Correspondance de Napoléon – Mai 1803
Saint-Cloud, 23 mai 1803
Au général Murat
L’intention du Gouvernement est que le général Saint-Cyr parte sur-le-champ de Rimini, avec le corps à ses ordres, pour traverser le duché d’Urbin et la Marche d’Ancône, entrer dans les États du roi de Naples, mettre garnison à Pescara, marcher sur Otrante, occuper cette place, Tarente, Brindisi, et enfin toutes les positions qui l’étaient par le général Soult et qui ont été évacuées en conséquence de l’article 11 du traité d’Amiens. En entrant sur le territoire du roi de Naples, il fera un ordre du jour conçu en ces termes :
« Le roi d’Angleterre a faussé sa signature et refusé d’exécuter le traité d’Amiens en ce qui concerne l’évacuation de Malte. L’armée française se trouve par là obligée d’ occuper les positions qu’elle avait quittées en vertu de ce traité. L’ambition démesurée de l’Angleterre se trouve démasquée par cette conduite inouïe. Maîtresse de l’Inde et de l’Amérique, elle veut encore l’être du Levant. Le besoin de maintenir notre commerce et de conserver l’équilibre nous oblige à occuper ces positions, que nous garderons tant que l’Angleterre persistera à garder Malte. »
Les troupes aux ordres du général Saint-Cyr seront soldées, nourries et habillées par le roi de Naples; il sera passé, à cet effet, un traité pareil à celui qui avait été fait par le général Soult. Le général Saint-Cyr se concertera, à cet égard, avec le citoyen Alquier.
Le général Saint-Cyr ne mettra pas de garnison à Ancône; il y placera seulement un officier d’état-major, nécessaire pour la correspondance qui se fera avec les troupes du Pape. Vous recommanderez au général Saint-Cyr de maintenir la plus exacte discipline dans les États du Pape, où tout ce que l’armée consommera sera liquidé et payé.
Arrivé à Tarente, le général Saint-Cyr fera sur-le-champ travailler aux ouvrages de cette place, conformément au plan qui avait été arrêté par le général Soult. Son premier soin doit être que, dans tous les ports qu’il occupera, les batteries soient armées en force suffisante pour protéger tous les bâtiments qui seront dans le cas de s’y rendre. Le général Saint-Cyr devra prendre les moyens qui lui paraîtront les plus convenables pour remonter sa cavalerie. Il correspondra avec le chargé d’affaires de la République à Corfou, et il aura soin de m’envoyer, le plus souvent possible, le bulletin de tout ce qui se passera à sa connaissance, soit dans l’Adriatique, soit dans le Levant.
Donnez, le plus promptement possible, l’ordre au général commandant les troupes françaises dans la Toscane de réunir toutes ses troupes à Livourne, à Piombino, Orbitello et sur la côte. Vous ferez un arrêté pour mettre la place de Livourne en état de siège, et vous le lui adresserez. Cet arrêté sera ainsi conçu :
« Le général en chef dans la République italienne arrête :
ARTICLE 1er. – La place de Livourne est mise en état de siégé
ART. 2. – Le général Olivier est revêtu de tous les pouvoirs ordinaires de l’autorité militaire dans les places en état de siège. »
Le général Olivier nommera à Livourne et à Piombino un bon commandant d’armes, afin de pouvoir communiquer avec l’île d’Elbe et en recevoir des nouvelles. Quoique cette île soit de la 23e division militaire, le général Olivier doit se mettre en correspondance avec le général Rusca, et même avec le général Morand, commandant en Corse. Il doit exactement, tous les jours, envoyer un bulletin de tout ce qui pourrait se passer de nouveau dans la Méditerranée dans cette contrée.
Ordonnez à la 87e demi-brigade, qui doit être arrivée à Parme, de continuer sa route pour Livourne, où elle sera nourrie et soldée par le roi d’Étrurie.
Tous les Anglais qui sont à Livourne doivent être arrêtés par ordres du général Olivier, qui s’y trouve suffisamment autorisé, puisque la place est en état de siège.
Envoyez-moi l’état de situation des troupes du roi d’Étrurie, afin de faire connaître ce qu’il pourra fournir à la défense de la cause commune.
Je vous préviens que je donne l’ordre au 6e régiment de chasseurs qui est en Helvétie, de se rendre en Italie.
J’expédie en Ligurie les ordres ci-après :
La 91e demi-brigade, qui est dans la 27e division, se rend dans la Ligurie, où elle sera soldée et habillée par ce Gouvernement.
J’ordonne de réarmer les côtes, et particulièrement le golfe de la Spezzia, afin de protéger le cabotage.
J’ai demandé au gouvernement ligurien de lever deux bataillons d’infanterie de 600 hommes chacun, composés de troupes liguriennes, lesquelles se rendront à Pistoia, où le général Saint-Cyr leur enverra des ordres pour rejoindre son corps, dont elles doivent faire partie, et alors elles seront soldées, comme les troupes françaises, par le roi de Naples.
