Correspondance de Napoléon – Mars 1806

Paris, 10 mars 1806.

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, je reçois votre compte de l’an XIII. Vous avez en caisse 239,000 francs. Cette somme est nécessaire pour rembourser M. Estève d’une dépense secrète relative aux relations extérieures; faites-la-lui remettre demain ou après-demain , et envoyez-m’en le reçu , afin que j’arrête vos comptes et vous donne décharge de 752,000 francs. Envoyez-moi pour votre compte de l’an XIII un état divisé par colonnes; la première colonne contiendra ce qui vous a été accordé par la loi du budget; la seconde colonne, ce qui vous a été accordé sur le fonds de réserve; la troisième, le total de votre crédit de l’année ; la quatrième colonne, ce qui était ordonnancé au 1er vendémiaire an XIV sur chaque chapitre; la cinquième, ce qui était ordonnancé au 1er janvier 1806 ; la sixième, ce qui l’a été pendant janvier et février jusqu’au ler mars; la septième, ce qui était ordonnancé sur l’an XIII au 1er mars; la huitième, ce qui vous reste de crédit sur chaque chapitre; la neuvième, le supplément du crédit dont vous croyez avoir besoin pour les dépenses faites.

Le même état pour l’an XII ; par ce moyen, je connaîtrai parfaitement votre situation. Je crois que vous devez également à M. Estève pour l’an XII. Comprenez-le dans vos besoins, car il faut absolument que cette avance de la liste civile soit payée, cette dépense étant constante et relative aux affaires extérieures.

 

Paris, 11 mars 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin , je reçois votre lettre du 5 mars. Je vois que vous calculez qu’il y a plus de temps que je suis parti de Vienne que je n’en ai mis à y venir. Je sais ce que cela veut dire; mais je vous enverrai bientôt mes derniers ordres.

Vous avez prévu juste. Mon intention est qu’il déserte le plus d’Autrichiens possible, et que les Bavarois, les Wurtembergeois, les Prussiens, les Badois en prennent autant qu’ils pourront. Écrivez à Munich, à Stuttgart et à Karlsruhe, de fournir des escortes aux prisonniers autrichiens qui passeront sur leur territoire; mais que, sous aucun prétexte, il n’y passe point de troupes autrichiennes; on ne doit le souffrir d’aucune manière; ce serait une subversion de notre principe. Dites bien haut que, sous quelque prétexte que ce soit, les troupes autrichiennes ne doivent point passer leurs frontières. Les prisonniers autrichiens seront escortés par les troupe de Bavière, de Wurtemberg et de Bade; et, comme de raison, elles prendront le plus qu’elles pourront en route, et laisseront déserter tous ceux qui voudront déserter.

 

Paris, 12 mars 1806

A M. Mollien

Monsieur Mollien vous trouverez ci-joint un décret que je viens de prendre. Faites partir demain, avant midi, un inspecteur du trésor très-sévère. Le payeur de l’armée d’Italie sait comment et par qui les 4,020,000 francs ont été soustraits ; il faut qu’ils rentrent dans sa caisse. Une partie est à Milan; l’autre est en lettres de change entre les mains d’un nommé Ardant. J’ai donné ordre à la police de le faire arrêter; il a eu l’impudence de faire des reçus signés de lui. Le principal est de retirer l’argent. Deux millions se trouveront, ayant été soustraits aux contributions, de Trieste et de différentes villes du pays vénitien. Chargez l’inspecteur que vous enverrez de prendre des renseignements du payeur, pour savoir ce qui est rentré de la vente du vif-argent des mines d’Idria; il doit être rentré plusieurs millions dont on ne voit nulle part de traces et qui ont été soustraits pour des intérêts particuliers.

 

Palais des Tuileries, 12 mars 1806

DÉCRET

NAPOLÉON, Empereur des Français, Roi d’Italie,

Voulant fournir aux soldats qui composent nos armées une nourriture plus abondante, qui conserve leur santé et qui contribue à fortifier leur constitution,

Sur le rapport de notre ministre de la guerre,

Notre Conseil d’État entendu,

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit

ARTICLE Ier. A compter du 1er mai prochain, il sera fourni une masse d’ordinaire, laquelle sera administrée par les capitaines, sous la surveillance des colonels et des chefs de bataillon des corps.

