Correspondance de Napoléon Ier – Décembre 1810

Paris, 1er décembre 1810.

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Doc de Cadore, j’ai reçu le recueil des pièces relatives aux négociations avec l’Angleterre depuis la paix de Tilsit. Envoyez-moi les pièces qui prouvent qu’on avait proposé à l’Angleterre de ne pas faire la guerre de Prusse si elle voulait admettre le traité fait avec lord Lauderdale; je ne croyais pas qu’elles eussent été imprimées. Je pense qu’il faut supprimer l’analyse, qui n’est pas dans l’esprit du mémoire et qui ne dit rien. Il faut mettre les noms des deux empe­reurs au bas de la lettre d’Erfurt. Dans les pièces de la négociation de Hollande, la lettre du Roi est importante à mettre. Il faut aussi mettre la lettre des ministres hollandais à lord Wellesley, et ne mettre qu’à la fin la lettre du sieur Labouchère.

 

Paris, 2 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, vous pouvez remettre la note ci-jointe au prince Kourakine.

NOTE DU DUC DE CADORE AU PRINCE KOURAKINE.

Paris, 2 décembre 1810.

Monsieur l’Ambassadeur, j’ai mis sous les yeux de Sa Majesté l’Empereur et Roi la note que Votre Excellence m’a fait l’honneur de m’adresser le 29 octobre dernier. Sa Majesté a été très sensible aux assurances que cette note renferme.

Depuis la réunion de la Hollande, depuis que les embouchures de l’Ems, du Weser, de l’Elbe et les ports du Mecklenburg sont occupés, depuis que la Prusse, franchement décidée à nuire au commerce anglais, a adopté toutes les mesures nécessaires pour atteindre ce but, l’Angleterre a donné des signes de détresse; les banqueroutes s’y sont multipliées; son change a perdu 25 pour 100; ses effets publics ont baissé; il ne lui a plus été possible de dissimuler les alarmes de ses manufactures et de ses comptoirs.

De si heureux commencements présagent des résultats plus heu­reux encore; mais les brillantes espérances qu’ils donnent s’évanoui­raient si l’ouvrage commencé avec tant de succès ne se complétait pas. Si S. M. l’Empereur de Russie, ne veut fermer ses portes qu’au pavillon anglais, il n’atteindra pas le but qu’il a en vue, celui d’exclure le commerce et les marchandises anglaises. Les pavillons espa­gnols, portugais, américains et suédois, le pavillon français même, servent de masque aux Anglais. Tous les bâtiments sont anglais, lorsqu’ils sont chargés pour le commerce anglais et de marchandises anglaises.

Toutes les marchandises des deux Indes appartiennent aux Anglais. Les Américains seuls ont du coton; mais les Anglais ne leur permet­tent pas de l’emporter. Des deux mille bâtiments qui, cette année, sont entrés dans la Baltique, pas un n’était neutre; tous étaient envoyés par les Anglais; tous avaient été chargés à Londres, et chargés pour le compte des Anglais. Ils étaient, à la vérité, masqués sous les pavillons américain, espagnol ou suédois ; ils avaient des papiers et des expéditions de tous les pays et jusqu’à de faux certifi­cats des consuls français, certificats dont la fabrique est à Londres. Si l’on s’en tenait à l’apparence, on penserait qu’ils étaient venus d’Amérique, mais aucun ne venait que de l’Angleterre.

S’il était vrai que les Anglais laissassent arriver et naviguer dans la Baltique les bâtiments américains chargés de productions des États-Unis, ceux-ci ne se plaindraient pas de l’Angleterre;  la discussion qui existe entre les deux pays n’aurait pas lieu ; les ordres du conseil du mois de novembre ne recevraient point leur exécution ; personne n’aurait plus à se récrier contre l’injustice de l’Angleterre.

C’est donc pour le compte de celle-ci que tant de bâtiments sont entrés dans la Baltique. Les uns ont débarqué leurs cargaisons à Göteborg, d’où, transportées par terre dans les divers ports de Suède, elles se sont écoulées en Russie. Les autres ont cru pénétrer dans les ports de la Prusse et ont été confisqués sur-le-champ. Le désastre des Anglais sera complet si ceux qui se sont réfugiés dans les ports de la Russie sont déclarés confisqués, sans pouvoir en imposer par la simulation du pavillon et par de faux papiers, et si les marchan­dises anglaises  qu’ils auraient  débarquées  sont  aussi confisquées comme venant de l’ennemi.

