Correspondance de Napoléon – Fevrier 1800

Février 1800

 

Paris, 2 février 1800

Au général Lefebvre, commandant supérieur des 14e, 15e et 17e divisions militaires, à Paris

Je reçois, Citoyen Général, votre lettre par laquelle vous m’informez qu’un lieutenant du 9e de dragons, porteur de dépêches, a été égorgé, dans le bourg de Sainte-Gauburqe, par les habitants. Faites partir sur-le-champ un officier d’état-major, qui ira en poste à la réserve de Verneuil, prendra 400 hommes d’infanterie et 60 dragons de cette réserve, se rendra dans ce bourg, en désarmera les habitants, les consignera tous dans le bourg et tâchera de faire arrêter les plus coupables. Vous commanderez également à cet officier de rester quelques jours dans ce bourg et de faire de là quelques courses dans les environs.

Vous préviendrez par la même occasion le général de brigade Chambarlhac que, s’il a besoin de cette réserve, il peut en disposer pour parvenir à anéantir le reste des chouans de ce département et à désarmer les communes malintentionnées.

 

Paris, 2 février 1800

DÉCISION

Le ministre de la guerre propose d’accorder au citoyen Pouret le grade de sous-lieutenant dans le 5e régiment de dragons

Cette place sera donnée à un   des maréchaux des logis du régiment qui aurait obtenu un sabre d’honneur en Italie.

 

Paris, 2 février 1800

DÉCISION

Le ministre de la guerre propose de confirmer le citoyen Naverres dans le grade de chef de bataillon

Refusé. Cet officier sera envoyé à l’armée et, à la première affaire où il se distinguera, il sera fait chef de bataillon.

Paris, 3 février 1800

Au général Berthier, ministre de la guerre

Citoyen Ministre, j’obéis aux ordres du Premier Consul Bonaparte en vous mandant, de sa part, qu’il désire que vous écriviez au général en chef Kléber, commandant l’armée d’Orient, pour lui recommander les intérêts du citoyen Billy Van Berchem, de Marseille. Ce citoyen doit faire partir, le 20 du courant, un bâtiment de ce port pour Alexandrie, en Égypte. Il est important, Citoyen Ministre, que vous engagiez le général en chef Kléber à assurer au bâtiment du citoyen Van Berchem tous les moyens de revenir en France, ainsi qu’il le désire, et que vous lui fassiez sentir combien il est nécessaire d’accorder cette sorte de facilité, puisque c’est elle seule qui peut encourager les spéculations commerciales particulières entre la France et l’Égypte.

Par ordredu Premier Consul.

 

Paris, 4 février 1800

DÉCISION

Le général Saint-Hilaire demande que les brigands dits chauffeurs soient distraits des tribunaux ordinaires et jugés prévôtalement.

Renvoyé à la section de législation, pour que, dans la nouvelle organisation des tribunaux, on insiste sur une juridiction équivalente à l’ancienne juridiction prévôtale.

 

Paris, 4 février 1800

Au général Lefebvre, commandant supérieur des 14e, 15e et 17e divisions militaires, à Paris

Vous voudrez bien, Citoyen Général, vous transporter demain dans les différents ateliers d’habillement de Paris, et particulièrement dans ceux où sont confectionnés les selles et les souliers. Vous vous ferez ouvrir tous les magasins; vous y examinerez avec la plus grande attention les objets qu’on y confectionne, et vous me rendrez compte de cet examen.

Vous mènerez avec vous un maître cordonnier, un maître tailleur un maître sellier.

 

Paris, 5 février 1800

Au général Augereau, commandant en chef l’armée française en Batavie

J’ai recu, Citoyen Général, votre lettre sur le refus que fait le Gouvernement batave de vous remettre le commandement de ses troupes.

Le ministre des relations extérieures écrit par ce courrier au citoyen Semonville et au Directoire batave.

Dans la position où nous nous trouvons, nous avons plusieurs objets de la plus grande importance à traiter avec le Gouvernement batave, et la conduite du Gouvernement français sera basée sur l’issue de ces négociations.

Si nous prenons pour base le traité de la Haye et celui conclu par le citoyen Charles Delacroix, votre armée sera complétée à 25,000 hommes, et alors vous aurez les instructions nécessaires pour lever toutes les difficultés et prendre le commandement de l’armée batave.

Si, au contraire, de nouvelles transactions établissent de nouveaux rapports avec le Gouvernement batave, il conviendra de ne pas insister sur ce commandement et de prendre d’autres mesures.

En attendant, vous devez laisser pressentir que mon intention est qu’on vous donne le commandement, ne fût-ce que pour défendre la Batavie contre l’ennemi qui la menace.

Je désire que vous vous assuriez de la situation des principales places de la Hollande, et de leur approvisionnement en tout genre.

Envoyez-moi un mémoire sur chacune d’elles.

