Correspondance de Napoléon – Juillet 1812

Vilna, 14 juillet 1812, huit heures du soir.

Au maréchal Davout, prince d’Eckmühl, commandant le 1er corps de la Grande Armée, à Borisov

Mon Cousin, je reçois vos trois lettres; la dernière est du 13, à trois heures après midi. Je vois avec plaisir que vous avez occupé Borisof. J’ai reçu une lettre du roi de Westphalie du 13. Il n’était pas encore à Nesvije. Son quartier général était à Mir. L’ennemi paraît être dans son camp retranché de Drissa. Je ne compte pas passer la Dvina avant le 20 ou le 22.

Sachez donc me dire le nom des divisions d’infanterie que Bagration a avec lui.

 

Vilna, 14 juillet 1812.

RÉPONSE DE L’EMPEREUR AUX DÉPUTÉS DE LA CONFÉDÉRATION DE POLOGNE.

Députés de la Confédération de Pologne, j’ai entendu avec intérêt ce que vous venez de me dire.

Polonais, je penserais et j’agirais comme vous ; j’aurais voté comme vous dans l’assemblée de Varsovie : l’amour de la patrie est la pre­mière vertu de l’homme civilisé.

Dans ma position, j’ai bien des intérêts à concilier et bien des devoirs à remplir. Si j’eusse régné lors du premier, du second ou du troisième partage de la Pologne, j’aurais armé tout mon peuple pour vous soutenir.

Aussitôt que la victoire m’a permis de restituer vos anciennes lois à votre capitale et à une partie de vos provinces, je l’ai fait avec empressement, sans toutefois prolonger une guerre qui eût fait couler encore le sang de mes sujets.

J’aime votre nation ; depuis seize ans j’ai vu vos soldats à mes côtés, sur les champs d’Italie comme sur cens d’Espagne.

J’applaudis à tout ce que vous avez fait ; j’autorise les efforts que vous voulez faire; tout ce qui dépendra de moi pour seconder vos résolutions, je le ferai.

Si vos efforts sont unanimes, vous pouvez concevoir l’espoir de réduire vos ennemis à reconnaître vos droits. Mais, dans ces con­trées si éloignées et si étendues, c’est surtout sur l’unanimité des efforts de la population qui les couvre que vous devez fonder vos espérances de succès.

Je vous ai tenu le même langage lors de ma première apparition en Pologne. Je dois ajouter ici que j’ai garanti à l’empereur d’Au­triche l’intégrité de ses États, et que je ne saurais autoriser aucune manœuvre ou aucun mouvement qui tendrait à le troubler dans la paisible possession de ce qui lui reste des provinces polonaises.

Que la Lithuanie, la Samogitie, Vitebsk, Polotsk, Mohilef, la Volhynie, l’Ukraine, la Podolie, soient animés du même esprit que j’ai vu dans la Grande Pologne et la Providence couronnera par le succès la sainteté de votre cause; elle récompensera ce dévouement à votre patrie, qui vous a rendus si intéressants et vous a acquis tant de droits à mon estime et à ma protection, sur laquelle vous devez compter dans les circonstances.

Extrait du Moniteur du 28 Juillet 1812.

 

Vilna, 15 juillet 1812.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Vilna.

Mon Cousin, expédiez un officier au duc de Reggio. Vous lui ferez connaître que je n’approuve pas le mouvement qu’il a fait sur Yezoros (aujourd’hui Novo-Alexandrowky) ; qu’en effet, si l’ennemi est en force à Dinabourg, c’est s’exposer à être attaqué par toute cette armée, à être enveloppé par des forces très-supérieures et à essuyer de grosses pertes; que, si l’ennemi n’est pas à Dinabourg, c’est contrarier mes opérations; que Soloki, étant à deux journées de marche de Dinabourg, est déjà assez près de cette place; qu’il est suffisant d’avoir de la cavalerie et quelques voltigeurs à Yezoros ; que mon intention est de manœuvrer sur le haut de la Dvina; que j’aurai le 17 mon quartier général à Sventsiany et le 18 à Gloubokoïé; qu’il doit recevoir les ordres du roi de Naples, ainsi que le duc d’Elchingen; que je suppose qu’il sera déjà à Dryswiaty et le due d’Elchingen sur Braslaf ; que mon intention est que le 3e et le 2e corps, ainsi que les trois divisions du 1er corps qui sont sous les ordres du Roi, puissent occuper une position qui tienne en res­pect le camp retranché de Drissa, en maintenant nos communica­tions avec Disna ; que je passerai du 20 au 25 entre Disna et Polotsk; que le prince d’Eckmühl s’est emparé de la place de Borisof; qu’il y a trouvé seize pièces de siège; qu’il a enlevé à l’ennemi, à Kholoui, un parc de deux cents voitures dont dix-huit pièces de canon et soixante milliers de poudre; qu’il a fait prisonniers 200 canonniers, 3 à 400 charretiers, et que 600 chevaux de trait sont tombés en son pouvoir ; que le roi de Westphalie est à Nesvije et marche sur Sloutsk ; qu’il a eu avec l’ennemi des affaires d’arrière-garde très-vives, où commandait le général Latour-Maubourg; que le général cosaque Gregorief y a été tué, et que Bagration se retire sur Bobrouisk; que le vice-roi, le 4e corps et le 6e arrivent à Dokchitsy, que toute la Garde marche sur Gloubokoïé ; que l’Empereur ne veut attaquer l’ennemi ni dans son camp retranché de Dinabourg, ni dans son camp retranché de Drissa; qu’il tournera ses positions, les rendra toutes inutiles et l’attaquera en marchant; que, comme Sa Majesté sera éloignée, il est nécessaire qu’il reçoive les ordres du roi de Naples et les exécute ponctuellement.