 

Paris, 2 décembre 1810

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de l’armée d’Espagne, à Paris

Mon Cousin, écrivez au général Reille que je donne l’ordre qu’on lui envoie six chefs de bataillon, dix capitaines, quinze lieutenants et quinze sous-lieutenants. Faites-lui connaître que j’i vu avec peine ce qui est arrivé à un convoi de poudre; que ces événements ne devraient pas avoir lieu, parce que les convois ne devraient marcher que deux fois la semaine, une fois même s’il le fallait, et devraient toujours être composés des hommes qui rejoignent leurs corps, des courriers, et avec un supplément de troupes qui portât toujours la force des escortes à 500 hommes; que je désire que l’on suive rigou­reusement cette règle, afin que je n’entende plus dire qu’un convoi a été intercepté. Écrivez la même chose au général Caffarelli; qu’il règle ses convois à deux par semaine, tant de Tolosa à Navarre que d’Irun à Burgos et de Vitoria à Bilbao, de sorte qu’ils puissent tou­jours être tellement escortés qu’ils n’aient rien à craindre. Les pou­dres, le trésor, les hommes isolés sortant des hôpitaux, tout atten­drait que les convois partissent. De cette manière, on n’entendra plus parler des événements qui arrivent si souvent. Écrivez la même chose au général Buquet et aux généraux Dorsenne et Kellermann.

 

Paris, 3 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, je vous envoie une lettre de la reine d’Étrurie. Cette princesse est mal à Nice; elle serait au contraire très bien à Rome. Faites-moi connaître le traitement dont elle jouit, et prenez des renseignements sur la maison qu’on pourrait lui donner à Rome. On la ferait passer de Nice à Gênes par mer; de Gênes, elle irait gagner Tortone, Plaisance, Ancône et Rome. Il serait bon qu’elle ne passât pas en Toscane. Je lui donnerai à Rome un hôtel; et, comme elle jouit de 4 à 500,000 francs de revenu, la dépense qu’elle en ferait à Rome serait utile à cette ville.

 

Paris, 3 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, je vous prie de me faire un rapport sur la Prusse. Remettez-moi sous les yeux les articles des traités de Tilsit et d’Erfurt. La Prusse n’est-elle pas obligée de déclarer la guerre à l’Angleterre ? Toutefois, il n’y a pas à hésiter; la Suède ayant déclaré la guerre à l’Angleterre, il faut que la Prusse la déclare aussi, et par un manifeste dont les griefs seront fondés sur les outra­ges faits aux neutres, et spécialement sur les arrêts du conseil qui bouleversent toute idée de justice, etc. Faites-moi un petit rapport là-dessus. 11 n’est pas indifférent que le manifeste de la Prusse soit dirigé surtout contre les arrêts du conseil, parce que cela fera sensa­tion en Angleterre.

 

Paris, 3 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, aussitôt que le ministre de Suède vous aura annoncé officiellement que la Suède a déclaré la guerre à l’An­gleterre, il n’y aura pas d’inconvénient à jeter en avant quelques mots tendant à établir, si la Suède le désire, un traité d’alliance entre les deux nations. Vous sonderez ce ministre pour savoir si la Suède ne pourrait pas me fournir, comme le Danemark, quatre équi­pages de vaisseaux de ligne, depuis le capitaine jusqu’au dernier matelot; ce qui ferait à peu près 2,000 marins. Je les placerais sur mon escadre de Brest. Les frais du voyage seraient à ma charge. Si la Suède mettait de l’intérêt à avoir à mon service un régiment, comme elle l’avait jadis, j’y consentirais volontiers. Faites des recher­ches sur la capitulation de ce régiment, comment se nommaient les officiers et tous les autres détails.

 

Paris, 4 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, écrivez au ministre de la guerre qu’on laisse la garnison de Danzig continuer à vivre comme elle veut. Demandez à ce ministre pourquoi on a donné contre-ordre et fait retourner les convois sur Ulm. Je ne conçois rien à cela. Vous ferez connaître à mes ministres à Munich, à Stuttgart, à Karlsruhe et à Darmstadt que j’ai donné ordre au ministre de la guerre de retirer toutes les troupes que je pourrais avoir dans les États de ces princes, et que mon intention est qu’il ne reste aucun Français dans les Étals de la Confédération; qu’ils doivent, au 15 janvier, m’instruire si mes ordres sont exécutés.

