Correspondance de Napoléon – Mars 1805

La Malmaison, 13 mars 1805

Au vice-amiral Decrès

Je vous ai plusieurs fois parlé de mon projet d’armer des vaisseaux avec des canons du même calibre, mais de manière que la batterie supérieure fût plus légère qu’elle ne l’est aujourd’hui, et que la batterie inférieure fût composée de caronades. A bord des vaisseaux et frégates, il ne faudrait plus ni pièces de 12, ni de 8, ni de 6; cette petite artillerie est bonne pour les bricks. Sur les gaillards, il faudrait de bonnes caronades de 36. Je désire que vous fassiez faire cet essai, sur une des premières frégates que vous armerez.

Faites faire à une de vos meilleures fonderies, des caronades de 36 aussi légères que les pièces de 18, et faites mettre sur les gaillards des caronades de 36 du même poids que les pièces qu’on a l’habitude d’y mettre. Je pense que cette caronade aura plus de force qu’une pièce de 18 armée à l’ordinaire; et, en effet, une caronade de 36, pesant le poids d’une pièce de 18, est une très-bonne pièce. Quand des bâtiments se tirent à plus de 600 toises, ils ne se font pas grand mal; à 300 toises, cette masse de boulets de 36 écraserait la mâture.

Je désire aussi que vous fassiez armer également un vaisseau de 74, à sa première batterie, avec des pièces de 36; à la deuxième, de caronades de 36, du même poids que les pièces qu’on a l’habitude d’y mettre; et sur les gaillards, des caronades plus légères.

Toute la difficulté est d’adopter un bon plan de caronades. Dans cette guerre, les Anglais sont les premiers qui se soient servis de caronades, et partout ils nous font grand mal. Il faut se dépêcher de perfectionner leur système, car le raisonnement est tout entier, à la mer, pour le système des gros calibres, et il faudrait mettre des calibres de plus de 36, si ce n’était la difficulté de lever le boulet.

Je désire beaucoup que vous ne perdiez point de vue un objet aussi important. Je suis persuadé qu’un vaisseau de 74 qui pourrait ainsi tirer avec 74 ou 76 bouches à feu des boulets de 36 aurait un avantage incalculable sur un vaisseau armé à l’ordinaire. Dans le manque où vous êtes de caronades, je désire qu’on mette sur l’escadre de Brest et de Toulon le plus d’obusiers de 8 pouces.

 

La Malmaison, 13 mars 1805

Au maréchal Soult, commandant le camp de Saint-Omer

J’ai reçu et lu avec intérêt votre lettre du 18 ventôse. J’ai destiné, sur les fonds de la marine, 700,000 francs pour Boulogne, Ambleteuse et Étaples. Je désire connaître la partie de cette somme qui a été dépensée.

Il ne faut faire subir aucun mouvement au camp. Mon intention serait, lorsque le moment serait arrivé, et vers la fin de germinal, de placer Legrand et Suchet dans tout l’arrondissement de Boulogne, la réserve et la Garde à Wimereux, et vingt bataillons du camp de Bruges à Ambleteuse. Vous pourrez alors occuper à Boulogne les camps destinés pour la Garde. On tiendrait à bord de tous les bâtiments des garnisons nombreuses. Je me suis beaucoup occupé de l’organisation de l’artillerie sur les différentes escadrilles. Les ministres de la guerre et de la marine auront déjà fait passer mes ordres sur cet objet. Vous savez quels sont mes projets. Veillez à ce que tout marche, se prépare sans secousse et sans bruit. Je désire que vous conserviez le contre-amiral Lacrosse, afin d’opérer des débarquements avec toutes les péniches, et qu’il y ait un système d signaux pour s’entendre. Faites-moi connaître s’il y a le nombre de matelots nécessaires pour tout servir et tout mettre en mouvement.

 

La Malmaison, 14 mars 1805

NOTE POUR LE MINISTRE DE LA MARINE

La répartition du fond des ponts et chaussées, pour l’an XIII, n’est pas conforme aux intentions de Sa Majesté.

Les 6,550,000 francs accordés pour les routes sur les fonds du trésor public sont trés-insuffisants. Le temps viendra où Sa Majesté pourra accorder annuellement vingt millions d’extraordinaire.

Le sacrifice de 6,550,000 francs, fait cette année, n’est pas destiné à des réparations à faire à toutes les communications, mais à rendre meilleures celles des routes qu’on peut considérer comme les grandes artères de l’Empire.

Dans la situation présente, les trois routes qui intéressent par-dessus tout l’Empereur, sont :

1° Celle de Paris à Brest;
2° Celle de Paris à Cher-bourg par le Havre et Honfleur;
3° Celle de Paris à Boulogne.

Il convient de dépenser à ces trois routes tout l’argent nécessaire pour qu’elles ne laissent rien à désirer.

Les routes d’un intérêt de second ordre, où Sa Majesté désire qu’on emploie également une partie des fonds accordés, sont :

1° Celle de Paris à Plaisance par Lyon, Turin et Alexandrie;
2° Celle d’Avignon à Toulon par Aix, et celle de Toulon à Marseille;
3° Celle de Paris en Espagne par Bordeaux.

Les routes qui intéressent Sa Majesté en troisième ordre, et où il convient aussi d’employer une portion des fonds, sont :

1° Celle de Paris à Strasbourg;
2° Celle de Paris à Cologne par Bruxelles, Liège et Aix-la-Chapelle.

L’Empereur désire qu’on lui présente une répartition des 6,550,000 francs, telle que les cinq sixièmes de cette somme se trouvent employés à ces diverses routes, à moins qu’on ne juge que ces fonds ne soient pas nécessaires.

Quant aux communications de l’armée d’Angleterre, l’Empereur désire savoir ce qu’on se propose de dépenser pour celles qu’il considère comme les plus importantes, et qui sont :

1° Celle de Boulogne à Dunkerque par Calais;
2° Celle de Boulogne à Étaples par la ligne la plus courte;
3° Celle de Boulogne à Saint-Omer;
4° Celle de Wimereux à la grande route;
5° Celle d’Ambleteuse à la grande route.

