Correspondance de Napoléon – Juillet 1795

Paris, 18 messidor an III (6 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je n’ai pas reçu de tes nouvelles depuis que tu es parti ; il faut que, pour arriver à Gènes, l’on passe le fleuve Léthé, car Désirée ne m’écrit plus depuis qu’elle est à Gènes.

Les Anglais ont opéré un débarquement de douze mille hommes, en grande partie émigrés, en Bretagne. Cela ne donne pas ici une grande inquiétude ; l’on est si sur de la supériorité de notre infan­terie , que l’on se moque de ces menaces anglaises.

Les armées d’Italie et des Pyrénées paraissent vivement attaquées.

L’on décrète tous les jours quelques articles de la Constitution. On est fort tranquille. Le pain continue à manquer ; le temps est un peu froid et humide pour la saison, ce qui retarde la récolte. Les louis sont ici à 750 francs.

Buonaparte.

 

Paris, 24 messidor an III (12 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Les Anglais seront obligés de s’embarquer sous peu de jours. Pichegru prépare le passage du Rhin. La Vendée proprement dite est tranquille. Les chouans ne commencent qu’au nord de la Loire. L’on dit la paix avec l’Espagne imminente.

Les Hollandais paraissent chauds amis de leur révolution. Il est probable que le stathouder n’y rentrera plus ; son parti y est absolument nul.

Le Nord se brouille, et la Pologne conçoit des espérances.

L’Italie s’enrichit toujours des dépouilles et des malheurs de la France.

Galeazzani est, je crois, à Gênes. Hâte-toi de me donner de tes nouvelles.

Le luxe, le plaisir et les arts reprennent ici d’une manière éton­nante. Hier, on a donné Phèdre à l’Opéra, au profit d’une ancienne actrice; la foule était immense depuis deux heures après midi, quoique les prix fussent triplés. Les voitures, les élégants reparaissent, ou plutôt ils ne se souviennent plus que comme d’un long songe qu’ils aient jamais cessé de briller. Les bibliothèques, les cours d’histoire, de chimie, de botanique, d’astronomie, etc., se succèdent. Tout est entassé dans ce pays pour distraire et rendre la vie agréable. L’on s’arrache à ses réflexions ; et quel moyen de voir en noir dans cette application de l’esprit et ce tourbillon si actif ? Les femmes sont partout, aux spectacles, aux promenades, aux bibliothèques. Dans le cabinet du savant, vous voyez de très-jolies personnes. Ici seulement, de tous les lieux de la terre, elles méri­tent de tenir le gouvernail ; aussi les hommes en sont-ils fous, ne pensent-ils qu’à elles, et ne vivent-ils que par et pour elles. Une femme a besoin de six mois de Paris pour connaître ce qui lui est dû, et quel est son empire.

Buonaparte.

 

Paris, 30 messidor an III (18 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Point encore de lettre de toi, et il y a plus d’un mois que tu es parti ! Je n’ai pas non plus de lettre de Désirée depuis qu’elle est à Gènes. L’on est ici assez tranquille. Il y a eu quelque bruit au spec­tacle pour des airs qui chantent le Réveil du peuple et la Marseillaise; la jeunesse parait ne pas vouloir de cet hymne. La Constitution se décrète tous les jours. Au lieu d’être nommé directement par les as­semblées primaires, comme c’était le projet de la commission des onze, il y aura des assemblées électorales, comme en 1790.

Je m’imagine que tu profites de ton séjour à Gènes pour faire venir notre argenterie et les objets les plus précieux.

Louis est à Châlons-sur-Marne depuis cinq à six jours; il achèvera dans cette ville de se faire un homme. Il a bonne volonté ; il y ap­prend les mathématiques, les fortifications, les armes.

J’attends tes lettres pour me décider pour l’achat d’une terre; il n’est pas possible d’avoir rien de passable à moins de 8 à 900,000 francs.

Richard, domestique de Junot, qui était parti avec mes chevaux, a été pris par les chouans à cinq lieues de Nantes. Les chevaux sont ici sans prix; celui que je t’ai donné vaut cinq fois ce qu’il me coûte; ainsi garde-le.

Junot est ici, vivant en bon diable et dépensant à son père le plus qu’il peut. Marmont, qui m’avait accompagné de Marseille, est au siège de Mayence. Il parait que l’armée d’Italie a été battue, que nous avons évacué Vado et Loano.

J’attends de tes lettres avec impatience ainsi que des nouvelles de tout ce qui t’entoure. Salut à ta femme, que je désire beaucoup em­brasser à Paris, où l’on vit plus heureusement qu’à Gènes. C’est ici que l’homme droit et prudent, qui ne se mêle que de ses amis, vit avec toute l’extension et la liberté imaginables, comme il veut, et est absolument libre.

BUONAPARTE.

 

Paris, 6 thermidor an III (24 juillet 1795).

AU CITOYEN BOINOD, commissaire des guerres.

Je ne vous ai pas écrit, mon ami, parce que je n’avais aucune nouvelle agréable à vous donner. Vous n’êtes pas conservé commis­saire des guerres ; mais il est possible que cela change avant mon départ de Paris, qui ne sera pas encore d’ici à quelques décades. Donnez-moi de vos nouvelles. L’on est ici tranquille. Je vous envoie quelques numéros de la Sentinelle, de Louvet. Les nouvelles du Midi sont affligeantes; l’escadre perd un vaisseau; l’armée d’Italie évacue les positions, les places intéressantes, et perd son artillerie ; le ma­gasin à poudre de Nice saute ; les terroristes nouveaux ont le dessus ; on égorge de tout côté ! Il faut espérer que bientôt un gouvernement ferme et mieux organisé fera cesser tout cela. Adieu, mon ami; écrivez-moi.

Buonaparte.

P:S. Écrire au général Buonaparte sous l’enveloppe du citoyen Casabianca, représentant du peuple, rue de la Michodière, n* 6.

 

Paris, 7 thermidor an III (25 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je suis général employé à l’armée de l’Ouest ; ma maladie me re­tient ici. J’attends de tes lettres plus détaillées. Je crois que tu as fait exprès de ne pas me parler de Désirée ; je ne sais pas si elle vit encore.