 

Paris, 4 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Il me paraîtrait convenable que le corps de l’artillerie fît un service pour le général d’artillerie Sénarmont, et qu’à cette cérémonie quel­qu’un fut chargé de faire son oraison funèbre, afin qu’on pût en mettre une notice dans le Moniteur.

 

Paris, 4 décembre 1810

Au maréchal Davout, prince d’Eckmühl, commandant l’armée d’Allemagne, à Paris

Mon Cousin, mon intention est qu’il ne reste aucunes troupes françaises ni en Bavière, ni dans le Wurtemberg, ni dans les Etats de Bade, ni dans ceux de Hesse-Darmstadt. Donnez des ordres en con­séquence. On se plaint que l’artillerie qui était sortie d’Ulm y est rentrée.

 

Paris, 5 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, écrivez au duc de Vicence que les Russes font beaucoup de travaux sur la Dwina et même sur le Dniester, qu’il est nécessaire qu’il se tienne éveillé là-dessus et qu’il vous en rende compte; qu’on ne peut pas se dissimuler que ces ou­vrages, étant des ouvrages de campagne, montrent de mauvaises dis­positions dans les Russes. Après avoir fait la paix, avec la Porte, voudraient-ils la faire avec l’Angleterre et violer ainsi le traité de Tilsit ? Faites entrevoir au duc de Vicence que ce serait incontinent la cause de la guerre.

 

Paris, 5 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, remettez-moi, au 15 décembre, un livret de la situation des troupes de la Confédération du Rhin, en y comprenant le duché de Varsovie, un autre de l’armée russe et un autre de l’armée autrichienne. Vous aurez soin que les livrets que vous me remettrez au 1er janvier soient plus complets que ceux du 15 décembre, et ainsi de suite.

 

Paris, 5 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Le roi de Saxe a envoyé deux officiers d’artillerie à Mayence pour prendre les fusils. Donnez ordre au directeur de l’arsenal de les leur remettre.

 

Paris, 5 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Ecrivez au roi de Naples pour que, tous les mois, il envoie la situation de sa garde et de son armée napolitaine ; qu’il est le seul des princes alliés dont je n’ai pas l’état de situation de l’armée.

 

Paris, 6 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, écrivez en chiffre à mes consuls en Egypte de vous transmettre les renseignements et plans les plus détaillés sur les fortifications du Caire, d’Alexandrie, de Damiette, d’El-A’rych. Écrivez à mes consuls en Syrie de vous envoyer des détails sur les fortifications de Gaza, de Jaffa et d’Acre. Recomman­dez-leur que ces mémoires soient envoyés par des occasions sûres et écrits en chiffre.

 

Paris, 6 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, écrivez à tous mes consuls dans la Bal­tique qu’ils doivent laisser passer le blé en Suède et laisser venir les marchandises de Suède dans nos ports. Vous pouvez écrire à Danzig que, la Suède ayant déclaré la guerre à l’Angleterre, il est permis d’exporter de ce port des blés en Suède, en réduisant le droit de sortie au dixième de ce qu’ils payeraient s’ils allaient en Angleterre; qu’il faut que les négociants s’engagent à justifier, dans l’espace de deux mois, que le blé est allé en Suède, à peine d’une amende égale à la valeur du chargement.

Vous ferez connaître cette décision au ministre de Suède à Paris et au sieur Alquier, afin que des mesures soient prises en Suède pour être sûr que le blé va en Suède et non en Angleterre.

 

Paris, 6 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Je vous renvoie le projet de la pièce pour jeter des bombes et des obus de 8 pouces. Il parait que le boulet pèserait 83 livres. Comme mon principal but est de me servir de ces pièces sur les côtes et dans les places maritimes contre des vaisseaux, je désirerais que la cham­bre pût contenir au moins 20 livres de poudre; que la pièce fût le plus longue possible, mais que cependant elle ne pesât pas plus de 7 à 8 milliers.

Si cette pièce réussissait, il serait important d’en avoir quelques-unes aux bouches de l’Escaut et aux passes de Brest et de Toulon. On pourrait aussi s’en servir à l’embouchure de l’Escaut et dans quelques ports, sur de grosses prames. Cette pièce serait, je crois, la plus grosse pièce connue.

