Correspondance de Napoléon – Fevrier 1800

Paris, 24 février 1800

Au contre-amiral Ganteaume

Vous vous rendrez à Brest, Citoyen Général; vous vous présenterez chez l’ordonnateur, le commandant des armes et l’amiral Bruix, comme chargé par le Gouvernement d’une inspection extraordinaire, devant durer quatre ou cinq jours, afin de pouvoir me remettre un état exact de la situation administrative et militaire de Brest. Vous prendrez le même titre au quartier général du général Brune et sur votre route.

Arrivé à Brest, vous conférerez avec l’amiral Bruix.

Si l’escadre anglaise qui bloque Brest est en moindre nombre, et si le général Gravina est prêt avec son escadre, vous arborerez votre pavillon sur un des bâtiments de l’escadre de l’amiral Bruix, et, avec dix-sept ou dix-huit vaisseaux français, les frégates que l’amiral Bruix jugera nécessaires, et l’escadre espagnole, vous vous rendrez droit à Malte, où vous jetterez des provisions de toute espèce que vous devez embarquer à Brest. Vous y jetterez également une partie des vivres qui seraient superflus à votre escadre. Vous enverrez, selon les circonstances, cinq ou six vaisseaux de guerre en Égypte pour y débarquer les secours et les munitions de guerre qui sont sur l’escadre.

De là, l’escadre se rendra le plus tôt possible à Toulon, pour réapprovisionner et faciliter le départ des bâtiments vénitiens et autres transports, chargés de vivres destinés pour Malte.

Je donne à l’amiral Bruix, sous les ordres duquel vous serez, les instructions nécessaires; mais le départ de l’escadre de Brest vous concerne spécialement. Il peut arriver les cas suivants:

1° Que le général Gravina ne veuille pas prendre sur lui d’être dans la Méditerranée sans un ordre de Mazarredo; dans ce cas, vous le sommerez de sortir pour protéger le départ de l’escadre français, et, après avoir, de concert, donné la chasse à l’escadre anglaise, l’amiral Bruix se dirigerait avec dix-huit vaisseaux français sur Malte.

2° Si l’escadre espagnole sort, et que Gravina, comme l’assure l’amiral Bruix, soit bien aise de trouver cette occasion de commander en chef, alors il faudrait toujours le requérir, seulement pour donner la chasse aux Anglais, et, lorsque vous serez sortis, vous dresserez un procès-verbal qui constatera l’impossibilité de rentrer sans rencontrer l’escadre anglaise qui aurait été renforcée.

3° Si, en passant devant Cadix, l’escadre espagnole voulait absolument entrer dans le port, soit par ordre du Gouvernement, soit pour toute autre raison, et qu’il fût impossible de la décider à aller à Malte, ce que je suppose peu présumable, comme, dans cette opération, 1es journées sont inappréciables, je pense que vous ne devez pas perdre un moment, et vous porter devant Malte avec dix-huit vaisseaux francais. Enfin, si l’escadre anglaise devant Brest était supérieure en nombre, vous resterez à Brest le temps nécesssaire pour voir partir l’amiral Bruix avec ses huit on neuf vaisseaux, les meilleurs voiliers de l’escadre.

Vous trouverez ci-joint les instructions pour l’amiral Bruix et lettre pour le général Gravina. Vous ne remettrez cette lettre que lorsque vous serez persuadé que l’assertion de l’amiral Bruix est vraie et que Gravina est décidé à le suivre.

Si vous restez à Brest quelques jours, faites-moi connaître la situation de l’artillerie de terre, de la garnison, ce qu’il serait possible que les anglais tentassent pour enlever ce port, et les obstacles qu’ils auraient à surmonter.

 

Paris, 25 février 1800

Au général Brune, commandant en chef l’armée de l’Ouest

J’apprends par la voie de Londres, Citoyen Général, qu’en ce moment les Anglais font embarquer leurs troupes à Jersey et à Guernesey. Est-ce pour l’Irlande? Est-ce pour débarquer leurs forces dans le Finistère? Est-ce pour s’emparer de Cherbourg et de la presqu’île du ci-devant Cotentin? C’est ce qu’on ne peut prévoir, car la prudence et la connaissance des choses ne leur commandent aucune de ces opérations.

Si le général Dulauloy est à votre quartier général, ordonnez-lui de visiter sur-le-champ le fort Penthièvre, la place de Brest, ainsi que les forts qui l’environnent. Faites-moi ensuite connaître le résultat de sa tournée et si les approvisionnements de tout genre sont au complet.

Quant au fort Penthièvre, le ministre de la guerre a dû donner des ordres pour qu’il fût mis sur-le-champ en état de défense. Il a dû également avancer les fonds nécessaires pour cet objet.