Cette masse sera composée,

1° Des cinq centimes que nous avons accordés par notre arrêté du 24 frimaire an XI ;
2° De 10 centimes que nous accordons par le présent décret, lesquels ne seront payés qu’aux hommes présents sous les armes;
3° Du restant de la solde, prélèvement fait de la masse de linge et chaussures et des deniers de poche.

ART. 2. – Moyennant cette masse, les compagnies seront tenues de procurer au moins trois onces de pain blanc pour la soupe par chaque soldat, une demi-livre de viande et des légumes nécessaires à son ordinaire.

ART. 3. – Les capitaines pourront ou traiter pour la fourniture du pain de soupe, ainsi qu’il est prescrit par l’arrêté du 24 frimaire an XI , ou faire acheter le pain de soupe par les chefs d’ordinaire; ils pourront de même, pour la fourniture de la viande, ou traiter avec des bouchers ou entrepreneurs, ou faire faire boucherie, on faire acheter la viande par les chefs d’ordinaire.
Dans les villes ou autres lieux où il est ou sera établi des octrois sur les bestiaux ou sur la viande, les troupes y seront soumises comme le reste des citoyens.

ART.4. – Les capitaines ne pourront employer ou laisser employer aucun des deniers de la masse d’ordinaire à aucune autre destination que celle prescrite par l’article 2.

Toute répartition des deniers de cette masse entre les membres de l’ordinaire ou tous autres est absolument prohibée. Les économies appartiendront aux compagnies, seront conservées dans la caisse des corps et réservées pour parer aux accroissements de prix que le pain, la viande ou les légumes pourront éprouver.

ART. 5. – Le colonel ou autre chef des corps se fera représenter chaque mois les registres de la masse d’ordinaire de chaque compagnie et le visera.

Il visera fréquemment quelques-uns des livres que les chefs d’ordinaire doivent tenir, afin de s’assurer de la pleine et entière exécution des articles 2 et 4 ci-dessus.

ART. 6. – Les inspecteurs et sous-inspecteurs aux revues vérifieront, viseront, lors de leurs revues, les registres des masses d’ordinaire de toutes les compagnies; les officiers généraux, inspecteurs d’armes, les arrêteront définitivement.

Les uns et les autres s’assureront de la régularité et de la bonté de la gestion de ladite masse et particulièrement de l’exécution des articles 2 et 4 ci-dessus.

ART. 7. – En conséquence de ces dispositions, toutes nos troupes, dans quelque lieu qu’elles se trouvent, seront traitées de même et n’auront droit à aucune augmentation.

ART. 8. – Lorsque des corps seront mis sur le pied de guerre, il leur sera fait, sur la masse d’ordinaire, une retenue de 15 centimes, et, en échange, il leur sera fourni en nature quatre onces de pain de munition en supplément de la ration , une demi-livre de viande et deux onces de légumes.

ART. 9. – La surveillance des masses d’ordinaire et de leur emploi sera dans les attributions du ministre directeur de l’administration de la guerre.

ART. 10. – Nos ministres de la guerre, de l’administration de la guerre et du trésor public, sont chargés, chacun en ce qui les concerne, de l’exécution du présent décret.

 

Paris, 12 mars 1806

Au général Dejean

Envoyez chercher Solignac (Jean-Baptiste Solignac, 1773-1850. Mis en cause pour un détournement de 500.000 francs), il m’a fait une déclaration inexacte. J’ai de Trieste, Padoue, Vicence, etc., des renseignements précis. Que Solignac vous fasse une déclaration nette. Je veux avoir jusqu’au dernier sou. Si je ne l’ai point, je nomme une commission de sept colonels pour faire des enquêtes, et je fais condamner Solignac et qui de droit, par ce tribunal, à des peines infamantes : ils ont trop abusé. S’il vous déclare même jusqu’à six millions avec tous les détails pour les retrouver, bien; sans quoi, faites-le arrêter.

 

Paris, 12 mars 1806

Au prince Joseph

Mon Frère, j’ai reçu l’état de situation de votre armée du ler mars. J’espère qu’à l’heure qu’il est vos troupes occupent tous les points du royaume de Naples. Vous avez de l’artillerie à Capoue et à Naples; vous ne devez être arrêté par aucune difficulté pour assiéger Gaète. Ne faites pas tirer inutilement quelques coups de canon; mettez trente ou quarante pièces de canon en batterie et approvisionnez votre parc de manière à pouvoir faire un feu soutenu. En huit ou dix jours de tranchée, vous vous emparerez de la ville, si tant est qu’elle se défende jusque-là. Il faut tâcher, si cela est possible, de leur intercepter, par des batteries placées de droite et de gauche, la communication avec la haute mer. De toutes les mesures que vous pourrez prendre, c’est celle qui leur causera le plus de frayeur et qui influera le plus sur leur moral.