 

Paris, 6 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Je vous renvoie la lettre du maire d’Agde. Voilà dix bâtiments qui, à ce qu’il parait, sont partis. Pourquoi n’en fait-on pas partir d’autres ? Faites mettre une grande activité dans ces convois. Écrivez au maire pour lui témoigner ma satisfaction et lui recommander de vous écrire souvent et de favoriser toutes les expéditions sur Barcelone.

 

Paris, 7 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Vous me dites que le régiment de la Méditerranée est en mauvais état, mais vous ne m’en indiquez pas le motif. Est-ce qu’à ce régi­ment il n’y a pas de major, pas de colonel ? Est-ce qu’il n’y a pas d’inspecteur aux revues en Corse ? Donnez ordre au général Morand d’en passer la revue et à l’inspecteur aux revues d’en vérifier la comp­tabilité. Entendez-vous avec le ministre de l’administration de la guerre pour que ce régiment soit tenu comme les autres régiments de ligne.

 

Paris, 7 décembre 1810

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, je vous envoie un rapport du comte Daru avec un projet de décret et une lettre de Costabili. Je désire que vous me proposiez un projet de décret sur cette affaire. Voici ce que je veux : 1° Toutes les acquisitions faites avec les fonds de la liste civile d’Italie et tout l’argent qui se trouve en caisse après le service payé doivent appartenir à mon domaine privé. 2° Je désire connaître ce que j’ai acheté avec les fonds de la Couronne, ce que j’ai prêté et ce qui restait disponible dans la caisse de la liste civile au 1er janvier 1810. Ce reliquat doit être versé dans la caisse de mon domaine privé. Il faut aussi me faire connaître ce qui restera disponible par aperçu au 1er janvier 1811. 3° Il sera nécessaire de régler la valeur du mobilier qui doit rester dans mes palais d’Italie, afin que le surplus de ce qui aura été réglé puisse, à la mort du roi, rentrer au domaine privé. Eu France, le mobilier de la Couronne a été porté à 30 millions, y compris l’argenterie. Pour le royaume d’Italie, s’il y a des objets précieux qui appartiennent à l’État, comme tableaux, statues, il faudrait en faire un inventaire particulier.

Pour tirer Aldini d’affaire, je désire acheter tout son bien, pour faire entrer dans mon domaine privé. Je crois que le comte Daru lui a donné une lettre de change de 500,000 francs sur le trésor de la Couronne à Milan. Si le comte Aldini est pressé de toucher cette somme pour arranger ses affaires, vous pouvez la lui faire payer.

 

Paris, 9 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, je vous renvoie votre rapport, tel qu’il me parait devoir être imprimé. Mettez des renvois qui répondent aux pièces qui doivent l’accompagner, et faites-le imprimer avec ces pièces.

Il est essentiel surtout de bien mettre le détail des négociations avec lord Lauderdale, de bien mettre ce qui est relatif aux traités de Tilsit, Erfurt; on peut même laisser ce qui est relatif à la négociation de d’Autriche ; enfin mettre celle de la Hollande.

RAPPORT A S. M. L’EMPEREUR ET ROI.

Sire, Votre Majesté a élevé la France au plus haut point de grandeur.

Les victoires obtenues sur cinq coalitions successives, fomentées toutes par l’Angleterre, ont amené ces résultats; et l’on peut dire que la gloire, la puissance du grand Empire, nous les devons à l’Angleterre.

Dans toutes les occasions, Votre Majesté a offert la paix ; et, sans chercher si elle serait plus avantageuse que la guerre, vous n’envi­sagiez, Sire, que le bonheur de la génération présente, et vous vous montriez toujours prêt à lui sacrifier les chances les plus heureuses de l’avenir.

C’est ainsi que les paix de Campo-Formio, de Lunéville et d’Amiens, et postérieurement celles de Presburg, de Tilsit et de Vienne, ont été conclues; c’est ainsi que, cinq fois, Votre Majesté a fait, à la paix, sacrifice de la plus grande partie de ses conquêtes. Plus jalouse d’illustrer son règne par la félicité publique que d’étendre la domina­tion de son Empire, Votre Majesté mettait des limites à sa propre grandeur, tandis que l’Angleterre, rallumant sans cesse le flambeau de la guerre, semblait conspirer contre ses alliés et contre elle-même pour reformer cet Empire, le plus grand qui ait existé depuis vingt siècles.