Son intention est que, sur le fonds de 6,550,000 francs, on n’emploie au département du Golo que 20,000 francs, et à celui du Liamone que 80,000.

Il ne faut pas faire, dans ces deux départements, de grands ponts, mais seulement des ponts de bois. L’argent qu’on emploierait à des ouvrages d’art, au milieu des montagnes et dans un pays pauvre, serait de l’argent perdu.

L’Empereur désire que la route du Simplon soit terminée cette année, et qu’on ajoute, en conséquence, 200,000 francs au million proposé, en comprenant dans les travaux la route de Meillerie et celle du Valais.

Le ministre de l’intérieur est invité à présenter un nouveau tableau, dans lequel ces modifications auront été faites. Il est convenable que, dans la colonne du service extraordinaire, on distingue les différents articles du budget qui composent la somme de 2,250,000 francs.

 

 

La Malmaison, 15 mars 1805

A M. Champagny

Monsieur Champagny, vous témoignerez mon mécontentement au préfet du département des Deux-Nèthes de ce qu’il n’instruit point la police des individus qui viennent d’Angleterre dans son département. Le nommé Laresh, qui était à Anvers il y a plusieurs mois, a apporté de Londres un grand nombre de lettres adressées à des personnes de cette ville, et notamment à M. Malouet.

 

La Malmaison, 15 mars 1805

A M. Gaudin

Je ne saurais laisser la caisse Lafarge sans commissaire, puisqu’on m’assure que plus de cent mille individus sont intéressés à cette caisse. J’y ai aussi un autre intérêt. La nue propriété des rentes de la caisse étant acquise à l’État, à mesure de la mort des actionnaires qui ont atteint le maximum de l’accroissement, il m’importe d’être assuré qu’il ne sera rien changé dans la désignation des têtes primitives. Mon intention est donc définitivement d’y nommer un commissaire.

 

La Malmaison, 15 mars 1805

Au général Savary

Monsieur le Général de division Savary, mon Aide de camp, vous partirez dans la journée, en toute diligence, pour Bruxelles. Les pièces ci-jointes vous feront connaître l’objet de votre mission. Vous irez voir le président de la cour criminelle et le procureur impérial, et, sans faire aucun nouvel éclat, ni laisser pénétrer le but de votre voyage, vous recueillerez les renseignements convenables qui me mettent à même d’avoir une idée précise sur cette affaire, ainsi que sur la nécessité des mesures que l’on propose.

Vous irez aussi à mon château de Laeken, pour voir dans quelle situation sont les travaux.

Vous irez de là à Anvers; vous y visiterez dans le plus grand détail l’arsenal, les chantiers de construction, les magasins, les chaloupes canonnières et autres bâtiments de la flottille qui s’y trouvent en armement.

Vous reviendrez par Bruges, Ostende, Dunkerque, Calais, Ambleteuse, Wimereux et Boulogne. Vous resterez dans chacune de ces villes le temps nécessaire pour bien voir la situation de l’armée de terre et de mer, et vous mettre à même de me rendre compte de tout ce qui peut m’intéresser.

Vous m’écrirez de Bruxelles sur l’affaire des garrotteurs, et de chacune des autres villes sur tout ce qui a rapport à votre mission. Vous causerez avec le général Davout et les autres généraux, et toujours dans ce sens, que je compte que l’armée et la flottille ne cessent pas d’être maintenues sur un pied respectable et dans la meilleure discipline.

 

La Malmaison, 15 mars 1805

Au vice-amiral Decrès

Mes escadres ne sont point armées. Il n’y a de l’escadre de Toulon que le Neptune qui ait des caronades; aucun autre vaisseau, ni aucune frégate n’en a. La Piémontaise, qui va partir de Saint-Malo, n’en a point. Une pareille négligence me paraît d’autant moins concevable, qu’un officier général, ministre de la marine, doit en concevoir toute l’importance. Les excuses sont vaines; ce n’est point avec des excuses qu’on gagne des batailles. Les vaisseaux, frégates, bricks, doivent tous être armés de caronades de 36.

L’opinion générale parmi nos marins est que, lorsqu’ils n’ont sur les gaillards que des pièces de 6, ils ne sont point à armes égales.

 

La Malmaison, 15 mars 1805

DÉCISION

Daugier, commandant des marins de la Garde, donne sa démission, en se fondant sur des motifs de santé. Faire connaître à cet officier que je n’accorderai jamais mon estime à un officier qui donne sa démission en temps de guerre. Il sera rayé du tableau des capitaines de vaisseau, sans qu’il puisse prétendre à aucune récompense nationale. Il me sera aussi présenté un rapport pour que la décoration qui lui a été accordée lui soit retirée.

Cette décision n’aura pas de suite, et Daugier continuera de servir avec distinction.

 

La Malmaison, 15 mars 1805

Au vice-amiral Ganteaume

Monsieur l’Amiral Ganteaume, il y avait, au 6 ventôse, 5 vaisseaux de guerre espagnols en rade du Ferrol, avec leurs équipages et prêts à partir. Je suis donc assuré qu’il y a dans ce moment une escadre de 9 vaisseaux, 4 français et 5 espagnols, prêts à toute opération. Par des lettres de Cadix, du 8 ventôse, je suis instruit qu’il y avait alors dans ce port 6 vaisseaux en rade, et que la plus grande activité régnait dans les ateliers de la Corogne; on espérait en avoir 10 pour le 21 mars. Je désire donc être instruit, par le retour de mon courrier, de l’époque où vous serez prêt. Nous voilà au 15 mars; il n’y a donc plus un moment à perdre. Ne perdez pas de vue les grandes destinées que vous tenez dans les mains. Si vous ne manquez point d’audace, le succès est infaillible. Nelson, dans la Méditerranée, a été violemment tourmenté par la tempête; il n’a que 12 vaisseaux; 4 faisaient eau , et il avait été obligé de les conduire à Malte.

