Correspondance de Napoléon – Mai 1813

Mai 1813

 

Weissenfels, 1er mat 1813, une heure du matin.

Au maréchal Marmont, duc de Raguse, commandant le 6e corps de la Grande Armée, à Naumburg.

Faites partir à cinq heures du matin les cinq bataillons de la divi­sion Durutte qui sont avec le général Bonet, pour se rendre à Mer­seburg, joindre leur division, sans artillerie. Prévenez le vice-roi, par courrier, de l’heure à laquelle ils arriveront à Merseburg. Les quatorze bouches à feu de la division Durutte resteront à la réserve de votre corps jusqu’à nouvel ordre. Le vice-roi, avec 60,000 hom­mes, est ce matin, 1″ mai, à mi-chemin de Merseburg à Leipzig. Approchez vos divisions le plus possible de Weissenfels, afin de pou­voir soutenir le maréchal Ney, si cela était nécessaire. Je n’ai pas encore de nouvelles du général Marchand, qui devait passer à Stœssen ; je n’en ai pas davantage du gênerai Bertrand ; si vous en avez, donnez-m’en : l’un et l’autre devaient venir par Camburg. J’ai donné ordre au maréchal Mortier de se porter par la rive gauche de la Saale (en passant sur le pont que j’ai fait construire près de Naumburg), avec la division de la Garde, pour se rendre à Weissenfels. Par ce moyen, Naumburg sera tout à fait libre ; vous y pourrez placer votre 3e division. Ce mouvement par la rive gauche rendra aussi la rive droite très-libre pour vos divisions.

Si vous n’avez pas de nouvelles du général Bertrand et du général Marchand, envoyez un officier à Camburg pour en avoir.

 

Weissenfels, 1er mai 1813, deux heures du matin.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Weissenfels

Mon Cousin, donnez l’ordre au vice-roi de diriger la division Roguet, infanterie et cavalerie, avec une batterie d’artillerie légère sur Weissenfels : elle partira aujourd’hui, à cinq heures du matin, de Merseburg. Les 1ers bataillons du 2e régiment de tirailleurs et du 2e voltigeurs se réuniront à la division Dumoustier, ce qui por­tera cette division à seize bataillons. Les deux bataillons de la vieille Garde qui étaient à la division Dumoustier, avec les deux bataillons de la vieille Garde qui viennent de la division Roguet, les bataillons des vélites de Turin et de Florence, ainsi que les deux bataillons venant de Paris et qui doivent être maintenant à Erfurt et Weimar, formeront dix-huit bataillons qui, sous les ordres du général Roguet, prendront le nom de division de vieille Garde. Elle aura deux généraux de brigade et sera spécialement affectée à mon service, sous les ordres supérieurs du maréchal duc de Dalmatie. Elle aura pour artillerie les huit pièces de la division Dumoustier; cette batterie sera remplacée à la division Dumoustier par la batterie qui est à la réserve de la Garde, composée de pièces de 6. La réserve de la Garde sera composée d’une batterie de 12, qui arrive aujourd’hui, et de deux batteries de 12, qui sont en arrière et qui arrivent.

La cavalerie de la division Roguet, composée spécialement des gardes d’honneur de Florence et de Turin, rejoindra le duc d’Istrie, qui l’attachera aux grenadiers.

La batterie d’artillerie à cheval qui viendra avec la division Roguet, et qui est de la ligne, sera donnée à la cavalerie de la Garde; ce qui, avec les trois batteries de la Garde, lui fera quatre batteries ou vingt-quatre pièces de canon.

Donnez l’ordre au duc de Raguse de faire partir à cinq heures du matin, en droite ligne, pour Merseburg, par la rive gauche de la Saale, les cinq bataillons de la division Durutte. Vous donnerez l’ordre au vice-roi de réunir ces cinq bataillons à leur division; ce qui la portera à 4,000 hommes. Vous donnerez l’ordre au général Reynier de se rendre à Merseburg pour prendre le commandement de cette division, qui appartient au 5e corps, et à laquelle se joindront les Saxons aussitôt que faire se pourra.

Donnez l’ordre au général Kirgener, commandant le génie de l’armée du Main, de se porter par la rive gauche de la Saale, sous l’escorte du maréchal Mortier, avec tout le génie, matériel et personnel de l’armée, sur Weissenfels.