J’ai vu avec satisfaction que vous étiez occupé de l’approvisionnement de Belle-Île. Songez maintenant à accélérer le désarmement; assurez-vous des chefs, et faites rejoindre, le plus que vous pourrez, les conscrits et les déserteurs.

Je ne pense pas encore à aller à l’armée du Rhin, et, lorsque j’y penserai, vous pouvez compter que je vous y réserverai une place.

Il est actuellement parfaitement certain certain que les Russes, ainsi que Souwarow, se sont acheminés vers leur pays, et qu’ils ont déjà atteint la Pologne.

 

Paris 26 février 1800

ARRÊTÉ

Les Consuls de la République, le Conseil d’État entendu, arrêtent ce qui suit:

ARTICLE 1er. – Dans l’intervalle du 1er germinal au 1er messidor prochain, le Gouvernement, ‘après le rapport du ministre de la justice et en conformité des dispositions suivantes, prononcera sur toutes les réclamations présentées avant le 4 nivôse dernier, soit aux administrations civiles, soit au Gouvernement, par des individus inscrits sur des listes d’émigrés.

ART. 2. – Le ministre de la police générale enverra au ministre de la justice, avant le 1 germinal prochain, un état général des réclamations qui pourront être soumises à un examen définitif; il fera un deuxième envoi avant le ler floréal; il fera un troisième et dernier envoi avant le 1er prairial.

ART. 3. – Immédiatement après la publication du présent arrêté les préfets et sous-préfets adresseront au ministre de la police les demandes en radiation qui seraient encore dans les bureaux des administrations centrales.
Le ministre de la police générale donnera les ordres et les instructions nécessaires pour accélérer les envois.

ART. 4. – Les réclamations antérieures au 1er nivôse, formées par des individus inscrits sur des listes d’émigrés, seront examinées par une commission composée de trente citoyens et divisée en six bureaux, chacun de cinq membres.

ART. 5. – Les trente membres de la commission seront nommés par le Premier Consul, sur une liste de soixante candidats, qui sera présentée par les ministres de la justice et de la police.
La répartition en bureaux sera faite par la voie du sort.

ART. 6. – Le travail sera également distribué par la voie du sort entre les bureaux de la commission.
A cet effet, le ministre de la justice divisera en cinq parties les affaires qui, aux termes de l’article 2, lui auront été envoyées par le ministre de la police générale.
Cette division sera effectuée dans les vingt-quatre heures qui suivront les envois.
Le ministre fera ensuite exécuter en sa présence la distribution par la voie du sort, entre les bureaux.

ART. 7. – Dans la quinzaine de la distribution des affaires, chaque bureau terminera son travail et le remettra au ministre de la justice.
Le ministre l’examinera et en fera la base du rapport qu’il soumettra aux Consuls avant la fin de la décade suivante.

ART. 8. – Le ministre de la justice est autorisé à prendre les mesures nécessaires pour régulariser et activer le travail des bureaux.
Il prononcera sur les difficultés relatives à l’instruction.

ART. 9. – Les ministres de la justice et de la police sont chargés, chacun pour ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté, qui sera inséré au Bulletin des lois.

 

Paris, 26 février 1800

Au citoyen Boulay (de la Meurthe), président de la section de législation au Conseil d’État

Le projet de loi sur les passe-ports à l’étranger, délibéré par le Conseil d’État dans la séance du 5 ventôse, n’est pas entièrement conforme aux vues des Consuls: ils ont différé d’en approuver la rédaction.

La section de législation est invitée à s’occuper de nouveau de cet objet, et à examiner:

1° Si la transmission d’une copie non authentique à l’agent de la République résidant hors du lieu porté par le passe-port est une précaution suffisante pour assurer que le porteur du passe-port s’est en effet rendu à sa destination;
2° S’il ne serait pas utile d’insérer dans la loi l’obligation à imposer aux ministres et agents de la République de transmettre au ministre des relations extérieures l’extrait du registre sur lequel ils inscrivent le nom des Français arrivés avec passe-ports dans les États de leur résidence;
3° S’il ne peut pas se présenter des circonstances où il paraîtrait utile au Gouvernement soit de rappeler tel individu absent en révoquant son passe-port, soit de généraliser ce rappel à l’égard de tous les Français qui auraient obtenu des passe-ports pour les États de telle ou telle puissance;
4° Si, dans ce cas, la loi ne doit pas prescrire, pour garantir à l’absent la connaissance de son rappel, une signification à domicile, à la diligence des préfets;
5° Si, le Gouvernement ayant fixé, dans la signification du rappel, un délai pour la rentrée eu France, l’absence prolongée au delà de ce terme ne doit pas donner lieu au séquestre de tous les biens de l’absent après deux nouvelles significations, faites chacune à la distance d’un ou deux mois;
6° S’il n’est pas quelque moyen pénal d’atteindre un citoyen français qui, n’ayant aucune propriété et ne payant point de contribution directe, serait ou sorti sans passe-port, ou resté absent après l’expiration du temps déterminé pour lequel le passeport aurait été accordé, ou qui, étant sorti avec un passe-port et se trouvant encore dans ses délais, aurait été rappelé par le Gouvernement et n’aurait point obtempéré à ce rappel.