A la paix de 1783, la puissance de la France était forte du Pacte de famille, qui liait étroitement à sa politique l’Espagne et Naples.

A l’époque de la paix d’Amiens, les forces respectives des trois puissances s’étaient accrues de 12 millions d’habitants de la Pologne. Les Maisons de France et d’Espagne étaient essentiellement ennemies, et les peuples de ces Etats se trouvaient plus que jamais éloignés par leurs mœurs. Une des grandes puissances continentales avait moins perdu de force par la réunion de la Belgique à la France qu’elle n’en avait acquis par la possession de Venise, et les sécularisations du Corps germanique avaient encore ajouté à la puissance de nos rivaux.

Ainsi la France, après le traité d’Amiens, avait une force relative moindre qu’à la paix de 1783, et bien inférieure à celle à laquelle les victoires obtenues pendant les guerres des deux premières coalitions lui donnaient le droit de prétendre.

Cependant, à peine ce traité fut-il conclu que la jalousie de l’Angleterre se montra vivement excitée. Elle s’alarma de la richesse et de la prospérité intérieure, toujours croissantes, de la France, et elle espéra qu’une troisième coalition arracherait à votre couronne la Belgique, les provinces du Rhin et l’Italie. La paix d’Amiens fut violée. Une troisième coalition se forma : trois mois après elle fut dissoute par le traité de Presburg.

L’Angleterre vit toutes ses espérances trompées : Venise, la Dalmatie, l’Istrie, toutes les côtes de l’Adriatique et celles du royaume de Naples passèrent sous la domination française. Le Corps germa­nique, établi sur des principes contraires à ceux qui ont fondé l’Empire français, s’écroula, et le système de la Confédération du Rhin fit des alliés intimes et nécessaires des mêmes peuples qui, dans les deux premières coalitions, avaient marché contre la France, et les unit indissolublement à elle par des intérêts communs.

La paix d’Amiens devint alors en Angleterre l’objet des regrets de tous les hommes d’État. Les nouvelles acquisitions de la France, que désormais on n’espérait pas de lui ravir, rendaient plus sensible la faute qu’on avait commise, et en démontraient toute l’étendue.

Un homme éclairé, qui, pendant le court intervalle de la paix d’Amiens, était venu à Paris et avait appris à connaître la France et Votre Majesté, parvint à la tête des affaires en Angleterre. Cet homme de génie comprit la situation des deux pays. Il vit qu’il n’était plus au pouvoir d’aucune puissance de faire rétrograder la France, et que la vraie politique consistait à l’arrêter. Il sentit que, par les succès obtenus contre la troisième coalition, la question avait été déplacée, et qu’il ne fallait plus penser à disputer à la France des possessions qu’elle venait d’acquérir par la victoire, mais qu’on devait, par une prompte paix, prévenir de nouveaux agrandissements que la continuation de la guerre rendrait inévitables. Ce ministre ne se dissimu­lait aucun des avantages que la France avait recueillis de la fausse politique de l’Angleterre, mais il avait sous les yeux ceux qu’elle pouvait en recueillir encore. Il croyait que l’Angleterre gagnerait beaucoup si aucune des puissances du continent ne perdait plus. Il mettait sa politique à désarmer la France, à faire reconnaître la Confédération du nord de l’Allemagne, en opposition à la Confédération du Rhin ; il sentait que la Prusse ne pouvait être sauvée que par la paix, et que du sort de cette puissance dépendaient le système de la Saxe, de la Hesse, du Hanovre, et le sort des embouchures de l’Ems, de la Jahde, du Weser, de l’Elbe, de l’Oder et de la Vistule, débou­chés nécessaires au commerce anglais. En homme supérieur, Fox ne se livra point à des regrets inutiles sur la rupture du traité d’Amiens et sur des pertes désormais irréparables; il voulut en prévenir de plus grandes, et il envoya lord Lauderdale à Paris.

Les négociations s’entamèrent, et tout en faisait présager l’heureuse issue lorsque Fox mourut.