Je ferai acquitter le mandat de 500,000 francs que vous m’annoncez. Aussitôt que j’ai reçu votre lettre, j’ai fait écrire à M. James.

Vous avez 40,000 hommes; c’est plus qu’il ne vous en faut pour conquérir la Sicile et Naples.

Fesch vous aura instruit de mes difficultés avec la cour de Rome. Je ne veux point qu’elle entretienne aucun ministre des puissances avec lesquelles je suis en guerre. Je ne la laisserai jouir de son indépendance et de sa souveraineté qu’à ces conditions. C’est dans ce sens que vous devez vous en expliquer.

Mettez de l’énergie dans votre organisation.

 

Paris, 12 mars 1806

Au prince Joseph

Mon Frère, je vous ai envoyé 500,000 francs en or de mon royaume d’Italie; j’ai ordonné qu’au payât vos 500,000 francs de traites; c’est tout ce que je puis faire pour l’armée de Naples. Mes armées sont très-nombreuses; elles rentrent et exigent des dépenses immenses; ma marine exige aussi de très-fortes dépenses. Il m’est impossible de suffire à de nouveaux frais. Jusqu’à cette heure vous administrez trop mollement le royaume de Naples. Ce n’est pas la manière de conduire ces peuples. Je me vous ai envoyé, dans l’ordre civil, que quelques auditeurs, jeunes gens qui apprendront bien vite l’italien et qui sont probes.

Il est de toute impossibilité que je vous envoie 1,500,000 francs par mois pour le service de l’armée de Naples. Mettez une imposition de guerre de trente millions sur le royaume de Naples. Il est extraordinaire qu’il ne rende pas le tiers de ce que rend le royaume d’Italie. Vous montrez trop de douceur au commencement; il est nécessaire de ne pas commencer votre administration mollement. Toutefois, arrangez-vous pour vous suffire. Prenez les biens de tous ceux qui ont suivi la Cour.

Vous trouverez ci-joint copie d’un décret pour faire rentrer dans la caisse du payeur les sommes qui ont été détournées. Masséna et Solignac ont détourné six millions des contributions de l’armée d’Italie; il faut qu’ils rendent jusqu’au dernier sou.

Vos 1,400,000 francs de lettres de change seront payés. Envoyez-moi le bordereau, parce que je suis assuré d’un fonds de 2,700,000 francs qui a été retrouvé. Faites donner à Masséna le conseil de rendre les six millions qu’il a pris. S’il les rend vite, c’est le seul moyen de se sauver : car, s’il ne les rend pas, je nommerai une commission militaire, qui siègera à Padoue, pour faire des enquêtes; car enfin, c’est un trop grand brigandage. Souffrir que le soldat meure de faim, soit sans solde, et prétendre qu’on a reçu, en don, des provinces, des sommes qui lui étaient destinées, c’est par trop imprudent; il n’y a plus moyen de faire la guerre. Faites surveiller Saint-Cyr. Le détail de leurs dilapidations est inouï; c’est par les Autrichiens que je l’apprends, et ils en ont rougi eux-mêmes; ils ont laissé passer des farines pour venise. Le mal va trop loin. Le remède, je l’y porterai. Je donne ordre d’arrêter Ardant : c’est un agent de Solignac , qui doit être à Paris ou à Milan. Sil était à Naples, faites-le arrêter, et envoyez-le sous bonne et sûre escorte, à Paris.

Vous aurez vu que Flachat a été condamné à un an de fers et que ses transactions ont été annulées.

 

Paris, 12 mars 1806.

NOTE POUR LE MINISTRE DES FINANCES

Dans votre compte des finances de cette année vous portez, à l’état des recettes du chapitre III, 16,400,000 francs, comme rentrés au ler vendémiaire an XIII, sur les moyens extraordinaires. Il y a erreur.