J’ordonne de mettre une garnison française dans le fort de Gavi, et de faire démolir le fort de Vintimille du côté de la terre, en conservant les casernes et le front du côté de la mer.
Je vous préviens que je viens de donner l’ordre au général Mortier d’entrer dans l’électorat de Hanovre avec un corps de 25,000 hommes.
Vous devez, Citoyen Général, ordonner des inspections, dans toutes les parties de l’armée, de l’artillerie, des munitions, des places, de l’armement, des magasins, afin de mettre tout en état d’entrer en campagne, s’il y avait lieu.
Saint-Cloud, 23 mai 1803
Au général Berthier, ministre de la guerre
Le chef de bataillon Quesnel, qui commande à l’île de Groix, est malade de la poitrine, et dès lors hors d’état de commander une place de cette importance. Il faudrait lui donner sa réforme ou sa retraite, et nommer à cette place un officier brave et intelligent.
Donnez ordre qu’on envoie à l’île de Groix huit affûts de côtes qui y manquent, pour monter les pièces qui y sont, et deux mortiers de 12 pouces à la Gorner.
On n’a rien payé à Belle-île aux habitants qui travaillent avec activité au réarmement; il est nécessaire d’y faire passer des fonds.
Il manque à Belle-Île six affûts; donnez ordre qu’on les y fasse passer promptement, avec les affûts de rechange qui pourraient être nécessaires. Joignez-y trois mortiers de 12 pouces à la Gomer.
Paris, 24 mai 1803
Au citoyen Barbé-Marbois, ministre du trésor public
Je ne vois pas, Citoyen Ministre, pourquoi la banque de France ne met pas une plus grande quantité de ses billets en circulation, et seulement 33 millions en émission. Ce resserrement, dans les circonstances actuelles, fait le plus grand tort dans la place.
Paris, 25 mai 1803
PAROLES ADRESSÉES PAR LE PREMIER CONSUL AUX MEMBRES DU SÉNAT, DU TRIBUNAT ET D’UNE DÉPUTATION DU CORPS LÉGISLATIF
Nous sommes forcés à faire la guerre pour repousser une injuste agression. Nous la ferons avec gloire. Les sentiments qui anime les grands corps de l’État et le mouvement spontané qui les porte auprès du Gouvernement dans cette importante circonstance sont heureux présage.
La justice de notre cause est avouée même par nos ennemis, puisqu’ils se sont refusés à accepter la médiation offerte par l’empereur de Russie et par le roi de Prusse, deux princes dont l’esprit de justice est reconnu par toute l’Europe.
Le Gouvernement anglais paraît même avoir été obligé de tromper la nation dans la communication officielle qu’il vient de faire. Il a soin de soustraire toutes les pièces qui étaient de nature à faire connaître au peuple anglais la modération et les procédés du Gouvernement français dans toute la négociation. Quelques-unes des notes que les ministres britanniques ont publiées sont mutilées dans les passages les plus importants. Le reste des pièces données en communication au parlement contient l’extrait des dépêches de quelques agents publics ou secrets. Il n’appartient qu’à ces agents de contre-dire ou d’avouer leurs rapports, qui ne peuvent avoir aucune influence dans des débats aussi importants, puisque leur authenticité est moins aussi incertaine que leur véracité. Une partie des détails qu’ils contiennent est matériellement fausse, notamment les discours que l’on suppose avoir été tenus par le Premier Consul dans l’audience particulière qu’il a accordée à lord Withworth.
Le Gouvernement anglais a pensé que la France était une province de l’Inde, et que nous n’avions le moyen ni de dire nos raisons, ni de défendre nos justes droits contre une injuste agression. Étrange inconséquence d’un Gouvernement qui a armé sa nation en lui disant que la France voulait l’envahir ! On trouve dans la publication faite par le Gouvernement anglais une lettre du ministre Talleyrand à un commissaire des relations commerciales. C’est une simple circulaire de protocole, qui s’adresse à tous les agents commerciaux de la République; elle est conforme à l’usage établi en France depuis Colbert, et qui existe aussi chez la plupart des puissances de l’Europe. Toute la nation sait si nos agents commerciaux en Angleterre sont, comme l’affirme le ministère britannique, des militaires. Avant que ces fonctions leur fussent confiées, ils appartenaient pour la plupart au conseil des prises ou à des administrations civiles.