Voyez aussi les différentes villes, et faites-moi connaître l’esprit qui les anime. Tâchez de vous concilier les généraux, officiers et soldats bataves.

 

 Paris, 6 février 1800

Au général Masséna, commandant en chef l’armée d’Italie

J’ai vu. avec beaucoup de plaisir, Citoyen Général, la fermeté que vous mettez pour rétablir l’ordre dans votre armée.

On attend à chaque instant 1,500,000 francs de lettres de change sur Gènes et Marseille, tirées de Hollande, que l’on vous fera parvenir.

Indépendamment des 500,000 francs que l’on vous a envoyés par un commissaire ordonnateur, on vous a fait passer 500,000 francs la décade dernière, et 500,000 francs cette décade.

La Vendée est aux trois quarts pacifiée; Brune a battu Georges et ses bandes du Morbihan. Tout me fait espérer que d’ici à quinze jours cette guerre sera finie.

Je compte dans ce moment-ci que vous êtes à Gênes. L’adjudant général Lacroix doit vous avoir joint et fait part de mon projet.

Je désirerais que vous profitassiez du moment où les neiges encombrent encore les débouchés de l’Apennin pour concentrer des forces à Gênes et faire un coup de main sur l’ennemi, soit qu’il se présentât devant Gavi ou dans la Rivière du Ponant.

Je vous salue et attends de vos nouvelles.

 

Paris, 6 février 1800.

Au citoyen Fouché, ministre de la polica générale.

Le Premier Consul désire, Citoyen Ministre, que vous lui présentiez, dans un très-bref délai, un rapport sur tous les individus condamnés à la déportation par des actes relatifs et qui ont été mis en surveillance dans différentes communes de la République.

Par ordre du Premier Consul.

 

Paris, 6 février 1800.

Au général Brune, commandant en chef de l’armée de l’Ouest.

Je reçois, Citoyen Général, votre lettre du 13. J’attends, avec bien de l’intérêt le moment où vous vous serez débarrassé de ce malotru de Georges.

J’ai lu votre proclamation aux habitants du Morbihan; elle est dans le bon style.

Quand vous pourrez vous passer de quelques troupes, faites filer dans la 14e division les détachements des 14e, 15e et 5e de ligne. Je voudrais réorganiser ces corps pour la campagne.

Envoyez-y également, lorsque cela vous sera possible, les détachements des 5e et 26 légères et de la 64e de ligne. Mon projet est de faire venir ces corps dans les environs de Paris, et de prendre des mesures pour les compléter à 3,000 hommes.

 

 Paris, 6 février 1800.

Au général Berthier, ministre de la guerre

Vous aurez reçu, citoyen Ministre, le règlement pour la levée de quatre bataillons francs dans les trois divisions qui composent l’armée de l’Ouest, ainsi que dans la 14e. Vous chargerez le général Lefebvre du dernier, et le général Brune des trois premiers; vous autoriserez ces généraux à nommer les officiers de ces corps, et leur ferez connaître que l’intention du Gouvernement étant de tâcher de tirer tous les individus sans aveu, déserteurs, anciens contrebandiers, etc., de ces départements, ces généraux sont autorisés à confier le commandement de ces corps même à des hommes qui se seraient distingués dans les chouans. Il n’est pas besoin de dire que, dès l’instant que ces corps seront formés, on les dirigera sur l’armée du Rhin.

 

Paris, 6 février 1800.

Au citoyen Gaudin, ministre des finances.

Le Premier Consul, Citoyen Ministre, ayant reçu une lettre écrite au nom du commerce de Paris, vous invite à lui présenter, ce soir, à dix heures, douze négociants appartenant aux douze premières maisons de Paris, et pouvant être considérés comme représentant réellement le commerce de la capitale.

Par ordre du Premier Consul.

 

Paris, 6 février 1800.

Au général Brune, commandant en chef l’armée de l’Ouest

Le commerce de Nantes, Citoyen Général, doit imiter celui de Paris, de Lyon et de Marseille. Il peut vous avancer 4 ou 500,000 francs, qui vous mettront à même de solder les troupes que vous commandez, et de pourvoir aux besoins les plus pressants. J’écris au ministre des finances pour qu’il autorise quelqu’un, à Nantes, à le représenter e à faire les arrangements nécessaires pour le remboursement de cette somme. Au reste, ceux que vous prendrez, pourvu qu’ils ne soient en aucune manière onéreux, seront exactement remplis.

 

 Paris, 7 février 1800

MESSAGE AU SÉNAT CONSERVATEUR.

Sénateurs, en conformité de l’article 16 de la Constitution, le Premier Consul vous présente, pour remplir la place vacante au sénat conservateur, le citoyen Barthélemy, ancien ambassadeur de la République, lequel, pendant sa carrière diplomatique, a signé la paix avec le roi d’Espagne et avec le roi de Prusse.