Tout va bien ici ; le Midi seul est agité. Il y a eu quelques scènes produites par la jeunesse ; c’est un enfantillage.

Le 15, l’on va renouveler une partie du Comité de salut public; j’espère que les choix seront bons. L’on fait passer des forces à l’armée d’Italie; désirerais-tu que j’y allasse? Tes lettres sont bien décharnées; à force d’être prudent et laconique, tu ne me dis rien. Quand retournes-tu? Je crois que tes affaires ne doivent pas te retenir plus du mois de thermidor dehors.

Il n’est pas sûr que le projet de Lanjuinais passe ; il est possible que l’on n’innove rien sur l’effet rétroactif; dans le principe ce serait commettre la même faute. Je t’ai dans le temps envoyé le rapport de Lanjuinais.

Adieu, mon ami; santé, gaieté, bonheur et plaisir. Je t’ai envoyé des lettres de Mariette, Fréron, Barras, qui te recommandent au chargé d’affaires de la République.

Permon est ici; il te salue ainsi que Muiron et Casabianca.

Buonaparte.

 

Paris, 10 thermidor an III (28 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Les émigrés, au nombre de douze mille, étant débarqués dans la presqu’île de Quiberon, près de Lorient, avaient établi des batteries pour défendre le passage de l’isthme. Les vaisseaux anglais et le fort de Penthièvre qu’ils avaient, aidaient à les défendre ; ils se croyaient en sûreté. Hoche les tenait bloqués au-delà de l’isthme. Les émigrés ont voulu faire une sortie le 29 : ils ont été battus. Le 2 thermidor, les colonnes de l’armée du Nord étant arrivées pendant la nuit, on a passé l’isthme, culbuté les avant-postes, enlevé les batteries, et on a tué une grande partie de ces malheureux ; on en a fait dix mille pri­sonniers ; on leur a pris soixante mille fusils, quarante mille habits, des blés, des viandes salées, et plus de cent soixante mille paires de souliers. Telle a été, mon ami, l’issue de cette célèbre descente, où l’on admire l’ineptie de Pitt, d’envoyer douze mille hommes attaquer la France. L’on remarque, parmi les prisonniers, le clergé de l’évê­que de Dol, avec Monseigneur.

Tout va bien. Cette affaire a un peu chagriné le petit Coblentz de ce pays-ci ; on leur voyait hier l’oreille basse, et croire que les vain­queurs de l’Europe avaient quelque courage. Au reste, on est ici très-tranquille.

Buonaparte.

 

Paris, premiers jours de thermidor an III (juillet 1795).

MÉMOIRE SUR L’ARMÉE DTALIE.

L’armée des Alpes et d’Italie occupe la crête supérieure des Alpes et quelques positions de l’Apennin. Elle couvrait le département du Mont-Blanc, le comté de Nice, Oneille, Loano, Vado. Par le moyen des batteries de côtes que l’on avait établies dans ces derniers postes, le cabotage de Marseille, Nice et Gênes s’opérait à la vue de l’escadre anglaise, sans quelle pût s’y opposer.

L’ennemi s’est emparé de Vado. L’escadre anglaise mouille dans cette superbe rade. Les Austro-Sardes ont armé un grand nombre de corsaires. Toute communication avec Gênes se trouve interceptée.

Le commerce, qui renaissait à Marseille, est suspendu. L’armée d’Italie, notre flotte, l’arsenal de Toulon, la ville de Marseille, ne peuvent plus tirer leurs subsistances que de l’intérieur de la France.

Cependant l’armée ennemie étant considérablement augmentée, nous sommes obligés de lui opposer des forces égales. Nous allons donc avoir une armée nombreuse dans la partie de la France la moins abondante en blé, qui, dans les meilleures années, en récolte à peine pour trois mois.

Il est donc indispensable, pour rétablir le cabotage, et assurer les subsistances du Midi, de Toulon et de l’armée, de reprendre la po­sition de Vado. Puisque la possession des mers est momentanément asservie, il appartient à nos armées de terre de suppléer à l’insuffi­sance de notre marine.

Depuis le Saint-Bernard jusqu’à Vado, les Alpes, que notre armée occupe, forment une circonférence de 95 lieues. On ne pourrait donc faire circuler nos troupes de la gauche à la droite en moins de deux ou trois décades, tandis que l’ennemi tient le diamètre et qu’il com­munique en trois ou quatre jours. Cette seule circonstance topogra­phique rend toute défense désavantageuse, plus meurtrière pour  notre armée, plus destructive pour nos charrois, et plus onéreuse au trésor public que la campagne la plus active.

Si la paix avec les Cercles de l’Empire se conclut, l’Empereur n’aura plus que le Brisgau et ses Etats d’Italie à gauche. Il est à croire que l’Italie sera le théâtre des événements les plus importants. Nous éprouverions tous les inconvénients de notre position.

Nous devons donc, même sous le point de vue de la conservation de Vado, porter ailleurs le théâtre de la guerre.

Dans la position de l’Europe, le roi de Sardaigne doit désirer la paix.

Il faut par des opérations offensives :

1° Porter la guerre dans ses Etats, lui faire entrevoir la possibilité d’inquiéter même sa capitale, et le décider promptement à la paix ;

2° Obliger les Autrichiens à quitter une partie des positions où ils maîtrisent le roi de Sardaigne, et se mettre dans une position où l’on puisse protéger le Piémont et entreprendre des opérations ultérieures.

On obtiendra ce double avantage en s’emparant de la forteresse de Ceva, en y rassemblant la plus grande partie de l’armée à mesure que les neiges obstrueront les cols des Alpes, en mettant à contribu­tion toutes les petites villes voisines et en menaçant de là Turin et la Lombardie.

