Correspondance de Napoléon – Juin 1806
Saint-Cloud, 6 juin 1806
Au roi de Naples
Je reçois votre lettre du 27 mai. Il serait bien important que vous pussiez enfin opérer votre descente en Sicile. La paix pourrait se faire d’un moment à l’autre, et l’incertitude de vos opérations y porterait du retard. Votre lettre ne me dit pas le nombre des bateaux que vous avez, et n’entre dans aucun développement, de sorte que je ne sais pas si votre expédition est prête ou éloignée. Il devient cependant très-nécessaire que j’aie des renseignements très-précis là-dessus. Comment comptez-vous embarquer vos troupes ? Dans quel port les placez-vous pour attendre le montent favorable ? Il faut que vous débarquiez 9,000 hommes de troupes à la fois avec dix pièces de canon, et trois cents coups à tirer par pièce, et avec quinze rations de biscuit et 900 cartouches par homme. Le maréchal Jourdan est beaucoup plus capable de commander des troupes dans l’intérieur que le maréchal Masséna, lequel, à son tour, est beaucoup plus capable de vous aider dans une expédition de Sicile. Pour un coup de main, le commandement de 9,000 hommes qui doivent débarquer les premiers en Sicile exige un homme ferme et ayant été dans de grands événements. Le général Verdier vaut peut-être mieux que Reynier; si vous ne mettez pas Masséna, mettez-les tous les deux.
Dans le métier de la guerre, comme dans les lettres, chacun a son genre. S’il y avait des attaques vives, prolongées et où il fallût payer de beaucoup d’audace, Masséna serait plus propre que Reynier. Pour garantir le royaume de toute descente pendant votre absence, Jourdan est préférable à Masséna. Il faut qu’au moment où l’expédition sera prête les attaques deviennent vives à Gaète, afin d’y attirer la plus grande quantité possible de vaisseaux anglais. Une fois la descente faite, je regarde le pays comme conquis. Voici ce qui arrivera : l’ennemi s’opposera au débarquement; s’il est forcé, il attaquera dans les trente-six heures; et, s’il est battu, alors les Anglais se retireront pour s’embarquer. Quoique le détroit ne soit que d’une ou deux lieues, les courants sont tels, dans ces parages, qu’il est impossible que, dans ces trente-six heures, les mêmes bâtiments ne puissent pas aller, revenir et retourner en Sicile. Il vous faut des bateaux, ensuite un port, et, ayant un port, quinze jours plus tôt ou quinze jours plus tard, vous aurez des bâtiments; car les spéronares, les felouques napolitaines, tout est bon pour le passage. Quel est le port que vous avez choisi ? Combien peut-il contenir de bâtiments de toute espèce ? Quels sont vos moyens de bâtiments ? Je désirerais beaucoup avoir mes idées fixées là-dessus. Toute opération qui tendrait à faire passer une avant-garde de 9 à 10,000 hommes serait une folie. Selon les renseignements que j’ai, il y a en Sicile près de 6,000 Anglais. En relisant avec attention votre lettre, j’y trouve des choses que je ne comprends point. Vous dites que le général Reynier, de l’autre côté, établirait une batterie vis-à-vis Pezzo, et qu’alors le reste de l’armée passerait. En ayant quelques chaloupes canonnières, cette batterie sera sans doute bientôt établie; mais encore il ne faudrait pas l’attendre. Dans cette hypothèse, les deux tiers de vos bâtiments ne doivent être chargés que de troupes, chaque homme ayant ses 50 cartouches et 50 en caisse distribuées aux compagnies, douze à quinze rations de biscuit et quelques rations d’eau-de-vie. L’autre tiers doit être chargé d’artillerie, de manière que, deux heures après le débarquement , les bateaux qui ne sont chargés que de troupes puissent retourner pour en prendre de nouvelles, sans faire attention s’il y a des batteries ou non et attendre qu’elles soient dressées. 