Elles ne firent plus que languir; les ministres n’étaient pas assez éclairés ni assez de sang-froid pour sentir la nécessité de la paix. Cependant la Prusse, poussée par cet esprit que l’Angleterre soufflait toute l’Europe, mit ses troupes en marche. La Garde impériale eut ordre de partir. Lord Lauderdale prévit les conséquences des nouveaux événements qui se préparaient. Il fut question de signer le traité, d’y comprendre la Prusse et de reconnaître la Confédération du nord de l’Allemagne ; Votre Majesté, par cet esprit de modération dont elle a donné de si fréquents exemples à l’Europe, y consentit. Le départ de la Garde impériale fut différé de quelques jours; mais lord Lauderdale hésita ; il crut devoir envoyer un courrier à sa cour, et ce courrier lui rapporta l’ordre de son rappel. Peu de jours après, la Prusse n’existait plus comme puissance prépondérante.

La postérité marquera cette époque comme une des plus décisives de l’histoire de l’Angleterre et de celle de la France.

Le traité de Tilsit termina la quatrième coalition.

Deux grands souverains, naguère ennemis, se réunirent pour offrir la paix à l’Angleterre; mais cette puissance, qui malgré tous ses pressentiments, n’avait pu se déterminer à souscrire à des conditions qui laissaient la France dans une position plus avantageuse que celle où elle s’était trouvée après le traité d’Amiens, ne voulut point ouvrir des négociations dont le résultat inévitable assurait à la France une position bien plus avantageuse encore. Nous avons refusé, disait-on en Angleterre, un traité qui maintenait dans l’indépendance de la France le nord de l’Allemagne, la Prusse, la Saxe, la H esse, le Ha­novre, et qui garantissait tous les débouchés de notre commerce; comment pourrions-nous consentir aujourd’hui à signer avec l’empe­reur des Français, lorsqu’il vient d’étendre la Confédération du Rhin jusqu’au nord de l’Allemagne et de fonder sur les bords de l’Elbe un trône français, une paix qui, par la force des choses et quelles que fussent les stipulations admises, laisserait sous son influence le Hanovre et tous les débouchés du Nord, ces principales artères de notre commerce ?

Les hommes qui envisageaient de sang-froid la situation de l’An­gleterre répondaient : Deux coalitions, dont chacune devait durer dix ans, ont été vaincues en peu de mois; les nouveaux avantages acquis par la France sont la suite de ces événements, et l’Angleterre ne peut plus s’y opposer Sans doute il n’aurait pas fallu violer le traité d’Amiens. Il eût fallu, depuis, adhérer à la politique de Fox. Profitons du moins aujourd’hui des leçons de l’expérience et évitons une troisième faute; au lieu de jeter les regards en arrière, portons-les vers l’avenir. La péninsule est encore entière et dirigée par des gouvernements secrètement ennemis de la France. Jusqu’à ce jour la faiblesse des ministres espagnols et les sentiments personnels du vieux monarque ont retenu l’Espagne dans le système de la France.

Un nouveau règne développera les germes de la haine entre les deux nations. Le Pacte de famille a été anéanti, et c’est un des avantages que la révolution a procurés à l’Angleterre. La Hollande, quoique gouvernée par un prince français, jouit de son indépendance. Son in­térêt est de demeurer l’intermédiaire de notre commerce avec le con­tinent, et de le favoriser pour participer à nos profits. N’avons-nous pas à craindre, si la guerre continue, que la France n’établisse son influence sur la péninsule et ses douanes en Hollande ?

Tel était le langage des hommes qui savaient pénétrer dans les secrets de l’avenir. Ils virent avec douleur refuser la paix proposée par la Russie. Ils ne doutèrent pas que le continent tout entier ne fût bientôt enlevé à l’Angleterre, et qu’un ordre de choses qu’il était si important de prévenir ne s’établit en Espagne et en Hollande.

Sur ces entrefaites, l’Angleterre exigea de la Maison de Bragance qu’elle quittât la péninsule et se réfugiât au Brésil. Les partisans du Ministère anglais semèrent la division parmi les princes de la Maison d’Espagne. La dynastie qui régnait fut éloignée pour toujours, et, en conséquence des dispositions faites à Bayonne, un nouveau souverain, ayant avec la France une puissance et une origine communes, fut appelé au gouvernement de l’Espagne.