Donnez l’ordre au duc de Raguse de renvoyer au corps du maré­chal Ney tous les sapeurs qui y appartiennent et qui seraient restés pour les ouvrages de Naumburg. Donnez-lui l’ordre de continuer à tenir son quartier général à Naumburg, d’y réunir la 3e division et son parc, de faire filer les 1″ et 2e divisions le plus près possible de Weissenfels.

Le duc de Raguse fera connaître quelle a été la situation, cette nuit, des divisions Compans et Bonet, et leur situation à six heures du matin.

Si le duc de Raguse entendait le canon, il partirait de Naumburg pour se mettre à la tête de ces deux divisions, et enverrait demander des ordres.

Envoyez un officier à Slœssen pour tâcher d’avoir des nouvelles des généraux Marchand et Bertrand, faire connaître au général Mar­chand qu’il accélère sa marche pour joindre son corps d’armée, et au général Bertrand que nous n’avons pas de nouvelles de lui depuis le 29.

 

Weissenfels, 1er mai 1813, hait heures du matin.

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant l’armée de l’Elbe, à Merseburg

Mon Fils, il est huit heures. A neuf heures, nous nous mettons en mouvement sur Lützen. Je suppose qu’à dix heures vous serez avec toute votre armée, la gauche à Mœritzch, et la droite à Schladebach. Si vous entendez le canon sur Lützen, marchez sur la droite de l’ennemi. Réunissez toute votre cavalerie, afin de pouvoir la faire donner ensemble, en la ménageant et en la faisant couvrir par de l’infanterie.

  1. S. Faites mettre en bon état Merseburg, et faites garder tous les débouchés de l’Elster, qui dans ce temps-ci ne doit pas être guéable.

 

Lützen, 1er mai 1813, au soir.

Au maréchal Mortier, duc de Trévise, commandant de la garde impériale, à Weissenfels

Partez demain, à cinq heures du matin, avec la division du gé­néral Roguet, la division Dumoustier, toute l’artillerie et tout ce qui appartient à la Garde, afin d’arriver de bonne heure à Lützen.

 

Lützen, 1er mai 1813, au soir.

Au maréchal Marmont, duc de Raguse, commandant le 6e corps de la Grande Armée, à Naumburg

Votre quartier général, comme je vous l’ai mandé, sera ce soir au ravin, sur la route entre Weissenfels et Lützen. Réunissez-y tout votre corps d’armée. Faites partir la division qui est à Naumburg, à cinq heures du matin, pour rejoindre. Placez des troupes à la tête du défilé. Renvoyez les bataillons du général Marchand qui avaient été mis là en position. Faites-vous éclairer sur la route de Pegau. Le quartier général est à Lützen, où s’est faite notre jonction avec le vice-roi, qui occupe Markrannstaedt. L’ennemi s’est retiré sur Pegau et Zwenkau.

 

Lützen, 1er mai 1813, au soir.

Au maréchal Oudinot, duc de Reggio, commandant le 12e corps de la Grande Armée, à Iéna.

Portez-vous sur Naumburg. Faites-moi connaître quand vous y serez.

 

Lützen, 1er mai 1813, au soir.

Au général comte Bertrand, commandant le 4e corps de la Grande Armée, à  Stoessen.

Partez demain à six heures du matin, pour vous porter sur Starsiedel. Vous communiquerez avec Marmont, qui est au défilé de Weissenfels, sur la route de Weissenfels à Lützen. Si la division ita­lienne est fatiguée et ne peut suivre, vous la laisserez un jour à Naumburg. Si elle vous a rejoint, elle marchera avec vous. Donnez ordre à la division westphalienne de se rendre à Naumburg; faites-moi connaître quand elle y arrivera.

Faites partir demain à quatre heures du matin un officier qui vienne prévenir l’Empereur, an quartier général, de l’heure où vous arriverez et de la route que vous suivrez.

Prenez langue avec le duc de Raguse au passage, ou défilé, sur le chemin de Weissenfels à Lützen, parce que c’est là que j’adresse­rais mes ordres si j’en avais à vous donner.

Donnez ordre que ce qui vous vient d’Iéna, et tout ce qui vous arrive, passe sur la rive gauche de la Saale, d’Iéna à Naumburg; de Naumburg, en repassant la rivière, à Weissenfels, de manière à être sur la rive gauche de la Saale : cela est très-important.