 

Vilna, 16 juillet 1812.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Vilna.

Mon Cousin, vous pouvez expédier votre lettre au roi de West­phalie. Écrivez au Roi qu’il est nécessaire de laisser du monde à Nesvije afin de surveiller ce que fait l’ennemi du côté de Pinsk, jusqu’à ce que le prince Schwarzenberg  y soit arrivé avec son corps. Pressez le prince Schwarzenberg d’arriver dans cette position.

 

Vilna, 16 juillet 1812.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Vilna.

Mon Cousin, écrivez au duc de Tarente que vous recevez sa lettre du 14, que son premier convoi de trois cents voitures est déjà arrivé, et qu’on a fait retourner les voitures avec le plus grand soin, afin qu’il puisse continuer ses envois. Vous lui ferez connaître que le prince d’Eckmühl est entré à Borisof, qu’il y a pris seize pièces de canon et soixante milliers de poudre, et qu’il marche sur Igoumen pour tomber sur le flanc de Bagration qui file sur Bobrouisk; que le 5e corps a dépassé Nesvije, poursuivant l’arrière-garde de Bagration ; que le général Reynier avec le 7e corps est à Kletsk; que le prince Schwarzenberg se dirige sur Nesvije; que le 18 mon quartier général sera à Gloubokoïé; que je compte passer la Dvina du 20 au 25.

Vous lui manderez que je n’ai rien à ajouter aux instructions qu’il a reçues ; que ce n’est pas à Dinabourg que l’armée ennemie s’est réunie, mais à Drissa, où elle a une tête de pont de 3 lieues de tour; que toutes les forces ennemies se portent sur le haut de la Dvina ; que tous les renseignements assurent qu’il n’y a de votre côté que la garnison de Riga.

Vous lui ferez connaître que je désire qu’il ait une division à une marche de Dinabourg, afin de tenir en respect la garnison de cette ville et de lui faire craindre d’être coupée si elle se jetait un peu dans le pays; que le duc de Reggio, qui avait poussé des reconnaissances sur Dinabourg, s’est porté à trois marches sur la droite; qu’il est donc convenable qu’il contienne cette garnison; que l’Empereur compte passer la Dvina entre Disna et Vitebsk, ce qui obligera l’ennemi h faire l’une des deux opérations suivantes : ou à évacuer son camp retranché de Drissa pour couvrir Pétersbourg, ou à déboucher de Drissa pour tomber sur le corps d’armée qui est devant lui; que dans ce dernier cas il y aurait une bataille; qu’il est donc convenable qu’il prenne position, avec une forte division de 8 ou 9,000 hommes, devant Dinabourg, pour tenir en respect la garnison, et que par ce moyen il sera instruit plus tôt de l’issue des événements; que, s’il y a une bataille et que l’ennemi la perde, ou s’il évacue son camp re­tranché sans bataille et se porte sur Pétersbourg, le duc de Ta rente pourra passer la Dvina au point le plus favorable entre Riga et Dina­bourg; que, si les localités le permettent, peut-être serait-il conve­nable de passer ce fleuve à une marche de Dinabourg, afin d’être plus promptement en communication avec nous et de recevoir des ordres, soit pour cerner Riga, soit pour en entreprendre le siège, soit pour se diviser et se porter en partie sur Dinabourg et en partie sur Riga en corps d’observation, selon les nouvelles que l’on aura de la force de l’ennemi et des événements qui se seront passés; que, s’il y avait une bataille et que nous la perdissions, sa position près de Dinabourg serait également avantageuse, puisqu’elle empêcherait la garnison de Dinabourg de rien faire, et pourrait protéger notre flanc gauche; qu’il y a de Dinabourg à Jacobstadt trois marches, et de Dinabourg à Friedrichstadt cinq marches; qu’ainsi, en tenant une forte avant-garde à une journée de Dinabourg, ayant des postes sur la rivière, en ayant du côté de Friedrichstadt contre Riga, il se trou­verait occuper toute la rive gauche depuis Dinabourg jusqu’à quelques lieues de Riga, et qu’il ferait construire les radeaux nécessaires pour passer la Dvina à une journée de Dinabourg ; que dans cette position il remplirait donc le but de couvrir le Niémen, de protéger le pays, de contenir les garnisons de Dinabourg et de Riga et de menacer du passage; que pendant tout cet intervalle il serait très à portée de communiquer avec nous, et pourrait jeter son pont, du 24 au 25, entre Jacobstadt et Dinabourg, aussitôt qu’il connaîtrait l’issue des événements; que l’Empereur pense que, de sa personne, il devrait se tenir près de Dinabourg, comme plus à portée d’avoir des nou­velles et de prendre le parti que les circonstances exigeront ; que, si cette lettre le trouvait déjà en marche pour Jacobstadt ou Friedrich­stadt , cela ne le dérangerait en rien, puisque votre lettre ne s’éloigne pas de sa première instruction ; que toutefois ceci ne peut être con­sidéré que comme instruction générale pour le but qu’il a à remplir, vu l’éloignement où nous nous trouvons.