Il était rentré :
l° 19,200,000 d’Italie,
2° 1,000,,000 de Gênes,
2,000,000 de Parme,
180,000 d’Étrurie,
et 25,000 de Piombino;
ce qui fait beaucoup plus que vingt-deux millions.

Vous portez à la colonne Vente des domaines nationaux 9,900,000 francs, pour produit effectif, d’après l’état du trésor. Il faut porter vingt millions, puisque nous avons encore des domaines.

A l’état des dépenses, page 3, il faut mettre une colonne de plus pour la distribution du fonds de réserve, et une autre pour le total.

Il ne faut point mettre les cent millions de l’administration de la, guerre comme payés.

 

Paris, 12 mars 1806

DÉCISION

Le ministre de la guerre propose de renvoyer de l’école militaire impériale de Fontainebleau les élèves pensionnaires Delamoussay et Touyard, pour s’être
battus avec les baguettes de leurs fusils qu’ils avaient aiguisées.
Les faire mettre en prison pour quinze jours.

 

Paris, 12 mars 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, vous trouverez ci-joint un décret que vous tiendrez secret, parce que l’agent du trésor va partir. Vous aurez bien soin que les 2,710.0,.0100, francs que vous avez soient versés dans la caisse du payeur. Faites faire des enquêtes par le conseiller d’État Dauchy; je veux avoir jusqu’au dernier sou. Lorsque mon armée n’est pas payée, c’est une indignité de friponner de cette manière. Si Ardant est à Paris, il sera arrêté dans la journée de demain. Si ces sommes se montent à plus de quatre millions, je veux le savoir. Je prendrai les mesures nécessaires pour les recouvrer. Il faut cependant que vous ne vous montriez pas personnellement trop; ne faites juste que ce que vous devez faire; si vous êtes même sûr que les 2,700,000 francs ne sortiront pas, vous pouvez attendre l’arrivée de l’agent du trésor.

Envoyez-moi le bordereau des traites qui sont sur Paris, afin que j’en fasse séquestrer le montant.

Vous trouverez ci-joint un bordereau que m’envoie le prince Joseph. Je ne comprends pas trop ce que veut dire l’observation. Est-ce la solde qui n’est pas payée ? Prenez des renseignements pour qu’on ne paye pas double solde. Faites-moi connaître la situation de la solde de tous les corps de l’armée de Naples, et faites vérifier leur comptabilité par un inspecteur aux revues.

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Indépendamment des 4,020,000 francs, il y a des villes qui ont donné aussi des contributions. Prenez tous les renseignements et aidez l’inspecteur du trésor. Je désire savoir ce qu’est devenu le produit des mines d’Idria; elles doivent avoir rendu plusieurs millions.

 

Paris, 12 mars 1806

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, les états que vous m’envoyez pour l’an XI et l’an XIII ne sont que des analyses; je voudrais des détails, mission par mission, budget par budget. Les relations extérieures s’augmentent tous les jours, et nous avons la guerre ! Il est nécessaire d’avoir un budget et d’en exécuter tous les chapitres.

 

Paris, 13 mars 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je vois, par votre lettre du 7, que tout se met en mouvement du côté d’Osoppo et de Palmanova; j’attache à ces travail plus grande importance; je suis bien aise que Chasseloup mi envoyé les plans. Mais ces deux places ne suffisent pas; écrivez à Marmont qu’il fasse des reconnaissances depuis Palmanova jusqu’à Cividale et Caporetto. J’ai perdu de vue ces localités, que j’ai cependant bien connues; mais, autant que je peux m’en souvenir, du moment qu’on sort de Goritz et qu’on a monté la vallée de l’Isonzo, il devient impossible de se porter sur Udine; il n’y a aucun chemin de voiture. Ainsi, dans toute la vallée de l’Isonzo, on ne peut aller à Udine que par Caporetto, par le grand chemin de Cividale, que par Venzone, c’est-à-dire par Osoppo, et enfin que par Gradisca, c’est-à-dire par Palmanova. S’il en était ainsi, mon intention serait d’avoir sur le chemin d’Udine à Caporetto une place forte. Il faut donc que Marmont fasse la reconnaissance du pays et qu’il choisisse le lieu.