9 à 10,000 hommes choisis valent autant que 20,000. Nécessairement, s’il n’y a que 6 ou 7,000 Anglais, ils sont indubitablement suffisants pour prendre la Sicile, non que je m’oppose à ce que 5 ou 6,000 hommes passent après. Il ne faut vous en rapporter à personne pour l’organisation de vos troupes de passage. Il faut composer vos 9,000 hommes de l’élite de 20,000 bien armés, divisés en trois divisions, chaque division commandée par un général de division et deux de brigade, tous hommes guerre et vigoureux. Chaque division doit avoir trois pièces d’artillerie et des officiers du génie. Mais avec cela, que le reste passe ou ne passe pas, on se trouve maître du pays. Je crois Masséna plus capable de commander ces trois divisions, dans ce cas donné, qu’ aucun autre. Si vous aviez vraiment l’habitude de la guerre, je vous engagerais à passer avec ces trois divisions; mais il est plus convenable que vous restiez à Naples; c’est jouer trop gros jeu , et vous n’y seriez d’aucune utilité, car enfin votre présence n’accroîtra pas la force de ces divisions. Vous n’avez pas assez l’habitude de guerre pour que le mal qu’il y aurait à ce que vous soyez battu compensé par le bien que pourrait faire votre présence. Je crois que vous devez vous établir à Reggio pour diriger vous-même l’embarquement. Votre présence deviendra sans doute nécessaire après, mais ce sera dans l’intérieur de la Sicile, quand vos 9,000 hommes seront débarqués. Il est à penser que l’expédition ne sera pas plus forte. Lorsque votre personne sera nécessaire en Sicile, ce sera comme elle l’a été en Calabre, pour traiter les affaires politiques intérieures. Il faut aspirer au genre de gloire qui vous appartient, ne pas risquer de tout compromettre pour courir après un genre gloire qui n’est pas le vôtre. Quand vous aurez organisé l’expédition vous en aurez réellement toute la gloire, et un général, homme de guerre, fera mieux seul qu’avec vous. Si vous organisez l’expédition de Sicile comme devant y passer, et que, par des événements de mer, vous ne puissiez pas joindre votre avant-garde, cela peut vous exposer à des affronts. Je pense donc qu’il est plus convenable que l’expédition soit organisée de manière que vous ne deviez pas passer avec elle; qu’elle se fasse tout d’un coup par le débarquement de l’avant-garde, et que les 5 ou 6,000 hommes qui doivent renforcer ou alimenter cette avant-garde soient prêts à passer après. Vous n’êtes militaire que comme doit l’être un roi. Si vous vous chargez des détails de l’expédition, vous vous exposez à des choses très-désagréables, et sans raison. Si la Sicile était moins loin, et que je me trouvasse avec l’avant-garde, je passerais avec elle; mais mon expérience de la guerre ferait qu’avec ces 9,000 hommes je pourrais battre 30,000 Anglais. Si donc je courais des risques, ils seraient compensés par des avantages réels, et ces avantages donneraient tant de chances qu’il n’y aurait presque aucun danger à courir. Supposons que Masséna ou Reynier passe avec les 9,000 hommes : s’ils réussissent, bien; s’ils ne réussissent pas, ce n’est qu’un échec médiocre. Passez-y, vous, cela ne donnera aucune chance pour réussir, peut-être cela en diminuerait-il; et, venant à ne pas réussir, ce serait un échec très-considérable. Je désire que vous m’écriviez avec un peu plus de développement là-dessus.
Le jeune aide de camp que vous m’avez envoyé, et avec qui j’ai causé pour connaître. l’opinion de J’armée, m’a dit beaucoup d’extravagances.
L’expédition de Sicile est facile, puisqu’il n’y a qu’une lieue de trajet à faire; mais elle demande à être faite par un système, parce que le hasard ne fait rien réussir. Votre entrée en campagne a été si fautive, qu’il est probable que, si les Anglais et les Russes fussent restés, vous eussiez été battu. A la guerre, rien ne s’obtient que par calcul. Tout ce qui n’est pas profondément médité dans ses détails ne produit aucun résultat. Après la descente, il faut bien calculer la position que doivent occuper vos troupes, afin qu’aucun échec ne puisse porter coup, à mon armée à Naples. Je le répète : trente-six heures après que les 9,000 hommes seront débarqués, les Anglais seront culbutés; s’ils sont battus, ils se rembarqueront; et, comme la Cour elle-même les suivra, il ne paraît pas que la résistance puisse être bien longue.
