Correspondance de Napoléon – Mars 1806

Paris, 6 mars 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, nous sommes enfin d’accord avec la Prusse. Dans deux jours, je vous enverrai mes derniers ordres pour l’armée, et je vois avec plaisir que le moment de votre retour n’est pas éloigné. Le roi de Bavière m’a écrit une lettre et M. Talleyrand m’a communiqué une liste de récompenses qu’il veut donner, qui m’ont paru assez ridicules; parlez-lui-en de ma part. Verdière n’a rien fait. Tilly n’a rien fait. Saint-Laurent n’a rien fait de suffisant. Je ne les approuverai que pour Léopold Berthier, pour Éblé, pour Songis, Kellermann. En remplacement, je verrai sans peine qu’elles soient données à Salligny, à Malher, à Ordener, à Beaumont, ou à Klein, ou à Walther. Le corps de Bernadotte n’a pas plus fait que les autres. Puisque le roi de Bavière veut donner des distinctions, qu’il les répartisse dans les différents corps d’armée : dans ceux de Ney, de Soult, de Bernadotte, de Davout, de Murat. Laplanche-Mortière et Dupas en méritent aussi plus que d’autres.

Quand j’ai voulu donner à des Bavarois des décorations de la Légion d’honneur, j’ai demandé au roi de Bavière sa liste; il était convenable qu’il me demandât la mienne.

Quant à Canisy et Villoutreys, c’est une affaire de cour; il n’y a pas d’inconvénient.

 

Paris, 6 mars 1806

Au prince Joseph

Mon Frère, je reçois votre lettre du 22 février. Faites fusiller impitoyablement les lazzaroni qui donnent des coups de stylet. Ce n’est que par une salutaire terreur que vous en imposerez à la populace italienne. Le moindre avantage que puisse procurer la conquête de Naples, c’est d’entretenir votre armée de 40,000 hommes. Frappez une contribution de trente millions sur tout le royaume. Votre marche est trop incertaine. Il faut que vos généraux, vos soldats, soient dans l’abondance. Trente millions ne sont rien pour le royaume de Naples. Vous avez sans doute fait réunir les prêtres, et vous les avez rendus responsables du moindre désordre. Les lazzaroni doivent avoir des chefs. Au premier mouvement, chassez-en 12 ou 15,000 Naples. S’ils ont des chefs, il faut qu’ils répondent de tout. Quelque chose que vous fassiez, sachez que vous aurez une insurrection. Désarmez-les. Vous ne me parlez point des forts; s’il est nécessaire, faites établir trois ou quatre batteries, comme j’avais fait au Caire, qui puissent jeter des bombes dans les différents quartiers de Naples. Vous ne vous servirez jamais de ces instruments meurtriers, mais leur existence en imposera à la ville. Le royaume de Naples n’est point épuisé; vous avez de l’or partout, puisque partout vous avez des fiefs, des impositions aliénées. Gardez-vous de confirmer les abus de l’ancien régime; il faut que dans quinze ou vingt jours, par un décret de vous ou de moi, tout soit rapporté, et que toute aliénation de domaine et même d’imposition, quand même elle aurait eu lieu de temps immémorial, soit annulée, et qu’un système d’imposition égal et sévère soit établi. Naples doit vous rendre une centaine de millions, sans compter la Sicile; il ne les rend pas parce qu’on y a suivi l’ancien système des rois d’Espagne, lorsqu’ils administraient le pays par des vice-rois. Je vous ai envoyé des officiers de marine; je vous ai envoyé autant de bâtiments que j’ai pu; ils n’arriveront pas aussi vite qu’il le faudrait peut-être, mais ils arriveront. J’ai ordonné qu’on vous envoyât de Toulon 1,200,000 rations de biscuit. Vous n’avez point d’argent, mais vous avez une bonne armée et un bon pays qui doit vous en fournir. Faites faire les préparations du siège de Gaète. Vous me parlez de l’insuffisance de vos moyens militaires : avec deux régiments de cavalerie, deux bataillons d’infanterie légère et une compagnie d’artillerie, il y a de quoi mettre en désarroi toute la canaille de Naples. Mais la première de toutes les choses est de ne pas manquer d’argent; vous ne pouvez en avoir que de Naples. Une contribution de guerre de trente millions arrangera tout et vous mettra à votre aise. Parlez-moi un peu des forts. J’imagine qu’ils dominent la ville, et que vous y avez nommé des commandants ad hoc. Il faudra bientôt vous occuper d’organiser gendarmerie.