 

Lützen, 1er mai 1813, huit heures du soir.

Au prince Cambacérès, archichancelier de l’Empire, à Paris

Mon Cousin, j’ai porté aujourd’hui mon quartier général à Lützen. L’ennemi voulait nous empêcher de déboucher dans les plaines de Lützen ; il y avait réuni une nombreuse cavalerie. Notre infanterie, soutenue par beaucoup d’artillerie, l’a repoussé pendant l’espace de quatre lieues. L’ennemi, ayant peu d’artillerie, nous a fait peu de mal; nous lui en avons fait beaucoup.

Le premier coup de canon de cette journée nous a causé une perte sensible : le duc d’Istrie a été frappé d’un boulet au travers du corps et est tombé roide mort. Nos morts, dans cette journée, se montent à vingt-cinq. Je vous écris en toute hâte pour que vous en préveniez l’Impératrice, et que vous le fassiez savoir à sa femme, pour éviter qu’elle ne l’apprenne par les journaux. Faites comprendre à l’Impé­ratrice que le duc d’Istrie était fort loin de moi quand il a été tué.

Je me dépêche de vous envoyer cette estafette; je vous en enverrai une autre demain matin avec les détails de cette journée; mais, je vous le répète, nous n’avons eu que 25 hommes tués, et point d’officier de marque, autre que le maréchal, n’a été touché.

On vous a envoyé ce matin une notice sur la situation de l’armée, que Ton a datée du 2 mai; si elle n’était pas imprimée, faites-lu supprimer.

 

Lützen, 2 mai 1813, quatre heures du matin.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Lützen.

Donnez ordre au vice-roi de faire partir aujourd’hui le général Lauriston pour se porter sur Leipzig. Le 11e corps se portera sur Markrannstaedt, d’où il enverra une reconnaissance sur Zwenkau et une reconnaissance sur Leipzig, pour rester en communication avec le général Lauriston et favoriser ses opérations sur Leipzig. La reconnaissance que le 11e corps enverra sur Zwenkau se liera avec la reconnaissance que le prince de la Moskova y enverra. Le quartier général du 11e corps sera à Markrannstaedt.

Donnez ordre au prince de la Moskova de rallier ses cinq divisions et d’envoyer deux fortes reconnaissances, une sur Zwenkau, et Vautre sur Pegau. Prévenez-le que le 11e corps, que commande le duc de Tarente, aura son quartier général à Markrannstaedt et enverra une reconnaissance sur Zwenkau.

Le 5e corps, que commande le général Lauriston et qui est sur la route directe de Leipzig, se portera sur Leipzig.

Le comte Bertrand doit arriver aujourd’hui, à trois heures après midi, près de Kaja.

Le duc de Raguse est au débouché.

 

Lützen, 2 mai 1813, huit heures du matin.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Lützen.

Mon Cousin, expédiez un officier polonais parla Bohême, pour faire connaître au prince Poniatowski la jonction des deux armées, les combats de Weissenfels et de Lützen et la mort du duc d’Istrie, mort isolée, et qui n’a rien de commun avec les événements, puisque le maréchal a été tué d’un coup de canon, et que dans la journée nous n’avons pas perdu 25 hommes; que l’Empereur a une armée formidable; qu’il doit soutenir le contingent autrichien, si cette armée auxiliaire fait son devoir, comme le prince Schwarzenberg l’a assuré à l’Empereur; que dans aucun cas il ne doit poser les armes, et enfin qu’il doit se jeter dans les autres provinces du Grand-Duché, en partisan, pour faire diversion et attirer à lui beaucoup de monde.

 

Lützen, 2 mai 1813, huit heures du matin

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant l’armée de l’Elbe, à Markrannstaedt

Mon Fils, le major général a dû vous envoyer l’ordre du mouve­ment : vous y verrez que j’ordonne que le 11e corps soit en mesure pour occuper Zwenkau, ou pour protéger l’occupation de Leipzig par le 5e corps.

Vous pouvez vous porter, avec la plus grande partie de voire cava­lerie et avec une division, à mi-chemin de Markrannstaedt à Leipzig, afin de soutenir le général Lauriston, s’il en est besoin, et d’être à temps pour revenir soutenir le duc de Tarente, s’il était nécessaire, sur Zwenkau. Mettez votre cavalerie en mouvement. Faites-moi con­naître à quelle heure vous croyez que le général Lauriston sera à la hauteur de Leipzig ; je m’y porterai moi-même à mi-chemin d’ici à Leipzig, avec la cavalerie.