 

Vilna, 16 juillet 1812.

Au maréchal Oudinot, duc de Reggio, commandant le 2e corps de la Grande Armée, à Drysviaty (Cette lettre a été écrite par le major général sous la dictée de l’Empereur).

L’Empereur, Monsieur le Duc, a vu avec étonnement et a été fâché que, sans ordre, vous vous soyez porté sur Dinabourg. Si vous sup­posiez que l’armée russe y était, vous exposiez sans raison votre corps d’armée. Si vous aviez des données que l’armée russe n’y fût pas, votre marche est encore blâmable : vous exposiez votre droite, qui pouvait être attaquée par les troupes de l’armée russe qui sont dans le camp de Drissa. L’Empereur vous avait donné l’ordre d’aller à Soloki. Sa Majesté, vous croyant dans cette position, pouvait vous envoyer des ordres, et, au lieu de vous y trouver, vous en étiez à deux marches. Vous avez donc fait un faux mouvement sans but. L’Empereur savait bien qu’il y avait une place forte à Dinabourg, à laquelle les Russes travaillent depuis quatre à cinq ans. Je vous ai fait connaître, Monsieur le Duc, que vous étiez aux ordres du roi de Naples. L’Empereur suppose que vous avez pris les positions ordon­nées. Vous avez beaucoup contrarié l’Empereur par votre mouvement sur Dinabourg. Sa Majesté me charge de vous dire qu’elle espère que cela n’arrivera plus.

 

Vilna, 16 juillet 1812, six heures du soir.

À Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant les 4e et 6e corps de la Grande Armée, à Kostenevitchi.

Mon Fils, je vous écris jusqu’ici par votre route ordinaire; je vous écris aujourd’hui par Gloubokoïé. Je serai demain à cinq heures du matin à Sventsiany. Il parait que l’ennemi fait des mouvements. Portez-vous sur Gloubokoïé. Je vous ai écrit hier d’envoyer un offi­cier au roi de Naples, qui est à Belmont près Braslaf. Correspondez avec moi par les piquets de la Garde qui sont depuis Sventsiany jusqu’à Gloubokoïé.

 

Vilna, 16 juillet 1812, dix heures du soir.

Au maréchal Davout, prince d’Eckmühl, commandant le 1er corps de la Grande Armée, à Igoumen.

Mon Cousin, je n’ai pas de vos nouvelles depuis le 13. Je serai demain à six heures du matin à Sventsiany, et, selon les circonstan­ces, je me porterai aux avant-postes du roi de Naples qui sont sur Braslaf, ou sur Gloubokoïé. Le vice-roi est à Dokchitsy ; il se porte sur Gloubokoïé. Je n’ai pas besoin de vous recommander d’être pru­dent et de correspondre par Dokchitsy avec le vice-roi et avec moi. Faites en sorte que Bagration ne vous déborde pas, et ne vous enfour­nez pas mal à propos dans les marais de Bobrowisk. Le prince Schwarzenberg a ordre de se porter sur Nesvije. N’allez pas même trop vite sur Orcha, jusqu’à ce que vous sachiez des nouvelles de ce qui se sera passé de nos côtés, où les affaires vont prendre une couleur d’ici à peu de jours.

 

Vilna, 16 juillet 1812.

Au maréchal Bessières, duc d’Istrie, commandant la garde impériale, à Loujki.

Mon Cousin, je pars à l’instant même. Je serai à cinq heures du matin à Sventsiany; faites que j’y trouve de vos nouvelles avant neuf heures. Les lettres par la correspondance de la Garde doivent aller très-vite. Envoyez un officier au roi de Naples, à Belmont, et mettez quelques relais pour communiquer avec lui. Cette lettre vous joindra à Loujki. Si cela est, séjournez-y demain. Faites-en faire autant au général Kirgener, au petit quartier général et au général Sorbier, jusqu’à ce que je puisse donner des ordres de Sventsiany. Le général Curial peut également s’arrêter. Les Bavarois doivent vous joindre demain dans la position où vous êtes. Envoyez la lettre ci-jointe au vice-roi. Faites toujours construire les fours à Gloubokoïé.