Saint-Cloud, 6 juin 1806
Au roi de Naples
Par tout ce qui me revient sur Gaète, il paraît que les Napolitains vous ont encloué quatre pièces de canon; qu’ils ont réussi dans leur sortie et vous ont tué beaucoup de Français; qu’il n’y a aucun ordre de service devant cette place, et qu’on fait la guerre comme des recrues. Je vous ai dit cent fois que vous deviez tenir quatre généraux de brigade devant Gaète, puisqu’il en faut toujours un qui passe vingt-quatre heures à la tranchée dans son manteau; que vous devez y avoir au moins 6,000 hommes. En vérité, je ne puis concevoir ce que vous faites de vos 40,000 hommes. Il vous faut à Gaète un général supérieur pour commander; vous avez des généraux, des maréchaux partout, excepté où il en faut. Depuis que le monde est monde, on n’a jamais relevé le service de la tranchée le jour. On n’a point d’état de situation de votre armée; je ne sais si vous avez fait ce que je vous ai dit relativement à Ancône et à Cività-Vecchia, de manière que je ne connais pas la situation de mon armée de Naples. Je désire cependant que vous ne démoralisiez pas mes troupes en les faisant battre par des Napolitains. La sortie de Gaète est un véritable échec, qui encourage les Napolitains et qui décourage mes soldats.
Saint-Cloud, 6 juin 1806
Au roi de Naples
Mon Frère, vous avez dans le royaume de Naples 862 milliers de poudre, savoir : 300 milliers à Naples, 200 à Ancône, plus de 300 milliers à Capoue. C’est beaucoup plus qu’il ne vous faut pour tout ce que vous pouvez avoir à faire. Vous ne manquez donc pas de poudre. D’ailleurs, du moment que vous aurez des détachements de votre armée à Ancône et à Cività-Vecchia, vous pourrez en tirer d’Ancône. Vous avez soixante-huit pièces de canon de 24 en bronze, quarante-cinq de 16, et dix-neuf de 12, c’est-à-dire cent trente-pièces de canon de bronze de gros calibre, et quarante-six mortiers. Vous avez en pièces de fer dix-sept pièces de 36, cent quarante de 33, cent quatre de 24, cinquante et une de 18, et trente de 12, c’est-à-dire près de quatre cents pièces de canon en fer, indépendamment des pièces de 8, de 6, et de tout votre équipage de campagne. Vous avez des projectiles en nombre suffisant. Avec un peu d’activité et de savoir-faire, votre artillerie n’est donc pas dans une mauvaise situation. En tout, vous n’avez pas loin de mille bouches à feu; la France n’en a pas en tout plus de quinze mille; et vous savez la nuée de places fortes que nous avons.
Saint-Cloud, 6 juin 1806
Au roi de Hollande
J’ai vu les notes que vous m’avez remises. Les bâtiments du Texel tiennent aux opérations militaires, et il faudra voir la plan définitif qui aura lieu.
Il y aura un couronnement; il faut le remettre à un an.
Je vous autorise à emmener M. Fleury.
La formule du serment est celle-ci : « Je jure fidélité au Roi et obéissance à la constitution du royaume. »
Saint-Cloud, 7 juin 1806
Au roi de Naples
Je ne puis vous envoyer aucun renfort. Je ne puis engorger toutes mes troupes à Naples. Je n’ai que très-peu de monde en Italie. La Dalmatie, l’Istrie et Cattaro m’occupent beaucoup de monde. Par votre état de situation, il résulte que vous avez 53,000 hommes, dont 8,000 aux hôpitaux, ce qui fait 45,000 hommes bien portants, présents sous les armes. C’est 15,000 de plus qu’il ne vous faut. Vous avez en abondance de tout. Vous n’êtes point si pauvre en poudre que vous croyez. Vous avez plus de canons de côtes et de siège qu’il ne vous en faut. Vous avez le double de généraux et d’état-major qu’il vous faut. Si, avec l’armée que vous avez, vous ne pouvez pas prendre la Sicile, Gaète, et maintenir Naples, vous ne le ferez pas davantage avec 1 00,000 hommes.