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Les sentiments qui vous naissent à votre entrée à Naples naissent toujours à la première entrée en pays conquis. Naples est plus riche que Vienne et n’est pas aussi épuisée. Milan même, lorsque j’y suis entré, n’avait pas un sou. Encore une fois, n’attendez pas d’argent de moi. Les 500,000 francs en or que je vous ai envoyés sont la dernière somme que j’enverrai à Naples. C’est moins encore par le cas que je fais de trois ou quatre millions que j’en agis ainsi que pour le principe. Levez trente millions; soldez votre armée; traitez bien vos chefs de corps et vos généraux, et organisez votre matériel.

 

Paris, 7 mars 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, ce courrier, qui se rend à Francfort, continue sa route sur Munich. J’ai envoyé l’ordre au maréchal Augereau de renvoyer la division batave en Hollande et de faire partir la division Dupont pour Düsseldorf. Instruisez de cela le roi de Bavière; dites-lui que la division Dupont se rend à Düsseldorf pour occuper Wesel et tout le duché de Clèves.

Recommandez au maréchal Bernadotte de profiter de sa présence à Anspach pour prendre possession de tous les fiefs de la noblesse, surtout de ceux litigieux entre Anspach et Bayreuth, afin que, quand je remettrai ce pays au roi de Bavière, il n’ait aucun sujet de difficulté avec la Prusse.

Dans le traité de Vienne, la Prusse se réservait un territoire équivalent à 20,000 âmes de population; dans le dernier traité, cet article est retranché; la Bavière doit posséder Anspach tout entier, avec tous les biens de la noblesse immédiate. Quand le Roi vous aura remis un état de tous les fiefs de la noblesse immédiate, intermédiaires entre Anspach et Bayreuth, le maréchal Bernadotte en fera prendre possession, de manière qu’Anspach, avec toutes ses dépendances, soit sujet de la Bavière.

 

Paris, 1 mars 1806

Au maréchal Augereau

Mon Cousin, toutes mes difficultés avec la Prusse paraissent être levées. La ville de Francfort n’a payé que deux millions de sa contribution; il faut qu’elle paye les quatre millions. Déclarez que mes troupes y resteront jusqu’à ce que cette somme soit soldée.

Faites partir, immédiatement après la réception de la présente lettre, la division Dumonceau pour la Hollande; vous la dirigerez sur Nimègue. Dirigez la division Dupont, composée des 9e, 32e et 96e régiments, sur Düsseldorf. Le général Dupont recevra là des ordres qui lui seront portés par un de mes aides de camp. Faites-moi connaître par un courrier le jour où ce général arrivera à Düsseldorf avec sa division; le départ de ces 10,000 hommes débarrassera d’autant vos environs. En général, désormais faites plutôt des mouvements qui vous replient sur Francfort que des mouvements en
avant qui puissent alarmer.

 

Paris, 7 mars 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, j’ai reçu votre lettre du ler mars. Je suis comme vous surpris et fâché de ce qui arrive à l’archevêque de Bologne. Écrivez au préfet que, s’il est encore question de cette affaire, je ferai mettre la tante et la fille à Bicêtre; vous traduirez ce mot par un mot équivalent à Milan; que j’honore le cardinal Oppizzoni et que je n’entends pas qu’une entremetteuse et une fille compromettent une personne aussi respectable, quand même il serait vrai qu’il eût eu des faiblesses. Qu’il ne soit donc plus question de cela.

 

Paris, 7 mars 1806.

DÉCISION

M. Lebrun demande à l’Empereur l’autorisation de prendre, dans la caisse du receveur de Gênes, des fonds pour le payement des pensions religieuses.Renvoyé au ministre des finances, pour lui faire connaître que je n’approuve pas que l’on sorte des règles ordinaires; que les pensions religieuses ne sont pas plus sacrées que mon armée, et qu’on peut se procurer de l’argent sans violer les caisses.

 

Paris, 8 mars 1806

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, je ne vois pas d’inconvénient à rouvrir les communications avec Hesse-Cassel, pourvu que l’on ne souffre à cette Cour ni Taylor, ni Humboldt, ni Drake, ni Spencer Smith, ni Wickham, ni tout autre individu qui aurait été mêlé dans les tripotages antérieurs, ou qui serait susceptible d’être soupçonné d’avoir autorisé de pareilles intrigues.