Ce ne serait point une place de dépôt; ce serait une place qui renfermerait tout le système défensif à établir dans la vallée; mais, pour cela, il faut des localités faites exprès. S’il était impossible de trouver un site qui fermât la vallée qui conduit de Caporetto à Cividale, alors un simple fort dans une belle position, le plus près possible de la frontière ennemie, pourrait suffire. Ce fort, maîtrisant la grande route, gênerait toujours d’autant les opérations de l’ennemi, les surveillerait, et servirait de magasin naturel aux corps qui seraient placés pour défendre le débouché de Caporetto.

Il serait nécessaire de reconnaître la chiusa vénitienne qui se trouve située entre Pontebba et Osoppo. Existe-t-elle ? Est-elle en bon état ? Que faut-il faire pour la mettre dans le cas de fermer tout à fait la vallée et de servir d’avant-poste à Ossopo? Je vous recommande bien de veiller aux approvisionnements de Palmanova, d’en surveiller l’armement, d’y réunir graduellement une grande quantité de bois, d’y faire établir une belle manutention, capable de cuire pour toute une armée.

Faites-moi connaître le nombre de pièces d’artillerie qui sont arrivées de Vienne sur le territoire de l’Italie. J’ignore également de quelle manière Venise et son territoire sont armés, et la quantité d’artillerie que je possède là. Faites-moi passer des états abrégés qui me fassent connaître la situation des choses.

 

Paris, 13 mars 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, j’ai reçu l’état de situation que vous m’avez envoyé. Sur l’état des commandants d’armés, je n’en vois pas pour Osoppo; cela serait pourtant bien plus nécessaire qu’à Reggio, Padoue et Lodi. Je vois que le 5e régiment d’infanterie de ligne n’a que 1,600 hommes en Dalmatie, 710 hommes tant embarqués qu’au dépôt, 286 aux hôpitaux, et 304 prisonniers de guerre; total, 2,900 hommes, sur lesquels il n’y a que 1,600 présents à la division. D’abord les prisonniers de guerre doivent être rentrés depuis longtemps. Pourquoi y a-t-il 700 hommes au dépôt ? Voyez à les faire partir au fur et à mesure pour rejoindre; ils s’instruiront bien mieux à leur corps que dans les dépôts isolés.

Le 23e a 131 prisonniers de guerre; comment se peut-il que ces prisonniers ne soient pas rentrés ? Le 79e a 800 hommes à son dépôt, le 81e en a 400; faites passer la revue de ces dépôts, et, du moment qu’il y aura 150 hommes prêts à partir, faites-les marcher.

Je vois que les deux compagnies de sapeurs ne sont qu’à 40 ou 50 hommes; complétez-les à 100, en y envoyant des conscrits de la réserve. Je vois que l’artillerie n’est portée qu’à 62 hommes; complétez-la également sur le pied de 100 hommes, soit par des conscrits, soit par des canonniers que vous prendrez dans les dépôts. Comment les compagnies du régiment italien ne sont-elles que de 98 hommes ? Portez-les au grand complet de guerre.

Mon intention est que tous jours, avant de vous coucher, vous jetiez un coup d’œil sur la Dalmatie pour prévoir ses besoins de toute espèce et vous occuper des moyens d’y pourvoir. Vous devez avoir des nouvelles de ce pays toutes les semaines, alternativement par un officier du général Molitor, par un officier de votre état-major général, et tous les mois un de vos aides de camp doit parcourir cette province et vous faire connaître tous ses besoins. Cette division reste sur pied de guerre; j’y ai dix-huit bataillons; mon intention est que, sous peu de temps, ces cadres soient portés à 18,000 hommes. Cette force est nécessaire, non-seulement pour en imposer à l’Autriche, mais aussi pour contenir les Turcs et seconder mes mesures politiques. Pourquoi le général Molitor n’a-t-il qu’un aide de camp ? Il lui en faut trois. Pourquoi le général Delegorgue est-il sans aide de camp ? Un général du génie et trois officiers ne sont pas en nombre suffisant. Deux commissaires des guerres ne sont pas assez. Je ne vois point d’adjoints d’état-major; il en faut au moins quatre avec l’adjudant commandant.

Le 13e de ligne a beaucoup trop de monde à son dépôt.

Les deux compagnies françaises qui sont en Istrie ne sont que de 83 hommes; portez-les toutes deux au grand complet. La compagnie italienne n’a que 47 hommes; complétez-la également. La division de l’Istrie, qui n’est que de 3,500 hommes, doit être portée au grand complet de guerre, c’est-à-dire à 7,000 hommes. Un seul commissaire des guerres n’est pas suffisant.