Si le roi d’Angleterre est résolu de tenir la Grande-Bretagne en état de guerre jusqu’à ce que la France lui reconnaisse le droit d’exécuter ou de violer à son gré les traités, ainsi que le privilège d’outrager le Gouvernement français dans les publications officielles ou privées, sans que nous puissions nous en plaindre, il faut s’affliger sur le sort de l’humanité. Certainement nous voulons laisser à nos neveux le nom français toujours honoré, toujours sans tache. Nous maintiendrons notre droit de faire chez nous tous les règlements qui conviennent à notre administration publique, et tels tarifs de douanes que l’intérêt de notre commerce et de notre industrie pourra exiger.
Quelles que puissent être les circonstances, nous laisserons toujours à l’Angleterre l’initiative des procédés violents contre la paix et l’indépendance des nations, et elle recevra de nous l’exemple de la modération, qui seule peut maintenir l’ordre social.
Saint-Cloud, 25 mai 1803
Au citoyen Régnier, Grand-Juge, ministre de la justice
Je vous prie, Citoyen Ministre, de mettre à la disposition du préfet du Morbihan 12,000 francs, pour être employés soit en dépenses secrètes pour la recherche des brigands cachés, soit pour donner 12 francs par fusil qui serait rendu.
Donnez ordre au préfet du Doubs de veiller avec soin à ce que Bourmont ne s’échappe point; dans ces circonstances, il serait dangereux.
Saint-Cloud, 25 mai 1803
DÉCISION
Le ministre directeur de l’administration de la guerre demande si le rassemblement qui doit se former à Villefranche peut être regardé comme un dépôt colonial. | Il sera dépôt colonial comme les autres. Les individus qui sont au dépôt de Marseille et qui ne peuvent pas servir seront envoyés en Corse. On écrira au général Morand pour lui faire connaître la nécessité de purger la 27e division, et lui annoncer qu’on lui enverra des individus assez mauvais sujets, pour en faire une espèce de colonie sur un bien national, en ayant grand soin de les éloigner des villes. |
Saint-Cloud, 25 mai 1803
A S. S. le Pape
Très-saint Père, en rappelant auprès de moi le citoyen Cacault, qui a rempli jusqu’à présent les fonctions de ministre plénipotentiaire de la République française auprès de Votre Sainteté, mon intention a été de ne laisser aucune interruption dans la correspondance entre la République française et le Saint-Siège, et j’ai cru ne pouvoir fixer mon choix sur un personnage qui fût plus agréable à Votre Sainteté que le cardinal Fesch, archevêque de Lyon, auquel je confie le soin de la gestion des affaires de la République auprès du Saint-Siège. Se connaissances, son attachement et son zèle pour le bien du service de la République française me persuadent qu’il fera son possible pour rendre son ministère agréable à Votre Sainteté et pour justifier la marque de confiance que je lui donne en cette occasion. Je vous prie donc de vouloir bien ajouter une créance entière à tout ce qu’il dira de ma part à Votre Sainteté, et surtout lorsqu’il lui exprimera les sentiments sincères et inviolables de ma tendre amitié et de mon respect filial.
Saint-Cloud, 27 mai 1803
A S. S. le Pape
Très-saint Père, je me suis déterminé à rappeler auprès de moi le citoyen Cacault, qui vient de résider auprès de Votre Sainteté en qualité de ministre plénipotentiaire de la République française. Le motif qui m’a guidé n’a sa source dans aucune raison de mécontentement; sa conduite, pendant toute la durée de ses fonctions, a mérité, au contraire, mon entière approbation. Mais le désir de le remplacer auprès de Votre Sainteté par un personnage revêtu d’un caractère éminent, et de donner à Votre Sainteté une preuve plus manifeste de mon attachement et de mon respect filial, est la seule raison qui a pu me déterminer à ordonner son rappel. Je lui enjoins, en conséquence, de prendre congé de Votre Sainteté, et mon intention est qu’en remplissant cette dernière fonction de son ministère, il renouvelle à Votre Sainteté les assurances de mon attachement et de mon respect filial, ainsi que des vœux que je ne cesserai de former pour la conservation de Votre Sainteté et la prospérité de son pontificat.
Saint-Cloud, 27 mai 1803
Au général Berthier, ministre de la guerre
Il reste, Citoyen Ministre, dans les prisons de la Grande-Force, vingt-quatre officiers ou sous-officiers des troupes coloniales de la Guadeloupe, qui ont été envoyés en France comme prévenus de complicité avec les auteurs de l’attentat commis, le 2 brumaire an X, contre le capitaine général de cette colonie.
Du compte particulier que je me suis fait rendre du degré de culpabilité de ces individus, il résulte que vingt et un n’ont contre eux aucune accusation formelle, et doivent être plutôt considérés comme des hommes faibles ou trompés que comme auteurs, instigateurs ou même complices du délit du 2 brumaire. Donnez ordre, en conséquence, de les mettre en liberté. Mais, comme il pourrait être dangereux de leur permettre de retourner à la Guadeloupe, vous ferez transférer les hommes de couleur dans l’île de Corse, et les blancs dans l’un des dépôts coloniaux destinés pour Saint-Domingue.