Par les attaques que les Autrichiens ont entreprises sur la droite de l’armée, il ne nous reste aucun doute que leur intention ne soit de porter le théâtre de la guerre sur la Rivière de Gênes, et de me­nacer le département des Alpes-Maritimes de ce côté-là. Nous serions alors obligés de maintenir une armée nombreuse en campagne, c’est-à-dire à force de numéraire; ce qui la rendrait extrêmement onéreuse à nos finances. Nous devons, au contraire, dans la direc­tion de nos armées, être conduits par le principe que la guerre doit nourrir la guerre.

Il est donc indispensable de reprendre promptement Vado, de changer le théâtre de la guerre , de pénétrer en Piémont, de profiter du reste de la belle saison pour s’y procurer un point d’appui où l’on puisse réunir nos armées, menacer de partager le Piémont, et dès lors décider promptement le roi de Sardaigne à la paix, en lui offrant les conditions pour la conclure.

Les Alpes, depuis le mont Saint-Bernard, le mont Cenis, le mont Viso, vont toujours en s’abaissant jusqu’à Ponte-di-Nava; en sorte que le col de Tende est le plus facile et le moins élevé.

L’Apennin, qui commence à Ponte-di-Nava et qui est moins élevé, s’abaisse plus sensiblement vers Vado, Altare, Carrare et par-delà pour s’élever ; de sorte que plus on s’enfonce dans l’Italie on gagne les hauteurs.

Les vallées des Alpes sont toutes dans le sens de la frontière ; de sorte qu’on ne peut pénétrer en Piémont qu’en s’élevant considérable­ment. L’Apennin a ses vallées plus régulièrement placées, de sorte qu’on les passe sans être obligé de s’élever et en suivant les ouver­tures qui s’y rencontrent.

Dans la saison actuelle, il serait imprudent d’essayer d’entrepren­dre rien de considérable par les Alpes ; mais on a tout le temps de pénétrer par l’Apennin, c’est-à-dire par la droite de l’armée d’Italie.

De Vado à Ceva, première place frontière de Sardaigne sur le Tanaro, il y a huit lieues sans jamais s’élever de plus de 2 à 300 toises au-dessus du niveau de la mer. Ce ne sont donc pas proprement des montagnes, mais des monticules couverts de terre végétale, d’arbres fruitiers et de vignes. Les neiges n’y encombrent jamais les passages; les hauteurs eu sont couvertes pendant l’hiver, mais sans qu’il y en ait même une grande quantité.

Dès le moment que les renforts de l’armée des Pyrénées seront arrivés, il sera facile de reprendre les opérations de Saint-Bernard et de San-Giovanni.

Dès le moment qu’on se sera emparé de Vado, les Autrichiens se porteront de préférence sur les points qui défendent la Lombardie. Les Piémontais défendront l’issue du Piémont.

On détaillera dans les instructions qui seront données les moyens d’accélérer cette séparation.

Pendant le siège de Ceva, les Piémontais pourraient prendre des positions très-rapprochées de celles des Autrichiens pour, de concert, inquiéter les mouvements du siège. Pour les en éloigner, l’armée des Alpes se réunira dans la vallée de la Stura, à la gauche de l’armée d’Italie, et investira Démont, en s’emparant de la hauteur de Valloria. On fera toutes les démonstrations qui pourront persuader l’en­nemi que l’on veut véritablement faire le siège de Démont. Par ce moyen il sera obligé de prendre des positions intermédiaires, afin de surveiller également les deux sièges.

L’opération sur Démont est préférable à toute autre, parce que c’est celle où nous pourrons réunir le plus de troupes, puisque toute la gauche de l’armée d’Italie s’y trouvera naturellement employée ; elle inquiétera d’ailleurs davantage l’ennemi, parce que le succès se lie à celui de Ceva et serait d’autant plus funeste au Piémont.

Nos armées en Italie ont toutes péri par les maladies pestilentielles produites par la canicule. Le vrai moment d’y faire la guerre et de porter de grands coups, une fois introduits dans la plaine, c’est d’agir depuis le mois de février jusqu’en juillet. Si alors le roi de Sardaigne n’a pas conclu la paix, nous pourrons continuer nos succès en Piémont et assiéger Turin.   ,

Si, comme il est probable, la paix est faite, nous pourrons, avant qu’elle soit publiée, d’intelligence avec le Piémont, de Ceva nous assurer d’Alexandrie, et aller en Lombardie conquérir les indemnités que nous donnerions au roi de Sardaigne pour Nice et la Savoie.

Le théâtre de la guerre serait alors dans un pays abondant, semé de grandes villes, offrant partout de grandes ressources pour nos charrois, pour remonter notre cavalerie et habiller nos troupes.

Si la campagne de février est heureuse, nous nous trouverons, aux premiers jours du printemps, maîtres de Mantoue, prêts à nous em­parer des gorges de Trente, et à porter la guerre, de concert avec l’armée qui aurait passé le Rhin, dans le Brisgau, jusque dans le cœur des États héréditaires de la maison d’Autriche.

La nature a borné la France aux Alpes; mais elle a aussi borné l’Empire au Tyrol.

Pour remplir le but que nous venons de parcourir dans ce mé­moire, nous proposons au comité :

1° De ne point trop activer la paix avec les Cercles d’Allemagne, et de ne la conclure que lorsque l’armée d’Italie sera considérablement renforcée ;

2° De faire tenir garnison à Toulon par les troupes embarquées sur l’escadre, et restituer à l’armée une partie de la garnison de cette place, qui sera remplacée lorsque la paix avec l’Espagne sera ratifiée ;

3° De faire passer de suite 15,000 hommes des armées des Pyré­nées à l’armée d’Italie ;     ‘

4° D’en faire passer 15,000 autres au moment de la ratification de la paix avec l’Espagne ;

5° De faire passer 15 ou 20,000 hommes des armées d’Allemagne à l’armée d’Italie au moment de la paix avec les Cercles ;

6° De prendre l’arrêté suivant :

Le Comité de salut public arrête :

1° L’armée d’Italie attaquera les ennemis, s’emparera de Vado, y rétablira la défense de la rade, investira Ceva, fera le siège de la forteresse et s’en emparera.

2° Dès l’instant que les Autrichiens seront éloignés, on obligera le commandant du fort à recevoir deux bataillons et deux compagnies d’artillerie pour garnison, en forme d’auxiliaires.