Pourquoi, à l’article du 9e de ligne, porte-t-on 300 hommes en dépôt à Vérone ? Puisque le dépôt est maintenant réuni avec le régiment, tout cela devrait être confondu.

Je vois avec peine que vos régiments de cuirassiers soient si faibles; le 4e n’a pas 400 chevaux, et le 6e n’en a que 330; de manière qu’ils ne font que 700 chevaux. Mon intention est que la grosse cavalerie soit toujours sur le pied de guerre, c’est-à-dire portée à 600 chevaux. Les corps doivent avoir de l’argent en caisse; pourquoi les colonels le laissent-ils dormir ? Il faut qu’ils envoient en remonte et vous devez veiller à ce que des mesures soient prises pour qu’au plus tard au mois de juin ils aient les 660 chevaux. Réunissez les dépôts et placez-les dans les lieux les plus convenables pour leur instruction. C’est dans la grosse cavalerie que doit être, au plus haut degré, la science de l’homme à cheval. J’ai été extrêmement content de tous les combats de la cavalerie à la Grande Armée; mais les hommes, individuellement, ont besoin d’instruction. Je vois avec plaisir que ces régiments sont forts en hommes. Le 61e seulement, n’a pas ce qu’il lui faut; il vous sera facile de lui donner, sur les conscrits de la réserve , une soixantaine d’hommes. Le 19e de chasseurs est bien faible; comment n’est-il que de 300 hommes ? Comment le 23e n’est-il également que de 300 hommes ? Je donne ordre au dépôt du 23e, ainsi qu’à celui du 15e de se rendre en Italie; il faut que ces régiments puissent, dans le courant de l’été, vous offrir 2,400 chevaux pour entrer en campagne; ils n’en ont que 1,500; ils doivent avoir de l’argent; informez-vous de ce qu’ils en font.

Faites passer la revue de tous les dépôts de l’armée de Naples. Pourquoi le dépôt du 19e, pourquoi celui du 10e de ligne, qui est fort de 600 hommes, pourquoi celui du 20e, qui en a 500, celui du 42e, qui en a 600, etc., n’envoient-ils pas à leur régiment ? Vous avez donc dans les dépôts de l’armée de Naples 9,000 hommes et 700 chevaux. Faites-moi connaître comment sont organisés ces dépôts. Est-ce le 3e et le 4e bataillon qui s’y trouvent, ou sont-ce
des dépôts inorganisés? Mon intention est que ce soient des bataillons; car, si éloignés de leurs corps, il serait très-dangereux de n’avoir que des dépôts sans organisation.

Vous portez le 62e à Mantoue; j’ai lieu de croire qu’il est à Modène; si cela est vrai, ce sont des erreurs qu’il faut éviter. Tous ces dépôts ont-ils leur habillement ? Envoyez votre chef d’état-major les inspecter un à un et dans le plus grand détail, et dites au général Charpentier qu’il doit mettre un grand soin dans la rédaction des états qu’il m’enverra; que le temps n’est plus où les états restaient enfouis dans les cartons de la guerre, que tout me passe sous les yeux; il faut donc qu’il m’instruise, par les états qu’il m’enverra, comme si je voyais moi-même ces dépôts.

Faites-moi connaître combien chacun de ces corps doit recevoir de conscrits de l’an XIV, si on pousse leur instruction et s’ils sont habillés. Le régiment d’artillerie italienne est bien faible : portez-en les compagnies à 100 hommes. Je vois que cette artillerie est répandue partout, à Padoue, à Vicence, etc. Réunissez tout ce qui n’est pas dans les places fortes, afin de profiter de la belle saison pour l’instruire. Portez donc votre surveillance sur les régiments français de votre armée, sur les dépôts de l’armée de Naples, et enfin sur l’armée italienne; réunissez le plus d’artillerie italienne que vous pourrez à Pavie, pour qu’ils puissent faire leur polygone pendant tout l’été.

Faites partir le 20 mars un nouvel état de situation qui me fasse connaître votre position au 15 mars, et que je trouve dans les notes tout ce qui pourra me mettre à même de connaître la situation des dépôts et les raisons de leur accroissement ou de leur diminution. Faites-moi aussi connaître à cette même époque le nombre de places vacantes dans chaque régiment, le nombre des conscrits arrivés à votre armée et dans les dépôts de l’armée de Naples depuis le dernier état, et enfin ce qui vous est arrivé du dépôt général de Strasbourg, et dans quels corps vous les avez distribués.