Je vais analyser l’état de situation que vous m’avez envoyé, en date du 29 mai. Qu’avez-vous besoin de deux compagnies d’artillerie à cheval à Naples, c’est-à-dire 120 hommes ? Quatre régiments d’infanterie à Naples sont beaucoup trop; deux suffisent, en y mettant, s’il le faut, un ou deux régiments de cavalerie de plus; la police des grandes villes se fait par la cavalerie, la surveillance des côtes de même. Votre cavalerie est employée de manière qu’elle ne vous sert de rien. Vous pouvez donc économiser très-bien à Naples 3,000 hommes d’infanterie. Un régiment d’infanterie de ligne à Portici est fort inutile; un à Capoue est fort inutile. A Portici, il suffit d’un régiment de cavalerie, lequel fera l’exercice du canon tout aussi bien que l’infanterie; à Capoue, un régiment de cavalerie est suffisant. Un régiment de cavalerie à Caserte est assez inutile. Le ler d’infanterie de ligne est inutile à Chieti. Deux régiments de cavalerie sont inutiles à Gravina et Matera : un suffit. Le 2e régiment italien est inutile à Pescara; le 5e est inutile à Molfetta. Enfin vous tenez 9,600 hommes depuis Tarente jusqu’à Pescara; il vous suffit d’en tenir 3,000, ce qui vous rendra 6,000 hommes disponibles. Si vous prétendez garder tous les points de votre royaume de Naples, ce ne sera point assez des forces de France. Dans votre état de situation, je vois que vos troupes ne sont point employées.
Pendant que je me battais en Moravie, à vingt lieues de Vienne, je ne tenais pas dans cette ville le nombre de troupes que vous avez à Naples; et qu’avez-vous à craindre à Naples, où il y a des forteresses ?
Voici comment je placerais vos troupes au moment de l’expédition de Sicile : 22e léger et 52e à Naples; 25e de chasseurs, 14e de chasseurs, 4e de chasseurs à Naples; ce qui ferait, pour cette ville, 4,000 hommes, dont plus de 1,200 à cheval. Ils seraient chargés de garder Portici. Deux régiments de dragons seraient joints à Naples pour garder la côte de Salerne.
Le 6e de ligne, le 10e, le 62e, le 10le et le 4e italien avec 800 chevaux, ce qui ferait, y compris l’artillerie et les sapeurs, plus de 9,000 hommes, seraient chargés de Gaète, en mettant une garnison à Capoue.
Le 14e léger, le 1er léger, le 23e léger, le ler de ligne, le 20e de ligne, le 29e de ligne, 42e et 102e, les Polonais, les Suisses, les Corses et quelques régiments de chasseurs et de dragons, seraient chargés de l’expédition de Sicile. Cela formerait 18,000 hommes, en y joignant le bataillon de grenadiers des deux régiments qui sont à Naples et ceux des quatre régiments italiens.
Pour surveiller depuis Pescara jusqu’à Manfredonia, 400 chevaux et le 2e régiment italien, et quatre pièces d’artillerie; cela pourrait former deux colonnes mobiles de plus de 600 hommes, qui se porteraient partout où il serait nécessaire.
Du côté de Tarente, trois régiments à cheval, ce qui ferait 1,200 hommes, et deux régiments italiens d’infanterie faisant plus de 4,000 hommes, qui pourraient former six colonnes mobiles de 600 hommes, infanterie et cavalerie, qui occuperaient toute la presqu’île d’Otrante et se porteraient sur tout le fond de la botte.
