Correspondance de Napoléon – Juin 1806
Juin 1806
Saint-Cloud, ler juin 1806.
Au général Dejean
Monsieur Dejean, j’ai lu avec la plus grande attention le travail du général Gassendi sur le matériel de l’artillerie; j’ai parcouru les vingt-cinq états qui y étaient joints. J’ai remarqué que Wesel ne s’y trouvait pas compris, et j’en ai facilement compris la raison. Je désire que cette place soit considérée comme le point d’appui de la ligne du Rhin, et traitée comme Strasbourg et Mayence. Toute l’artillerie qui s’y trouve nous appartient. Il résulte de ce travail que le nécessaire des bouches à feu, pour l’armement des places, est de 5,900 en pièces de bronze, de 3,600 en pièces de fer, de 3,300 mortiers, obusiers et pierriers, et de 3,060 pièces de campagne : total, 15,800 pièces de canon. Il y a plusieurs places , telles que celle de Parme, qui ne doivent pas être comprises dans l’état des places à armer. Gavi et la citadelle de Plaisance sont portées beaucoup trop haut. Mont-Lyon est porté beaucoup trop haut. Au Havre, il n’y a plus d’enceinte. Granville également n’est pas fortifié. A Saint-Florent, il n’y a aucune enceinte. On me porte en Corse 400 pièces de canon comme nécessaires; il n’y en a que 50 à 60; c’est tout ce qu’il faut. En général, le nécessaire des armements est porté trop haut, et la moindre réduction générale que l’on puisse faire, c’est de porter les 1,472 pièces de campagne, que l’on destine en sus des pièces de siège, en dedans de l’approvisionnement de siége, de manière qu’au lieu de 8,000 pièces de bronze il ne m’en faudrait plus que 6,500. Le rôle que joue une pièce de 24 ou de 16, de 12 ou de 8, n’est pas tellement déterminé dans une place que l’on ne puisse employer les unes pour les autres. Pour établir donc la colonne du nécessaire pour l’armement de toutes les places, je désire, 1° que l’on revoie d’abord avec attention ce travail, et qu’on retranche les places qui en sont susceptibles, surtout celles qui n’étant point fermées, ne sont point susceptibles de siége; 2° que l’on diminue le nécessaire actuel, de manière que dans ce qu’on demande pour pièces de siége soient comprises les pièces de campagnes; 3° qu’on ne fasse point une colonne du nécessaire séparée pour les pièces de bronze et de fer, hormis pour les pièces de fer destinées au service des côtes, ce qui est un autre calcul; 4° qu’on base le nécessaire des pièces de différents calibres sur ce qui existe, et sur une perfection idéale; et, pour expliquer mon idée par un exemple, je citerai la direction de Maëstricht : il faut pour cette direction 350 bouches à feu; dans ces 350 il faut comprendre les 50 portées dans l’état 11 des pièces de campagne; il n’en restera donc plus que 300 de siège; sur ces 300, il faut porter comme existantes les pièces de fer, et enfin ne point détailler le nécessaire de ces 300 pièces en idéal; au lieu de quarante pièces de 24, comme le porte l’état 8, on n’en portera comme nécessaires que vingt-deux, puisqu’il y en a vingt en bronze et deux en fer. On portera comme nécessaires, en pièces de 16, les trente-neuf qui existent et les sept de 18 en fer, ce qui fera quarante-six au lieu de quatre-vingts; et, au lieu de quarante de 12 portées comme nécessaires à l’état 8, on portera, pour compenser celles de 16 qui sont portées comme nécessaires, quarante-neuf en bronze, trente-sept en fer, et les vingt de 12 de campagne portées dans les états 14, 15 et 16. Tout ceci est fondé sur le principe qu’une pièce de fer, quand elle est bonne, est d’un bon service; que des pièces de 36 et de 24, de 16 et de 12, des mortiers et obusiers de 12 et de 10, sont la même chose dans une place de guerre. En rédigeant les états sur ces principes, on arrivera à un résultat réel, et on n’aura point tant de manquant et d’excédant, et alors nous pourrons calculer sur notre situation.
