à six cent quatre-vingt-seize millions. Je porterais à deux millions de plus les recettes accidentelles, et les améliorations des impositions indirectes aussi à deux millions de plus, de manière à avoir sept cents millions de recettes. Votre budget de dépense ne se monte qu’à six cent soixante et quatorze millions; cela fera donc vingt-six millions qui, avec douze de réserve, feraient trente-huit millions d’excédant sur les recettes, qui seraient destinés, soit à un fonds de réserve, soit comme fonds extraordinaire et de toute nature pour des expéditions contre l’Angleterre. Vous direz, dans le discours, que les ministères de la guerre et de la marine supportent déjà une partie de cette dépense.
Palais des Tuileries, 22 mars 1806
DÉCRET.
ARTICLE 1er. – A dater du ler avril prochain, les 2e et 3e corps d’armée de réserve seront dissous. Les maréchaux Lefebvre et Kellermann rentreront au Sénat, et notre ministre de la guerre leur témoignera, en notre nom, notre satisfaction du zèle qu’ils ont montré pour notre service pendant la guerre.
ART. 2. – A cette époque, les troupes qui sont en France seront mises sur le pied de paix.
ART. 3. – Les deux divisions formant la réserve du maréchal Lefebvre, qui sont à Darmstadt, ainsi que les dépôts, se mettront en route le ler avril, pour se rendre aux garnisons que doivent occuper leurs corps en rentrant en France.
ART. 4. – Nos ministres de la guerre, et de l’administration de la guerre, et notre ministre du trésor public, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.
Paris, 23 mars 1806
Au général Junot
Où diable avez-vous pris que je puis faire entrer des sbires à l’hôtel des Invalides ? C’est inadmissible.
- Nardon doit connaître les lois administratives de l’Empire. Ainsi les dépenses se divisent en générales et départementales. Les dépenses départementales sont couvertes par les centimes. J’ai, en conséquence, ordonné que tous les centimes fixes ou non soient envoyés à Parme pour être versés dans votre caisse. Cela passe 300,000 francs, c’est plus que suffisant. Quant au produit de l’enregistrement, des douanes et autres impôts, vous ne devez en disposer d’aucune manière sans l’intervention et les ordonnances des ministres, car cela entre dans le bilan général de l’État, et il ne faut pas faire de confusion. Vous pouvez pourvoir à ce qui ne sera pas prévu; mais ne désorganisez pas la masse générale de l’État.
Paris. 23 mars 1806
Au prince Joachim
Je reçois votre lettre de Cologne du 20. Il faut avoir bien étudié l’administration des duchés de Clèves et de Berg. Il ne faut pas vous engager à rien maintenant, parce qu’il sera convenable de donner à ces deux pays la même organisation. Vous ordonnerez que l’octroi du Rhin se paye de la même manière et sur le même pied que sous le régime de la Prusse. Vous pouvez vous emparer de tous les biens de la noblesse immédiate à Berg et dans tout le duché. Il faut, le plus tôt possible, ôter des postes les employés de la Tour et Taxis. A Wesel, il n’y en a point; mais, dans le duché de Berg, ils y sont toujours. C’était un fief de l’Empire, et par là l’Empereur était instruit de tout ce qui se passait en Allemagne. Il vaut mieux faire ce changement tout de suite que de laisser cela en doute. Nommez aux postes des gens du pays qui y seront attachés. Nommez tout de suite des gens de Berg aux postes de Clèves, et des gens de Clèves aux postes de Berg. Le directeur des postes aux lettres de Wesel est un homme ennemi de la France. En général, vous devez avoir plus de confiance dans les Bavarois que dans tous les agents prussiens. Quand vous aurez approfondi la situation des choses dans vos nouveaux États, vous verrez qu’il est impossible qu’une population de 300,000 âmes vous rende aussi peu que vous le dites. Le calcul ordinaire est de sept florins par âme, ce qui supposerait deux millions de florins de revenu, ou quatre millions de francs. Cela ne vous engage pas moins à de l’économie, car il vous faudra une petite armée, tant pour occuper la jeunesse du pays que pour la dignité de votre État. Selon l’usage francais, les troupes coûtent trop; selon l’usage bavarois, elles sont à beaucoup meilleur marché.
Paris, 23 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, mon décret sur la publication du concordat dans le pays de Venise répond à toutes les questions. Prenez, en attendant, des sûretés pour les biens des maisons religieuses, en les mettant tous sous le séquestre. Je vois, par votre lettre du 16 mars, que le 60e est parti pour l’Istrie. Je vous ai envoyé un décret sur l’organisation militaire des provinces de l’Istrie. Je désire bien que les troupes ne soient pas mises dans des endroits malsains.