Le général Reynier, avec la division Durutte, doit se trouver à Merseburg; envoyez-lui l’ordre de vous rejoindre. Je n’ai pas besoin de dire que le général Lauriston doit marcher par division, de front, chaque division formant trois ou quatre carrés, éloignés chacun de 3 à 400 toises, ayant de l’artillerie, les autres divisions formant la deuxième et la troisième ligne, en échelons et placées de la même manière.

 

Lützen, 2 mai 1813, huit heures du matin.

Au général Savary, duc de Rovigo, ministre de la police général, à Paris.

Comme tous les articles de journaux qui parlent de l’armée sont faits sans tact, je crois qu’il vaut beaucoup mieux qu’ils n’en parlent pas, d’autant plus qu’on sait que ces articles sont faits sous l’in­fluence de la police. C’est une grande erreur que de s’imaginer qu’en France on puisse faire entrer les idées de cette façon ; il vaut mieux laisser aller les choses leur train. Je vois dans le journal du 28 des articles de Mayence et de Westphalie; j’en vois dans d’autres jour­naux : ils sont tous faits dans un bon esprit, mais ils sont mala­droits. Ces articles font du mal à l’opinion, et pas de bien; c’est vérité et simplicité qu’il faut. Un mot, telle chose est vraie ou n’est pas vraie, suffit.

 

Lützen, 2 mai 1813, neuf heures du matin.

Au maréchal Marmont, duc de Raguse, commandant le 6e corps de la Grande Armée, à Rippach

Je donne ordre au général Bertrand de s’arrêter aujourd’hui à Tauchau, ayant une division au Gleisberg et une à Stœssen, couvrant ainsi Naumburg et Weissenfels, et menaçant Pegau et Zeitz.

Mon intention est que vous vous portiez sur Pegau. Comme vous avez peu de cavalerie, votre marche doit se faire sur plusieurs lignes, s’emparant des villages et se plaçant, chaque division, en trois ou quatre carrés de trois ou quatre bataillons, éloignés de 3 à 400 toises, chaque carré croisant la mitraille et presque la fusillade ; les autres divisions en seconde ligne et en échelons. Par ce moyen, on n’a rien à craindre de la cavalerie.

Le prince de la Moskova a son quartier général à Kaja ; occupant par son avant-garde Hohenlohe.

Le quartier général est à Lützen, où toute la Garde se trouve. Le vice-roi est à Markrannstaedt ; le général Lauriston sur la route directe de Merseburg à Leipzig, marchant sur Leipzig, où il sera probable­ment dans deux heures. Tous les renseignements sont que l’ennemi, de Leipzig, est remonté sur Zwenkau, qu’il a des corps à Borna et que l’empereur Alexandre serait à Rochlitz. S’il n’y avait personne ou peu de monde à Pegau, vous appuieriez entre Pegau et Zwenkau. Tâchez d’arriver à Pegau avant cinq heures du soir. Envoyez-moi trois fois dans la journée des nouvelles de ce que vous aurez appris, et que mes officiers sachent bien où vous trouver pour vous porter mes ordres.

Si votre 3e division est fatiguée, elle pourra vous suivre de loin, car je pense qu’une division suffit; mais ce qu’il vous faut, c’est toute votre artillerie.

 

Lützen, 2 mai 1813, neuf heures et demie du matin.

Au maréchal Ney, prince de la Moskova, commandant le 3e corps de la Grande Armée, à Kaja

J’ai donné ordre au duc de Raguse de se porter sur Pegau. Si, eu approchant, il apprend qu’il y ait quelque chose, il prendra position entre Pegau et Zwenkau. Si vous entendez la canonnade de ce côté, tenez-vous prêt à marcher au secours.