Il n’y a cependant à cela qu’une seule restriction : c’est qu’il faut que je trouve à chacune de nos frontières de quoi former des équipages de siège; et, dans ce cas, il n’est pas indifférent d’avoir du 24 ou du 16, du bronze on du fer, des pièces longues ou courtes; mais, dans cette hypothèse, un avantage peut être compensé par un autre, et cela ne peut pas exiger de refondre des pièces et de rendre des affûts inutiles. Il faut donc m’indiquer, dans une colonne séparée, les pièces de chaque place marquées pour former un équipage de siège. Il faut que, sur la frontière du Nord, j’aie de quoi former deux équipages de siége, deux sur le Rhin et la Moselle, un dans les Pyrénées, deux en Italie, un sur les côtes de Bretagne et un sur les côtes de la Méditerranée; ce qui formera neuf équipages de siège, chacun d’une centaine de pièces de canon. Marquer ces pièces au procès-verbal de chaque direction comme devant former J’équipage de siège est une attention convenable à avoir. Alexandrie seule doit pouvoir fournir un équipage de siège; Gènes et Fenestrelle doivent fournir le second. C’est, je crois, la seule considération à avoir dans l’approvisionnement des places, et, n’y aurait-il que Strasbourg, la place ne s’en défendrait pas moins avec des pièces de 16 et de 12, pourvu qu’il y eût le nombre de pièces de 24 nécessaire pour fournir un contingent à l’équipage de siège que doit fournir la frontière. En général, je dois dire aussi qu’il m’a paru que dans l’armement on ne porte point assez de pièces de campagne; il est vrai qu’il est toujours facile d’en faire entrer dans les places; cependant, comme nous avons beaucoup de pièces de 4, de 8 et d’obusiers, on pourrait en augmenter le nombre de beaucoup dans les places, en placer dans les ouvrages avancés, les chemins couverts, etc. Les sorties se font avec des pièces de campagne, en grande partie. En résumé, je désirerais avoir un nouveau travail, pour que le nécessaire se trouvât le plus près possible de l’existant, du moins en pièces. Du reste, le travail me paraît fort bien fait.
Saint-Cloud, ler juin 1806
Au général Lemarois, commandant les troupes de l’Adriatique
Monsieur le Général Lemarois, je reçois votre lettre d’Ancône du 24 mai. Il paraît que, du côté de l’artillerie, vous n’êtes pas ml et que vous avez de la poudre, des cartouches et du canon en assez grande quantité. La première chose à faire est de vous emparer de toute l’autorité militaire, sans souffrir que les agents du Pape s’en mêlent, et de mettre le port et les environs, et les forts en bon état de défense. Il faut établir une bonne discipline dans le régiment de la Tour d’Auvergne; le colonel doit s’y trouver. Il faut m’envoyer des plans et un détail des fortifications, de ce qui existe, de ce qu’il y a à faire, et de ce que cela coûterait. Toutes les fois que des soldats du Pape seraient pris, comme embaucheurs, il faut les traduire devant une commission militaire et les faire fusiller. Faites exercer constamment les troupes. Faites armer quelques avisos pour avoir des nouvelles de ce qui se passe en mer.
Saint-Cloud, 3 juin 1806
A la princesse Auguste
Ma Fille, j’ai reçu votre lettre du 26 mai. Je sens la solitude que vous devez éprouver de vous trouver seule au milieu de la Lombardie; mais Eugène reviendra bientôt, et l’on ne sent bien que 1’on aime que lorsqu’on se revoit ou que l’on est absent. On n’apprécie la santé que lorsqu’on a un peu de migraine ou lorsqu’elle vous quitte. Il est d’ailleurs utile, pour toutes sortes de raisons, de voir un peu de monde et de se dissiper. Tout ce qui m’est revenu d’Italie m’apprend que vous menez une vie beaucoup trop sage. Je n’entends pas parler de madame de Wurmb; j’imagine qu’elle est auprès de vous et que vous l’aimez toujours. Je reçois toujours avec plaisir de nouvelles; je m’en informe de ceux qui viennent du pays, et j’apprends avec plaisir que tout le monde vous trouve parfaite.
Votre affectionné père
Saint-Cloud, 3 juin 1806
Au général Lemarois
Je reçois votre lettre du 26 mai. J’approuve votre conduite. Organisez le militaire. Tenez-vous sur un bon pied. Maintenez la morale, réprimez tous les abus.