Recommandez bien aux officiers, quand ils auront ouvert leurs paquets, de garder le plus profond secret sur leur destination, car un bâtiment peut être pris et le secret connu de l’ennemi, quinze jours avant qu’il ne doit l’être, s’il est divulgué dans le bâtiment.

 

La Malmaison, 16 mars 1805

A M. Fouché

Il y a à Paris plus de vols et d’actes de brigandage qu’à l’ordinaire; la saison n’est cependant pas rigoureuse. Je désirerais que vous vous occupassiez, avec le préfet de police, à connaître la raison de pareils désordres, et à chercher les remèdes convenables.

 

La Malmaison, 16 mars 1805

A M. Fouché

Je vous envoie des lettres adressées par des chefs de légion de gendarmerie au maréchal Moncey. Je suis fâché de voir les conseillers d’État ont fait la même lettre que M. Miot (voir Note du 1er mars 1805), et se sont aussi gravement compromis par des idées de vaine métaphysique.

 

La Malmaison, 16 mars 1805

Au roi de Prusse

Monsieur mon Frère, je donne ordre à mon ministre près Votre Majesté de communiquer à son cabinet les différentes dispositions que le gouvernement de la République italienne vient de prendre. Elle y verra une nouvelle preuve de mon désir d’aller au-devant de toutes les difficultés et de maintenir la paix du continent. Je ne dois pas cacher à Votre Majesté que mon premier désir avait été de me décharger du fardeau du gouvernement de l’Italie; mais l’impossibilité de donner à ces États une véritable indépendance, tant que je serai obligé de tenir une armée dans le royaume de Naples, et qu’il y aura des troupes russes à Corfou et des troupes anglaises à Malte, m’a forcé à ajourner cette résolution, J’ai promis aux peuples d’Italie, en arrivant au milieu d’eux, d’assurer leur existence contre toute dépendance étrangère. Mon vœu est d’étouffer tout germe de discorde et d’en convaincre l’Europe que, quand il serait possible que je pusse obtenir plus de territoire que je n’en ai, l’intérêt bien entendu ces peuples et le mien est de borner mon empire, et d’employer tous mes moyens pour le consolider par les bienfaits et les prospérités de la paix. Je désire que ce que j’ai fait, en adhérant au vœu du Gouvernement italien, ait l’approbation de Votre Majesté.

 

La Malmasion, 16 mars 1805

DÉCISION

Le conseiller lzquierdo, membre du conseil suprême de la guerre de Sa Majesté Catholique, annonce que, d’après des nouvelles positives qu’il a d’Espagne, on travaille à Cadix et au Ferrol avec la plus grande activité; qu’il y a déjà au Ferrol des vaisseaux armés et en rade ; que le prince de la Paix a obtenu vingt millions de réaux du commerce de Madrid; qu’il s’apprête à se procurer d’autres ressources; que, d’après des lettres particulières, on devait même compter, tant à Cadix qu’au Ferrol et à Carthagène, sur 33 vaisseaux de ligne, avant le ler avril. Écrire à M. Lacépède qu’il fasse connaître combien j’ai éprouvé de satisfaction d’apprendre que le prince de la Paix se procurait de l’argent, et que j’aurai le nombre de vaisseaux convenus à Cadix et au Ferrol; que j’ai besoin que les 6 vaisseaux que j’ai demandés à Cadix par le général Junot soient prêts sans aucun retard : le plus tôt sera le meilleur, afin qu’ils puissent se joindre le plus tôt possible à l’escadre française qui paraîtra devant ce port.

 

La Malmaison, 16 mars 1805

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, je ne puis adopter le décret que vous me proposez pour mettre en réforme le général Robin; il a eu des torts, mais il en a été puni par les arrêts, le plus grand affront que puisse recevoir un général de division de la part d’un autre général de division. Lorsque j’ai donné au général Robin le commandement de la division qui est à Alexandrie, mon intention a été qu’il jouisse des avantages attachés à son commandement, et le général Dupont-Chaumont, en chargeant un commandant d’armes de vérifier la comptabilité des corps sans l’intervention du général, a fait une chose extraordinaire et qui a pu blesser le général Robin. Je pense qu’il faut employer le général Robin en Italie, et donner le commandement du corps d’Alexandrie au général Chabot, car mon intention est que ce corps soit commandé par un général de division.

 

La Malmaison, 16 mars 1805

Au général Lauriston

Monsieur le Général Lauriston, mon Aide de camp, je reçois votre lettre du 16 ventôse. J’y vois avec grand plaisir que vous espérez partir avant la fin du mois. Pressez le départ. Vous trouverez à Cadix, indépendamment de l’Aigle, 5 vaisseaux espagnols qui se joindront à vous. Ce nombre de vaisseaux espagnols ne rendra vos opérations que plus certaines; cependant il n’y est pas indispensable. Les Espagnols auront à leur bord 1,000 à 1,600 hommes de débarquement. Que l’amiral ne se laisse arrêter par aucune considération; qu’il ne reste point devant Cadix. Votre mission est d’une tout autre importance que celle que je vous avais d’abord donnée. J’ai lieu d’espérer que, dès l’instant que vous pourrez ouvrir la dépêche cachetée que je vous ai envoyée , vous apprécierez la marque de confiance que je vous donne, et que, par vos discours et votre bon jugement, vous redonnerez constamment de l’énergie et de la décision à nos amiraux pour aller droit au but, sans se laisser intimider aussi facilement qu’ils ont l’habitude de le faire. Si, à Cadix, vous communiquez avec la terre, l’amiral enverra sans doute des dépêches au ministre. Vous m’enverrez par le même courrier un journal de votre voyage.

Il est bien nécessaire que les capitaines qui doivent ouvrir leurs paquets en cas de séparation gardent le plus grand secret sur leur destination, car, s’il est une fois divulgué dans le bâtiment, il sera bientôt connu de l’ennemi.