Songez que vous avez dans le royaume de Naples le fond de 60,000 hommes. D’ailleurs, je n’ai point fait encore l’appel des conscrits, et il n’est pas possible que les cadres se trouvent remplis avant le mois de décembre, et encore aurais-je besoin des 3e bataillons pour d’autres destinations. Vous avez une armée immense. Je fais cette répartition pour vous; car, si c’était moi, je ne laisserais que 400 hommes à Pescara et qu’un seul régiment dans la presqu’île d’Otrante.
Quant à la poudre, vous pouvez en tirer d’Ancône et Cività-Vecchia; vous en avez 430,000 kilogrammes, c’est-à-dire 860 milliers, indépendamment de 1,800,000 cartouches. Avec cela, vous ne pouvez pas manquer. Vous avez le seizième de tout ce que j’ai dans toute la France.
Enfin les forces de la reine de Naples en Sicile sont très-peu de chose, et les Anglais n’ont pas plus de 6,000 hommes. Quant aux Russes, ils n’ont pas 3,000 hommes à Corfou; il ne pensent pas à vous.
Saint-Cloud, 7 juin 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur Talleyrand, je vous ai demandé une note sur les forces de la Prusse. Les renseignements que vous me donnez dans les lettres de M. Laforest ne sont pas ce que je désire. J’ai besoin dé la situation générale de l’armée du roi de Prusse.
Saint-Cloud, 7 juin 1806
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, des lettres que je reçois de Vienne, par un courrier extraordinaire, m’apportent l’avis que les Russes ont enfin rendu les bouches de Cattaro. Dans cet état de choses, je n’attends que la nouvelle du jour où elles auront été remises à mes troupes pour faire évacuer l’Allemagne par mon armée, et je rendrai la place de Braunau le jour où j’en recevrai l’avis. Écrivez au général Andréossy pour qu’il fasse connaître à Vienne qu’il peut être inutile d’envoyer des bataillons autrichiens à Cattaro, que j’ai donné l’ordre au général Lauriston d’en recevoir la possession avec huit bataillons, que la cour de Vienne peut y envoyer un commissaire autrichien, que cela épargnera un mouvement de troupes à l’Autriche, et que je ne demande pas mieux que de livrer Braunau et d’occuper Cattaro le plus tôt possible. Andréossy doit écrire dans ce sens à Lauriston, qui doit être actuellement à Raguse.
Saint-Cloud, 7 juin 1806
Au général Mouton
J’ai reçu votre lettre du 31 mai. J’attendrai la revue de rigueur que vous allez passer de la légion du Midi , sous le point de vue du personnel, armement, habillement et comptabilité. Je donne ordre que les officiers du 26e qui sont au conseil militaire rejoignent sur-le-champ. J’ai accordé pour le chef de bataillon Lépine. Il sera difficile de faire venir la partie du 26e qui est à l’île d’Yeu , où elle est nécessaire. Il ne faut point rester sur une fausse confiance. Tenez les troupes en haleine. Vous ne m’apprenez pas qu’on ait fait l’exercice à feu, ni au canon sur un tonneau. Dites à Allemand de mettre un vieux bâtiment au milieu de la rade et de faire tirer dessus les canons de la rade et des batteries, soit bombes , soit canons, afin de les exercer.
Quand ce que vous avez à faire à l’île d’Aix sera fini, et que vous m’aurez fait vos observations, vous pourrez venir par Bordeaux, y rester cinq ou six jours. Ne vous en rapportez point à ce que vous diront le commissaire de police, le préfet, le maire, le général; vous verrez tout par vous-même en bourgeois. Vous visiterez Blaye, les bouches de la Gironde, la tour et les batteries qui la défendent. Vous visiterez les batteries de la côte jusqu’à Bayonne. Vous irez au port du Passage et visiterez la frégate qui est là. Après cela, vous visiterez en détail Bayonne et sa citadelle. A votre retour, vous irez voir les marais de Rochefort, la ville Napoléon, l’île de Normoutiers, parcourrez le Bocage, Nantes, et de là vous retournerez à Paris.