3° La droite de l’armée des Alpes se réunira avec la gauche de l’armée d’Italie dans la vallée de la Stura, investira Démont en s’em­parant de la hauteur de Valloria.

4° Le commandant d’armes du port de Toulon enverra à Antibes quatre tartanes armées et quatre chaloupes canonnières ou felouques, à la disposition du général commandant en chef l’artillerie de l’armée d’Italie, pour servir à l’escorte des convois d’artillerie.

5° Il sera embarqué trente-six bouches à feu de siège, avec un ap­provisionnement pour siège, sur des bateaux à rames, qui seront dé­barquées à Vado, pour le siège de la forteresse de Ceva.

6° L’on réunira le plus près possible du camp de Tournoux qua­rante bouches à feu de siège pour le siège de Démont.

7° La neuvième commission fera passer quatre cents milliers de poudre à Avignon, où ils seront aux ordres du général d’artillerie de l’armée d’Italie, et deux cents milliers à Grenoble ; elle prendra ses mesures pour qu’ils y soient rendus avant la fin du mois.

8° L’agence des subsistances militaires se procurera à Gênes, où elle les laissera en dépôt, des blés pour nourrir 60,000 hommes pendant trois mois.

9° La neuvième commission fera passer à l’armée d’Italie tout ce qui est nécessaire pour compléter l’équipage de pont demandé au commencement de la campagne par le général d’artillerie.

10° La commission des transports militaires fera remplacer à l’ar­mée d’Italie les 1,500 mulets qui en ont été tirés pour servir au transport des subsistances à Paris.

 

Paris, premiers jours de thermidor an III (juillet 1795).

MÉMOIRE MILITAIRE SUR L’ARMÉE D’ITALIE.

Dans la position actuelle de l’Europe, l’on peut tirer un grand parti de l’armée d’Italie, et la destiner à porter des coups décisifs pour la paix et très-sensibles à la maison d’Autriche.

Elle doit :

1° Chasser l’ennemi de la position de Loano et de Vado, d’où il intercepte l’arrivage de nos subsistances et le cabotage de Gênes à Marseille ;

2° Profiter du reste de la campagne pour prendre des positions où elle puisse se maintenir l’hiver, menacer à la fois le Piémont et pouvoir le protéger contre le ressentiment des Autrichiens ; par ce moyen faire accepter la paix au roi de Sardaigne.

3° Conquérir la Lombardie, détruire l’influence de la maison d’Autriche en Italie, et y offrir au roi de Sardaigne des indemnités pour Nice et la Savoie ;

4° Maître de la Lombardie, s’emparer des gorges de Trente, péné­trer dans l’intérieur du Tyrol, se réunir avec l’armée du Rhin, et obliger l’empereur, attaqué dans l’intérieur de ses Etats héréditaires, à conclure une paix qui réponde à l’attente de l’Europe et aux sacri­fices de tout genre que nous avons faits.

Le premier et le second but peuvent être remplis avant la fin de la campagne.

Le troisième, dans le cours de l’hiver ; et le quatrième, aux pre­miers beaux temps de la campagne prochaine, si les ennemis nous obligent à la faire.

L’on doit renforcer l’armée d’Italie des divisions disponibles des années des Pyrénées; il sera très-facile alors de reprendre sur les ennemis la position intéressante de Vado.

Maître de Vado, l’on doit rétablir les défenses de la rade, afin qu’un convoi y soit à l’abri des insultes des vaisseaux ennemis.

Les Autrichiens se retireront sur les positions qui défendent le chemin de la Lombardie ; ils occuperont de préférence la chaîne de montagnes depuis Priera, Montenotte supérieur, Montenotte infé­rieur…                Les Piémontais occuperont de préférence les positions qui défendent l’entrée du Piémont, c’est-à-dire les hauteurs de San-Giovanni, la Solta, Biestro et Montèzemolo.

L’on doit de préférence, et par un mouvement successif et sans interrompre celui qui nous rendra maîtres de Vado, attaquer ou obli­ger l’ennemi à évacuer, par une fausse marche sur Sassello, toutes ses positions jusqu’à Montenotte inférieur, et à se retirer sur Acqui ou même sur Alexandrie; alors, par Cairo, .Millésime, s’emparer de Ia hauteur de Montèzemolo qui domine Leva, dans le même temps que la division restée pour la défense du Tanaro s’avancerait au-delà de Batiffollo , investirait Leva du côté de Garessio, et opérerait sa jonction avec la division qui serait sur Moutezemolo le plus près pos­sible de Ceva.

Pendant ce temps l’on fera réparer le chemin de la Madone de Savone à Altare, par où passeront les trente-six bouches à feu de siège nécessaires pour prendre Ceva.

Dans le temps que l’on aura investi Ceva, une division de l’armée des Alpes se joindra à la gauche de l’armée d’Italie sur la montagne de Sambuco, au-delà des Barricades, et, s’il est possible, investira Démont en s’emparant de la hauteur de Valloria. L’on fera faire quelques mouvements de grosse artillerie que l’on fera passer dans  la vallée de la Stura, afin de faire croire à l’ennemi que l’on veut sérieusement tenter le siège de Démont, et par là l’obliger à prendre des positions où il puisse à la fois surveiller les opérations du siège de Ceva et celui de Démont, circonstances très-favorables pour le siège de Ceva… La prise de Démont n’étant point nécessaire à l’exé­cution du projet, l’on n’en tentera véritablement le siège que dans le cas où l’on penserait avoir le temps, les moyens et la force néces­saires pour le prendre, sans affaiblir d’aucune manière la division de droite de l’armée d’Italie.

Maître de Ceva, l’on en réparera les fortifications, et l’on mettra cette place dans le meilleur état de défense possible.

Si l’escadre ennemie paraissait dans ces mers, ou si les Autri­chiens se renforçaient considérablement après la prise de Ceva, l’on ne manquerait pas de mettre un ou deux bons bataillons dans la for­teresse de Savone.