 

La Malmaison, 16 mars 1805

Au citoyen Marescalchi, ministre des relations extérieures de la République italienne

Monsieur Marescalchi, je recevrai demain, à une heure, le vice-président, la Consulte et la députation de la République italienne en grand costume; je serai sur mon trône, entouré des mes grands officiers. Vous serez introduits par le grand maître des cérémonies. Le vice-président me fera un discours; après quoi, il me lire le procès-verbal; immédiatement après, il me le remettra. Je lui ferai alors une réponse, et ensuite vous vous retirerez, accompagné par le grand-maître des cérémonies. Un quart d’heure après, je ferai appeler dans mon cabinet la Consulte et le vice-président, pour tenir conseil.

Vous aurez soin d’avoir avec vous une minute du statut, en italien et en français sur la même feuille, de manière qu’il n’y ait qu’à signer.

Le lendemain, à deux heures après midi, je me rendrai au Sénat en grande pompe. Je mènerai dans mes voitures la Consulte, le vice-président et la députation. Je ferai connaître au Sénat les motifs du parti que j’ai pris. Je recevrai, immédiatement après, le serment du vice-président, de chaque membre de la Consulte et de la députation, individuellement. Vous aurez soin de rédiger une formule de serment; ce sera vous qui appellerez au serment. Nous nous retirerons de la même manière; et, lundi au soir, on fera partir des courriers pour faire proclamer les statuts à Milan et dans toute la République italienne.

Pour les détails de l’une et l’autre cérémonie, vous vous concerterez avec M. de Ségur. Si le vice-président ou un membre de la Consulte veut me haranguer au Sénat, il le pourra faire au moment de prêter le serment.

 

Paris, 17 mars 1805

RÉPONSE DE L’EMPEREUR A LA DÉPUTATION CHARGÉE DE LUI OFFRIR LA COURONNE D’ITALIE.

Depuis le moment où nous parûmes pour la première fois dans vos contrées, nous avons toujours eu la pensée de créer indépendante et libre la nation italienne : nous avons poursuivi ce grand projet au milieu des incertitudes des événements.

Nous formâmes d’abord les peuples de la rive droite du Pô en République cispadane, et ceux de la rive gauche en République transpadane.

Depuis, de plus heureuses circonstances nous permirent de réunir ces États et d’en former la République cisalpine.

Au milieu des soins de toute espèce qui nous occupaient alors, nos peuples d’Italie furent touchés de l’intérêt que nous portions à tout ce qui pouvait assurer leur prospérité et leur bonheur; et lorsque, quelques années après, nous apprîmes, aux bords du Nil, que notre ouvrage était renversé, nous fûmes sensible aux malheurs auxquels vous étiez en proie. Grâce à l’invincible courage de nos armées, nous parûmes dans Milan, lorsque nos peuples d’Italie nous croyaient encore sur les bords de la mer Rouge.

Notre première volonté, encore tout couvert du sang et poussière des batailles, fut la réorganisation de la patrie italienne.

Les Statuts de Lyon remirent la souveraineté entre les mains de la Consulte et des Colléges, où nous avions réuni les différents éléments qui constituent les nations.

Vous crûtes alors nécessaire à vos intérêts que nous fussions chef de votre gouvernement; et aujourd’hui, persistant dans la même pensée, vous voulez que nous soyons le premier de vos rois. La séparation des couronnes de France et d’Italie, qui peut être utile pour assurer l’indépendance de vos descendants, serait, dans ce moment, funeste à votre existence et à votre tranquillité. Je la garderai, cette couronne, mais seulement tout le temps que vos intérêts l’exigeront; et je verrai avec plaisir arriver le moment où je pourrai la placer sur une plus jeune tête qui, animée de mon esprit, continuera mon ouvrage, et soit toujours prête à sacrifier sa personne et ses intérêts à la sûreté et au bonheur du peuple sur lequel la Providence, les constitutions du royaume et ma volonté l’auront appelé à régner.

 

La Malmaison, 17 mars 1805

A l’empereur d’Autriche

Monsieur mon Frère, le Statut de la consulte d’État et des députations des colléges de la République italienne que j’ai proclamé n’est pas en tout conforme à ce que j’avais espéré, puisque j’avais le désir bien naturel de me décharger d’un fardeau aussi pesant pour moi. Mais le gouvernement de la République italienne a pensé que, tant qu’il y aurait des troupes russes à Corfou et des troupes anglais à Malte, cette séparation des couronnes de France et d’Italie serait tout à fait illusoire, car il n’y a pas de séparation de couronnes partout où il y a une armée appartenant à une autre couronne. Il n’y a aucune possibilité que l’armée française évacue le territoire de la République italienne tant que les affaires du Levant ne seront point arrangées. Toutefois Votre Majesté verra que j’ai conservé en entier le principe, car mon intention est de me démettre de la couronne d’Italie et de la séparer de la couronne de France, dès que la République des Sept-Îles et celle de Malte seront rendues à leur indépendance. Et, si Votre Majesté doit voir avec intérêt le gouvernement d’Italie entièrement séparé de celui de France, elle doit en prendre aussi à ce que la République des Sept-Îles et l’île de Malte soient rendues à elles-mêmes, conformément aux traités. J’ai voulu, au reste, aujourd’hui réitérer moi-même à Votre Majesté que, mon désir étant d’éviter de nouveaux sujets de guerre, je suis prêt à proclamer la séparation des couronnes de France et d’Italie aussitôt qu’il sera possible d’espérer l’évacuation des îles de Corfou et de Malte, et que, dans aucun cas , je n’ai le projet ni l’intention de réunir à la couronne de France celle d’Italie. J’espère que cette déclaration convaincra Votre Majesté de mes dispositions pacifiques; déclaration dont Votre Majesté ne peut avoir besoin, si elle réfléchit au peu que j’ai à gagner à une guerre, et à tout le bien que peut faire à mon peuple et à moi une longue et permanente paix. J’eusse aussi désiré la paix avec l’Angleterre, et la réponse que j’avais reçue du cabinet anglais m’en avait fait entrevoir l’espérance, lorsque le message du roi au parlement ne m’a laissé aucun doute sur ses vraies intentions. Il faudra donc supporter les chances de la guerre, tant qu’il plaira au gouvernement britannique de se battre. Sur ce, je prie Dieu qu’il veuille tenir Votre Majesté Impériale en sa sainte et digne garde.