Saint-Cloud, 3 juin 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je reçois votre lettre de Palmanova. Immédiatement après la réception de ma lettre, vous expédierez un de vos aides de camp an général Molitor, pour lui faire connaître que mon intention est qu’immédiatement après que le général Lauriston sera arrivé à Raguse et qu’il sera maître de toute la presqu’île de Sabioncello, on attaque l’île de Curzola. Le détroit de Sabioncello est étroit. Cette presqu’île est donc le point principal pour nous, pour la défense des îles de Lesina et de Curzola. Maître de Sabioncello, vous donnerez l’ordre au général Lauriston de faire construire un fort à l’extrémité de la presqu’île, de manière que deux batteries, placées là, défendent le détroit de Sabioncello et le canal qui va de Sabioncello à l’île de Lesina, et qu’un bataillon s’y trouve retranché, fortifié, approvisionné et dans le cas de se défendre longtemps. Maître de Curzola, il faut y établir des batteries et un fort pour correspondre avec les batteries et le fort de Sabioncello, de manière que, Raguse étant en notre pouvoir, il nous sera toujours facile de dégager le fort de Sabioncello, s’il était sérieusement attaqué. Ce fort protège la communication avec Curzola, et alors la défense des trois îles de Lesina, Curzola et Brazza devient facile. Il faut donc qu’un ingénieur soit envoyé à Sabioncello pour faire la description de cette presqu’île et faire connaître le point où il faut établir la redoute. Un simple coup d’œil sur la carte vous fera connaître l’efficacité de la défense de Raguse, étant une fois maître de Sabioncello. La légion dalmate, que j’ai ordonné de lever, et dont vous aurez déjà nommé les chefs, pourra fournir 400 hommes dans chacune des îles de Lesina et de Curzola, et 100 hommes dans celle de Brazza, ce qui fera 900 hommes, qui, avec quelques officiers, quelques canonniers, et, s’i1 le faut, avec quelques compagnies françaises, peuvent mettre ces îles en état d’attendre les prompts secours qui leur seraient portés. Envoyez, avec le général Lauriston, quelqu’un qui ait fait la guerre des Turcs en Égypte; il doit y avoir dans votre armée beaucoup d’officiers qui l’on faite. Ils apprendront le peu de cas qu’on doit faire des Monténégrins. Les nouvelles de Corfou et de Constantinople portent que les Russes sont beaucoup affaiblis, et qu’ils n’ont jamais pu avoir plus de 6,000 hommes disponibles à Corfou. Cependant je ne m’oppose à ce que vous ordonniez au 8e régiment d’infanterie légère de se rendre à Zara, et au bataillon brescian ou à un autre bataillon de troupes italiennes de se rendre à Cherso pour prendre la défense de cette île. Alors le général Molitor aura trois régiments formant neuf bataillons. Le général Lauriston, qui formera son avant-garde, aura deux régiments. Le général Molitor devra toujours tenir une réserve de cinq bataillons, sur les neuf qu’il aura, à Spalatro, Almissa, Macarsca et Opus, pour, au premier événement sérieux, envoyé au secours du général Lauriston; et Lauriston aurait ainsi, au moindre événement, pour défendre Raguse contre les Monténégrins et les Russes, les six bataillons sous ses ordres et les cinq du général Molitor; ce qui lui ferait onze bataillons, qui, avec l’artillerie, devraient former 5 ou 6,000 hommes, force hors de proportion avec tout ce que l’ennemi peut lui opposer. On m’assure qu’il trouvera peu d’artillerie à Raguse; mais il se peut qu’il trouve dans cette place beaucoup de bâtiments qui tous ont des pièces de canon. Il doit prendre ces canons, n’importe à quelle nation appartiennent ces bâtiments, pour armer les points de la côte qu’il lui paraîtra important de fortifier. J’imagine que Dandolo est parti. Je compte sur son énergie, sur son activité, sa probité, pour remuer les Dalmates, organiser cette province et tirer parti des habitants, tant pour former la légion que pour défendre leurs côtes, si cela était nécessaire. La possession de la Dalmatie sera coûteuse à mon royaume d’Italie dans les premiers moments, mais il finira par en tirer un grand profit. Au milieu de ces îles, les gros vaisseaux ne font rien; faites donc armer toutes les péniches, pirogues et petits bâtiments que vous pourrez réunir, et envoyez-les là.
J’ai donné l’ordre au général Barbou de se rendre à votre quartier général pour y recevoir vos instructions ; mon intention est qu’il commande les bouches de Cattaro, dès qu’elles me seront remises, sous les ordres du général Lauriston, qui restera à Raguse; c’est un officier qui a montré de la prudence à Hameln.