Vous comprendrez facilement ce que vous avez à faire, lorsque vous saurez que le 15, au matin, l’ennemi a attaqué la cavalerie de la division Sébastiani, et que le roi de Naples prend position à Ikazni avec les 2e, 3e corps et partie du 1er et toute sa cavalerie. II vous aura sans doute écrit directement. Mon intention est de me diriger sur lui de tous les points, si l’attaque de l’ennemi se confirme. Faites-moi connaître la route que vous, le duc de Trévise, le général Curial, les Bavarois, le général Sorbier et le général Kirgener pouvez prendre de la position respective où vous serez demain à midi, pour vous diriger droit sur le roi de Naples. Dites au vice-roi qu’il doit corres­pondre avec moi par les piquets de la Garde. Je suppose que vous avez des nouvelles du général Lefebvre-Desnouettes, qui est parti en avant. Dirigez-le sur la gauche, afin de concentrer toutes nos forces si l’ennemi attaque. Si demain, arrivé à Sventsiany, je trouve que c’est une fausse alerte, je contracterai mon mouvement sur Gloubokoïé; mais un jour de repos ne peut avoir de l’inconvénient; cela donnera le temps aux Bavarois d’arriver. Vous préviendrez le général Saint-Cyr de se presser un peu d’arriver à votre hauteur.

 

Sventsiany, 17 juillet 1812.

À M. Maret, duc de Bassano, ministre des relations extérieures, à Vilna.

Monsieur le Duc de Bassano, je suis arrivé à Sventsiany à dix heures du matin. J’en pars cette nuit pour Gloubokoïé. Les ponts que l’ennemi avait jetés et les petits mouvements qui s’en étaient suivis n’ont pas eu de suite.

Dites à l’ordonnateur qui est resté qu’on expédie tous les convois sur Gloubokoïé par la route de Mikhalichki, qui est beaucoup plus courte.

Envoyez quelques agents du pays en poste pour savoir ce qui se passe du côté de Nesvije, de Pinsk, de Bobrouisk.

Écrivez tous les jours une petite lettre à l’archichancelier et au ministre de la police, afin qu’il n’y ait aucune inquiétude à Paris. La ligne des courriers de l’estafette vient de Vilna à Gloubokoïé par Sventsiany ; ainsi je compte que vous me renverrez mon officier d’or­donnance, que vous m’écrirez par toutes les estafettes ce qui se passe de nouveau dans la place et des nouvelles de Varsovie.

 

Gloubokoïé, 18 juillet 1812.

À M. Maret, duc de Bassano, ministre des relations extérieures, à Vilna.

Monsieur le Duc de Bassano, je suis arrivé à Gloubokoïé. Le général Grouchy a pris à Staroï-Lepel 1 colonel, 10 officiers, 200 mineurs et des magasins assez considérables. Il y a à Borisof une quantité immense de sel ; il serait convenable d’en approvisionner la popula­tion. Conférez de cela avec le gouvernement. Le pays de Vilna à Sventsiany est horrible ; mais de Sventsiany à Gloubokoïé il est su­perbe; il n’y a pas de forêts et les récoltes sont magnifiques. Le général Colbert, qui est déjà à Tolotchine, dit qu’il lui a paru que l’esprit était changé et que ce n’étaient plus des Polonais; faites-moi connaître ce qu’on dit de cela à Vilna. Il faut que dans les directions d’Orcha et de Mohilef on envoie des commissaires polonais avec des proclamations. On n’a envoyé dans le pays aucun imprimé. Je désire que vous fassiez imprimer, au nombre de 6,000 exemplaires, la pro­clamation aux Polonais pour les faire déserter, et au même nombre les principales pièces que les journaux de Vilna ont publiées sur la Confédération. Les premiers 250 exemplaires, vous les enverrez à l’état-major général;  les seconds 250 au prince d’Eckmühl, par Minsk; les troisièmes 250 au prince Poniatowski; les 250 suivants au duc de Tarente ; les 250 suivants au duc de Reggio ; enfin autant au duc d’Elchingen, au roi de Naples et au vice-roi, ce qui fait les deux premiers milliers. Les deux seconds milliers seront distribués de la même manière que les deux premiers. Il faut aussi que l’admi­nistration polonaise en envoie dans toutes les directions.

La Confédération générale du royaume de Pologne au Polonais retenus au service civil ou militaire de la Russie.

Compatriotes !

La patrie s’est relevée ! Et avec elle, au même instant, tous les devoirs qui vous lient à elle; ces devoirs que vous avez contractés en naissant reprennent leur vigueur. En existe-t-il de plus anciens et de plus sacrés ? Jetez les yeux sur les fastes du monde, sur les exemples immortels de vos aïeux, sur les faits récents de vos frères; portez surtout vos regards au fond de vos cœurs, et, s’ils sont encore polonais. Ils vous diront que, s’il n’y a pas de gloire égale à celle de vivre et de mourir pour la patrie, il n’y a pas de crime ni d’opprobre sem­blable à celui de servir contre elle, de se joindre à ceux qui l’ont déchirée et qui l’ont inondée de votre sang.

Polonais ! Sentez-vous le plus douloureux de tous les coups, cet opprobre qu’on veut jeter sur votre race ? Regardez à quel coin sont frappées ces marques qu’on vous fait porter ! De quel sang sont teints ces drapeaux qui flottent sur vos têtes ! Les barbares seuls pourraient concevoir cette idée atroce que vous seriez capa­bles d’envisager comme un bienfait l’affreux privilège de servir ceux dont vous étiez les vainqueurs et les maîtres, la permission de répandre pour eux les restes d’un sang qu’ils n’ont pu entièrement épuiser et dans lequel ils ne se sont déjà que trop baignés.