 

La Malmaison, 17 mars 1805

Au maréchal Bernadotte

Mon Cousin, j’ai lu avec intérêt les détails que vous me donnez sur la situation du Hanovre. J’ai donné des ordres pour que vous soyez autorisé à faire extraire des départements réunis 200,000 quintaux de blé pour l’approvisionnement de l’électorat; je vous recommande de veiller à ce que ces blés n’aillent point en Angleterre.

Je viens de diminuer votre armée de trois régiments. J’ai fait annoncer à la Prusse, que je les ferais remplacer par le 19e régiment de ligne, qui n’est fort que de 1,500 hommes, et par 4,000 conscrits, parce que j’ai voulu me réserver la faculté d’envoyer en Hanovre ce nombre d’hommes, en cas que je fasse cet été un nouvel appel. Vous ne recevrez, pour le moment, que 2,000 conscrits; cette diminution d’hommes sera de quelque soulagement pour vos finances. Je vous recommande l’instruction des troupes, et surtout de vous assurer que les officiers d’état-major et les aides de camp ont l’instruction convenable; beaucoup négligent trop la connaissance des manœuvres, qui cependant donne tant de facilités pour faire exécuter les mouvements et en rendre compte. Je recommande aussi à vos soins particuliers le 45e, et le 19e de ligne qui va vous arriver; ce dernier régiment est un des plus faibles de l’armée; il a été perdu à Malte et en Égypte. Il sera nécessaire que vous tiriez quelques bons sous-officiers des corps où il y a de l’étoffe pour en faire plus qu’ils n’en ont besoin, pour instruire ce régiment, que je porterai au complet par des recrues. Je vous l’ai envoyé, comptant que vous pourrez vous occuper de le recréer.

 

Paris, 18 mars 1805

MESSAGE AU SÉNAT CONSERVATEUR

Sénateurs, la principauté de Piombino, que la France possède depuis plusieurs années, a été depuis ce temps administrée sans règle et sans surveillance. Située au milieu de la Toscane, éloignée de nos autres possessions, nous avons jugé convenable d’y établir un régime particulier. Le pays de Piombino nous intéresse par la facilité qu’il offre pour communiquer avec l’île d’Elbe et la Corse : nous avons donc pensé devoir donner ce pays, sous le haut domaine de la France, à notre sœur la princesse Elisa, en conférant à son mari le titre de prince de l’Empire.

Cette donation n’est pas l’effet d’une tendresse particulière, mais une chose conforme à la saine politique, à l’état de notre couronne et à l’intérêt de nos peuples.

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NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et les constitutions de l’Empire Empereur des Français, à tous présents et à venir, salut;

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

ARTICLE ler. – L’Empereur Napoléon cède et donne en toute propriété la principauté de Piombino à la princesse Élisa, sa sœur,
ART. 2. – Le gouvernement de cet État et la propriété du domaine du prince sont héréditaires dans la descendance de la princesse Élisa, et se perpétuent dans sa branche aînée, les cadets et les femmes n’ayant droit qu’à une légitime viagère.
ART. 3. – A chaque mutation, le prince héréditaire de Piombino ne pourra succéder, s’il n’a reçu l’investiture de l’Empereur des Français.
ART. 4. – Les enfants nés ou à naître de la princesse Élisa ne pourront se marier sans le consentement de l’Empereur des Français.
ART. 5. – La descendance de la princesse Élisa venant à s’éteindre, ou ayant perdu ses droits par l’infraction de la règle prescrite dans l’article précédent, l’Empereur des Français disposera de nouveau de la principauté de Piombino, en consultant l’intérêt de la France et celui du pays.
ART. 6. – Le mari de la princesse Élisa prend le nom et le titre de prince de Piombino ; il jouira du rang et des prérogatives de prince de l’Empire français.
ART. 7. – Le prince de Piombino maintiendra en bon état la forteresse de Piombino. Il donnera ses soins à favoriser les communications avec l’île d’Elbe; il assurera la défense des côtes en maintenant le nombre de batteries qui sera jugé nécessaire pour leur sûreté.
ART. 8. – Le prince de Piombino sera tenu d’avoir à sa solde, pour le service de la côte et de la forteresse, un bataillon de cinq compagnies de quatre-vingts hommes chacune.
ART. 9. – En recevant l’investiture de son État, le prince de Piombino prêtera le serment dont la teneur suit :
« Je jure obéissance et fidélité à Sa Majesté N …… Empereur des Français. Je promets de secourir de tout mon pouvoir la garnison française de l’île d’Elbe; de contribuer, en tout ce qui dépendra de moi, à l’approvisionnement de cette île; et je déclare que je ne cesserai de remplir, dans toutes les circonstances, les devoirs d’un bon et fidèle sujet envers Sa Majesté l’Empereur des Français.

 

Paris, 18 mars 1805

DÉCRET.

NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et les constitutions, Empereur des Français et Roi d’Italie, à tous ceux qui ces présentes verront, salut.

STATUT CONSTITUTIONNEL

(Extrait des registres de la Consulte d’État, du jour 17 mars 1805.)