 

Paris, 8 mars 1806

Au roi de Bavière

Monsieur mon Frère et Cousin, je reçois la lettre de Votre Majesté. J’ai chargé le maréchal Berthier d’avoir l’honneur de la voir, pour lui demander que les marques de satisfaction qu’elle veut donner à des officiers francais fussent réparties sur les différents corps d’armée, sans être exclusivement réservées à aucun, et qu’elle choisît des hommes qui puissent recevoir et donner de la considération en France à sa décoration. Il faut pour cela que ce soient des hommes distingués par leur courage et par leurs services, afin que des hommes plus que médiocres n’obtiennent pas une distinction si honorable.

J’ai en quelques difficultés avec la Prusse, qui ne prétendait rien moins que de ne pas me donner Anspach ni Wesel. Mais un nouveau traité a été fait à Paris et vient d’être ratifié; toutes les difficultés sont donc levées aujourd’hui, et Votre Majesté va entrer en possession d’Anspach sans retard; elle le possédera entier et sans aucune soustraction. J’ai chargé le maréchal Berthier de vous demander la note des biens immédiats voisins d’Anspach pour qu’il puisse en prendre possession. Il faudrait que Votre Majesté les tînt de moi et les reçût de Bernadotte, pour s’éviter tout différend à ce sujet avec la Prusse. Que Votre Majesté fasse passer ses ordres au maréchal Bernadotte, afin que, quand je lui remettrai Anspach, il fasse planter des poteaux avec vos armes pour limites avec la Prusse, afin qu’il n’y ait plus de difficultés lorsque vos troupes entreront pour garder le pays et que celles de Prusse se retireront.

Ayant tenu ainsi mes engagements pour Anspach, il me reste à réclamer de Votre Majesté la remise du pays de Berg. Je désire que Votre Majesté nomme un commissaire pour me remettre le pays. La division Dupont s’y rend pour prendre aussi possession de Clèves et de Wesel.

 

Paris, 8 mars 1806

Au général Dejean

Le comité des inspecteurs aux revues dit qu’il y avait à nouveau dans l’intérieur, pendant germinal an XIII. . . 220,839 hommes.

Vous m’avez dit, dans votre rapport, qu’il faut ajouter à ce nombre :

Les militaires détenus près les conseils de guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439
Les condamnés au boulet . . . . . . . . . . 824
Les dépôts de conscrits. 762
Les gardes-côtes . . . . . . . . . . . . . . 3,841
Les prisonniers de guerre . . . . . . . . . . 1,814
Les militaires escortés par la gendarmerie. 8,330
Les prisonniers de guerre en marche. 87
Les prisonniers de guerre escortés. . 175
Les déserteurs escortés . . . . . . . . . . . 13

Total . . . . . 237,124

Le fournisseur ne demande des rations que pour . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 234,331
Différence . . . . . 2,793

Le comité dit qu’il y avait à nourrir, à l’intérieur, pendant le même mois de germinal . . . . . . 26,653 hommes

En y ajoutant ce que vous indiquez dans votre rapport, montant à . . . . . . . . . . . . . 367

Il y aurait eu à nourrir. . . . . . . . . . . 27,020

L’entrepreneur n’a fourni que . . . . . . . . 22,612

Différence . . . . . 4,408

Vous voudrez bien me dire par qui les hommes ont été nourris. Observez qu’il y a une différence de plus de 7,000 hommes.

En floréal, la chose change dans l’intérieur; le comité ne porte à nourrir que . . . . . . . . 211,850 hommes.
En ajoutant à ce nombre ce que vous demandez dans votre rapport . . . . . . . . . . . . 17,601

Total à nourrir . . . . . 229,451

L’entrepreneur prétend avoir nourri . . . . . 248,593

Différence . . . . . 19,142

Pendant le même mois, à l’intérieur, le comité ne porte à nourrir que . . . . . . .  . . . . . 25, 72 52 hommes.