Tant que la patrie n’existait pas, ils pouvaient être tolérés, ces liens formés par la nécessité, par la violence ou par le soin d’éviter l’œil vigilant du despote. Il n’est sûrement pas de Polonais assez dégénéré pour les porter volontaire­ment; ils ne furent jamais assez forts pour qu’il ne fût pas permis de les rom­pre; aujourd’hui, ils sont déjà brisés, ils n’existent plus.

La patrie reprend ses droits et va les exercer dans toute leur étendue; il n’y a plus à délibérer ni à choisir : il faut lui obéir ou être sourd à sa voix, et désormais elle n’aura plus à compter que des enfante fidèles ou des traîtres.

O patrie adorée des Polonais ! Non, tu n’éprouveras pas ce comble d’igno­minie que tes fils te soient parjures, qu’ils t’abandonnent et qu’égarés par le langage sacrilège des oppresseurs ils puissent appeler leurs services un lien d’honneur ! Eh ! Y en aurait-il à plonger un fer parricide dans le sein de sa mère ?

La bravoure n’est honorable que lorsque la cause à laquelle elle est consacrée est celle de l’honneur, et la fidélité n’est une vertu que lorsqu’elle protège ces devoirs sacrés que la nature et la patrie ont gravés dans nos cœurs en carac­tères ineffaçables.

Livrez-vous donc à cette indignation, à cette horreur que doit vous inspirer tout ce qui vient de ceux qui ont juré votre ruine. Ne tardez pas à vous pro­noncer et vous ferez trembler vos tyrans. Descendants de tant d’illustres pa­triotes, quittez ces marques qui vous avilissent, jetez ce fer parricide, et, animés d’une juste vengeance, joignez-vous à nous et tournez-le contre vos oppresseurs pour les punir de tant de violences et d’outrages. On n’est jamais mieux paré aux yeux de la patrie que quand on se présente couvert du sang de ses ennemis. Venez, suivez les traces de ces compatriotes vertueux qui, avant dix-huit ans, dès qu’ils ont entendu le cri de la patrie, n’ont pas balancé de briser leurs fers et sont accourus à son secours, en se faisant jour, en foulant les cadavres de ces mêmes esclaves qui prétendent pouvoir vous retenir aujourd’hui.

Quelle plus belle carrière pourrait-on vous offrir que celle où vous vous trou­verez réunis à des frères qui, après avoir fait retentir par toute la terre le nom polonais, croient tous leurs travaux récompensés, puisqu’il leur est permis de vous offrir une patrie, de vous inviter à combattre pour elle ! C’est ici le vrai champ de l’honneur et du devoir; c’est ici que de véritables Polonais veulent répandre leur sang pour une véritable Pologne, ici sous les yeux du plus grand des héros, du protecteur le plus généreux, ici à côté de la première armée du premier peuple du monde, ici enfin au milieu de toutes les nations civilisées qui ont marché pour se garantir une fois contre les irruptions des barbares.

Venez donc, la patrie vous appelle ! Vos frères vous tendent les bras ; nos cœurs, nos temples et nos sanctuaires sont ouverts pour vous. Venez! que le plus grand des souverains, que l’Europe entière puissent applaudir à ce dévoue­ment, à ce zèle patriotique qui n’admet ni bornes, ni ménagements, ni réserve; que cette patrie si fière de rattachement de ses enfants, qui vous sourit main­tenant avec tendresse, ne voie pas s’obscurcir l’aurore de sa vie nouvelle, ne soit pas forcée de se montrer sévère et inexorable envers ceux qui, égarés par le plus criminel aveuglement, auraient l’impudence de la renier.

Fait à la séance du conseil général de la Confédération générale à Varsovie, en vertu des articles VI et VII de l’acte de ladite Confédération, le 7 juillet 1812.

Le maréchal de la Diète et de la Confédération générale de Pologne, Adam Czartoryski.

Le secrétaire de la Confédération générale, Capitan Kozmian.

 

Gloubokoïé, 18 juillet 1812, cinq heures du soir

À Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant les 4e et 6e corps de la Grande Armée, à Dokchitsy.

Mon Fils, je suis arrivé aujourd’hui à Gloubokoïé, où se réunit toute la Garde. Le général Grouchy me mande qu’il a pris des maga­sins à Staroï-Lepel : il y a pris 750 sacs de farine et 327 tonneaux de biscuit. J’approuve la direction d’une partie de votre cavalerie sur la Berezina. Je pense que je ne dois pas tarder à recevoir des nou­velles de votre arrivée à Dokchitsy. Votre premier soin aura été sans doute de mettre des postes de communication sur la route de Gloubokoïé.

Le 14, le 15 et le 16, il est arrivé à Vilna une grande quantité de convois, faisant la valeur de 2,000 quintaux de farine environ, pour votre armée. Envoyer au-devant de ces convois pour qu’ils ne s’égarent pas.

Le 6e corps devrait arriver aujourd’hui à Gloubokoïé; pourtant nous n’en avons pas de nouvelles. Comme ce sont des Bavarois, qui marchent lentement, peut-être au lieu de cinq jours mettront-ils un jour de plus.