C’est autour de Ceva que l’on réunira toute l’armée, en prenant des cantonnements dans tous les villages et bourgs voisins. L’on fourragera fort avant dans la plaine du Piémont, et l’on offrira au roi de Sardaigne la perspective d’une armée considérable prête à en­vahir ses États ; il conclura probablement la paix.

Nos armées en Italie ont toutes péri par les maladies pestilentielles produites par la canicule. Le vrai moment d’y faire la guerre et de porter de grands coups, une fois introduits dans les plaines, c’est d’agir dans le courant de février jusqu’en juillet.

Dans cette saison, les neiges obstruant les cols des Alpes, l’on pourra diminuer de moitié les troupes destinées à les garder, ou augmenter d’autant l’armée d’Italie et marcher sur Turin, si le roi de Sardaigne n’a point fait la paix, ou sur Milan, si la paix est faite.

Maîtresse de la Lombardie jusqu’à Mantoue, l’armée trouverait tout ce qui pourrait lui être nécessaire pour se remonter et pouvoir franchir les gorges de Trente, passer l’Adige et arriver dans l’intérieur du Tyrol, dans le temps que l’armée du Rhin passerait en Bavière et viendrait jusqu’au Tyrol.

Peu de projets de campagne présentent des résultats plus avanta­geux , à la fois plus dignes du courage de nos soldats et des hautes destinées de la République (Pièce de la main de Junot, sans signature).

 

A Kellermann, GÉNÉRAL EN CHEF DE l’ARMÉE DES ALPES.

INSTRUCTIONS données par le comité de salut public

Paris, premiers jours de thermidor an III (juillet 1795).

Le Comité fait observer au général Kellermann que l’armée ne s’était étendue, en 1794, au-delà des hauteurs du Tanaro et n’avait prolongé sa droite par Bardi Netto, Melogno, Saint-Jacques, que pour empêcher l’armée autrichienne de se concerter avec l’escadre an­glaise, et pour pouvoir accourir au secours de Gènes, si l’ennemi se portait sur cette ville, soit par mer, soit par le col de la Bochetta ; quelle n’occupait pas Vado comme une position défensive, mais comme une position offensive, mais pour être à portée de déboucher sar l’ennemi, s’il se présentait dans la Rivière ; qu’aussitôt que les Autrichiens s’étaient portés sur Savone, il aurait dû marcher pour les combattre, pour empêcher qu’ils ne s’emparassent de cette ville et ne lui interceptassent sa communication avec Gênes; mais que, puisqu’il ne l’avait pu faire : 1° il aurait dû évacuer Vado, pour ap­puyer sa droite sur Saint-Jacques ; 2° lorsque, par le résultat de la journée du 25, l’ennemi s’était emparé de Melogno et de la crête de Saint-Jacques, il devait dans la nuit profiter de l’avantage qu’avait obtenu à sa droite le général Laharpe pour évacuer Vado, et se ser­vir des troupes de Laharpe pour renforcer l’attaque sur Saint-Jacques et Melogno ; elle eût été couronnée d’un plein succès ; 3° lorsque, le 27, il avait résolu d’attaquer Melogno, il était encore temps de ployer sa droite, pour quelle se trouvât à cette attaque, profitant du nouvel avantage qu’elle avait obtenu le 26 sur la gauche de l’en­nemi ; cette manœuvre eût encore décidé de la victoire. (Mémoires de Napoléon, dictées à Sainte-Hélène.) [1]A la suite de ces instructions, on lit, dans les Mémoires de Napoléon : Ces dépêches, qui étaient écrites de main de maitre, étonnèrent beaucoup l’état-major, qui cependant devina bientôt … Continue reading

 

Paris, premiers jours de thermidor an III (juillet 1795).

INSTRUCTION MILITAIRE POUR LE GÉNÉRAL EN CHEF DE L’ARMÉE DES ALPES ET D’ITALIE.

Le premier mouvement à opérer à la droite de l’armée d’Italie, dès l’instant quelle aura reçu des renforts qui doivent la rendre su­périeure en nombre à l’armée autrichienne, c’est de s’emparer de Saint-Bernard et de Rocca-Barbena; l’on pourra alors, par Bardi Netto, sc porter à Notre-Dame-de-la-Neve, dans le temps que, par les hauteurs de Loano, on se portera à Melogno, que l’ennemi se trouverait obligé d’évacuer.

L’on pourrait également se porter par Murialdo sur les hauteurs de Biestro, intercepter le grand chemin de Savone à Altare, Carcare, Coni et à Alexandrie. Si l’ennemi avait transporté de l’artille­rie de siège devant Savone, il se trouverait dans l’impossibilité de la retirer. De Biestro on pousserait une tête sur Montezemolo, pour donner l’alarme aux Piémontais, dans le temps que l’on occuperait véritablement les hauteurs de Pallare, de Carcare. L’ennemi serait obligé d’évacuer Saint-Jacques et Vado ; il ne pourrait le faire que par Montenotte et Sassello, où il n’y a pas de grands chemins. Il sera possible alors qu’il se décide à forcer le passage d’Altare, en­treprise extrêmement hardie.

La position de notre armée serait donc Rocca-Barbena, Melogno, Notre-Dame-de-la-Neve, Biestro, les hauteurs de Pallare et de Carcare.

A la pointe du jour, il faut se porter sur Altare, Mallare, Savone et Saint-Jacques.

Ou l’ennemi évacuera par le chemin de Sassello et par Montenotte, pour courir au secours de ses magasins, ou il se disposera à marcher par Altare à la rencontre de notre armée, ou il l’attendra et prendra des positions sur Altare et Savone ; dans tous les cas, il faut l’attaquer, le vaincre et le poursuivre. La division qui serait à Melogno, Notre-Dame-de-Ia-Neve et Finale, pendant la nuit et le jour suivant, doit le talonner, se porter sur Saint-Jacques, chercher à faire des prisonniers ou à recueillir des déserteurs, afin que dès l’instant que l’ennemi affaiblirait Saint-Jacques, elle s’y portât et s’y plaçât. Son artillerie doit se tenir toujours près de l’ennemi, afin de pouvoir attaquer, si celui-ci se dirige pour se porter sur Biestro.