La Consulte d’État, vu le vœu unanime de la Consulte et de la députation réunies, du jour 15;

Vu l’article 60 de la Constitution sur l’initiative constitutionnelle,

Décrète

ARTICLE 1er. –  L’Empereur des Français, Napoléon ler, est Roi d’Italie.
ART. 2. La couronne d’Italie est héréditaire dans sa descendance directe et légitime, soit naturelle, soit adoptive, de mâle en mâle, et à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance, sans néanmoins que son droit d’adoption puisse s’étendre sur une autre personne qu’un citoyen de l’Empire français ou du Royaume d’Italie.
ART. 3. -Au moment où les armées étrangères auront évacué l’État de Naples, les îles Ioniennes et l’île de Malte, l’Empereur Napoléon transmettra la couronne héréditaire d’Italie à un de ses enfants légitimes mâles, soit naturel, soit adoptif.
ART. 4. – A dater de cette époque, la couronne d’Italie ne pourra plus être réunie à la couronne de France sur la même tête, et les successeurs de Napoléon ler dans le royaume d’Italie devront résider constamment sur le territoire de la République italienne.
ART. 5. – Dans le courant de la présente année, l’Empereur Napoléon, de l’avis de la Consulte d’État et des députations des colléges électoraux, donnera à la monarchie italienne des constitutions fondées sur les mêmes bases que celles de l’Empire français, et sur les mêmes principes que les lois qu’il a déjà données à l’Italie.

NAPOLÉON
MELZI, MARESCALCHI, CAPRARA, PARADISI, FENAROLI, COSTABILI, LUOSO, GUCCIARDI

 

18 mars 1805

DISCOURS DE L’EMPEREUR AU SÉNAT

Sénateurs, nous avons voulu, dans cette circonstance, nous rendre au milieu de vous, pour vous faire connaître, sur un des objets les plus importants de l’État, notre pensée toute entière.

La force et la puissance de l’Empire français sont surpassés par la modération qui préside à toutes nos transactions politiques.

Nous avons conquis la Hollande, les trois quarts de l’Allemagne, la Suisse, l’Italie tout entière; nous avons été modérés au milieu de la plus grande prospérité. De tant de provinces, nous n’avons gardé que ce qui était nécessaire pour nous maintenir au même point de considération et de puissance où a toujours été la France. Le partage de la Pologne, les provinces soustraites à la Turquie, la conquête des Indes et de presque toutes les colonies, avaient rompu, à notre détriment, l’équilibre général.

Tout ce que nous avons jugé inutile pour le rétablir, nous l’avons rendu, et par là nous avons agi conformément au principe qui nous a constamment dirigé, de ne jamais prendre les armes pour de vains projets de grandeur, ni par l’appât des conquêtes.

L’Allemagne a été évacuée; ses provinces ont été restituées aux descendants de tant d’illustres Maisons qui étaient perdues pour toujours si nous ne leur eussions accordé une généreuse protection. Nous les avons relevées et raffermies, et les princes d’Allemagne ont aujourd’hui plus d’éclat et de splendeur que n’en ont jamais eu leurs ancêtres.

L’Autriche elle-même, après deux guerres malheureuses, a obtenu l’État de Venise. Dans tous les temps, elle eût échangé de gré à gré Venise contre les provinces qu’elle a perdues.

A peine conquise, la Hollande a été déclarée indépendante. La réunion à notre empire eût été le complément de notre système commercial, puisque les plus grandes rivières de la moitié de notre territoire débouchent en Hollande. Cependant la Hollande est indépendante, et ses douanes, son commerce et son administration se régissent au gré de son Gouvernement.

La Suisse était occupée par nos armées; nous l’avions défendue contre les forces combinées de l’Europe. Sa réunion eût complété notre frontière militaire : toutefois la Suisse se gouverne par l’acte de médiation au gré de ses dix-neuf cantons, indépendante et libre.

La réunion du territoire de la République italienne à l’Empire français eût été utile au développement de notre agriculture; cependant, après la seconde conquête, nous avons, à Lyon, confirmé son indépendance. Nous faisons plus aujourd’hui, nous proclamons le principe de la séparation des couronnes de France et d’Italie, en assignant, pour l’époque de cette séparation, l’instant où elle devient possible et sans dangers pour nos peuples d’Italie.

Nous avons accepté et nous placerons sur notre tête cette Couronne de fer des anciens Lombards, pour la retremper, pour la raffermir, et pour qu’elle ne soit pas brisée au milieu des tempêtes qui la menaceront, tant que la Méditerranée ne sera pas rentrée dans son état habituel.

Mais nous n’hésitons pas à déclarer que nous transmettrons cette couronne à un de nos enfants légitimes, soit naturel, soit adoptif, le jour où nous serons sans alarme sur l’indépendance, que nous avons garantie, des autres États de la Méditerranée.

Le génie du mal cherchera en vain des prétextes pour remettre le continent en guerre. Ce qui a été réuni à notre Empire par les lois constitutionnelles de l’État y restera réuni. Aucune nouvelle province n’y sera incorporée; mais les lois de la République batave, l’acte de médiation des dix-neuf cantons suisses, et ce premier statut du royaume d’Italie, seront constamment sous la protection de notre couronne, et nous ne souffrirons jamais qu’il y soit porté atteinte.

Dans toutes les circonstances et dans toutes les transactions nous montrerons la même modération, et nous espérons que notre peuple n’aura plus besoin de déployer ce courage et cette énergie qu’il toujours montrés pour défendre ses légitimes droits.

 

La Malmaison, 19 mars 1805

A M. Talleyrand

La lettre de M. Corancez, du 28 frimaire, m’a beaucoup intéressé. Elle me paraît assez importante pour me décider à envoyer un courrier à Constantinople, avec des lettres chiffrées pour M. Coracez, et d’autres pour M. Jaubert. Vous ferez connaître à M. Corancez l’objet de la mission de M. Jaubert, pour qu’il l’annonce sans délai au pacha de Tauris; et, comme il est dans la nature des choses possibles que M. Jaubert ne pût parvenir en Perse, vous préviendrez M. Corancez de mon intention de suivre de la manière la plus efficace une liaison avec la Perse et du désir que j’aurais qu’il envoyât ici un agent instruit de l’état du pays. Il pourrait très-bien expédier un Arménien, qui s’embarquerait à Smyrne pour un des ports de l’Europe. Écrivez aussi à M. Rousseau pour qu’il suive sa correspondance avec le vizir avec lequel il est en relation.