Saint-Cloud, 7 juin 1806
Au général Junot
Je reçois vos lettres du 31 mai, dans lesquelles vous me rendez compte de la bonne situation du 3e léger. Vous savez que l’air de la citadelle de Parme est quelquefois malsain ; voyez donc à le caserner dans la ville, et à prendre des mesures pour que mes troupes ne tombent pas malades. Je n’entends pas raison; je m’en prendrai à vous si elles sont malades, puisque vous avez Plaisance, et même les montagnes, s’il le faut.
Vous avez demandé la permission de venir à Paris; je vous l’accorde. Laissez l’administration au préfet, et le commandement militaire à un général de brigade prudent et sage. Recommandez-1ui de bien vivre avec le préfet, et venez à Paris, où je serai bien aise de vous voir.
Saint-Cloud, 7 juin 1806
Au roi de Bavière
- de Cetto m’a remis la lettre de Votre Majesté, du 29 mai. Je lui ai fait connaître ce que je pensais qu’il fallait faire. Je m’en rapporte au compte qu’il lui en rendra; j’espère qu’elle en sera satisfaite. Elle ne doute pas que, dans toutes les circonstances, mon désir est de lui être utile et agréable. Assurée comme elle doit l’être de ce côté, elle doit prendre un langage clair et décidé, qui empèchera aucune puissance d’élever d’injustes prétentions.
Dans les négociations avec Berlin et l’Autriche, elle peut demander qu’elles se fassent à Paris, entre les ministres et sous mon intervention. Cela lui donnera toujours une situation favorable dans toutes les affaires.
Saint-Cloud, 7 juin 1806
DÉCISION
Le ministre des relations extérieures présente une note adressée par M. de Montgelas, ministre du roi de Bavière, au prince de Neufchâtel, pour protester contre le projet de la Prusse de ne céder qu’une partie du pays d’Anspach. | Renvoyé à M. Talleyrand, pour me faire un rapport sur ces embrouillaminis d’Anspach et me présenter un rapport pour en finir promptement. |
Saint-Cloud, 7 juin 1806
Au vice-amiral Decrès
Après ce qu’on m’écrit, je mets pour certain que l’escadre est partie probablement le 21 ou le 22 pour la Martinique; et, si la traversée n’est que d’un mois, comme je le pense, je la crois arrivée avant le 1er mai. J’espère qu’à l’heure qu’il est, s’ils ont pu faire des vivres, ils formeront une nouvelle croisière.
Conservez toutes les pièces qui tendent à confirmer si le Régulus a été dans l’Inde. Ce serait un bon parti qu’aurait pris là le capitaine Lhermite. Cette nouvelle acquiert toute probabilité, après ce que vous m’avez dit qu’il connaissait beaucoup l’Inde. J’ai toujours vu ceux qui y avaient été avoir un grand désir d’y retourner.
Saint-Cloud, 8 juin 1806
Au roi de Wurtemberg
Monsieur mon Frère, j’ai reçu les lettres de Votre Majesté; je m’empresse d’y répondre. Les armées françaises, pour retourner en France, ne peuvent passer que dans ses États ; mais cette charge que supportent ses sujets est une suite naturelle des circonstances. M’étant refusé à rendre les prisonniers autrichiens depuis les événements de Cattaro , ils ont dû rester où ils se trouvaient. Je ferai solder volontiers leur dépense. Je suis fâché que Votre Majesté ait pris si vivement des choses qui n’en valaient pas la peine. Votre Majesté, qui a tant de qualités que j’estime, porte quelquefois dans les affaires de détail une chaleur dont j’aurais, au reste , mauvaise grâce de me plaindre, puisqu’elle la porte aussi dans les circonstances importantes au service de ses amis. Toutefois, peu d’heures après avoir reçu sa lettre, j’ai appris la notification faite par l’ambassadeur de Russie pour la remise des bouches de Cattaro. Cela étant, tout va finir,
je m’en fais une véritable fête par le soulagement qu’en éprouveront mes alliés. Ayant tant souffert, je prie Votre Majesté, par amitié pour moi, de souffrir encore un peu.