Saint-Cloud, 3 juin 1806
Au roi de Naples
Je reçois votre lettre du 24 mai. Je connais bien le maréchal Jourdan; je pense que c’est un homme que vous devez vous attacher. Il a de l’expérience, de la modération, de l’activité et du dévouement. Je ne connais personne plus dans le cas d’être gouverneur de Naples; car il vous eu faut un de toute confiance, qui étudie cette capitale, d’autant plus importante qu’elle est frontière du côté de la mer. Alors son traitement se composerait du revenu de son duché, que je lui donnerais parmi ceux que je me suis réservés dans le royaume de Naples; vous y joindriez une assez forte somme pour son traitement de gouverneur, ce qui lui formerait un grand état et lui donnerait une grande considération dans le pays. Jourdan et Reynier, voilà les deux hommes que vous devez vous attacher. Masséna n’est bon à rien dans un gouvernement civil; il n’est d’ailleurs point susceptible d’attachement. C’est un bon soldat, mais entièrement adonné à l’amour de l’argent; c’est là le seul mobile de sa conduite, et il n’y a que cela qui l’ait fait mai-cher, même sous mes yeux. C’était d’abord par de petites sommes; aujourd’hui des milliards ne suffiraient pas.
Je suis bien surpris d’apprendre par votre lettre et par d’autres renseignements que les Abruzzes ne sont pas soumises. Que font donc Reynier et Saint-Cyr ? Dorment-ils ? C’est là une nouvelle manière de servir.
Saint-Cloud, 3 juin 1806
Au roi de Naples
Je n’ai pas pu faire mettre le discours de M. Roederer dans leMoniteur, car, en vérité, il n’a pas de sens. Il parle au nom d’un sénat comme il ferait dans un article de journal; il me met à côté de Machiavel. Je n’ai jamais rien vu de fait avec moins de sens et dans une circonstance où il y avait tant de belles choses à dire. Je lis aussi dans votre discours des phrases que vous me permettrez de trouver mauvaises. Vous comparez l’attachement des Français à ma personne à celui des Napolitains pour vous. Cela paraîtrait une épigramme. Quel amour voulez-vous qu’ait pour vous un peuple pour qui vous n’avez rien fait, chez lequel vous êtes par droit de conquête avec 40 ou 50,000 étrangers ? En général, dans tous vos actes, moins vous parlerez directement ou indirectement de moi et de la France, mieux cela vaudra. Il y a aussi des phrases sur le Sénat qui m’ont paru ridicules et ont été trouvées telles par plusieurs membres du Sénat, hommes de sens. Il m’est tombé sous les yeux plusieurs lettres dans lesquelles vous parlez de « vos collègues » Defermom, Berlier, etc. Cela est déplacé et tend à vous donner un caractère que vous n’avez pas. Il faut être Roi et parler en Roi. Si vous n’avez d’autres titres à la bienveillance des sénateurs et des conseillers d’État que d’avoir été leur inférieur ou leur collègue dans un corps législatif, c’est une pauvre ressource. Cette manière déplait à tout le monde, même à ceux à qui vous écrivez.
Je ne pense pas que M. Roederer puisse garder la place de sénateur et sa sénatorerie, et être votre ministre. Gardez-le pour en faire votre société; mais c’est un homme qui n’a point de tact, qui ne vous fera point d’amis , et qui ne vous donnera jamais un bon conseil, quoique du reste il ait des qualités que j’apprécie.
Si vous n’aviez pas d’armée française, et que l’ancien roi de Naples n’eût pas d’armée anglaise, qui serait le plus fort à Naples ? Et certainement je n’ai pas besoin d’une armée étrangère pour me maintenir à Paris. Je remarque avec peine qu’il y a dans votre lettre de l’engouement, et l’engouement est très-dangereux. Le peuple Naples se comporte bien; il n’y a rien à cela d’extraordinaire : vous l’avez ménagé; il s’attendait à pis de la part d’un homme qui était à la tête de 50,000 hommes; vous êtes doux, modéré; vous avez un bon esprit; vous êtes apprécié. Mais il y a loin de là à un esprit national, à une soumission d’attachement raisonnée et d’intérêt. Ces nuances ne doivent pas vous échapper. Je ne sais pourquoi je vous dis cela, parce que cela vous affligera; mais il faut que tous vos actes aient le ton de décence convenable, que toutes vos paroles publiques donnent une idée juste de votre caractère.