Quant aux nommés Lajaille, capitaine de dragons, aide de camp de Pélage; Boudinier, lieutenant de grenadiers, et Mentor, noir, sous-lieutenant, ils resteront à la Grande-Force jusqu’au jugement définitif à intervenir contre les auteurs et complices du 2 brumaire, parce qu’ils peuvent ou être accusés d’avoir pris part à ce délit, ou être nécessaires au tribunal dans le cours de l’instruction du procès.
Vous ferez donner un secours de 50 centimes par jour à ces trois individus, jusqu’au moment où le procès dans lequel ils sont impliqués sera définitivement jugé.
Ceux qui doivent être conduits soit en Corse, soit dans les dépôts coloniaux, seront traités ainsi que les autres individus qui ont précédemment eu la même destination.
Saint-Cloud, 28 mai 1803
Au général Murat
Citoyen Général, j’ai appris avec plaisir les couches de Madame Murat; elle a bien fait de faire un beau garçon. J’espère que vous m’apprendrez bientôt qu’elle est entièrement rétablie.
Encouragez et excitez le vice-président et le ministre de la guerre à compléter les corps et lever les conscrits. Il me tarde beaucoup que la République ait 30,000 hommes sur pied.
Saint-Cloud, 29 mai 1803
Au citoyen Barbé-Marbois, ministre du trésor public
Le ministre de la marine, Citoyen Ministre, aura besoin de faire acheter pour une vingtaine de millions de bois, de mâtures, de chanvre et autres objets nécessaires à l’approvisionnement de la marine. Voulant acheter tous ces objets de suite et à la fois, je voudrai charger la compagnie des cinq banquiers de tous les détails de cette opération et du détail des payements.
Je vous prie d’en parler au principal d’entre eux, pour voir s’il seraient portés à faire ce service.
Saint-Cloud, 29 mai 1803
NOTES POUR LE MINISTRE DE LA MARINE
1° Il faudrait adopter un modèle de bateau plat qui pût transporter 100 hommes et traverser le canal. On placerait un obusier à la poupe et à la proue.
Il faudrait que ce bateau ne coûtât pas plus de 4 au 5,000 francs. Un grand nombre de particuliers et de corps voulant fournir à leurs frais de ces bateaux, il faudrait en avoir des modèles, et en mettre tout de suite un en construction à Paris.
2° Il faudrait profiter du premier moment pour acheter en Hollande tout ce qu’il est possible d’acheter, en courbes, en bois, en chanvre et en mâts.
3° Il faudrait réunir une partie de ces objets à Flessingue, organiser cet arsenal, mettre en réquisition tous les ouvriers dans la Belgique et sur le Rhin, mettre cinq vaisseaux en construction; on les construirait sur le modèle hollandais.
4° Il faudrait parler aux citoyens Cambacérès, Lebrun, Talleyrand, pour trouver des individus qui feraient construire, chacun à leurs frais, un bateau plat qui porterait leur nom.
Saint-Cloud, 30 mai 1803
Au contre-amiral Decrès, ministre de la marine et des colonies
Je désirerais, Citoyen Ministre, que les 50 chaloupes canonnières, les 170 péniches et les 90 bateaux soient construits au 1er vendémiaire an XII, au lieu du ler nivôse. Comme il y a possibilité, il faut absolument qu’ils soient faits.
Saint-Cloud, 31 mai 1803
Au général Berthier
Donnez ordre au général Mortier de ne point violer l’indépendance des villes de Hanovre et d’Oldenbourg, de n’y point mettre de garnison, mais de faire une négociation avec ces villes pour se faire livrer de gré à gré les bâtiments français qui s’y trouvent.
Saint-Cloud, 31 mai 1803
Au général Berthier, ministre de la guerre
Je vous prie, Citoyen Ministre, de donner ordre au général Chasseloup de vous envoyer un plan avec un rapport sur la situation actuelle de la place de Pizzighettone, et d’en ralentir les travaux, sans cependant les suspendre, jusqu’à la campagne prochaine et jusqu’à ce que j’aie arrêté le degré définitif de force à donner à cette place. Il faut donc qu’il y dépense cette année très-peu d’argent.
Recommandez de nouveau à cet inspecteur de pousser les travaux d’Alexandrie avec la plus grande activité, car cette place nous intéresse sous tous les points de vue politiques et militaires.
Je suis instruit qu’on fait des réparations à la citadelle et à la ville de Turin. Faites-moi un rapport sur les travaux ordonnés, cette année, pour ces deux objets.
Je vous prie de me remettre également un projet d’armement pour la citadelle et la ville d’Alexandrie. Il faut qu’il n’y ait que des pièces françaises dans cette place, et que rien ne soit épargné pour sa défense.