En y ajoutant ce que vous indiquez . . . . . 261

Il n’y aurait eu à nourrir que . . . . . . . . . 26,013

L’entrepreneur prétend avoir nourri . . . . . 26,543

Différence. 530

Pendant le mois de prairial, pour l’intérieur, le comité ne porte à nourrir que . . . . . . . . . . 216,780

Plus, pour ce que vous indiquez . . . . . . 19,197

Total à nourrir. 235,977

L’entrepreneur prétend avoir nourri . . . . . 247,857

Différence . . . . . 11,880

Pendant le même mois, à l’intérieur, le comité dit qu’on doit nourrir . . . . . .. . . . . . 31,857 hommes.

En ajoutant ce que vous demandez. 277

Total . . . . . 32,134

Le munitionnaire ne demande que la nourriture de . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24,527

Différence . . . . . 7,607

Vous voudrez bien m’indiquer les causes de ces différences que je ne conçois pas, et qui sont bien faites pour m’inspirer une égale défiance et contre les travaux du corps des inspecteurs aux revues et contre les comptes du munitionnaire général.

Il est effrayant, sous plusieurs rapports, de voir que la gendarmerie a escorté chaque jour environ 10,000 militaires. Veuillez me faire un rapport sur ces conduites, et me faire connaître la manière dont cela est constaté.

J’ai vu, par vos états, qu’il y a toujours environ 400 hommes détenus près les conseils de guerre. C’est beaucoup trop. C’est preuve que les conseils mettent beaucoup de lenteur dans leurs opérations. Veuillez vous faire rendre compte de cet objet et prescrire plus de célérité.

Parmi les différences qui m’ont frappé dans vos états, il y a celui des camps.

En germinal, l’entrepreneur dit avoir nourri, au camp de Toulon, 151 hommes, et le comité n’y porte rien.

Pendant le même mois, le comité suppose le camp de Brest de 13,878 hommes, et l’entrepreneur n’a nourri que 10,233 hommes.

A l’armée des côtes, le comité suppose 99,228 hommes, et le fournisseur ne demande que pour 91,450.

En floréal, le camp de Brest et celui des côtes sont beaucoup moins pour le comité que pour le fournisseur.

En prairial, c’est le fournisseur qui est moins fort que le comité. Que sur la surface entière de mon vaste empire il y ait quelques petites différences entre le comité et les entrepreneurs, cela est pardonnable; mais il ne l’est pas que dans l’enceinte étroite d’un camp il y ait une variation aussi grande.

Vous me proposerez des moyens pour faire cesser de pareils désordres.

 

Paris, 8 mars 1806

Au prince Joseph

Mon Frère, je vois que vous promettez, par une de vos proclamations, de n’imposer aucune contribution de guerre; que vous défendez que les soldats exigent la table de leurs hôtes. A mon avis, vous prenez des mesures trop étroites. Ce n’est pas en cajolant les peuples qu’on les gagne, et ce n’est pas avec ces mesures que vous donnerez les moyens d’accorder de justes récompenses à votre armée. Mettez trente millions de contribution sur le royaume de Naples; payez bien votre armée; remontez bien votre cavalerie et vos attelages; faites faire des souliers et des habits; tout cela ne peut se faire qu’avec de l’argent. Quant à moi, il serait par trop ridicule que la conquête de Naples ne valût pas du bien-être et de l’aisance à mon armée. Il est impossible que vous vous teniez dans ces limites-là. Appuyez-vous, si vous voulez, d’un ordre de moi. Je vous l’ai déjà écrit, je vous le répète : ne vous engagez pas à maintenir les fiefs ni les différentes aliénations qui ont été faites aux impositions, car il est nécessaire d’établir à Naples un système d’imposition foncière et d’imposition d’enregistrement comme en France; et enfin, s’il faut donner des fiefs, il faut les donner à des Français qui soutiennent la couronne. Je n’entends pas dire que vous ayez fait fusiller aucun lazzarone, cependant je sais qu’ils donnent des coups de stylet. Si vous ne vous faites pas craindre dès le commencement, il vous arrivera des malheurs. L’établissement d’une imposition ne fera pas l’effet que vous imaginez; tout le monde s’y attend et la trouvera naturelle. C’est ainsi qu’à Vienne, où il n’y avait pas un sou, et où l’on espérait que je ne mettrais pas de contribution, quelques jours après mon arrivée j’en ai mis une de cent millions de francs : on a trouvé cela fort raisonnable. Vos proclamations au peuple de Naples ne sentent pas assez le maître. Vous ne gagnerez rien en caressant trop. Les peuples d’Italie, et en général les peuples, s’ils n’aperçoivent point de maître, sont disposés à la rébellion et à la mutinerie. Pénétrez-vous bien que, si les circonstances n’ont pas voulu que vous ayez de grandes manœuvres militaires à faire, il vous reste la gloire de savoir nourrir votre armée et tirer du pays où vous êtes des ressources de toute espèce; cela fait une grande partie de l’art de la guerre. Une quarantaine de Napolitains, gens de lettres ou ayant du talent, ont reçu l’ordre de se rendre à Naples; la plupart sont de bons sujets qui vous seront utiles. Pendant bien du temps vous ne pourrez vous passer à Naples du secours d’une armée française. Je dirigerai beaucoup de recrues sur les corps qui sont à Naples.