D’ici à deux mois, l’air va devenir malsain en Italie. Votre principale étude doit être d placer mes troupes dans des pays sains; c’est parce que j’ai souvent porté cette attention jusqu’à la minutie que j’ai eu si peu de malades, et, depuis, c’est parce qu’on a négligé ce soin et qu’on a mis les soldats dans les marais et sur les bords du Pô qu’on a eu tant de malades. Brescia, Vérone, Salo, Udine, Bologne, Rimini, voilà les pays les plus sains de l’Italie. Mantoue, Peschiera, Porto-Legnago sont extrêmement malsains. Pendant quatre et cinq mois de l’année, il faut n’y avoir que de très-petits détachements, et même n’y mettre que des Italiens. Vicence, Bassano, Trévise sont très-sains. Padoue est moins sain. Venise doit être malsain. Étudiez donc avec soin vos cantonnements, et joignez à l’état du ler avril les dispositions projetées pour le ler mai.

 

Paris, 13 mars 1806

A M. BÉRENGER, DIRECTEUR DE LA CAISSE D’AMORTISSEMENT

Monsieur Bérenger, dans le bordereau que vous m’avez remis de la situation de la caisse d’amortissement, je vois que vous avez maintenant à la Grande Armée, en caisse, en numéraire. 1,100,000 francs.

Retours attendus de Hambourg, qui seront probablement reçus avant le ler avril . . . . . . .2,800,000 francs.
Traites qui échoient à Paris, en mars, avril et mai.                                                              630,000
Sur Amsterdam . . . . . . . . . . . . . . . . 1,200,000
Sur Hambourg . . . . . . . . . . . . . . . .  1,200,000
Sur Francfort . . . . . . . . . . . . . . . .    1,280,000
Sur Augsbourg . . . . . . . . . . . . . . .   1,400,000

Ces sommes me sont très-nécessaires ; et, dans le courant de mai, j’aurai besoin de leur totalité, du soir au matin. Il faut donc que ces sommes existent dans votre caisse, en espèces, et non représentées par des billets de banque ou des effets quelconques.

 

Paris, 14 mars 1806

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, vous verrez dans la journée M. de Vincent; vous lui direz que j’entends passer de l’Isonzo en Dalmatie par terre; que la république de Venise y avait passage, et qu’il serait absurde de m’avoir donné la Dalmatie, si l’on me refusait les moyens d’y communiquer par terre. Enfin il faut parler clair : si l’on ne veut point m’accorder cette communication, je n’accepte point la Dalmatie, et j’ordonne que mes troupes ne quittent point Braunau; car me refuser ce qu’on accordait à la république de Venise, c’est m’ôter cette province et ne pas remplir les conditions du traité.

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Tâchez que M. de Vincent expédie, dans la journée, un courrier à sa cour; car dites-lui bien que mes troupes qui devaient quitter l’Allemagne ont reçu l’ordre d’y rester, et que certainement je ne laisserai pas 10,000 hommes en Dalmatie isolés, sans communication.

 

Paris, 14 mars 1806

Au prince Eugène

Mon fils, voici un décret que j’ai pris. Comme j’imagine que le ministre de la guerre ne vous l’expédiera que dans deux ou trois fois vingt-quatre heures, je vous l’envoie à l’avance pour que vous le fassiez mettre aussitôt à exécution. Nommez un inspecteur aux revues qui soit votre confiance. Mon intention est que, ces divisions de dépôt une fois organisées, il ne sot plus fait aucun mouvement des dépôts sur Naples sans mon ordre.

(Mémoires du prince Eugène)

 

Paris, 14 mars 1806

Au prince Eugène

Mon fils, mon intention est quel ‘arsenal et tous les établissements d’artillerie de mon royaume d’Italie restent fixés à Pavie, et que, sous quelques prétexte que ce soit, on ne puisse les mettre ailleurs, et que les établissements d’artillerie de mon armée

française en Italie soient placés à Padoue ou à Vérone, je vous laisse le choix. Faites-moi connaître par le retour du courrier le point que vous choisissez; que ce soit celui où il y a. le plus de magasins et d’établissements. Mon intention est que tout l’équipage de campagne de 1’armée française soit réuni à Vérone, et que les régiments d’artillerie à pied et à cheval destinés à servir à l’armée d’Italie, qui sont à Plaisance, se rendent à Vérone, afin qu’ils soient entièrement dans l’armée.