L’entrevue d’Erfurt donna lieu à de nouvelles propositions de paix ; mais elles furent aussi repoussées. Le même esprit qui avait fait rompre les négociations de lord Lauderdale dirigeait les affaires en Angleterre.

La cinquième coalition éclata. Ces nouveaux événements tournè­rent encore à l’avantage de la France. Les seuls ports par lesquels l’Angleterre conservait une communication avouée avec le continent pissèrent, avec les provinces illyriennes, au pouvoir de Votre Majesté par le traité de Vienne, et les alliés de l’Empire virent s’accroître bar puissance.

Les arrêts rendus par le conseil britannique avaient bouleversé les lois du commerce du monde. L’Angleterre, dont l’existence tout entière est attachée au commerce, jetait ainsi le désordre parmi le commerce des nations; elle en avait déchiré tous les privilèges. Les décrets de Berlin et de Milan repoussèrent ces nouveautés mons­trueuses. La Hollande se trouva dans une position difficile ; son gou­vernement n’avait pas une action assez énergique, ses douanes offraient trop peu de sécurité pour que ce centre du commerce du continent demeurât plus longtemps isolé de la Franco. Votre Majesté, pour l’intérêt de ses peuples et pour assurer l’exécution du système qu’elle opposait aux actes tyranniques de l’Angleterre, se vit forcée de changer le sort de la Hollande. Cependant Votre Majesté, constante dans son système et dans son désir de la paix, fit entendre à l’Angleterre qu’elle ne pouvait sauver l’indépendance de la Hollande qu’en rap­portant ses arrêts du conseil ou en adoptant des vues pacifiques. Les ministres d’une nation commerçante traitèrent avec légèreté une ou­verture d’un si grand intérêt pour son commerce : ils répondirent que l’Angleterre ne pouvait rien au sort de la Hollande. Dans les illusions de leur orgueil, ils méconnurent les motifs de cette démarche ; ils feignirent d’y voir l’aveu de l’efficacité de leurs arrêts du conseil, et la Hollande fut réunie. Puisqu’ils l’ont voulu, Sire, je crois utile aujourd’hui et je propose à Votre Majesté de consolider cette réunion par les formes constitutionnelles d’un sénatus-consulte.

La réunion des villes hanséatiques, du Lauenburg et de toutes les côtes depuis l’Elbe jusqu’à l’Ems, est commandée par les circonstances. Ce territoire est déjà sous la domination de Votre Majesté.

Les immenses magasins de Helgoland menaceraient toujours de s’écouler sur le continent, si un seul point restait ouvert au commerce anglais sur les côtes de la mer du Nord, et si les embouchures de la Jahde, du Weser et de l’Elbe ne lui étaient pas fermées pour jamais.

Les arrêts du conseil britannique ont entièrement détruit les privilèges de la navigation des neutres, et Votre Majesté ne peut plus approvisionner ses arsenaux et avoir une route sûre pour son com­merce avec le Nord qu’au moyen de la navigation intérieure. La répa­ration et l’agrandissement du canal déjà existant entre Hambourg et Lubeck, et la construction d’un nouveau canal qui joindra l’Elbe au Weser et le Weser à l’Ems, et qui n’exigera que quatre à cinq ans de travaux et une dépense de 15 à 20 millions, dans un pays où la nature n’offre pas d’obstacles, ouvriront aux négociants français une voie économique, facile et à l’abri de tout danger. Votre Empire pourra commercer en tout temps avec la Baltique, envoyer dans le Nord les produits de son sol et de ses manufactures, et en tirer les productions nécessaires à la marine de Votre Majesté.

Les pavillons de Hambourg, de Brème et de Lubeck, qui errent aujourd’hui sur les mers, dénationalisés par les arrêts du conseil bri­tannique, partageront le sort du pavillon français et concourront avec lui, pour l’intérêt de la cause commune, au rétablissement de la liberté des mers.