(Par ordre du Premier Consul)

 

Paris, 26 février 1800

Au citoyen Carnot, inspecteur général aux revues

Citoyen Inspecteur général, le premier Consul Bonaparte, m’ordonne de vous transmettre les propositions faites par le ministre de
la guerre de divers individus pour remplir des places d’inspecteurs et de sous-inspecteurs aux revues. L’intention du Premier consul est que, demain 8, vous lui fassiez parvenir, à midi, un nouveau tableau des personnes que vous et vos collègues les inspecteurs généraux jugerez propres à remplir les places vacantes d’inspecteurs et de sous-inspecteurs. Il désire que, dans les propositions qui lui seront faites, on ait égard à la probité bien constatée et certaine des individus, et qu’ensuite on considère la longueur de leurs services et ceux qu’ils ont pu rendre pendant la guerre actuelle. Il insiste surtout pour que la probité de ceux qui seront proposés ne puisse pas même être soupçonnée. Il est inutile de dire que c’est de ces choix que dépend l’utilité du corps.

(Par ordre du Premier Consul)

 

Paris, 27 février 1800

Au général Marescot, Premier inspecteur de l’arme du Génie

Le Premier consul désire, Citoyen Général, que vous lui fassiez un rapport, demain à midi, sur Ehrenbreitstein.

Lui présenter le meilleur plan que nous ayons.

Lui faire connaître le degré de résistance dont cette place est susceptible.

Et, enfin, traite la question, 1° s’il serait utile de raser la partie d’Ehrenbreistein qui regarde Coblentz, en traitant absolument cette place comme une tête de pont; 2° s’il nous serait avantageux de raser entièrement cette place.

(par ordre du Premier consul)

 

Paris, 28 février 1800

A M. l’amiral Mazarredo, ministre extraordinaire de Sa Majesté Catholique, à Paris

Monsieur, le premier consul a lu avec la plus grande attention le dernier mémoire que vous lui avez transmis, qui n’est que la répétition de ceux que vous lui avez remis précédemment. Il adopte, avec des modifications qui lui ont paru indispensables, une partie des idées que vous avez communiquées. Il a donné des ordres, à Brest, de sortir pour donner la chasse à l’escadre anglaise qui bloque ce port. Il est honteux qu’une escadre de 21 à 25 vaisseaux en bloque une de 35 à 40.

Le désir, réitéré dans toutes vos dépêches, de porter votre escadre dans la Méditerranée, décide le Premier consul à cette mesure, quels que soient les avantages qu’il aurait trouvés à tenter une expédition d’Irlande.

1° Les deux escadres réunies, l’escadre espagnole, au nombre de 15 vaisseaux, et l’escadre française, au nombre de 17, sortiront de Brest, donneront la chasse à l’escadre anglaise, et, dans la nuit, feront route droit sur Malte, sans s’arrêter en aucune manière, ni au Ferrol, ni à Cadix; elles seront jointes à Malte par quatre vaisseaux français et les trois frégates du même pavillon qui s’y trouvent.
Vingt-quatre-heures après que l’escadre combinée sera partie de Brest, un courrier portera l’ordre aux six vaisseaux du Ferrol de mettre voile et de se rendre à Cadix.

2° Les escadres combinées jetteront dans Malte les secours que l’escadre française aura à bord; après quoi, les deux escadres réunies se rendront aux îles d’Hyères, où les mesures seront prises pour les subsistances; elles ne séjourneront pas plus de deux ou trois jours dans la rade des îles d’Hyères, temps nécessaire pour débarquer leurs malades, recevoir quelques renforts d’équipage et des approvisionnements. De là elles se mettront en mouvement pour enlever Mahon, et opérer leur jonction avec l’escadre de Carthagène ou de Majorque,

3° Les vaisseaux du Ferrol se réuniront avec ceux de Cadix, et se rendront à Carthagène ou dans un port de Majorque, s’il en est que vous jugiez suffisamment sûr.

Si Sa Majesté Catholique a fait tous les préparatifs nécessaires, l’escadre trouvera également aux îles d’Hyères tous les secours en troupes de terre, en officier du génie ou de l’artillerie que vous pourrez désirer.

Le Premier consul me charge de vous faire connaître qu’il croit que cette expédition ne peut réussir qu’en y mettant de la célérité et en l’enveloppant du plus grand secret. Il désire qu’on n’en fasse confidence qu’au plus petit nombre possible d’individus. Quelques indiscrétions ont déjà été commises.