 

La Malmaison, 20 mars 1805

A M. Champagny

Monsieur Champagny, les états sur les travaux des ports que vous m’avez apportés ce matin ne sont pas ce que je demande. J’y vois des comptes d’argent qui ne peuvent pas intéresser. Ce que je désire c’est l’état des travaux que l’on a projeté de faire dans chaque port. Les ingénieurs nous entraînent souvent dans des dépenses plus considérables qu’on ne voudrait les faire : ce sont donc les projets de travaux qui sont l’affaire la plus importante. Je vous renvoie vos états; faites-moi connaître les projets de travaux adoptés pour chaque port. S’il vous est facile, sans un grand travail, de me faire connaître aussi ce qui a été fait à chaque port et ce qui reste à faire, cela me satisfera davantage.

 

La Malmaison, 20 mars 1805

DÉCISION

Le ministre de la police rend compte au grand juge des crimes d’une bande de brigands connus dans la Belgique sous le nom de garrotteurs, et sollicite la grâce de deux de ces brigands pour les révélations qu’ils ont faites. Renvoyé au ministre de la police générale, pour me faire connaître si cette bande de brigands peut inquiéter les départements de la Belgique, et si elle a quelque caractère politique.

(A voir avec  la lettre à Savary du 15 mars et à Régnier, du 27 mars 1805)

 

La Malmaison, 20 mars 1805

A M. Talleyrand

Je désire que vous fassiez réunir toutes les dépêches de M. Rousseau et celles que vous avez relatives à la Perse, et que vous fassiez faire la recherche de tout ce que les Anglais pourraient avoir écrit sur ce pays, afin que je puisse me former une idée de sa situation. Je désire aussi que vous fassiez rechercher dans les gazettes de Saint-Pétersbourg tout ce qu’il peut y avoir de relatif à ce pays. Faites-moi connaître quels sont les drogmans que nous avons ici qui savent le persan.

 

La Malmaison, 20 mars 1805

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, je désire que vous écriviez au maréchal Bernadotte de faire voyager sous différents prétextes des individus dans les provinces polonaises russes, afin d’être constamment instruit des mouvements des troupes russes. Il doit même faire constater exactement le nombre de troupes qu’il y a dans ce moment pour être à même de savoir promptement, par la comparaison, si elles étaient augmentées.

 

La Malmaison, 20 mars 1805

NOTE POUR LE MINISTRE DES FINANCES

Il y a dans le budget de l’an IX un crédit de 20 millions en domaines nationaux, et de 5 millions sur le produit des rachats des rentes; total, 25 millions. Dans le budget de l’an XII, il y a un crédit de 15 millions en domaines nationaux, et de 10 millions en rachats de rentes; total, 25 millions. Dans le budget de l’an XIII, il y a un crédit de 20 millions en domaines nationaux. Total général 70 millions.

Cette somme de 70 millions devra être couverte par la vente de biens nationaux.

Au 1er vendémiaire an XIII, le produit des ventes de domaines nationaux excédait déjà 30 millions. Il est probable que ce produit excédera, au 1er vendémiaire an XIV, 50 millions, et que, au 1er vendémiaire an XV, il aura atteint les 70 millions.

Mais ces sommes ne seront pas rentrées entièrement avant l’an XX .On sera donc nécessairement forcé à un retard dans les payements qui non-seulement aura l’inconvénient de nuire au crédit et de gêner le service courant, mais aussi d’influer sur le haut prix des fournitures.

C’est ce qui porte à penser qu’il pourrait convenir de satisfaire, au moyen d’un marché de biens nationaux, les créanciers des années IX, X, XI et XII.

On raisonne dans la supposition que la caisse d’amortissement ai déjà acquis les 500,000 francs de rentes que le Sénat. possède en biens nationaux dans les départements de la rive gauche du Rhin. Il faut y joindre les 1,800,000 francs de revenu qui appartiennent à la Légion d’honneur dans les mêmes départements. Cela fera 2,300,000 francs de rentes, qui, à vingt fois le revenu, donnent un capital de 46 millions. Les états de ces biens sont déjà dressés.

On voudrait donc former une compagnie des créanciers des années IX, X, XI, XII et des six premiers mois de l’an XIII, en n’y comprenant que ceux auxquels il est dû au moins 100,000 francs. On diviserait le capital de 46 ou 45 millions en quatre cent cinquante actions de 100,000 francs chacune; on satisferait à leurs ordonnances au moyen de ces actions, et on les laisserait s’arranger entre eux comme ils l’entendraient.

On commencerait à traiter avec Vanlerberghe et les autres gros fournisseurs, et l’on exigerait sur-le-champ la vente de tous les biens dont le payement se ferait au moyen desdites actions. Ainsi l’on offrirait des ressources aux fournisseurs, et l’on solderait leur service. L’état des biens , les ordonnances délivrées par les ministres et la liste des actionnaires seraient arrêtés le même jour.

Les fournisseurs ne pourraient que gagner à ces dispositions, et l’État y gagnerait davantage encore.

Les fournisseurs y gagneraient, parce que les biens qui leur seraient donnés valent évidemment au delà du denier vingt, et qu’une fois leur part faite par action ils sauraient bien s’arranger pour les vendre à leurs sous-traitants.

L’État y gagnerait, parce que, son service venant à éprouver une grande aisance, il en résulterait une diminution dans le prix des fournitures.

Il resterait alors à satisfaire la caisse d’amortissement et la Légion d’honneur.

Quant à la caisse d’amortissement, on lui céderait les échéances de biens nationaux, à mesure de leur vente. Elle en a déjà 25 millions pour ce qui lui était dû de l’an XII et de l’an XIII. Elle trouverait les 10 à 12 millions pour équivaloir aux biens du Sénat, dans les biens qui seront vendus dans l’année.

La Légion d’honneur aurait droit à 36 millions, c’est-à-dire à 2,160,000 francs de rentes. Nous lui céderions le million qui nous reste sur les inscriptions de l’an VIII, et nous achèterions pour elle 1,160,000 francs de rentes, que nous payerions au moyen des échéances de domaines nationaux qui restent à vendre et qui seraient vendus.