Paris, 23 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je reçois votre lettre du 18 mars. Je ne conçois pas trop que les viandes salées puissent être utiles en Dalmatie; en général, c’est une mauvaise nourriture. Il ne doit point manquer de bétail en Dalmatie, et il doit y être à meilleur marché qu’en Italie.
Vous aurez reçu mon décret sur l’armement et l’organisation de l’Istrie. J’attendrai des mémoires sur la Dalmatie pour l’organiser aussi. Il ne faut point placer des canons indiscrètement, mais les mettre aux mouillages pour les défendre. Je vous recommande surtout de ne point laisser les troupes dans des endroits malsains. L’insouciance des généraux sur cet objet est incalculable; ils seraient capables de laisser, une année entière, des troupes dans les marais de Mantoue sans bouger. Si j’ai des malades en Istrie, c’est à vous que je m’en prendrai; si j’en ai en Italie, ce sera aussi votre faute. Placez-les sur les montagnes et dans des endroits aérés. C’est parce que j’ai toujours porté le plus grand soin dans ces détails que mes armées n’ont point eu de malades proportionnellement aux autres. La seule perte qu’on ne puisse pas réparer, ce sont les morts. Vous ne m’avez pas encore dit que vos aides de camp soient partis.
Paris, 23 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, vous avez bien fait de changer l’administration de ma Maison et de vous en charger. Caprara a tort de porter aucune plainte sur cet objet. J’achèterai volontiers son palais de Bologne, quand il me coûterait quelques centaines de mille francs de plus; j’en ferai le sacrifice pour retirer Caprara de l’abîme où il est. Chargez mon intendant de traiter de cet achat, que je ferai payer en plusieurs années en donnant des sûretés aux créanciers. Je connais tous les défauts de Caprara; je vous le recommande; c’est un des premiers et des plus constants amis que j’aie eus en Italie. Je consentirai à donner 300,000 francs pour payer les dettes de Pino, mais de même en plusieurs années. Je me chargerai de ses dettes, et j’aurai trois ans pour payer ses créanciers. Chargez aussi mon intendant de cet objet. Cette dépense sera supportée par le ministère de la guerre. Caffarelli part; vous aurez là un bon collaborateur. Je recommande sa femme à la princesse Auguste : c’est une femme remplie de mérite, de mœurs et d’un esprit sûr.
Paris, 24 mars 1806
Au général Oudinot, à Neuchâtel
Vous ne devez pas admettre les quatre articles de M. de Chambrier; vous vous emparerez de l’arsenal, de toutes les impositions arriérées, de tous les meubles du château. Vous ne laisserez rien sortir, et direz à M. de Chambrier qu’il sera tenu compte de tout au roi de Prusse sur ce que la Prusse me doit pour l’arriéré des revenus du pays de Hanovre.
Je suis surpris que vous n’ayez point de solde. Mes ordres avaient été qu’on vous en payât à Strasbourg deux mois. Il n’y a point de difficulté que vous empruntiez sur les caisses de Neufchâtel l’argent dont vous avez besoin. Faites-en recette sur des états en règle, afin de savoir toujours à quoi s’en tenir. Faites-moi connaître, par le retour de mon courrier, la situation de votre corps, bataillon par bataillon; ce qui vous est dû, mois par mois, pour la solde; si vous avez touché quelque chose à Strasbourg; enfin si vous y avez envoyé vos payeurs, conformément à l’ordre du jour de la Grande Armée, pour y recevoir deux mois de solde. Vous savez que mon intention est de payer la solde des mois de janvier et avril à la fois, en faisant double prêt aux soldats. Faites-moi une demande en règle pour l’exportation des blés. Je viens d’ordonner qu’on vous en laissât passer 6,000 quintaux.
Prenez des renseignements sur le pays. Envoyez-moi un mémoire détaillé qui me mette au fait de tout. Ne laissez rien distraire; les Prussiens sont très-rapaces. Dites-leur de belles paroles et assurez- les constamment qu’il sera tenu compte de tout sur les impôts arriérés qu’ils touchent en Hanovre.
Tenez vos troupes en repos et faites-les bien nourrir.
Paris, 24 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je vous ai envoyé un décret sur l’organisation militaire de l’Istrie; vous en trouverez ci-joint un sur l’organisation de la Dalmatie; je l’ai rédigé sur d’assez mauvais renseignements; mais j’ai pensé que, quelque défectueuse que fût mon organisation, il valait mieux la faire que de laisser plus longtemps les choses dans l’état où elles sont. J’attends avec impatience les mémoires de Poitevin, Picoteau et des autres officiers que vous avez envoyés sur les lieux. J’ai besoin d’avoir des renseignements bien détaillés, de connaître la largeur et la longueur des îles, l’élévation des montagnes, la largeur des canaux, leur éloignement du continent, la nature des places fortes, place par place, la nature des chemins, et, entre autres, de ceux de l’Autriche en Dalmatie et de la Dalmatie en Turquie, etc. Tout cela m’intéresse au dernier point. Il ne faut attendre au dernier moment.