Vous trouverez ci-joint l’état des objets d’artillerie qui doivent être arrivés à Palmanova; il y a, non-seulement de quoi armer Palmanova, Osopo et la nouvelle place que je veux établir à Cividale, mais on peut en faire refluer sur Mantoue; faites faire l’armement et les affûts nécessaires, afin que les places de Palmanova et d’0sopo se trouvent parfaitement garnies.

Envoyez-moi un état de toutes les pièces d’artillerie de campagne qui sont en Italie appartenant à la France, et de celles qui appartiennent au royaume d’Italie, en distinguant celles qui seraient aujourd’hui à l’armée de Naples, afin’ que je prenne un décret qui règle la portion de l’équipage de campagne qui doit rester à Palmanova en dépôt, la partie qui doit rester à Vérone au parc général et la partie qui doit rentrer en France, c’est-à-dire du coté d’Alexandrie.

(Mémoires du prince Eugène)

 

Paris, 14 mars 1806

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, il est trois pays que je désirerais bien avoir pour arrondir le prince Murat : d’abord les abbayes d’Essen et de Werden; cela ne fait que vingt mille âmes; après, le comté de Lamarck; enfin le comté de Wittgenstein. Les deux premiers appartiennent à la Prusse; je ne sais trop à qui appartient le troisième; faites-m’en un rapport. Je désire que vous cherchiez ce qu’on pourrait céder à la Prusse en échange; il y a autour d’elle des petits princes dont les États sont à sa convenance. Dites qu’Essen et Werden appartiennent à Clèves, car c’est une des nouvelles possessions acquises par la Prusse.

Je désire que vous me fassiez un rapport pour donner Francfort à Darmstadt, qui indemniserait Hesse-Cassel et Nassau; ceux-ci céderaient les pays contigus au duché de Berg; Hesse-Cassel céderait l’enclave près du Rhin , qui serait donnée à Bade. Il faut que cette affaire soit terminée promptement et ratifiée en moins de vingt jours.

Est-il utile que le prince Murat prête foi et hommage à l’empereur d’Allemagne ? N’est-ce pas moi qui le garantis ? Faites des instructions à M. de la Rochefoucauld pour qu’il donne communication des nouvelle destination du duché de Berg et de Clèves. Vous ne parlerez à M. de Haugwitz que le 16 de ce que je veux faire pour le prince Murat et des augmentations que je désire lui faire obtenir.

 

Paris, 14 mars 1806

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, j’ai vu ce soir M. Ver Huell. Voici mots à quoi j’ai réduit la question : la Hollande est sans
exécutif; il lui en faut un : je lui donnerai le prince Louis. On fera un pacte par lequel la religion du pays sera respectée; le prince gardera la sienne, et chaque partie de la nation gardera la sienne. La constitution actuelle sera conservée, hormis qu’au lieu d’un Pensionnaire il y aura un roi. Je n’aurai pas même de difficulté à lui donner le titre de stathouder. Du reste, la constitution  sera la même. Schimmelpenninck présidera le conseil des puissances. Dans toutes les relations extérieures, dans le gouvernement des colonies et dans toutes les affaires d’État, les actes seront au nom du stathouder ou du roi. Il me semble que cela devrait être fait très-promptement. Confirmez M. Ver Huell dans ces idées, et qu’il parte après-demain. Rédigez-moi un projet, et envoyez à La Haye une personne adroite pour suivre cette affaire. Il faudrait que le château du Loo et les domaines en dépendants fussent donnés au prince, avec des moyens de soutenir la splendeur de son rang. C’est une affaire à laquelle je suis décidé; cela, ou bien la réunion. Les arguments sont que, sans cela, je ne ferai rendre aucune colonie à la paix, au lieu que non-seulement je ferai rendre toutes les colonies , mais je leur ferai même entrevoir que je procurerai la Frise. Enfin il n’y a plus un moment à perdre. Il faut q’avant vingt jours le prince Louis fasse son entrée à Amsterdam.

Pourquoi ferais-je rendre des colonies que l’on laissera toujours prendre sans résistance ?