Le nouveau cabinet anglais paraît avoir des principes plus raisonnables que l’ancien, si j’en dois juger par une lettre de M. Fox, qui donne avis à la police d’un projet formé pour m’assassiner. Il nomme l’individu et donne des détails sur la manière dont on devait s’y prendre, et il fait connaître qu’il écrit par ordre exprès du Roi.

La Prusse, par le traité que je viens de faire avec elle, vous a déjà reconnu. La facilité de votre administration et la prospérité de vos enfants dépendent des mesures administratives que vous prendrez d’ici à trois mois. Il faut rechercher les abus pour les détruire, et anéantir la dette. Je ferai tout cela par des décrets avant que vous soyez roi de Naples. Vous vous trouverez avoir vos contributions en caisse, et vous pourrez avoir une marine et une armée de terre. Je dis une marine, car vous sentez bien que vos communications avec la Sicile, la protection de vos côtes soit contre les Barbaresques, soit contre les Anglais, exigent que vous ayez au moins trois vaisseaux de ligne et six frégates. Mes affaires ne sont pas encore entièrement préparées; mais il serait possible que je fisse Louis roi Hollande. Il est plus certain que je vais donner les duchés de Clèves et de Berg au prince Murat; tout cela est fait.

Je ne laisserai à Naples et en Sicile que le nombre de troupes que vous voudrez y maintenir et que vous croirez nécessaire à votre sûreté. Dans mon opinion, vous ne pouvez garder pendant p1usieurs années moins de 30,000 Français dans l’un et l’autre de ces pays.

On peut composer cette force en portant les corps au grand complet, ce qui est beaucoup moins coûteux. Si 20,000 hommes vous suffisent, j’en serai fort aise.

Les Anglais se sont emparés du cap de Bonne-Espérance.

Je vous recommande, en outre, de ne pas prendre d’engagement qui empoisonnent l’avenir de votre règne.

Envoyez-moi tous les matériaux sur les mesures odieuses dérivant du droit de conquête qu’il serait nécessaire de prendre, en faisant cependant le moins de tort possible au pays.

Il faut établir dans le royaume de Naples un certain nombre de familles françaises qui seront investies des fiefs, soit provenant de l’aliénation qui serait faite de quelques domaines de la couronne, soit de la dépossession de ceux qui ont des fiefs, soit des biens des moines, en diminuant le nombre des couvents. Dans mon sentiment, votre couronne n’aurait aucune solidité si vous n’aviez autour de vous une centaine de généraux et de colonels et autres, et des officiers attachés á votre Maison, possesseurs de gros fiefs dans les royaumes de Naples et de Sicile. Je pense que Bernadotte, Masséna devraient être fixés à Naples avec le titre de prince, et avec de gros revenus qui assurassent la fortune de leur famille. Ce moyen, je le prends pour le Piémont, pour l’Italie, pour Parme; il faut qu’entre ces pays il ressorte la fortune de 3 ou 400 officiers français, tous jouissant de domaines qui seraient dévolus à leur descendants par droit de primogéniture. Dans peu d’années , cela se mariera dans les principales maisons, et le trône se trouvera consolidé de manière à pouvoir se passer de la présence d’une armée française, point auquel il faut arriver. Nos discussions entre Naples et la France ne seront jamais pour y maintenir des troupes, car la France sera toujours portée à ne pas laisser des troupes à Naples, afin de les avoir toujours réunies contre les ennemis qui pourraient lui survenir encore.

Je compte donner la Dalmatie à un prince, ainsi que Neufchâtel que j’ai acquis de la Prusse. Il y a une centaine d’individus, anciens gardes du corps, bons sujets, et qui pourront vous servir, en les mêlant avec la noblesse napolitaine, pour former quelques compagnies de vos gardes du corps.

