Correspondance de Napoléon – Juin 1795

Paris, 30 prairial an III (18 juin 1795).

A Mme  PERMON.

Je n’ai jamais voulu être pris pour dupe ; je le serais à vos jeux si je ne vous disais que je sais, depuis plus de vingt jours, que Saliceti est caché chez vous. Rappelez-vous mes paroles, madame Permon. Le jour même du 1er prairial, j’en avais presque la certitude morale ; maintenant, je le sais positivement. Saliceti, tu le vois, j’aurais pu te rendre le mal que tu m’as fait, et, en agissant ainsi, je me serais vengé, tandis que toi, tu m’as fait du mal sans que je t’eusse offensé. Quel est le plus beau rôle en ce moment, du mien ou du tien ? Oui, j’ai pu me venger, et je ne l’ai pas fait. Peut-être diras-tu que ta bienfaitrice te sert de sauvegarde. Il est vrai que cette considération est puissante ; mais seul, désarmé et proscrit, ta tête eut été sacrée pour moi. Va, cherche en paix un asile où tu puisses retenir de meilleurs sentiments pour ta patrie. Ma bouche sera fermée sur ton nom et ne s’ouvrira jamais. Repens-toi, et surtout apprécie mes motifs ; je le mérite, car ils sont nobles et généreux.

Madame Permon, mes vœux vous suivent, ainsi que votre enfant. Vous êtes deux êtres faibles, sans nulle défense. Que la Providence et les prières d’un ami soient avec vous ! Soyez surtout prudente, et ne vous arrêtez jamais dans les grandes villes. Adieu; recevez mes amitiés.

 

Paris, 4 messidor an III (22 juin 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

J’ai reçu ta lettre numérotée 16. La lettre de Chiappe m’a fait plaisir. Il a le plus grand crédit; s’il était ici, il ferait ce qu’il vou­drait. Je ferai ce que je pourrai pour placer Lucien.

Je suis employé comme général de brigade dans l’armée de l’Ouest, mais non pas dans l’artillerie. Je suis malade, ce qui m’oblige à prendre un congé de deux ou trois mois. Quand ma santé sera ré­tablie , je verrai ce que je ferai.

Aujourd’hui on fait la lecture de la Constitution à la Convention. L’on attend le bonheur et la tranquillité de cette Constitution ; je te l’enverrai du moment qu’il sera possible de l’avoir, et quelle sera imprimée.

Buonaparte.

 

Paris. 6 messidor au III (24 juin 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je vais me presser d’envoyer à ta femme les commissions qu’elle désire. Désirée me demande mon portrait, je vais le faire faire ; tu le lui donneras si elle le désire encore, sans quoi tu le garderas pour toi. Dans quelques événements que la fortune te place, tu sais bien, mon ami, que tu ne peux pas avoir de meilleur ami, à qui tu sois plus cher et qui désire plus sincèrement ton bonheur. La vie est un songe léger qui se dissipe. Si tu pars, et que tu penses que ce puisse être pour quelque temps, envoie-moi ton portrait. Nous avons vécu tant d’années ensemble, si étroitement unis, que nos cœurs se sont confondus, et tu sais mieux que personne combien le mien est en­tièrement à toi. Je sens en traçant ces lignes une émotion dont j’ai eu peu d’exemples dans ma vie. Je sens bien que nous tarderons à nous voir et je ne puis plus continuer ma lettre.

Adieu, mon ami.

Buonaparte.