Saint-Cloud, 3 juin 1806
Au roi de Naples
Je vous envoie le mémoire des relations extérieures sur les armes de Naples. Il me semble raisonnable, hormis qu’il faut en ôter cet ordre du Croissant qui n’est plus de mode, et qui ne doit pas être renouvelé depuis que le Grand Seigneur en a établi un. On pourrait mettre très-bien la Légion d’honneur, ou bien le nouvel ordre que vous ferez.
Saint-Cloud, 5 juin 1806, 11 heures du matin
Au roi de Naples
La conduite de la cour de Rome est marquée au coin de la folie J’ai voulu lui faire sentir par un premier coup ce qu’elle avait à craindre de moi; et d’ailleurs j’ai pensé qu’en tout état de choses les enclaves de Bénévent et de Ponte-Corve ne pouvaient être que des sujets de troubles pour votre royaume. J’en ai fait deux duchés : celui de Bénévent pour Talleyrand, et celui de Ponte-Corvo pour Bernadotte. Je sais que ces pays sont peu ,riches; mais je suppléerai à la dotation de ces duchés. Talleyrand est assez riche pour n’en avoir pas besoin. Je me chargerai de la dotation de celui de Bernadotte. Faites occuper ces pays, d’abord comme occupation militaire. Vous sentez que, lorsque j’ai donné le titre de duc et de prince à Bernadotte, c’est en considération de votre femme; car j’ai dans mon armée des généraux qui m’ont mieux servi et sur l’attachement desquels je puis plus compter. Mais j’ai pensé qu’il convenait que le beau-frère de la reine de Naples eût un rang distingué chez vous. Quant aux six autres duchés, je serai bientôt dans le cas d’y nommer. Masséna et Jourdan seraient l’un et l’autre convenables. Tout ce qui est tache disparaît avec le temps, et, les titres de vainqueur de Fleurus comme de vainqueur de Zurich sont des titres qui restent; on ne se souviendra que de cela en voyant leurs enfants. Lorsque vous serez maître de la Sicile, instituez trois autres fiefs, dont un pour Reynier; aussi bien je pense que c’est lui que vous chargez de l’expédition, et ce ne sera pas un faible encouragement pour lui s’il se doute de ce que je veux faire en sa faveur. Dites-moi les titres que vous voudriez donner aux duchés qui sont dans votre royaume. Ce ne sont que des titres; le principal est le bien qu’on y attache; il faudrait y affecter 200,000 livres de rente. J’ai exigé aussi que les titulaires aient une maison à Paris, parce que c’est là qu’est le centre de tout le système; et je veux avoir à Paris cent fortunes, toutes s’étant élevées avec le trône et restant seules considérables, puisque se sont des fidéicommis, et que ce qui ne sera pas elles va se disséminer par l’effet du Code civil.
Établissez le Code civil à Naples; tout ce qui ne vous est pas attaché va se détruire alors en peu d’années, et ce que vous voudrez conserver se consolidera. Voilà le grand avantage du Code civil. Si le divorce vous gêne pour Naples, je ne vois pas d’inconvénient de cartonner cet article; cependant je le crois utile; car pourquoi le Pape prononcerait-il lorsqu’il y a cause d’impuissance ou autre force majeure ressortissant de l’ordre civil ? Toutefois, si vous le croyez nécessaire, changez-le. Pour les actes de l’état civil, vous pouvez les laisser aux curés. Au moyen de ces modifications, il faut établir le Code civil chez vous; il consolide votre puissance, puisque par lui tout ce qui n’est pas fideicommis tombe, et qu’il ne reste plus de grandes maisons que celles que vous érigez en fiefs. C’est ce m’a fait prêcher pour un code civil et m’a porté à l’établir.
Dans une heure, je reçois l’ambassadeur turc, et je proclame le prince Louis roi de Hollande, et le cardinal Fesch coadjuteur de l’électeur archichancelier.
Je vous prie de regarder comme un ordre exprès l’envoi que vous je demande de deux escadrons de cavalerie et de quelque infanterie à Bénévent et à Ponte-Corvo, et d’y nommer un commandant qui en remettra la possession à Bernadotte et à Talleyrand; ce qui empêchera tout rassemblement, pétition, etc. Comme les journaux répéteront d’ici à deux jours ces nouvelles, il ne faut pas perdre un moment pour faire ces occupations.