Le troisième jour, nous sommes maîtres de toutes nos anciennes positions et de tous les bagages de l’ennemi.

Le quatrième, pousser l’ennemi et l’obliger à s’éloigner le plus possible sur Alexandrie ; et il est bien facile de pousser des têtes de colonnes sur Montenotte et de s’emparer du château de Sassello.

Si cette opération est exécutée avec beaucoup de résolution et d’ardeur, elle peut décider le sort de la campagne. L’ennemi poussé sur Acqui, ou plus loin, l’on doit se porter sur Montezemolo dans le temps que la division de Bardi Netto se portera sur San-Giovanni et celle du Tanaro sur Ceva, au-delà de Batiffollo, et ce jour on pas­sera le Tanaro avec le reste de l’armée.

Maître de Montezemolo, il faut forcer le camp retranché de Ceva, prendre la ville immédiatement après, diriger un corps de troupes pour bloquer le port de Ceva.

L’armée d’observation serait occupée, selon les circonstances, à poursuivre les Autrichiens, ou même à se replier par la plaine, par une marche secrète, et à se porter sur l’armée piémontaise qui se réunirait à Mondovi, à Coni ou à toute autre position. L’artillerie de siège se trouvera à Oneille le jour de l’affaire et se rendra à Vado, Inique nous serons maîtres de Montezemolo. A l’instant que l’équi­page de siège sera débarqué à Vado, il faudra forcer le commandant du fort à recevoir deux compagnies d’artillerie et deux bataillons de garnison comme auxiliaires, et aussitôt pourvoir à l’approvisionne­ment de ce fort en munitions de guerre et faire faire à l’artillerie les autres ouvrages et les défenses nécessaires.

L’art du général qui commandera le siège de Ceva, c’est de tenir les ennemis le plus éloignés possible et de tomber quelquefois sur les rassemblements qui se formeraient dans la plaine.

L’armée qui assiège Ceva communique avec Oneille par Ormea, et avec Vado par Carcare et Cairo.

Si l’on obtient quelque succès il sera facile d’enlever Acqui, Alba, Altare, enfin de se tenir maître jusqu’au Tanaro, ayant l’air de me­nacer Alexandrie.

Dans la supposition que l’on suivra en tout les instructions ci-des­sus , il est indispensable que l’on attaque les postes qu’a l’ennemi, comme on le propose, en les tournant tous.

II sera indispensable que l’attaque de la gauche de l’ennemi pré­cède de trois jours ; si, au contraire, on attaque tout simplement San-Giacomo et pour le prendre de force, il faut alors que l’attaque de la gauche ne se fasse que deux jours après.

La gauche de l’armée d’Italie et la droite de l’armée des Alpes se réuniront et investiront Démont. L’opération pour tourner la Brunette a déjà été faite l’année passée. Se porter, de concert, par les hauteurs de Sambuco, après quoi attaquer Valloria par les deux côtés; maître de cette hauteur, on se trouvera avoir trois marches d’avance.

La division du centre surveillera le mouvement des troupes qui lui seront opposées, afin de pouvoir, par une attaque faite à propos, faire une diversion.

Si l’attaque de Démont précède celle de Ceva, il faudra avoir beau­coup de circonspection et marcher dans la règle, ayant toujours les cols de droite et de gauche bien gardés.

Le service de l’artillerie consiste dans un service d’équipages de montagne et un service de siège.

Celui de montagne sera peu nombreux. On se servira bien de pièces de 3 à dos de mulets qui sont tous prêts, et d’obus de six pouces qui produisent un grand effet.

L’’équipage de siège de l’armée des Alpes se réunira auprès du Tannaro le plus tôt possible ; celui pour Ceva s’embarquera à Antibes sur des bateaux à rames, comme cela s’est déjà pratiqué l’année passée.

L’on armera la petite ville de Bredis et d’Albenga, et l’on y mettra quelques compagnies de garnison et quelques escouades d’artillerie.

L’on ne fatiguera pas la cavalerie pour la conduire dans ces mon­tagnes. Lu seul régiment de hussards peut suivre la marche des co­lonnes ; le reste de la cavalerie se rendra d’Ormea sur le Tanaro, pour pouvoir mettre des contributions dans la plaine et faire des prisonniers piémontais.

Maître de Ceva, l’on en établira la défense. L’on prendra conseil de la saison et des circonstances qu’il n’est jamais possible de prévoir à la guerre. Le but de l’art après sera de se procurer des quartiers d’hiver commodes en Piémont, et de se préparer à entrer en campa­gne au mois de janvier ou de février.

L’on écoulera alors toute proposition de paix et l’on suivra tout pourparlers qui aura l’air d’y conduire.

L’on affectera beaucoup de prédilection pour les officiers et soldats piémontais. Si l’on faisait quelques prisonniers de marque, les re­présentants et les généraux leur feront des civilités et leur garantiront qu’ils peuvent disposer de leur solde d’activité.

L’on ne fera le siège rie Démont que dans le cas où l’on pourrait avoir le temps de prendre cette place. Lorsque la saison sera avancée et que le col d’Argentière sera difficile et menacera de se fermer, si Démont n’était pas pris, ou fera tenir la division de D*** sur Ceva en opérant la jonction au-delà de Carcare.

Le but de la campagne d’été sera de prendre Turin ou de marcher en Lombardie.

L’on doit faire tous les préparatifs, soit en équipage de pont, soit en équipage d’artillerie ou de vivres pour entreprendre cette campa­gne avec succès.

Si l’on entre en Lombardie, le but devra être de pénétrer dans le Mantouan pour s’emparer, au commencement de In campagne pro­chaine , des gorges de Trente ; l’on cherchera à pratiquer des intelli­gences utiles, à donner l’alarme et à être au fait des mouvements qui se passent dans cette ville. L’on n’entreprendra pas le siège, parce que l’on croit la saison trop avancée, même pour passer les débouchés du Tauaro. Au reste, les circonstances de l’hiver ou des négociations pourront décider à cette opération ou du moins au blocus.

 

Paris, premiers jours de thermidor an lIl (juillet 1795).