J’imagine que vous êtes en marche sur la Sicile.

Ne perdez pas un moment pour diviser votre territoire en divisions militaires, ou en gouvernements et en intendances, ou en préfectures; je pense que vous pouvez faire du royaume de Naples au moins douze préfectures ou départements, sans y comprendre la Sicile. Il me semble que quatre tribunaux d’appel seraient plus que suffisants.

 

Paris, 8 mars 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, les 3e bataillons et les dépôts des corps de l’armée du général Marmont qui sont en Hollande se mettent en route le 25 mars, pour se rendre en Italie, où ils arriveront à la fin de mai. Ils forment une force de 4,500 hommes. Souvenez-vous bien de placer les dépôts pendant l’été dans les montagnes, sans quoi tous les hommes périront à cause de l’extrême différence du climat de Hollande avec celui d’ltalie. Placez-les pendant les mois de juin, juillet, août, septembre et octobre, du côté du Cadorin et dans toutes ces hautes parties. Ils se trouveront là près de l’armée du général Marmont, dans un air assez pur et moins exposés aux chaleurs d’Italie.

 

Paris, 8 mars 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je reçois votre lettre du 2 mars, où il est question de la maison qui a fait la contrebande d’argent. Je ne vois pas comment ces ces négociants ne sont pas coupables de contrebande; elle est bien réelle. S’ils avaient fait la demande de faire passer de l’argent pour le service de l’armée, le ministre des finances de France l’eût permis, en prenant des moyens sûrs pour qu’il arrive à sa véritable destination. Quand on est pris à faire la contrebande une fois, on l’a faite plusieurs, et il est très-probable que ces négociants l’ont aussi faite à Livourne. Quant à la question de savoir s’il est avantageux pour la France de laisser passer son numéraire, c’est une question qui ne peut être décidée si légèrement et qui est beaucoup plus compliquée qu’elle ne vous l’a paru. C’est donc une affaire qu’il faut laisser tomber.

 

Paris, 9 mars 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, mon intention est d’employer cette année 600,000 francs aux fortifications permanentes de Boulogne. Le but que je me propose est assez facile à comprendre : c’est de mettre la flottille, qui est désormais un établissement permanent, à l’abri d’une surprise ou brûlée par l’ennemi. Les opérations d’un siège sont toujours longues, et la pensée de le faire dans un pays comme la France en éloigne toute tentation. Des ouvrages de campagne ont été faits autour de Boulogne, et je les crois bien entendus. Je désire que vous me remettiez, mercredi prochain, les plans et la note des travaux à faire cette campagne pour employer les 600,000 francs de manière qu’à la fin de la campagne, c’est-à-dire en novembre, Boulogne soit beaucoup plus fort qu’il ne l’est aujourd’hui. Une pareille somme sera dépensée l’année prochaine, et ainsi de suite, jusqu’à l’achèvement des fortifications, de manière qu’elles soient vraiment respectables.

Je désirerais qu’avec cette somme on pût revêtir ou faire les contrescarpes de tous les ouvrages avancés, de manière que, se trouvant ainsi à l’abri d’un coup de main, on ne pût ouvrir la tranchée, sur quelque point qu’on se présentât.

Vous verrez, par le budget, que j’accorde cette année 300,000 francs pour les travaux de Kehl, et 300,000 francs pour ceux de Cassel. Je voudrais ne faire de fortification permanente à Cassel que l’ouvrage qui soutient toute l’inondation.

Je donne 500,000 francs pour les travaux de Juliers. Présentez-moi la note de ce qui doit y être fait cette année. Il faut qu’avant la fin de la campagne cette place ait un degré de force de plus et soit en état de soutenir un siège.

Je donne 300,000 francs pour les travaux de Venloo. Il me parait que ce qui est le plus important à faire, c’est, 1° de réparer les ouvrages qui rendent possible l’inondation; 2° de faire ou un ouvrage ou un réduit à la gauche de la Meuse, de manière à être maître de passer sur une rive ou sur l’autre, et d’éloigner l’ennemi de ce côté de la place. Je n’ai pas besoin de dire que, dans ces ouvrages, il ne doit rien être dépensé pour bâtiments militaires. Présentez-moi les projets le plus tôt possible, pour que j’arrête ce qui sera fait cette année.