J’attends à chaque instant des nouvelles du roi de Naples. Je n’en ai pas depuis le 16 au soir.

Tout me porte à penser, sans cependant en être sûr, que l’ennemi se porte sur Polotsk pour ne pas se laisser couper de Saint-Péters­bourg. Toutefois il n’y a pas de mal à placer une partie de votre cava­lerie légère de ce côté-ci. Quant au reste de votre cavalerie et à vos trois divisions, ils passeront la journée à se reposer, et je vous ferai passer des ordres demain avant six heures du matin. Si vous n’en receviez pas, vous placeriez vos trois divisions quelques lieues en avant sur le chemin de Gloubokoïé.

 

Gloubokoïé, 18 juillet 1812, neuf heures du soir.

À Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant les 4e et 6e corps de la Grande Armée, à Dokchitsy.

Mon Fils, je reçois votre lettre du 18 à midi. Je ne conçois pas comment elle ne m’est arrivée qu’à sept heures. Nous ne sommes pas éloignés cependant de plus de deux heures. Je vous ai écrit à cinq heures. Je n’ai pas encore de nouvelles du roi de Naples; mais de nouveaux renseignements me portent à penser que l’ennemi file sur Vitebsk par la rive droite. J’approuve que vous dirigiez votre cava­lerie sur les routes de Vitebsk et de Polotsk ; poussez-la jusqu’à Kamen et jusqu’au pont de Botcheïkovo sur la rivière d’Oulla ; poussez celle de gauche jusqu’à Ouchatch. Mais qu’ils aillent prudemment. Le général Lefebvre-Desnouettes, avec la cavalerie de la Garde, occupe Loujki. Votre cavalerie légère vous fera faire des vivres et vous rapportera des nouvelles. Réunissez demain toute votre infanterie à Dokchitsy; placez une division sur la route de Polotsk et l’autre sur celle de Vitebsk : selon que je vous ferai marcher sur l’une ou l’autre route, celle de cette route fera l’avant-garde. Tout porte à penser que je vous ferai marcher par la route de Vitebsk. Il est bien impor­tant que vos marins, vos sapeurs, vos pontonniers soient en tête. Il sera très-possible que je vous charge de passer la rivière à Biéchenkovitchi : il y a là un rentrant favorable. Mettez sur la route des postes de correspondance, afin que nous puissions communiquer rapidement en deux heures.

 

Gloubokoïé, 19 juillet 1812, trois heures du matin.

À Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant les 4e et 6e corps de la Grande Armée, à Dokchitsy.

Mon Fils, je reçois des nouvelles du roi de Naples. Il paraît déci­dément que les Russes ont abandonné leur camp retranché de Drissa, et qu’ils se retirent en toute diligence sur Polotsk, en évacuant leurs bagages par la route de Saint-Pétersbourg. Cela étant, il serait con­venable que vous vous portassiez sur Kamen. Tous les corps de la gauche se portent sur Disna : le corps du général Nansouty doit y être aujourd’hui; il se dirige sur Polotsk, de sorte que votre flanc gauche se trouvera bien assuré. Aussitôt que vous serez certain que le général Nansouty a intercepté la route de Polotsk, il faut réunir votre cavalerie légère sur Kamen. Mettez-y quelques pièces d’artil­lerie légère et des voltigeurs, afin d’avoir là une bonne avant-garde. Le général Grouchy est à Bobr; faites-lui part de votre mouvement. Par ce mouvement vous flanquerez sa gauche.

 

  1. S. Commencez le mouvement de votre infanterie sur Kamen ; si vous avez deux routes, prenez la plus courte. Je vous écrirai encore dans trois heures d’ici.

 

Gloubokoïé, 19 juillet 1812, six heures et demie du matin.

À Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant les 4e et 6e corps de la Grande Armée, à Dokchitsy.

Mon Fils, je vous ai écrit à trois heures du matin. Je viens de recevoir des nouvelles fraîches de Drissa. L’ennemi a abandonné son camp retranché, laissant ses ouvrages, fruit de neuf mois de travail. II remonte, à ce qu’il parait, en toute hâte la rivière par la rive droite ; il est donc indispensable que vous marchiez avec la division la plus en état pour appuyer votre avant-garde. Je suppose que votre cavalerie légère aura ce soir des postes à Kamen et sera réunie demain.

Soyez demain de votre personne à Pychno. Les deux autres divisions d’infanterie peuvent suivre à une demi-marche l’une de l’autre. Arri­vez le plus tôt possible avec votre première division à Kamen, afin de pouvoir pousser des postes sur Biéchenkovitchi. La cavalerie du comte Nansouty, qui remonte la rivière sur la rive gauche, vous rejoindra à peu près en même temps. Votre mouvement est impor­tant, afin de couvrir la droite du général Grouchy. La cavalerie légère bavaroise est attendue ici ce matin ; je la dirigerai de suite sur Ouchatch. Je vous ferai connaître sa marche, pour que vous lui envoyiez des ordres. Ces quatre brigades réunies avec la Garde vous feront près de 5,000 hommes de cavalerie. Les Bavarois doivent avoir avec eux une batterie d’artillerie légère; si vous joignez à cela une ou deux batteries d’artillerie légère et 1,200 hommes d’infanterie des meil­leurs marcheurs, cela vous fera une avant-garde fort respectable, qui pourra très-bien se trouver détachée à sept ou huit heures en avant de voire corps d’armée.