INSTRUCTION pour les représentants du peuple

ET LE GÉNÉRAL EN CHEF DE L’ARMÉE D’ITALIE.

Le Comité de salut public, ayant pris en considération la situa­tion politique de l’Europe et la position militaire de l’armée des Alpes et d’Italie, a senti :

1° Qu’après la paix conclue entre la République et les rois de Prusse et d’Espagne, après les succès que toutes nos armées ont ob­tenus sur les ennemis, il n’était plus possible que le roi de Sardaigne conservât l’espoir de reprendre les départements du Mont-Blanc et des Alpes-Maritimes, et que, dès lors, il n’a plus aucun intérêt à continuer la guerre ;

2° Que la crainte des armes de l’Empereur et les troupes qu’il a en Piémont peuvent retarder une paix utile aux deux États ;

3° Que les renforts que l’armée autrichienne de Lombardie a reçus, les attaques quelle a tentées sur plusieurs positions de la droite de l’armée d’Italie, ne laissent aucun doute sur ses intentions d’établir le théâtre de la guerre sur les Etats de Gênes et de menacer le dé­partement des Alpes-Maritimes ;

Que le premier principe qui doit nous animer dans la direction des armées de la République, c’est qu’elles doivent se nourrir par la guerre aux dépens du pays ennemi ; que si l’armée d’Italie ne chan­geait pas au plus vite le théâtre de la guerre, elle deviendrait extrê­mement onéreuse au trésor public, ne pouvant être entretenue sur un pays neutre qu’à force de numéraire ;

4° Que l’occupation de Vado par les ennemis, en interceptant le rabotage avec l’Italie, a suspendu notre commerce, a arrêté l’arrivage de nos approvisionnements et nous oblige à substanter, par l’intérieur de la République, la marine de Toulon , l’armée d’Italie, la ville de Marseille et les départements circonvoisins, qui ne récoltent pas ordinairement pour trois mois, et que, si des circonstances momenta­nées nous empêchent de tenir la mer, il appartient à nos armées de terre de suppléer à l’insuffisance de notre marine ;

5° Que les Alpes, que notre armée occupe depuis Genève jusqu’à Vado, forment une demi-circonférence de 95 lieues, d’une communication extrêmement difficile, de sorte qu’il nous faut au moins deux décades pour communiquer de la droite à la gauche, tandis que l’en­nemi, occupant un diamètre dans une belle plaine, peut faire circuler ses troupes dans trois ou quatre jours ; cette seule circonstance topo­graphique rendant la défensive extrêmement désavantageuse, plus meurtrière pour nos soldats et plus destructive de nos charrois que la campagne la plus sanglante -,

6° Que nos armées en Italie ont toutes péri par les maladies pesti­lentielles produites par la canicule; le vrai moment d’y faire la guerre et d’obtenir de grands succès, une fois introduits dans la plaine, c’est d’agir depuis février jusqu’en juillet;

7° Que si la nature a borné la France aux Alpes, elle a aussi borné l’Empire aux montagnes du Tyrol. L’on peut, dans la Lombar­die , offrir au roi de Sardaigne des indemnités pour la Savoie et le comté de Nice ;

8° Que le moment peut venir de combiner les opérations de l’ar­mée du Rhin avec celles de l’armée d’Italie, et d’aller, de concert, dicter une paix glorieuse, digne à la fois du courage de nos soldats et des destins de la République, jusque dans le cœur des Etats héré­ditaires de la maison d’Autriche.

Après toutes ces considérations, le Comité de salut public a donné les ordres les plus pressants pour faire filer des armées des Pyrénées toutes les troupes qui y étaient disponibles ; il a porté ses sollicitudes sur toutes les parties administratives de l’armée, pour y faire passer tout ce qui peut lui être nécessaire. Il reste aux généraux à prendre leurs mesures, à combiner leurs opérations avec cette précision, cette résolution et le secret qui sont le sur garant de la victoire.

Lorsque les renforts seront arrivés à l’armée d’Italie, elle s’empa­rera des positions de Saint-Bernard, Saint-Jacques, Vado.

Les Autrichiens se retireront alors sur Montenotte inférieur, Montenotte supérieur, afin de protéger l’évacuation de leurs magasins et d’observer les mouvements ultérieurs de notre armée. Il est indispen­sable de les chasser de ces positions intéressantes, soit en les y atta­quant de vive force, soit par une fausse marche sur Sassello, mena­cer leur communication avec Alexandrie. La promptitude à suivre la victoire que l’on aurait remportée en les chassant de Saint-Jacques et de Vado sera le sûr garant du succès que l’on obtiendra à l’attaque de Montenotte.

Lorsque l’on aura obligé les Autrichiens à se retirer du côté d’Alexandrie le plus qu’il sera possible, l’on se portera par Millesimo sur Biestro et Montezemolo, dans le temps que la division restée à Saint-Bernard, pour tenir en échec les Piémontais. se portera par San-Giovanni à Montezemolo.

La division restée sur le Tanaro opérera sa jonction, le plus près possible de Ceva, avec le reste de l’armée, et tous, de concert, enlè­veront le camp retranché de Ceva, investiront la citadelle pour en commencer le siège.

La cavalerie campera au pied des montagnes, dans la vallée du Tanaro, et de là fera des courses, mettra à contribution une partie de la plaine.

L’artillerie nécessaire au siège de la forteresse de Ceva mouillera dans la rade d’Oneille, au commencement de l’action. Lorsque l’on sera maître de Montezemolo, elle débarquera à Vado.

Dès l’instant que l’on sera maître d’Altare, un bataillon de pion­niers raccommodera le chemin d’Altare à la Madone de Savone.

Le général commandant l’artillerie fera rétablir les batteries qui défendaient la rade de Vado ; il prendra de l’artillerie à Finale, à Savone et en tout autre point de la Rivière de Gènes, où elle serait inutile à notre défensive.

Lorsque l’artillerie de siège sera arrivée à Vado et que nous se­rons maîtres de Montenotte, l’on obligera le commandant du fort de Savone à recevoir dans le fort deux bataillons et deux compa­gnies d’artillerie, afin de protéger notre retraite en cas d’événements malheureux. Nos troupes y resteront en qualité d’auxiliaires.