 

Paris, 7 février 1800

Au citoyen Lucien Bonaparte, ministre de l’intérieur

Le Premier Consul m’ordonne, Citoyen Ministre, de vous prier en son nom de donner les ordres nécessaires pour faire placer dans la grande galerie des Tuileries les statues de Démosthène, d’Alexandre, d’Hannibal, de Scipion, de Brutus, de Cicéron, de Caton, de César, de Gustave-Adolphe, de Turenne, du grand Condé, de Duguay-Trouin, de Marlborough, du prince Eugène, du maréchal de Saxe, de Washington, du grand Frédéric, de Mirabeau, de Dugommier, de Dampierre, de Marceau et de Joubert.

Vous êtes invité, Citoyen Ministre, à prendre les mesures que vous jugerez convenables pour vous procurer celles de ces statues qui n’existeraient point encore, ou qui ne seraient pas à votre disposition.

Par ordre du Premier Consul.

 

Paris, 7 février 1800.

ORDRE DU JOUR,
POUR LA GARDE DES CONSULS ET POUR TOUTES LES TROUPES DE LA RÉPUBLIQUE.

Washington est mort. Ce grand homme s’est battu contre la tyrannie. Il a consolidé la liberté de sa patrie. Sa mémoire sera toujours chère au peuple français comme à tous les hommes libres des deux mondes, et spécialement aux soldats français qui, comme lui et les soldats américains se battent pour l’égalité et la liberté.

En conséquence, le Premier Consul ordonne que, pendant dix jours, des crêpes noirs seront suspendus à tous les drapeaux et guidons de la République.

 

Paris, 8 février 1800

ARRÊTÉ

Les consuls de la République arrêtent ce qui suit

ARTICLE 1er. – Une bibliothèque de20 000 volumes sera formée à l’hôtel des Invalides pour l’usage des militaires habitant cette maison
ART. – 2. – Les livres qui composeront cette bibliothèque seront tirés des dépôts des livres qui appartiennent à la République
ART. – 3. – Les ministres de la guerre et de l’intérieur se concerteront pour l’exécution du présent arrêté.

 

Paris, 8 février 1800 (2 heures après-midi)

Au général Brune, commandant en chef l’armée de l’Ouest

Je reçois, Citoyen Général, votre lettre du 16 pluviôse, par un courrier extraordinaire.

J’espérais qu’avec les 18 on 20,000 hommes que vous aviez sous vos ordres que alliez enfin avoir une journée décisive, qui, dispersant les brigands, ne laisserait plus que des bandes. Alors la soumission de Georges, le désarmement et la pacification eussent assuré pour longtemps la tranquillité de ce pays.

Georges est véritablement le chef du parti anglais; c est le plus dangereux de tous les ennemis, comme le Morbihan est le point le plus essentiel, rnititairement et politiquement.

Georges a au moins 12 pièces de canon et a reçu au moins 30 000 fusils des Anglais; vous ne recevrez ni canons ni fusils, et cependant la grande quantité de troupes qui existe dans ce moment dans le Morbihan ne peut pas toujours y rester.

Que me parlez-vous de disposer des troupes qui composent l’armée de l’Ouest? Ne suis-je pas sûr que dans un ou deux mois une escadre anglaise viendra débarquer 20 ou30 000 hommes; qu’ils trouveront le pays réarmé et réorganisé, et qu’ils recommenceront alors la guerre? Ainsi, pendant le fort de la guerre sur le Rhin et aux Alpes, on verra les chouans ressortir, tout organisés, tout armés, et, combinés avec des armées de débarquement, former une diversion puissante et mettre en danger l’existence de la République.

Si l’on vous a rendu les canons et les 20,000 fusils, vous avez obtenu quelque chose, mais pas encore ce que j’espérais. Il fallait une journée vigoureuse. L’affaire de Grandchamp n’a pas été assez décisive. Il fallait qu’au moment de pacifier il ne restât aucun fort rassemblement, et que le peuple du Morbihan eût reçu une leçon qui l’empêchât de remuer une autre fois.