Nous avons un crédit de 70 millions de biens nationaux, comme cela a été prouvé plus haut. On ne dispose sur ce crédit que de 25 millions pour la caisse d’amortissement, et 10 millions en numéraire sont rentrés ou rentreront, dans le courant de cette année, au trésor public. Il reste donc 35 millions. Il n’y a à prendre sur ce restant que 10 millions à donner à la caisse d’amortissement pour équivaloir au capital des biens du Sénat, et 13,920,000 francs pour prix des 1,160,000 francs de rentes que la caisse d’amortissement donnerait à la Légion d’honneur. Il resterait donc encore 11,080,000 francs sur le crédit législatif.

Il résulte des résumés remis par le ministre que, au ler vendémiaire an XIII, il y avait dans les différents ministères 83 millions liquidés et non payés. Au ler germinal, la masse des liquidations sera augmentée; mais aussi le montant de ce qui sera dû sera diminué de ce qui aura été payé par le trésor public pendant les six premiers mois de l’an XIII.

Il faudrait que le ministre des finances demandât aux différents ministères l’état de tout ce qui sera liquidé au ler germinal sur les exercices IX, X, XI et XII, avec le nom et la somme de chaque partie prenante.

Le ministre ayant cet état, il serait facile de distribuer les quatre cent cinquante actions de manière qu’elles se trouvassent dans le moindre nombre de mains possible et dans celles des personnes le plus intelligentes et les mieux intentionnées; ce serait alors qu’on pourrait s’occuper de traiter avec les dix principaux fournisseurs.

Pour avoir cet état plus promptement, le ministre pourrait demander qu’on ne particularisât les individus et les sommes que pour les liquidations de 50,000 francs et au-dessus. Toutes les liquidations seraient classées par chapitre du budget, afin qu’on pût voir sur que objet les sommes sont dues.

Le ministre est invité à rédiger un projet dans ce sens, en ayant soin de diviser le décret en autant de titres qu’il sera nécessaire.

On n’objectera pas à ce système que ce serait dépouiller la caisse d’amortissement d’environ 2 millions de rentes; ce sera au contraire la caisse d’amortissement qui aura placé environ 2 millions de rentes en mainmorte. Elle se trouvera avoir de 60 à 70 millions de rescriptions de biens nationaux vendus, dont les payements échoient certainement en quatre ans; d’où il résultera qu’elle sera dotée par an de plus de 15 millions, qui lui serviront à faire un nouveau fonds d’amortissement, au moyen duquel elle ôtera encore du fonds flottant des sommes considérables.

Enfin il sera facile d’éluder les objections de forme, s’il en résultait des termes de la loi. Au surplus, en mettant tous ces biens en enchère générale, il serait bien évident que personne ne pourrait surenchérir.

Il serait aussi possible de distribuer les actions de manière que chaque crédit de domaines nationaux fût appliqué à des objets appartenant à l’exercice pour lequel il a été ouvert, quoique ce compte d’exercice soit toujours facile à déterminer et à compenser.

Il n’est pas nécessaire, de faire remarquer au ministre combien il importe qu’un projet de cette nature demeure secret; autrement il deviendrait un moyen de discrédit. De telles idées ne sont bonnes ,que lorsqu’elles sont exécutées. On ne manquerait pas de répandre des bruits de création de papier-monnaie, de cédules, tandis qu’il faut qu’il n’y faut en ceci que des ventes de gré à gré. Le ministre rédigera néanmoins le décret comme s’il ne devait y avoir aucun concours étranger à la volonté de l’Empereur.

ANNEXE
La Malmaison, 21 mars 1805

L’Empereur me charge, Monsieur, de vous renvoyer les comptes originaux des ministres, dans lesquels il n’a pas trouvé les renseignements qu’il cherchait.

Sa Majesté désire que vous invitiez les ministres de la guerre, de l’administration de la guerre et de la marine, à vous remettre, dans les vingt-quatre heures, un état, par chapitres du budget, de tous les objets liquidés et non acquittés, sur les années IX, X, XI et XII, et les six premiers mois de l’an XIII. Cet état ne comprendra que les individus auxquels il serait dû 50,000 francs au moins. Chaque partie prenante y sera désignée sous son nom. Une colonne offrira particulièrement le montant présumé de ce qui reste à liquider.

J’adresse également à Votre Excellence un projet de rédaction qui vous fera connaître, d’une manière plus précise, le plan développé dans la note d’hier.

Le secrétaire d’État, par ordre de l’Empereur

PROJET DE DÉCRET.

NAPOLÉON, Empereur des Français,

Décrète :

TITRE 1er

ARTICLF ler. – Les 10 millions de biens nationaux qui avaient été affectés au Sénat, et dont l’état est ci-joint, et les 36 millions de biens qui avaient été affectés à la Légion d’honneur, dans les quatre départements du Rhin, et dont l’état est ci-joint, seront aliénés et vendus à une compagnie, pour en jouir en toute propriété.
ART, 2. – Ces biens seront divisés en quatre cent cinquante actions de 100,000 francs chacune; et chaque associé de la compagnie jouira du nombre d’actions porté dans l’état ci-joint.
ART. 3. – Chaque actionnaire versera, dans le courant du mois de germinal, au trésor public, des ordonnances des ministres pour créances définitivement liquidées, conformément à l’état ci-joint.

TITRE II

ART. 4. – Les 10 millions de biens du Sénat acquis par la caisse d’amortissement seront remboursés à celle-;ci par des rescriptions de 10 millions de biens nationaux, qui ont été vendus en vertu de la loi du . . . . .
ART. 5. – Les 36 millions dé biens de la Légion d’honneur seront échangés contre une inscription de 2,100,000 francs au grand-livre dont 1,200,000 francs seront cédés par la caisse d’amortissement et 900,000 francs sur les rescriptions qui restent disponibles au trésor public, en conséquence de la loi du 3 ventôse an VIl.
ART. 6. – La caisse d’amortissement sera remboursée de ses 1,200,000 francs d’inscriptions par des rescriptions de biens nationaux, qui seraient vendus en conséquence de la loi du. . . . . ..