Cependant, les Piémontais, dès l’instant qu’ils verront que nous nous fixons au siège de Ceva, pourraient prendre des positions très-rapprochées de celles des Autrichiens, pour pouvoir, de concert, inquiéter les opérations du siège. C’est afin de les éloigner de cette réunion, que la droite de l’armée des Alpes se réunira dans la vallée de la Stura avec la gauche de l’armée d’Italie ; maîtres des Barri­cades, les Français s’empareront de la position de Sambuco, et enfin investiront Démont, en s’emparant de la hauteur de Valloria.

L’on commencera dès lors les travaux comme si l’on voulait véri­tablement faire le siège de Démont. L’on y fera même venir quelques pièces de grosse artillerie, sans cependant trop s’embarrasser, afin de pouvoir, si la saison devenait très-mauvaise, repasser le col d’Argentière, ou faire toute autre opération que des succès plus rapides que nous ne l’imaginons, et dont l’histoire de notre guerre offre plusieurs exemples, rendraient nécessaires.

Maître de Ceva, l’on en réparera les fortifications ; l’on y réunira toute l’armée à mesure que les neiges obstrueront les cols des Alpes.

On lèvera des contributions dans toute la plaine du Piémont ; on fera tous les préparatifs pour entrer en campagne immédiatement après la saison des pluies.

L’on accueillera toutes les propositions de paix qui seraient faites par le roi de Sardaigne.

Les représentants et les généraux mettront la plus grande affecta­tion à traiter les prisonniers piémontais avec plus d’égards, plus de civilité et des soins plus marqués, n’oubliant aucune circonstance qui pourrait le faire remarquer par les Autrichiens, et accroître la mésin­telligence qui existera nécessairement entre ces deux puissances.

Le général d’artillerie complétera l’équipage de siège de l’armée, pour que, réuni à celui de l’armée des Alpes, l’on puisse attaquer Turin ou Alexandrie, ou toute autre place de la Lombardie, en fai­sant deux attaques. Il fera en sorte de compléter, avant le mois de janvier, un équipage de pont, pour la grande campagne d’Italie, consistant :

1° Dans les cordages, outils tranchants et ancres propres à pouvoir construire deux ponts de bateaux de deux cents toises chacun, en deux décades; l’on trouve assez ordinairement sur le Pô une partie des bateaux nécessaires.

2° Un équipage de cinquante nacelles en bois, des dimensions de 22 pieds sur 6 pieds 1 /2, sur baquets, afin de pouvoir promptement passer l’Oglio et le Mincio.

Le commandant du génie tiendra prêt, à la suite de l’équipage de siège, un équipage pour une compagnie de mineurs.

Le commissaire ordonnateur prendra des mesures pour avoir, à la même époque, les ambulances et les caissons de vivres nécessaires pour l’armée.

Au mois de février, si la paix est conclue avec le roi de Sardaigne, l’on aura soin qu’Alexandrie ne soit pas occupée par les Autrichiens, et l’on entrera en Lombardie, dont on s’emparera.

Aux premiers beaux temps de la campagne prochaine, l’on fran­chira les gorges de Trente et les montagnes du Tyrol.

Si la paix n’était point faite avec le roi de Sardaigne, l’on porte­rait jusque dans sa capitale les horreurs de la guerre.

L’on indique aux représentants du peuple et aux généraux le but que le Gouvernement se propose, afin de les mettre à même de se décider, et de prendre le parti le plus conforme dans les cas qui ne seraient pas prévus [2]Pièce de la main de Junot, annotée de la main du général Bonaparte, et dans laquelle se retrouvent textuellement plusieurs passages du Mémoire militaire sur l’armée d’Italie, voir … Continue reading .

 

Paris, 12 thermidor an III (30 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Tu recevras ci-joint le passe-port que tu demandes. Tu recevras demain une lettre de la Commission des relations extérieures au ministre à Gènes : il est prié de te donner l’assistance nécessaire pour tes affaires.

Tu en as dû recevoir une de Fréron, qui te recommande à Villard.

Lucien s’est fait arrêter ; un courrier qui part demain porte l’ordre du Comité de sûreté générale de le mettre en liberté.

Je remplirai tous tes désirs ; de la patience et du temps !

La paix avec l’Espagne rend la guerre offensive en Piémont infail­lible. L’on discute le plan que j’ai proposé, qui sera infailliblement adopté. Si je vais à Nice, nous nous verrons, et avec Désirée aussi. Je n’attends que ta réponse pour t’acheter une terre.

Je vais écrire à madame Isoard quelle donne de l’argent à Lucien; je le placerai à Paris avant de partir.

Je pense que, lorsque tu auras envie de revenir, tu m’en prévien­dras avant. Il est probable que tu obtiendras une place de consul en Italie.

Tout est tranquille. La paix conclue avec l’Espagne et Naples, que nous avons apprise hier, nous a comblés de joie. Les fonds publics montent, les assignats gagnent.

Il n’a pas encore fait chaud ici ; mais les moissons sont aussi belles qu’il est possible de se l’imaginer. Tout va bien. Ce grand peuple se donne au plaisir ; les danses, les spectacles, les femmes, qui sont ici les plus belles du monde, deviennent la grande affaire. L’aisance, le luxe, le bon ton, tout a repris ; l’on ne se souvient plus de la terreur que comme d’un rêve.

La nouvelle de la belle victoire de Quiberon et de la paix avec l’Espagne change dans un instant la nature de nos affaires.

BUONAPARTE.

References

References
1 A la suite de ces instructions, on lit, dans les Mémoires de Napoléon : Ces dépêches, qui étaient écrites de main de maitre, étonnèrent beaucoup l’état-major, qui cependant devina bientôt qui les avait dictées.
2 Pièce de la main de Junot, annotée de la main du général Bonaparte, et dans laquelle se retrouvent textuellement plusieurs passages du Mémoire militaire sur l’armée d’Italie, voir ci-dessus