Le général Bertrand arrivera ce soir à Tauchau avec une division; une autre division au Gleisberg et une autre à Stœssen, afin d’ob­server Zeitz et de se porter demain sur Pegau et Zwenkau. Tous les rapports qu’on a sont que l’ennemi se réunit à Zwenkau et que Wittgenstein a été nommé commandant en chef. Faites-moi connaître la position de vos cinq divisions. Vous pouvez retirer le général Marchand de la route de Leipzig, toute ma Garde étant là pour l’appuyer dans la direction de Zwenkau. J’attends le rapport de ce que vous pouvez avoir appris ce matin. (On lit sur la minute : « L’Empereur a fait lui-même à cette lettre des chan­gements dont il n’a pas été pris note. »

 

Lützen, 2 mai 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Lützen

Mon Cousin, s’il est vrai que Spandau se soit rendu, aussitôt que le gouverneur sera dans les lignes françaises, vous le ferez arrêter, ainsi que le commandant du génie et le commandant de l’artillerie. Le commandant de l’artillerie et le commandant du génie ne seront pas arrêtés s’ils déclarent à l’officier que vous enverrez qu’ils ont pro­testé contre la capitulation, auquel cas ils auront ordre de se rendre au quartier général. S’ils déclarent avoir consenti à la capitulation, ils seront mis aux arrêts jusqu’à ce que l’enquête soit faite; mais la présomption est contre le conseil de défense, pour avoir rendu cette place si promptement, sauf toutefois justification.

 

Lützen, 2 mai 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Lützen.

Mon Cousin, donnez ordre que la colonne de la Garde impériale commandée par le général Decous continue son mouvement par la gauche de la Saale, pour venir nous rejoindre. Donnez le même ordre au général Milhaud; vous lui ferez connaître qu’il marchera à la suite de la Garde et prendra les ordres du général Walther et du général Saint-Germain. Faites-moi connaître quand la division westphalienne arrivera à Naumburg.

 

Lützen, 2 mai 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Lützen.

Mon Cousin, donnez ordre que le génie, l’artillerie et l’administration des armées de l’Elbe et du Main, ces deux armées n’en faisant plus qu’une seule, se réunissent au quartier général.

 

Lützen, 2 mai 1813.

BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE.

Les combats de Weissenfels et de Lützen n’étaient que le prélude d’événements de la plus haute importance. L’empereur Alexandre et le roi de Prusse, qui étaient arrivés à Dresde avec toutes leurs forces dans les derniers jours d’avril, apprenant que l’armée française avait débouché de la Thuringe, adoptèrent le plan de lui livrer bataille dans les plaines de Lützen, et se mirent en marche pour en occuper la position ; mais ils furent prévenus par la rapidité des mouvements de l’armée française. Ils persistèrent cependant dans leurs projets, et résolurent d’attaquer l’armée pour la déposter des positions qu’elle avait prises.

La position de l’armée française au 2 mai, à neuf heures du ma­tin, était la suivante :

La gauche de l’armée s’appuyait à l’Elster; elle était formée par le vice-roi, ayant sous ses ordres les 5e et 11e corps. Le centre était commandé par le prince de la Moskova, au village de Kaja. L’Em­pereur avec la jeune et la vieille Garde était à Lützen.

Le duc de Raguse était au défilé de Posera, et formait la droite avec ses trois divisions. Enfin le général Bertrand, commandant le 4e corps, marchait pour se rendre à ce défilé. L’ennemi débouchait et passait l’Elster aux ponts de Zwenkau, Pegau et Zeitz. Sa Majesté, ayant l’espérance de le prévenir dans son mouvement et pensant qu’il ne pourrait attaquer que le 3, ordonna au général Lauriston, dont le corps formait l’extrémité de la gauche, de se porter sur Leipzig, afin de déconcerter les projets de l’ennemi et de placer l’armée fran­çaise, pour la journée du 3, dans une position toute différente de celle où les ennemis avaient compté la trouver, et où elle était effec­tivement le 2, et de porter ainsi de la confusion et du désordre dans leurs colonnes.