Je suis persuadé qu’ils cacheront les canons et nieront qu’ils en ont, que vous recevrez peu de fusils, que le temps s’écoulera, que vous aurez manqué toute la guerre. Que devez-vous donc faire? Immédiatement après la réception du présent ordre, demander à Georges que sous vingt-quatre heures il vous livre ses canons et 20,000 fusils; s’il le fait, il ne restera plus qu’à parcourir le pays, à s’informer de ses principaux lieutenants, à exiger que lui, Georges, vienne à Paris, que que ses principaux lieutenants se rendent dans différentes villes de la République, où on leur fera toucher des pensions pour vivre. Alors je regarderai le Morbihan comme en voie de pacification. Il faudra alors vous porter avec la masse de vos forces à Rennes et dans le département des Côtes-du-Nord, et y faire la même chose pour La Prévalaye et pour le désarmement, et enfin revenir dans la Loire-inférieure, dans Maine-et-Loire, dans la Sarthe, et exiger le même désarmement. C’est alors, et alors seulement, que je regarderai la guerre de la Vendée comme en train de se terminer. Mais jusqu’aujourd’hui je vois que tout est contre nous, puisque nous avons des forces plus considérables que celles que nous pourrons y envoyer, que la stagnation où nous sommes d’événements militaires abat plus qu’elle ne relève leur courage, et puisque le général Hédouville, ayant pacifié, au moins pour le moment, la moitié des départements de l’Ouest, vous donne beau jeu contre l’autre moitié.

Si, par la réponse à la sommation que vous lui ferez, Georges, au contraire, cherche à gagner du temps, déclarez-lui que, n’ayant pas posé les armes, n’ayant pas rendu ses canons, vous le regardez comme l’agent de l’Angleterre et ayant faussé sa parole; faites alors marcher vos colonnes, déployez vos forces, et souvenez-vous que les républiques naissantes ne gagnent rien à traiter avec des rebelles; qu’il faut être généreux envers les peuples, mais après avoir été sévère avec les rebelles qui conservent des intelligences avec les ennemis de la patrie.

Nous sommes dans le courant de février; les jours sont extrêmement précieux. Mon intention est que sous dix jours tous les rassemblements armés du Morbihau soient dissipés et le désarmement effectué de gré ou de force. Je ferai faire la même chose pendant ce temps-là dans la 14e division militaire Ce n’est qu’en suivant cette marche qu’il nous sera possible d’avoir la   moitié de vos troupes disponibles pour la fin de mars.

J’attends avec bien de l’impatience le retour du courrier; car la paix intérieure comme le succès de la campagne prochaine sont attachés à la conduite que vous tiendrez dans cette circonstance. Le Gouvernement ne doit pas être la dupe de quelques misérables émigrés ou de quelques paysans.

Le général Chambarlhac poursuit très-vivement Frotté. Tous les rassemblements ont été dispersés, et Frotté, à la tête de 100 ou 200 hommes, erre dans les forêts et dans les landes. On est à sa poursuite, et à chaque instant on espère le prendre. La 14e division a déjà bien changé de face.

Je vous recommande encore le fort Penthièvre. Faites-y travailler sur-le-champ et mettre en état de défense.

Songez que vous êtes dans cette circonstance délicate où un jour perdu peut décider d’une opération militaire, du succès d’une campagne et de la gloire nationale. Vous avez 18 à 20,000 hommes réunis; c’est le cas de dicter impérieusement la loi aux rebelles, ou ils nous la dicteront un jour

Amitié et grande confiance.

 

Paris, 9 février 1800

Au général Brune, commandant en chef l’armée de l’Ouest

De crainte, Citoyen Général, que le courrier que je vous ai expédié ne soit intercepté, je vous en expédie un second avec duplicata.

Il y a deux mois, le ministre de la guerre ordonna au général Hédouville de faire passer à Brest des bataillons de conscrits faisant 2 à 3,000 hommes. Il paraît que ces bataillons ne sont pas arrivés.   Je vous prie de vous faire rendre compte de ce qu’ils sont devenus. Il serait bien essentiel qu’ils fussent à Brest; ils retardent notre expédition maritime.

Faites également presser le départ des déserteurs autrichiens.

Le marché qu’avait Ouvrard pour les subsistances de la marine été résilié; il n’y a aucune espèce de doute que ses agents ne profitent de cette circonstance pour faire manquer le service à Brest. Actuellement que les Anglais ne sont plus à Quiberon, il nous sera plus facile d’envoyer des vivres à Brest, de Nantes. Envoyez, je vous prie dans cette dernière ville, un de vos aides de camp, avec des instructions nécessaires pour faire partir de suite pour Brest tous les objets de subsistance de la marine, qui seraient chargés ou en magasin. Il se concertera avec le commissaire de la marine à Nantes.

Je vous prie de faire parvenir le courrier à Brest, pour y remettre ses dépêches.

J’attends avec bien de l’impatience la nouvelle du désarmement de Georges, de la remise de ses canons, ou d’une bonne affaire qui nous en délivre pour longtemps; vous rnettrez tous vos soins à purger les départements d’Ille-et-Vilaine, et surtout celui des Côtes-du-Nord, qui, à ce qu’il parait, marche le plus mal.

Je viens de recevoir ce matin, par un courrier extraordinaire, de Berlin, la nouvelle de la non-réussite des Anglais à Pétersbourg. Paul 1er laisse à la disposition des Anglais la division qui est à Jersey. Il retire ses autres troupes. Souwarow continue sa marche pour la Russie.