 

Paris. 9 mars 1806

Au prince Murat

Expédiez sur-le-champ un de vos aides de camp à Francfort, qui suivra la marche du corps du général Dupont; il sera porteur d’une lettre de vous au général Dupont, par laquelle vous lui annoncerez que vous serez rendu à Cologne le 15 mars.

Vous partirez de Paris lorsque vous le jugerez convenable, et vous vous dirigerez sur Cologne dans la journée du 16 mars.

Vous tiendrez la moitié de la division Dupont à Düsseldorf, et l’autre moitié à Wesel, de manière que cette seconde moitié y soit rendue le 18, où la prise de possession de cette place doit avoir lieu. Si une partie de la division Dupont ne pouvait être arrivée le 18 à Wesel, vous ramasserez dans le département de la Roër 3 ou 400 hommes que vous y enverrez.

Le général Beaumont, votre aide de camp, est nommé par moi commissaire pour prendre possession de la place de Wesel. M. Talleyrand vous donnera copie du traité qui a été fait pour cet objet. Beaumont sera rendu le 18 à Wesel; il vous instruira de tout. Personne ne fera de proclamation.

J’ai écrit au maréchal Berthier de vous envoyer directement à Cologne l’autorisation du roi de Bavière pour l’occupation du duché de Berg. Du moment que vous aurez reçu cette autorisation, vous chargerez le général Dupont d’en prendre possession. Mon intention est que cette occupation n’ait lieu que vingt-quatre heures après que mes troupes seront dans Wesel. Lorsque vous en serez maître, que les Prussiens auront évacué le duché de Clèves, et que la possession du duché de Berg aura été prise, c’est-à-dire vers le 20 ou le 21, vous vous rendrez à Düsseldorf; vous y serez reçu avec tous les honneurs dus à votre rang, et vous notifierez, tant dans le duché de Berg que dans le duché de Clèves, mon décret impérial qui vous nomme prince de Berg et de Clèves.

Vous procéderez sur-le-champ à recevoir le serment de vos nouveaux sujets. Vous ne ferez aucun changement dans l’administration et vous aurez soin, avant votre arrivée, que les troupes bavaroises, s’il y en a, soient en marche pour retourner chez elles.

Je vous enverrai le décret impérial du moment que je connaîtrai votre arrivée à Cologne; de là vous dirigerez tous les mouvements pour l’occupation de Wesel et du duché de Berg.

Vous tiendrez secrètes toutes ces dispositions. Vous trouverez ci-joint l’ordre au général Dupont de suivre tous vos ordres.

 

Paris, 9 mars 1806

Au général Rapp

  1. Talleyrand vous remettra des lettres de moi, que vous porterez au général Barbou, et par lesquelles je l’autorise à remettre la forteresse de Hameln à la garnison prussienne. Immédiatement après que vous les lui aurez remises, vous vous rendrez à Hambourg; vous verrez les postes qu’occupe l’armée prussienne. Le roi de Prusse s’étant engagé à fermer ses ports de l’Elbe au commerce anglais par un traité fait entre nous, vous me rendrez compte de la manière dont ce traité s’exécute. Vous verrez ce qu’il y a de nouveau à Wesel à votre arrivée. Vous descendrez à Francfort, de Francfort à Mayence et de là vous reviendrez à Paris. Vous tiendrez note de tout, et vous vous arrêterez dans ces places le temps nécessaire pour vous mettre au fait de tout ce qui peut m’intéresser sous tous les points de vue.

 

Paris, 9 mars 1806

Au général Barbou (Gabriel Barbou d’Escourières, 1761-1827)

Monsieur le Général Barbou, le général Rapp, mon aide de camp, vous remettra l’ordre ci-joint, auquel vous voudrez bien vous conformer. Vous enverrez en Hollande le 19e régiment d’infanterie de ligne; arrivé sur la frontière de cet État, il enverra demander des ordres au général Michaud, commandant mes troupes en Hollande. Les dépôts des autres corps se rendront à Cologne, où ils attendront de nouveaux ordres. Comme la plus étroite amitié m’unit dans ce moment-ci avec la Prusse, vous aurez soin d’avoir toute espèce de bons procédés pour les officiers du roi de Prusse. Vous vous rendrez à Hanovre, et vous correspondrez de là en votre qualité de commissaire chargé de l’exécution de la convention. Vous y resterez jusqu’à nouvel ordre, et vous communiquerez à mon ministre des relations extérieures tout ce qui viendra à votre connaissance. Le roi de Prusse s’est engagé à fermer tous les ports de l’Elbe et du Hanovre au commerce anglais. Vous instruirez mon ministre des relations extérieures de la manière dont s’exécutera cette clause du traité.