A neuf heures du matin, Sa Majesté, ayant entendu une canon­nade du côté de Leipzig, s’y porta au galop. L’ennemi défendait le petit village de Lindenau et les ponts en avant de Leipzig. Sa Majesté

i Voir la note sur les Bulletins de la Grande Armée, t. XXIII, p. 520.

n’attendait que le moment où ces dernières positions seraient enle­vées pour mettre en mouvement toute son armée dans cette direc­tion, la faire pivoter sur Leipzig, passer sur la droite de l’Elster et prendre l’ennemi à revers ; mais à dix heures l’armée ennemie dé­boucha vers Kaja, sur plusieurs colonnes d’une noire profondeur; l’horizon en était obscurci. L’ennemi présentait des forces qui parais­saient immenses : l’Empereur fit sur-le-champ ses dispositions. Le vice-roi reçut l’ordre de se porter sur la gauche du prince de la Moskova; mais il lui fallait trois heures pour exécuter ce mouvement. Le prince de la Moskova prit les armes, et avec ses cinq divisions soutint le combat, qui au bout d’une demi-heure devint terrible. Sa Majesté se porta elle-même à la tête de la Garde derrière le centre de l’armée, soutenant la droite du prince de la Moskova. Le duc de Raguse, avec ses trois divisions, occupait l’extrême droite. Le général Bertrand eut ordre de déboucher sur les derrières de l’armée enne­mie, au moment où la ligne se trouverait le plus fortement engagée. La fortune se plut à couronner du plus brillant succès toutes ces dispositions. L’ennemi, qui paraissait certain de la réussite de son en­treprise, marchait pour déborder notre droite et le chemin de Weissenfels : le général Compans, général de bataille du premier mérite, à la tête de la première division du duc de Raguse, l’arrêta tout court. Les régiments de marine soutinrent plusieurs charges avec sang-froid, et couvrirent le champ de bataille de l’élite de la cavalerie ennemie. Mais les grands efforts d’infanterie, d’artillerie et de cava­lerie étaient sur le centre. Quatre des cinq divisions du prince de la Moskova étaient déjà engagées. Le village de Kaja fut pris et repris plusieurs fois. Ce village était resté au pouvoir de l’ennemi : le comte de Lobau dirigea le général Ricard pour reprendre le village ; il fut repris.

La bataille embrassait une ligne de deux lieues, couverte de feu, de fumée et de tourbillons de poussière. Le prince de la Moskova, le général Souham, le général Girard, étaient partout, faisaient face à tout. Blessé de plusieurs balles, le général Girard voulut rester sur le champ de bataille. Il déclara vouloir mourir en commandant et dirigeant ses troupes, puisque le moment était arrivé, pour tous les Français qui avaient du cœur, de vaincre ou de périr.

Cependant on commençait à apercevoir dans le lointain la, pous­sière et les premiers feux du corps du général Bertrand. Au même moment le vice-roi entrait en ligne sur la gauche, et le duc de Tarente attaquait la réserve de l’ennemi et abordait au village où l’en­nemi appuyait sa droite. Dans ce moment, l’ennemi redoubla ses efforts sur le centre; le village de Kaja fut emporté de nouveau; notre centre fléchit; quelques bataillons se débandèrent; mais cette valeureuse jeunesse, à la vue de l’Empereur, se rallia en criant : Vive l’Empereur ! Sa Majesté jugea que le moment de crise qui dé­cide du gain ou de la perte des batailles était arrivé : il n’y avait plus un moment à perdre. L’Empereur ordonna au duc de Trévise de se porter avec seize bataillons de la jeune Garde au village de Kaja, de donner tête baissée, de culbuter l’ennemi, de reprendre le village, et de faire main basse sur tout ce qui s’y trouvait. Au même moment, Sa Majesté ordonna à son aide de camp le général Drouot, officier d’artillerie de la plus grande distinction, de réunir une batterie de quatre-vingts pièces et de la placer en avant de la vieille Garde, qui fut disposée en échelons comme quatre redoutes, pour soutenir le centre, toute notre cavalerie rangée en bataille derrière. Les généraux Dulauloy, Drouot et Desvaux partirent au galop avec leurs quatre-vingts bouches à feu placées en un même groupe. Le feu devint épouvantable. L’ennemi fléchit de tous côtés. Le duc de Tré­vise emporta sans coup férir le village de Kaja, culbuta l’ennemi et continua à se porter en avant en battant la charge. Cavalerie, infan­terie, artillerie de l’ennemi, tout se mit en retraite.

Le général Bonet, commandant une division du duc de Raguse, reçut ordre de faire un mouvement par sa gauche sur Kaja, pour ap­puyer les succès du centre. 11 soutint plusieurs charges de cavalerie dans lesquelles l’ennemi éprouva de grandes perles.