Saint-Cloud, 9 juin 1806
A M. de Champagny
Monsieur Champagny, l’armée ne pourra pas être à Paris avant le 15 août. C’est définitivement à cette époque que seront fixées le fêtes qui doivent être célébrées pour le retour de la Grande Armée.
Saint-Cloud, 9 juin 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur le Prince de Bénévent, les instructions du général Sebastiani se divisent en deux parties : l’une formée des renseignements sur la situation géographique et politique de l’empire ottoman, extraits de la correspondance du ministre : celle-là n’a pas besoin de m’être soumise; l’autre partie doit être l’instruction positive dont je vous envoie les bases.
1° Mon ambassadeur à Constantinople doit s’attacher, dans toutes les circonstances et par tous les moyens , à inspirer confiance et sécurité à la Porte ; à faire bien comprendre que je ne veux rien de l’empire de Constantinople ; que je veux, autant qu’il est en moi, en pacifier toutes les parties, réorganiser et rétablir, s’il est possible, ce formidable empire, qui, dans son état de faiblesse même, en impose à la Russie et la contient.
2° Le but constant de ma politique est de faire une triple alliance de moi, de la Porte et de la Perse, dirigée indirectement ou implicitement contre la Russie.
3° Je veux être traité comme la puissance la plus favorisée. Mais je veux regagner l’influence que j’ai perdue, par l’adresse , l’insinuation, la confiance, et non par l’arrogance, la force ou la menace. Mon ambassadeur doit plaire et inspirer de la confiance. Je jugerai qu’il aura inspiré de la confiance et rempli ses instructions toutes les fois qu’il sera instruit par la Porte des demandes de la Russie ou de l’Angleterre.
4° Je ne soutiendrai aucun rebelle à la Porte, ni aucun de mes anciens amis d’Égypte ou de Syrie, ni aucun Grec. Ma politique est une et simple : être intimement lié à la Porte.
5° Je veux être bien avec la Porte par la confiance, par l’amitié et par le sentiment; mais cela n’est pas suffisant : je veux que cette liaison apparaisse à la Russie, à l’Angleterre, à toute l’Europe; que tout ce qui est amitié ait de l’éclat; que tout ce qui est froideur et mécontentement soi tenu secret.
6° L’étude constante de mon ambassadeur doit être de jeter de la défaveur sur la Russie; il doit déprécier ses forces militaires, la bravoure de ses troupes, de toutes manières et constamment; vivre avec la légation russe froidement et sans beaucoup d’égards; la traiter plutôt avec hauteur qu’avec quelque complaisance. Quelles que soient d’ailleurs les relations de la France avec la Russie, la légation française à Constantinople doit toujours vivre froidement avec la légation russe. Au contraire, elle peut être bien avec l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre, lorsque la paix sera faite.
7° Le but de toutes les négociations doit être la fermeture du Bosphore aux Russes, et l’interdiction du passage de la Méditerranée dans la mer Noire à tous leurs bâtiments armés ou non armés (c’est une vaine simagrée que de fermer les sabords et de dire qu’un bâtiment est armé en flûte) ; de ne laisser naviguer aucun Grec sous pavillon russe; de fortifier et d’armer toutes les places contre la Russie; de soumettre les Géorgiens, et de faire reprendre à la Porte l’empire absolu sur la Moldavie et sur la Valachie.
8° Je ne veux point partager l’empire de Constantinople; voulût-on m’en offrir les trois quarts, je n’en veux point. Je veux raffermir et consolider ce grand empire, et m’en servir tel quel comme opposition à la Russie.
Saint-Cloud, 9 juin 1806
OBSERVATIONS SUR LES FORTIFICATIONS DE MAYENCE, DE CASSEL ET DE RUREMONDE
Il faut distinguer les travaux de Mayence et Cassel en deux classes: la première, de travaux urgents à faire cette année et l’année prochaine; la seconde, de ceux à faire graduellement chaque année.
Cassel pris, Mayence n’a plus que la moitié de son jeu. Il faut donc mettre Cassel en bon état de défense. On fera, pour cet objet, un fonds de 300,000 francs cette année, et un autre fonds pareil l’année prochaine pour l’achever entièrement.