Le cardinal Ruffo est venu à Ancône. Si je l’avais prévu, j’aurais écrit à Lemarois de le faire arrêter et de l’envoyer à Paris.
Paris, 5 juin 1806
RÉPONSE DE L’EMPEREUR À L’AMBASSADEUR EXTRAORDINAIRE DE LA SUBLIME PORTE
Monsieur l’Ambassadeur, votre mission m’est agréable. Les assurances que vous me donnez des sentiments du sultan Selim, votre maître, vont à mon cœur. Un des plus grands, des plus précieux avantages que je veux retirer des succès qu’ont obtenus mes armes, c’est de soutenir et d’aider le plus utile comme le plus ancien de mes alliés. Je me plais à vous en donner publiquement et solennellement l’assurance. Tout ce qui arrivera d’heureux on de malheureux aux Ottomans sera heureux ou malheureux pour la France. Monsieur l’Ambassadeur, transmettez ces paroles an sultan Selim; qu’il s’en souvienne toutes les fois que mes ennemis, qui sont aussi les siens, voudront arriver jusqu’à lui.. Il ne peut jamais rien avoir à craindre de moi; uni avec moi, il n’aura jamais à redouter la puissance d’aucun de ses ennemis.
Paris, 5 juin 1806
RÉPONSE DE L’EMPEREUR AUX AMBASSADEURS EXTRAORDINAIRES DE LEURS HAUTES PUISSANCES LES ÉTATS DE HOLLANDE.
Messieurs les Représentants du peuple Batave, j’ai toujours regardé comme le premier intérêt de ma Couronne de protéger votre patrie.
Toutes les fois que j’ai dû intervenir dans vos affaires intérieures, j’ai d’abord été frappé des inconvénients attachés à la forme incertaine de votre gouvernement. Gouvernés par une assemblée populaire, elle eût été influencée par les intrigues et agitée par les puissances voisines; gouvernés par une magistrature élective, tous les renouvellements de cette magistrature eussent été des moments de crise pour l’Europe et le signal de nouvelles guerres maritimes. Tous ces inconvénients ne pouvaient être parés que par un gouvernement héréditaire. Je l’ai appelé dans votre patrie par mes conseils, lors de l’établissement de votre dernière constitution, et l’offre que vous faites de la couronne de Hollande au prince Louis est conforme aux vrais intérêts de votre patrie, aux miens, et propre à assurer le repos général de l’Europe. La France a été assez généreuse pour renoncer à tous les droits que les événements de la guerre lui avaient donnés sur vous,; mais je ne pouvais confier les places fortes qui couvrent ma frontière du nord à la garde d’une main infidèle ou même douteuse.
Messieurs les Représentants du peuple Batave, j’adhère au vœu de Leurs Hautes Puissances.
Je proclame Roi de Hollande le prince Louis.
Vous, Prince, régnez sur ces peuples. Leurs pères n’acquirent leur indépendance que par les secours constants de la France. Depuis, la Hollande fut l’alliée de l’Angleterre : elle fut conquise. Elle dut encore à la France son existence. Qu’elle vous doive donc des rois qui protègent ses libertés, ses lois et sa religion; mais ne cessez jamais d’être Français:
Là dignité de connétable de l’Empire sera possédée par vous et vos descendants. Elle vous retracera les devoirs que vous avez à remplir envers moi, et l’importance que j’attache à la garde des places fortes qui garnissent le nord de mes États et que je vous confie. Prince, entretenez parmi vos troupes cet esprit que je leur ai vu sur les champs de bataille. Entretenez dans vos nouveaux sujets des sentiments d’union et d’amour pour la France. Soyez l’effroi des méchants et le père des bons : c’est le caractère des grands rois.
Saint-Cloud, 5 juin 1806
MESSAGE AU SÉNAT
Sénateurs, nous chargeons notre cousin l’archichancelier de l’Empire de vous faire connaître qu’adhérant au vœu de Leurs Hautes Puissances nous avons proclamé le prince Louis-Napoléon, notre bien-aimé frère, roi de Hollande, pour ladite couronne être héréditaire en toute souveraineté, par ordre de primogéniture, dans sa descendance naturelle, légitime et masculine; notre intention étant en même temps que le roi de Hollande et ses descendants conservent la dignité de connétable de l’Empire.