Cependant le général comte Bertrand s’avançait et entrait en ligne. C’est en vain que la cavalerie ennemie caracola autour de ses carrés; sa marche n’en fut pas ralentie. Pour le rejoindre plus promptement, l’Empereur ordonna un changement de direction en pivotant sur Kaja. Toute la droite fit un changement de front, la droite en avant.

L’ennemi ne fit plus que fuir; nous le poursuivîmes une lieue et demie. Nous arrivâmes bientôt sur la hauteur que l’empereur Alexandre, le roi de Prusse et la famille de Brandebourg y occupaient pendant la bataille. Un officier prisonnier, qui se trouvait là, nous apprit cette circonstance.

Nous avons fait plusieurs milliers de prisonniers. Le nombre n’a pu en être plus considérable, vu l’infériorité de notre cavalerie et le désir que l’Empereur avait montré de l’épargner.

Au commencement de la bataille, l’Empereur avait dit aux troupes : « C’est une bataille d’Égypte. Une bonne infanterie soutenue par de l’artillerie doit savoir se suffire. »

Le général Gouré, chef d’état-major du prince de la Moskova, a été tué, mort digne d’un si bon soldat ! Notre perte se monte à 10,000 tués ou blessés. Celle de l’ennemi peut être évaluée de 25 à 30,000 hommes. La garde royale de Prusse a été détruite. Les gardes de l’empereur de Russie ont considérablement souffert; les deux divisions de dix régiments de cuirassiers russes ont été écrasées.

Sa Majesté ne saurait trop faire l’éloge de la bonne volonté, du courage et de l’intrépidité de l’armée. Nos jeunes soldats ne considé­raient pas le danger. Us ont dans cette grande circonstance révélé toute la noblesse du sang français.

L’état-major général, dans sa relation, fera connaître les belles actions qui ont illustré cette brillante journée, qui, comme un coup de tonnerre, a pulvérisé les chimériques espérances et tous les cal­culs de destruction et de démembrement de l’Empire. Les trames ténébreuses ourdies par le cabinet de Saint-James pendant tout un hiver se trouvent en un instant dénouées comme le nœud gordien par l’épée d’Alexandre.

Le prince de Hesse-Homburg a été tué. Les prisonniers disent que le jeune prince royal de Prusse a été blessé, que le prince de Mecklenburg-Strelitz a été tué.

L’infanterie de la vieille Garde, dont six bataillons étaient seule­ment arrivés, a soutenu par sa présence l’affaire avec ce sang-froid qui la caractérise. Elle n’a pas tiré un coup de fusil. La moitié de l’armée n’a pas donné, car les quatre divisions du corps du général Lauriston n’ont fait qu’occuper Leipzig ; les trois divisions du duc de Reggio étaient encore à deux journées du champ de bataille. Le comte Bertrand n’a donné qu’avec une de ses divisions, et si légère­ment, qu’elle n’a pas perdu 50 hommes; ses 2e et 3e divisions n’ont pas donné. La 2e division de la jeune Garde, commandée par le général Barrois, était encore à cinq journées ; il en est de même de la moitié de la vieille Garde, commandée par le général Decous, qui n’était encore qu’à Erfurt; des batteries de réserve formant plus de 100 bouches à feu n’avaient pas rejoint, et elles sont encore en marche depuis Mayence jusqu’à Erfurt; le corps du duc de Bellune était aussi à trois jours du champ de bataille; le corps de cavalerie du général Sébastiani, avec les trois divisions du prince d’Eckmühl, était du côté du bas Elbe. L’armée alliée, forte de 150 à 200,000 hom­mes, commandée par les deux -souverains, ayant un grand nombre de princes de la maison de Prusse à sa tête, a donc été défaite et mise en déroute par moins de la moitié de l’armée française.

Les ambulances et le champ de bataille offraient le spectacle le plus touchant : les jeunes soldats, à la vue de l’Empereur, faisaient trêve à leurs douleurs en criant : Vive l’Empereur! « II y a vingt ans, a dit l’Empereur, que je commande les ­­armées françaises; je n’ai pas encore vu autant de bravoure et de dévouement. »

L’Europe serait enfin tranq­­­­uille si les souverains et les ministres qui dirigent leurs cabinets pouvaient avoir été présents sur ce champ de bataille. Ils renonceraient à l’espérance de faire rétrograder l’étoile de la France; ils verraient que les conseillers qui veulent démembrer l’Empire français et humilier l’Empereur préparent la perle de leurs souverains.