Mais, quelque chose qu’on fasse, Cassel ne sera jamais qu’une petite place, et, pour que Mayence ait toute sa propriété, il faut être maître non-seulement du Rhin, mais encore du Mein. Il faut aussi, pour protéger le pont de Cassel , être le maître du Mein. On oblige alors l’ennemi qui veut faire le siège de Mayence à avoir trois ponts de communication, deux sur le Rhin et un sur le Mein.
Il faut être maître du Mein, de manière que l’ouvrage que l’on établira protège Cassel, et, au lieu de l’investissement d’une petite place comme est Cassel, oblige l’ennemi à un siège plus considérable. Il faut donc que Cassel ne puisse être investi du côté du Mein sans qu’on investisse en même temps le nouveau fort.
L’ennemi ne pourra pas s’établir entre Cassel et le nouveau fort. Le terrain entre deux pourra être occupé par des lignes de contre-attaque, qui n’exigeront ni audace ni grands travaux de la part de la garnison, puisque sa droite et sa gauche seront appuyées par deux forts.
On voudrait que, Cassel pris, le fort restât intact et eût sa communication immédiate avec Mayence, et que, le fort du Mein pris, il fallût encore prendre Cassel.
Enfin, pour compléter les fortifications de Mayence, il faudrait encore un fort vis-à-vis l’île de Saint-Pierre, de manière que la garnison puisse se porter sur l’autre rive par trois ponts, le pont actuel, celui du fort du Mein et celui de l’île de Saint-Pierre.
Le terrain ne doit pas être fort élevé au-dessus des eaux du Mein, puisque ce fleuve a passé autrefois près de Cassel. Il faudrait niveler, lever le terrain à 1,200 toises des forts, et faire des projets là-dessus. Peut-on se procurer des inondations par le Mein ? Cela aurait deux avantages : celui de rendre les trois forts inattaquables et de pouvoir économiser plusieurs dépenses de revêtements en maçonnerie. Pourrait-on changer le confluent du Mein, et alors construire sans épuisement ni batardeaux le pont éclusé sur le Mein, dans le nouveau lit qui lui serait préparé, comme on le fait à Alexandrie pour le pont sur la Bormida ? Pourrait-on se donner autour des forts un espace d’environ 100 toises de largeur, rempli par les eaux de l’inondation, et qui envelopperait les trois forts ? On aurait trois forts indépendants les uns des autres, ayant chacun leur communication séparée avec Mayence; on serait maître du Rhin et du Mein, et Mayence ne serait plus attaquable que sur la rive gauche.
Le côté de Monbach est défendu par un marais; l’attaque de Mayence se réduirait donc à l’attaque du fort Meusnier et du fort 51.
Strasbourg, Mayence et Wesel, voilà les places où on doit constamment travailler, sans dépenser davantage à des places de l’intérieur, ou à de petites places qui, en dernière analyse, ne sont que d’un intérêt secondaire. Il faut, avec dix ou douze millions, c’est- à-dire en quinze ou vingt ans, mettre Mayence en tel état qu’il n’y ait autre chose à faire qu’à le bloquer. Il faut donc que le premier inspecteur fasse lever et niveler les terrains autour de Cassel. Qu’on s’occupe cet été de rédiger un bon projet. S’il n’y a pas moyen d’inonder, le faible de Mayence sera toujours Cassel.
Le ministre est invité à faire un mémoire sur la situation actuelle de Ruremonde, et à rédiger un projet pour en faire une petite place, de 2 à 3,000 hommes de garnison, qui puisse flanquer la Belgique.
Saint-Cloud, 9 juin 1806
Au vice-amiral Decrès
Il est convenable que le contre-amiral Allemand se tienne en position de pouvoir appareiller à tout moment, parce qu’il serait possible que l’escadre du contre-amiral Willaumez ou le Régulus se présentassent pour entrer à Rochefort. Il faut donc que l’escadre de l’île d’Aix soit en mesure d’appareiller rapidement pour marcher à leur secours.