Je n’ai point de nouvelles du corps bavarois ; mais il me semble que la journée de demain ne peut pas se passer sans qu’ils arrivent. Ils seront toujours à temps pour vous arriver en réserve.

 

  1. S. Ayez soin de bien placer des postes de correspondance, aux­quels vous donnerez ordre d’avoir des chevaux, afin que votre cor­respondance soit bien rapide, et que vous puissiez me transmettre vos rapports à raison de deux lieues par heure; s’ils ne trouvaient pas de chevaux, ils fourniraient leurs propres chevaux.

 

Gloubokoïé, 19 juillet 1812.

À M. Maret, duc de Bassano, ministre des relations extérieures, à Vilna.

Monsieur le Duc de Bassano, l’ennemi a évacué son camp retran­ché de Drissa et brûlé tous ses ponts et une immense quantité de magasins, sacrifiant des travaux et des approvisionnements qui étaient l’objet de ses soins depuis plusieurs mois. Il paraît que ce sont les mouvements sur Vitebsk et sur le Dniepr qui l’ont décidé à cette éva­cuation. Je désire que vous envoyiez un courrier au duc de Tarente, qui est en Samogitie, pour lui faire connaître officiellement cette nouvelle et le presser de se porter sur la Dvina, entre Dinabourg et Jacobstadt, conformément à ses instructions, afin de jeter un pont sur cette rivière. Vous vous servirez pour courrier d’un homme du pays, qui dans aucun cas ne serait compromis. Envoyez également un courrier du pays au prince d’Eckmühl pour lui annoncer ces nouvelles, en y ajoutant que le vice-roi marche sur Kamen, mais que les Russes ont commencé leur mouvement de retraite de Drissa le 16; qu’ainsi il faut qu’il marche bien éclairé sur sa gauche. Vous dirigerez ce courrier par Minsk, Igoumen et Berezina. Envoyez aussi ces nouvelles au roi de Westphalie et au prince Poniatowski, afin de presser leur mouvement.

 

Gloubokoïé, 19 juillet 1812.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Gloubokoïé.

Mon Cousin, donnez ordre au général Nansouty, qui doit être à Disna, d’envoyer la division Bruyère vis-à-vis Polotsk t et de se mettre en mouvement pour la soutenir. Qu’il donne ordre à la division Morand de se rendre en toute diligence à Disna. Recommandez-lui de mettre des postes de cavalerie depuis vis-à-vis Polotsk jusqu’à Disna, afin de correspondre rapidement avec nous.

 

Gloubokoïé, 19 juillet 1812.

À Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant les 4e et 6e corps de la Grande Armée, à Dokchitsy.

Mon Fils, je désire que vous m’envoyiez le croquis de la route que vous avez suivie depuis Vilna , en me faisant connaître quelle est la meilleure à suivre, la force des villages, la nature du pays, les rivières et les ponts par ou il faut les passer. Cela m’est extrêmement nécessaire.

 

Gloubokoïé, 19 juillet 1812.

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant les 4e et 6e corps de la Grande Armée, à Dokchitsy.

Mon Fils, vous avez demandé au prince de Neuchâtel ce que vous devez faire de vos malades et malingres. 4e pense que vous devez choisir sur la route un couvent, les y centraliser tous, en y laissant on médecin et quelques employés. Si dans l’endroit où vous êtes il y a an couvent, placez-les-y; il est préférable de choisir cet endroit comme chef-lieu de district. Vous ferez connaître au major général, au gouverneur de la province où se trouvera cet hôpital, et à l’inten­dant ce que vont avez fait.

 

Gloubokoïé, 19 juillet 1812, au soir.

À Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, commandant les 4e et 6e corps de la Grande Armée, à Dokchitsy.

Mon Fils, un officier qui arrive de chez le roi de Naples continue sa route pour vous rejoindre. La cavalerie légère bavaroise est arri­vée aujourd’hui ici; elle part demain pour Ouchatch : elle flanquera ainsi votre gauche ; je la ferai appuyer par le duc d’Istrie, par la Garde à cheval et par la Garde à pied. Cependant je ne suis pas encore entièrement décidé sur le mouvement de la Garde; j’attends une nouvelle dépêche du roi de Naples.

Envoyez-moi les détails sur la route que vous faites, sur les dis­tances, sur la beauté et la nature du pays ; car nous avons des cartes bien mauvaises.

 

Gloubokoïé, 19 juillet 1812.

Au comte Collin de Sussy, ministre des manufactures et du commerce, à Paris

Monsieur le Comte de Sussy, je reçois votre lettre du 16 juillet. Je vois avec plaisir que les temps difficiles sont passés ; c’est une cruelle expérience que nous avons faite là ; je le dois en partie aux faux renseignements qui m’ont été donnés par le ministère de l’inté­rieur. Si j’avais écouté ses bureaux, j’aurais encore tardé à défendre l’exportation des blés, et nous n’aurions plus été maîtres de la crise. Il est donc bien intéressant que vous preniez des mesures pour être exactement instruit des ressources, afin de savoir quand on doit per­mettre ou défendre l’exportation. Ceci est pour l’avenir; car, pour les deux années qui vont suivre, les récoltes fussent-elles d’une abon­dance inouïe, nous en aurions besoin pour refaire nos magasins.