Notre détermination, dans cette circonstance, nous a paru conforme aux intérêts de nos peuples. Sous le point de vue militaire la Hollande possédant toutes les places qui garantissent notre frontière du nord, il importait à la sûreté de nos États que la garde en fût confiée à des personnes sur l’attachement desquelles nous ne pussions concevoir aucun doute. Sous le point de vue commercial la Hollande étant située à l’embouchure des grandes rivières qui arrosent une partie considérable de notre territoire, il fallait qui nous eussions la garantie que le traité de commerce que nous conclurons avec elle fût fidèlement exécuté, afin de concilier les intérêts de nos manufactures et de notre commerce avec ceux du commerce de ces peuples. Enfin la Hollande est le premier intérêt politique de la France. Une magistrature élective aurait eu l’inconvénient de livrer fréquemment ce pays aux intrigues de nos ennemis, et chaque élection serait devenue le signal d’une guerre nouvelle.
Le prince Louis, n’étant animé d’aucune ambition personnelle, nous a donné une preuve de l’amour qu’il nous porte et de son estime pour les peuples de Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de si grandes obligations.
L’archichancelier de l’empire d’Allemagne, électeur de Ratisbonne et primat de Germanie, nous ayant fait connaître que son intention était de se donner un coadjuteur, et que, d’accord avec ses ministres et les principaux membres de son chapitre, il avait pensé qu’il était du bien de la religion et de l’empire germanique qu’il nommât à cette place notre oncle et cousin le cardinal Fesch, notre grand aumônier et archevêque de Lyon, nous avons accepté ladite nomination au nom dudit cardinal. Si cette détermination de l’électeur archichancelier de l’empire germanique est utile à l’Allemagne, elle
n’est pas moins conforme à la politique de la France.
Ainsi le service de la patrie appelle loin de nous nos frères et nos enfants; mais le bonheur et les prospérités de nos peuples composent aussi nos plus chères affections.
Saint-Cloud, 5 juin 1806
MESSAGE AU SÉNAT
Sénateurs, les duchés de Bénévent et de Ponte-Corvo étaient un sujet de litige entre le roi de Naples et la cour de Rome; nous avons jugé convenable de mettre un terme à ces difficultés, en érigeant ces duchés en fiefs immédiats de notre empire. Nous avons saisi cette occasion de récompenser les services qui nous ont été rendus par notre grand chambellan et ministre des relations extérieures, Talleyrand, et par notre cousin le maréchal de l’Empire, Bernadotte. Nous n’entendons pas cependant, par ces dispositions, porter atteinte aux droits du roi de Naples et de la cour de Rome, notre intention étant de les indemniser l’un et l’autre. Par cette mesure, ces deux gouvernements, sans éprouver aucune perte, verront disparaître les causes de mésintelligence qui, en différents temps, ont compromis leur tranquillité, et qui, encore aujourd’hui , sont un sujet d’inquiétude pour l’un et pour l’autre de ces États et surtout pour le royaume de Naples, dans le territoire duquel ces deux principautés se trouvent enclavées.
Saint-Cloud, 5 juin 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur Talleyrand, expédiez aujourd’hui un courrier à la Haye pour informer mon ministre que le prince Louis est reconnu roi de Hollande, et pour le charger d’annoncer au Grand Pensionnaire que le Roi part vendredi de Paris, qu’il sera dans la semaine à la Haye; qu’il ait à faire disposer son palais pour le recevoir, et à donner des ordres pour que tout soit convenablement fait; qu’il voie aussi de quelle manière il doit être reçu.
Il faut que le général Michaud se rende à la Haye avec les généraux français, et y fasse venir un bataillon de grenadiers et une bonne partie du 20e régiment de chasseurs, afin que tout se fasse avec la pompe convenable.
Saint-Cloud, 6 juin 1806
A M. de Champagny
Monsieur Champagny, je désire que vous m’apportiez mercredi une note qui me fasse connaître l’état du travail de la colonne en bronze d’Austerlitz.
Le monument Desaix étant fini, je désire qu’on le fasse partir pour le placer au mont Saint-Bernard.