 

Paris, 9 mars 1806

Au général Oudinot

Vous vous rendrez à Neufchâtel et vous prendrez possession, en mon nom, de cette principauté. Vous ordonnerez que toutes les contributions se lèvent comme à l’ordinaire. Vous aurez soin de ne rien changer aux douanes qui séparent Neufchàtel de la France. Vous confirmerez toutes les autorités. Vous ferez confisquer les marchandises anglaises qui se trouvent dans le pays. Il y a plusieurs négociants qui en ont fait venir une grande quantité de Bâle, dans le dessein de les répandre en France, espérant que les barrières des douanes se lèveraient. Vous aurez soin de faire maintenir une bonne discipline.

Vous disposerez vos troupes de manière qu’elles soient bien et qu’elles puissent se reposer.

Vous aurez un bon langage pour la Prusse. Vous ferez publier et afficher la proclamation suivante :

« Au nom de S. N. l’Empereur et Roi, mon souverain, je viens prendre possession de la principauté de Neufchâtel, que le roi de Prusse lui a cédée. Les troupes sous mes ordres maintiendront une sévère discipline. En retour, elles seront accueillies des habitants avec les sentiments qu’ils leur doivent. »

Vous ne dérangerez du reste rien à l’administration jusqu’à ce que je vous aie fait passer de nouveaux ordres.

 

Paris, 9 mars 1806

Au vice-amiral Decrès

C’est une bien mauvaise méthode que celle d’attendre an dernier moment pour demander des matelots. Allemand n’est pas parti. A quoi peuvent servir 300 soldats à bord de son escadre ? Ordonnez qu’on ramasse à Rochefort des enfants qui serviront comme novices.

On en formera des matelots; au lieu que des soldats, cela n’avancera à rien.

 

Paris, 9 mars 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je reçois votre lettre du 3 mars. Je vois avec peine que les Autrichiens sont sur la droite de l’Isonzo. Vous m’avez cependant écrit, il y a quatre jours, que votre aide de camp, qui en était revenu, avait pris des mesures pour faire occuper ces postes avant eux; mais il paraît que le général Marmont a pris le bon parti en n’évacuant point Trieste que les Autrichiens n’aient évacués ces positions. Je désire que vous m’envoyiez l’itinéraire du corps du général Molitor, jour par jour, avec des notes qui me fassent connaître en détail la route qu’il a suivie, les habitants et la nature du terrain. Vous ferez tracer cette reconnaissance sur une carte que vous m’enverrez. Envoyez-moi aussi le plan de Zara et celui des places fortes de la Dalmatie et de l’Albanie, ainsi que des plans et des détails sur l’Istrie, afin que je connaisse les secours dont pourraient m’être ces provinces dans une guerre. Partez bien du principe que j’ai besoin d’argent. Faites expédier par mer les draps, les souliers et tout ce qui est nécessaire à la division qui est en Dalmatie. Chargez les ingénieurs de faire une reconnaissance des routes de Zara et de Raguse à Constantinople et à Belgrade. Envoyez
d’Anthouard (Charles-Nicolas d’Anthouard de Vraincourt, 1773-1852. Premier aide-de-camp d’Eugène) passer trois mois dans les montagnes de la Dalmatie, les reconnaître et faire un mémoire sur les points dont on pourrait partir pour attaquer la Turquie. Indépendamment d’Anthouard, chargez les officiers du génie de faire la même reconnaissance; chargez-en aussi des ingénieurs géographes, mais sans donner l’alarme.

Vous êtes maître de mettre sur le pied de paix l’armée d’Italie. Mes peuples d’Italie ne doivent s’attendre à aucune décharge d’imposition; je ne puis les traiter plus favorablement que mes peuples de France; mes dépenses sont trop considérables, tant pour la marine que pour la terre.

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Que toutes les reconnaissances que l’on fera, soient faites sans apparence, et sans alarmer les Turcs et les autres puissances.