D’Ancône à Zara, il n’y a pas plus d’une vingtaine de lieue de navigation; écrivez à mon commissaire des relations commerciales dans ce port et au commandant de la place de faire passer de là blés pour Zara; écrivez-en aussi au cardinal Fesch. Vous avez des chaloupes canonnières qui appartiennent au royaume d’Italie; dans différents ports de l’Adriatique et à l’embouchure du Pô; elles n’y sont point utiles; envoyiez-les en Dalmatie, elles serviront dans les îles. Vous verrez dans mon décret que je veux huit compagnies d’artillerie en Dalmatie; il faut qu’elles soient portées à 100 hommes chaque. On peut en envoyer quatre ou cinq italiennes.
Paris, 24 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je reçois votre lettre du 19 mars avec les dépêches du général Molitor. Cette lettre me surprend d’autant plus que le général Andréossy avait écrit de Vienne que les bouches de Cattaro avaient été occupées; on l’avait probablement trompé. Dans ces circonstances, il devient d’autant plus urgent d’armer et d’approvisionner Palmanova, et je n’ai pas encore reçu une dépêche qui me fasse connaître la situation de cette place et l’arrivée des approvisionnements que j’avais ordonné qu’on y envoyât. Augmentez, avec le moins de bruit possible, le corps du général Marmont de deux régiments de cavalerie et d’un régiment d’infanterie. Envoyez l’ordre au général Seras de tenir toutes ses forces bien réunies; il ne faut pas qu’il les disperse dans ces îles; ces détachements pourraient être pris isolément. Il suffit d’envoyer en Dalmatie quelques officiers pour y commander, et qui lèveront quelques compagnies pour y maintenir l’ordre. Ainsi la division du général Seras, composée des 13e et 60e de ligne, et probablement du 8e d’infanterie légère, qui n’a pu passer avec son artillerie, doit, sans faire de trop grands mouvements, se tenir mesure de marcher sur Trieste, si les circonstances s’aggravent. Écrivez au général Marmont de se tenir également en mesure, sans donner l’alarme à l’ennemi. Il n’est point probable que les Russes s’obstinent à rester dans cette position; ils n’ont pas assez de foi pour cela, et ils en seraient infailliblement chassés avec déshonneur. Je ne tarderai pas à recevoir des renseignements de Vienne, et vous-même ne manquerez pas probablement d’en recevoir bientôt de nouveaux de l’Istrie et du général Molitor. Faites-moi connaître le nombre de troupes que les Autrichiens ont dans la Carniole, à Laybach et dans la Styrie autrichienne. Envoyez-moi aussi tous les renseignements que vous aurez sur la Dalmatie, soit des officiers qui y auraient été, soit de Venise, afin que je connaisse bien l’état des chemins et des communications. Restez dans la même situation tranquillité, ne donnez pas l’alarme. Je vous recommande encore l’armement et l’approvisionnement de Palmanova.
Paris, 24 mars 1806, 9 heures trois quarts du soir
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, je ne perds pas une minute pour vous écrire que, le 24 à neuf heures du soir, je reçois la nouvelle que les Autrichiens ont livré les bouches de Cattaro aux Russes.
En conséquence, sous quelque prétexte que ce soit, mon intention est que vous ne fassiez pas évacuer Braunau; au contraire, vous le ferez réarmer et réapprovisionner, et vous donnerez ordre aux troupes de marcher en avant. Envoyez au général Andréossy un courrier pour lui rendre compte de cette affaire, que la cour de Vienne connaissait ou du moins qu’elle connaît actuellement. Son commandant nous a entièrement trahis. Je vous expédierai demain matin un autre courrier; mais je ne veux pas tarder davantage à vous faire connaître que votre premier soin est de prévenir, sans perdre un moment, le maréchal Soult de réunir ses troupes et de soutenir la place de Braunau; c’est le point important.