Un second objet qui doit mériter votre sollicitude, c’est l’intégrité de la réserve : cela encore a été mal mené par les bureaux du minis­tère de l’intérieur. La plus crasse ignorance a présidé à toutes ces affaires, de sorte que je suis arrivé dans la crise sans avoir mes ma­gasins remplis. Il est temps de mettre de l’ordre, et que la réserve soit portée à 500,000 quintaux sans qu’il y manque rien. Il faudra de la prudence et du temps pour compléter cette réserve.

Mon intention est aussi d’employer une vingtaine de millions à avoir des magasins à Orléans, à Cambrai et près de toutes les grandes villes de France. Ces 20 millions, à 10 francs le quintal, feraient 2 millions de quintaux. En faisant ces achats avec prudence et dans les bonnes années, on doit avoir le quintal à 10 ou 12 francs, et je serai alors à l’abri de toute inquiétude.

Deux ans avant cette terrible année, j’avais ordonné cette mesure ; mais le ministre de l’intérieur n’en avait rien fait, et enfin, lorsqu’on commençait à la mettre à exécution, la mauvaise année est arrivée.

Il entre dans vos attributions et il est convenable que la guerre soit aussi approvisionnée toujours pour une année, en ayant soin de faire cet approvisionnement dans les bonnes années.

Enfin, j’ai ordonné depuis bien des années la construction d’un magasin d’abondance du côté de l’Arsenal, et je ne sais par quelle fatalité cette construction avance si lentement. Ce ne sont pas les fonds qui manquent ; car les fonds faits pour une année ont toujours servi pour deux. Je désire que vous voyiez le ministre de l’intérieur, pour qu’on presse les travaux et qu’on sache me dire s’il ne serait pas possible de les terminer d’ici à un an. L’Arc de Triomphe, le pont d’Iéna, le Temple de la Gloire, les abattoirs, peuvent être retar­dés de deux ou trois années sans inconvénient, au lieu qu’il est de la plus grande importance que ce magasin d’abondance soit terminé.

J’ai ordonné à l’intendant général de la Couronne de faire con­struire à Saint-Maur des moulins et des magasins pour le compte du domaine extraordinaire; il ne faudrait pas que ces constructions fussent encore dans le pays des chimères; l’argent sera donné en abondance. Voyez le duc de Cadore et Costaz; faites qu’on travaille fort cette année, et que les mesures soient prises pour avoir de grands résultats dans la campagne prochaine.

Il ne faut pas se dissimuler qu’il manque aux environs de Paris des locaux pour la grande quantité d’approvisionnements qu’il con­vient de réunir.

Il serait peut-être aussi nécessaire de faire faire des recherches pour connaître les lieux où nous pouvons trouver des magasins tout faits. Mon principe est que chaque grande commune doit avoir des magasins capables de la nourrir trois mois, mais que ces magasins ne doivent être formés que dans les temps d’abondance.

Indépendamment de ce, je veux avoir plusieurs grands magasins sur les principales artères, qui offrent l’avantage de faire acheter les blés quand ils sont à bon marché et d’en relever les prix pour soutenir l’agriculture, ou de les faire vendre pour en faire baisser les prix quand ils sont trop chers.

J’ai dicté là-dessus beaucoup de notes, même du temps de M. Cretet. Cela doit se trouver dans les procès-verbaux des conseils d’administration; faites-vous remettre tout cela sous les yeux.

Quant à l’organisation générale, c’est une très-grande affaire. Peut-être serait-il convenable de conserver le directoire actuel, mais comme centre d’administration, et un conseil des subsistances, afin de pouvoir toujours réunir des personnes qui aient la tradition et les principes.

Mais ce qui, je crois, a été mauvais, ce sont les achats directs qu’a faits l’administration. Je ne vois pas ce qui a obligé l’administra­tion à faire des achats directs, et pourquoi elle n’a pas passé des mar­chés pour en charger le commerce. Il est bien évident que des agents qui peuvent acheter à tout prix feront hausser les marchés, et qu’il s’introduira de grandes dilapidations dans ces achats. Mais pourquoi, par exemple, le directoire ne passerait-il pas des marchés dont il n’aurait qu’à surveiller l’exécution et à faire faire les payements ? C’est à peu près ce que vous avez fait pour la Normandie. Au reste, cette matière est si compliquée, qu’il n’est pas indifférent d’avoir là un homme désintéressé, sévère et de probité, qui puisse constam­ment s’en occuper.

J’ai un directeur des douanes ; il n’est jamais venu dans sa tête de faire faire par une régie le transport des marchandises saisies; mais c’est en passant des marchés qu’il assure ce service : or, si le directeur des vivres en agissait ainsi, peut-être réunirait-on les avan­tages de deux systèmes. Cela mérite discussion et considération.