Saint-Cloud, 6 juin 1806
NOTE POUR LE MINISTRE DES FINANCES
Présenter un projet de décret pour prescrire les formalités à prendre pour le payement des rentes viagères; désigner vingt notaires qui seront nommés par Sa Majesté. Il leur sera donné une rétribution. Ils seront tenus de faire connaître, tous les ans, les extinctions. On pourrait même assigner aux notaires les clients. Les rentiers qui sont en province traiteront par correspondance. Ne payer que sur un certificat d’un notaire. Autant de notaires que de lettres. Les signatures des notaires seront connues du grand-livre.
Saint-Cloud, 6 juin 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, j’approuve la sollicitude du premier inspecteur d’artillerie. Mon intention est que les propriétaires des départements du Rhin qui ont fourni des chevaux à l’armée soient récompensés. Je voulais les payer, mais je trouve préférable de leur donner des chevaux d’artillerie, au moment où l’armée rentrera, en remplacement de ceux qu’ils ont perdus.
Saint-Cloud, 6 juin 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je reçois votre lettre du 27 mai, de Palmanova. Il n’est pas vrai que les Russes aient 6,000 hommes aux bouches de Cattaro; ils n’en ont pas 3,000. Je ne comprends pas pourquoi le général Molitor dit, dans sa lettre du 18, qu’il a des conscrits nus; ils doivent avoir des vestes et des culottes. Quant à l’instruction, des conscrits qui ont deux mois de service se battent très-bien, mêlés avec de vieilles troupes. Il est dit, dans la même lettre, que l’ennemi a jeté 1,200 hommes dans la presqu’île de Sabioncello. Il s’est donc emparé de Raguse ? Cette nouvelle méritait d’être plus développée; mais elle a besoin d’être confirmée pour que j’y ajoute foi. Du reste, ces 1,200 hommes seront obligés de s’en aller du moment qu’on aura occupé Raguse. Je ne sais pas si le provéditeur que j’ai nommé est parti ou non. Il est bien important qu’il y ait en Dalmatie quelqu’un qui ait la confiance du pays; le général ne peut pas suffire à tout. J’imagine que vous avez fait filer tout le 8e d »infanterie légère sur Zara, comme je vous l’ai ordonné. Cela sera un renfort considérable au général Molitor. Je ne sais pas non plus si la Dalmatie est organisée militairement, comme je l’ai ordonné. Qui est-ce qui commande dans tous les arrondissements ? Témoignez au général Molitor mon mécontentement de la faiblesse qu’il a montrée à Spalatro. Il devait faire arrêter une douzaine des principaux habitants, et, si le bourg se révoltait, y mettre, le feu. Il doit réunir plus de troupes dans le midi de la Dalmatie, afin d’être à portée de soutenir le général Lauriston. Il n’y a besoin que de très-peu de forces à Zara, puisqu’il n’y a rien à craindre à présent de la part de l’Autriche.
Saint-Cloud, 6 juin 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, les mots sont tout. J’ai ordonné la levée d’une légion dalmate; vous pouvez faire assurer qu’elle n’est destinée qu’à défendre le pays; cela donnera de l’assurance aux habitants. Voici un décret pour la formation du camp de Dernis; vous verrez que mon intention est de réunir les conscrits et les dépôts dans ce camp; ils y seront en bon air, s’y porteront bien, et se formeront plus vite. Voici comment je conçois que le général Molitor pourrait distribuer ses troupes : il mettrait le 3e bataillon du 79e à Zara, un bataillon à Sebünico, et il concentrerait les autres à Macarsca, pour pouvoir aller au secours du général Lauriston, si cela était nécessaire. Si les dépôts du 5e et du 23e sont restés en Dalmatie, placez-les dans le camp de Dernis; l’artillerie de réserve de campagne sera également placée dans ce camp, de manière qu’il n’y aura qu’un bataillon brescian ou un autre bataillon italien à Cherso, un bataillon à Zara, un à Sebenico, et tout le reste disponible. Faites bien comprendre au général Molitor que, pour défendre les îles de Lesina et de Curzola avec succès, il faut être maître de la presqu’île de Sabioncello. Indépendamment de cela, ce général peut réunir les compagnies de grenadiers des corps qu’il laisse dans les villes, de manière qu’il ait toujours dans la main 4,000 hommes pour faire marcher au secours du général Lauriston qui, lui-même en ayant plus de 4,000, sera partout supérieur à l’ennemi.