Paris, 25 mars 1806
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, je vous envoie la lettre du général Molitor et quatre autres pièces relatives à la livraison des bouches de Cattaro aux Russes. Faites-les copier et communiquer sur-le-champ à mon ambassadeur à Vienne ou au général Andréossy, s’il y est encore. Vous trouverez ci-joint copie de la lettre que je vous ai écrite hier soir. J’espère apprendre que Braunau est toujours en mon pouvoir; faites promptement réarmer et ravitailler cette place. Faites connaître personnellement à M. Liechtenstein que mon armée venait d’être mise sur le pied de paix, et que mes troupes rentraient en France, que Braunau allait être remis, lorsque j’ai appris la trahison du gouverneur de Cattaro, qui a livré cette province aux Russes, après avoir fait toute sorte de mauvais traitements aux troupes qui allaient prendre possession, en entravant leur marche par mille difficultés et en désarmant les places de la Dalmatie, etc. Il faudrait aussi voir si les prisonniers ne sont pas rendus, voir s’il ne serait pas convenable d’en arrêter la marche; au moins on peut la retarder considérablement jusqu’à ce qu’on sache à quoi s’en tenir et la conduite que la cour de Vienne veut tenir dans cette circonstance.
Paris, 25 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, le district de Cherso étant beaucoup plus près de Paris que de la Dalmatie, vous en donnerez le commandement à un colonel ou à un général intelligent, et vous mettrez une bonne garnison dans le point le plus important et le plus près de l’Istrie, afin que l’ennemi ne cherche point à s’en emparer et à couper la communication de la Dalmatie avec l’Istrie. Ce commandant doit tenir ses troupes réunies, avoir de l’artillerie et des munitions, et être en
état de faire une bonne défense. Choisissez parmi les officiers de votre armée le plus intrépide et le plus intelligent pour lui confier le commandement de ce district. Vous le chargerez de correspondre avec le général qui commandera en Istrie et de vous rendre compte directement de tout ce qui se passerait d’important. Exigez que sur le continent de l’Istrie, vis-à-vis de ce point, il soit établi un dépôt de tout ce qui est nécessaire pour secourir cette île, si le cas l’exige. Ce district me paraît le plus important de tous, puisque, l’ennemi étant maître de Cherso, toute communication deviendrait impossible avec la Dalmatie par mer.
J’attends avec bien de l’impatience les mémoires de Lauriston et ceux de Dumas sur la Dalmatie. Je suis très-fâché que vous n’y ayez pas laissé aller Lauriston dans le temps; il y serait depuis un mois et j’aurais été instruit de ce qui arrive aux bouches de Cattaro. A défaut d’officier français qui connaisse assez ce pays, envoyez-moi un officier du génie vénitien qui y ait passé sa vie, qui soit sûr et intelligent, et capable de répondre à toutes mes questions sur la profondeur des eaux, la largeur des canaux, la nature des chemins, etc. Les renseignements que j’en tirerai me serviront à dresser mon plan de reprise des bouches de Cattaro. Vous adresserez cet officier au général Clarke, qui me le présentera, et il restera à Paris jusqu’à nouvel ordre. Il se munira à Venise de toutes les cartes, plans, mémoires, enfin de tous les documents qu’il pourra se procurer sur les îles de la Dalmatie, de l’Istrie, de Cattaro, etc. Vous sentez combien j’ai besoin d’avoir une connaissance parfaite de ces localités, qui sont entièrement ignorées ici.
Paris, 25 mars 1806
A M. Champagny
Monsieur Champagny, je vous envoie le budget de Parme; vous l’aurez sans doute déjà reçu. Présentez-moi un projet qui le réduise à sa juste valeur. Au premier coup d’œil, il me paraît absurde. Quant au gouverneur général, j’ai réglé, je crois, par un décret, ce qu’il doit avoir. Les règlements ont aussi fixé les dépenses du préfet. Le reste est susceptible de supporter une pareille réduction.
Paris, 26 mars 1806
NOTE POUR LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR
Le ministre est invité à faire connaître aux chambres de commerce qu’elles ne doivent rien imprimer, soit en leur nom collectif, soit au nom d’une commission formée dans leur sein, soit comme rapport fait à la chambre par un de ses membres, sans une autorisation préalable du ministre de l’intérieur.
Elles doivent savoir que la voie la plus inconvenante et la plus inefficace de faire parvenir à Sa Majesté ou des vues , ou des représentations, est celle de l’impression. Une chose imprimée, par cela même qu’elle est un appel à l’opinion, n’en est plus un à l’autorité.
La nécessité de donner un avertissement aux chambres de commerce est démontrée par la dernière publication que M. Dupont s’est permise. Cet écrivain, ayant des principes superficiels et faux sur l’administration , et appartenant à une secte dont les opinions exagérées ne peuvent que donner une direction vicieuse aux esprits, n’était pas propre à énoncer l’opinion des chambres de commerce, qui ne peuvent être admises à s’expliquer que sur des choses précises et des données positives. Il est le maître d’écrire en son nom privé et pour son compte; mais il est imprudent à une chambre de commerce, nécessairement composée d’hommes qui jugent des intérêts commerciaux par ce qui se passe réellement et chaque jour, de se charger de la responsabilité de ces rêveries.