La paix arrivera enfin, car tôt ou tard les grands intérêts des peu­ples, de la justice et de l’humanité l’emportent sur les passions et sur la haine; mais l’expérience de soixante années nous a appris que la paix avec l’Angleterre ne peut jamais donner au commerce qu’une sécurité trompeuse. En 1756, en février 1793, en 1801, à l’égard de l’Espagne, comme en mai 1803, à l’époque de la violation du traité d’Amiens, l’Angleterre commença les hostilités avant d’avoir déclaré la guerre. Des bâtiments qui naviguaient sur la foi de la paix furent surpris ; le commerce fut dépouillé ; des citoyens paisibles per­dirent leur liberté, et les ports de l’Angleterre se remplirent de ces honteux trophées. Si de tels exemples devaient se renouveler un jour, les voyageurs, les négociants anglais, leurs propriétés et leurs per­sonnes, saisis dans nos ports, depuis la mer Baltique jusqu’au golfe Adriatique, répondraient de ces attentats; et si le gouvernement an­glais, pour faire oublier au peuple de Londres l’injustice de la guerre, lui donnait encore le spectacle de ces prises, faites au mépris du droit des nations, il aurait aussi à lui montrer les pertes qui en seraient la conséquence.

Sire, aussi longtemps que l’Angleterre persistera dans ses arrêts du conseil, Votre Majesté persistera dans ses décrets, elle opposera au blocus des côtes le blocus continental, et au pillage sur les mers les confiscations des marchandises anglaises sur le continent.

Il est de mon devoir de le dire à Votre Majesté, elle ne peut espé­rer désormais de ramener ses ennemis à des idées plus modérées que par sa persévérance dans ce système. Il en doit résulter un tel état de malaise pour l’Angleterre, qu’elle sera forcée de reconnaître enfin qu’on ne peut violer les droits des neutres sur les mers et en récla­mer la protection sur le continent, que l’unique source de ses maux est dans ses arrêts du conseil, et que cet agrandissement de la France, qui longtemps excitera son dépit et sa jalousie, elle le doit aux pas­sions aveugles de ceux qui, violant le traité d’Amiens, rompant la négociation de Paris, rejetant les propositions de Tilsit et d’Erfurt, dédaignant les ouvertures faites avant la réunion de la Hollande, ont porté les derniers coups à son commerce et à sa puissance, et conduit votre Empire à l’accomplissement de ses hautes destinées.

Champagny, duc de Cadore. Paris, 8 décembre 1810.

 

Paris, 9 décembre 1810

NOTE POUR LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

Sa Majesté a ordonné de renvoyer au ministre de l’intérieur le rapport sur les prix décennaux. Elle désire que le ministre lui fasse connaître pour quelles raisons l’Institut n’a pas fait mention :

1° A l’occasion du onzième ou du douzième grand prix, du Génie du christianisme, par M. de Chateaubriand, ouvrage dont on a beau­coup parlé et qui est à la septième ou huitième édition;

2° A l’occasion du quinzième grand prix, des ouvrages du sculp­teur Canova, qui, étant devenu Français, paraissait pouvoir être admis au concours ;

3° A l’occasion du dix-septième grand prix, du canal de Saint-Quentin, de la route du mont Cenis ou de celle du Simplon, qui paraissent pouvoir être considérés comme ouvrages d’architecture.

 

Paris, 9 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

L’armée d’Illyrie ne sera plus composée à l’avenir que de six batail­lons, savoir : de deux bataillons du 8e léger, du 18e et du 23e de ligne; de deux escadrons du 19e de chasseurs; de quatre compagnies du 2e régiment d’artillerie français complétées par tout ce qu’il y a de disponible dans la 5e, dont le cadre seul rentrera ; d’une escouade d’ouvriers ; de vingt chevaux du train pouvant atteler 3 pièces et leurs caissons ; de deux compagnies d’artillerie italiennes complétées par ce qu’il y a de disponible dans la 3e; d’une seule compagnie de sapeurs français ; tout cela faisant moins de 6,000 hommes.

En conséquence, vous donnerez ordre aux 11e, 79e et 60e de se rendre dans le Frioul italien, où, jusqu’à nouvel ordre, ils feront partie de l’armée d’Italie.

Vous donnerez ordre aux deux escadrons du 25e de chasseurs de rejoindre leurs deux autres escadrons ; à une autre compagnie du 2e d’artillerie à pied, à la compagnie du 2e d’artillerie à cheval et au 11e bataillon du train d’artillerie, de rejoindre leurs corps; à une des trois compagnies d’artillerie italiennes de rejoindre son régiment en Italie; à la 3e compagnie de sapeurs français de se rendre à Palmanova ; à la compagnie du train du génie de se rendre à Alexandrie, et aux sapeurs italiens de se rendre à Palmanova.

Cet ordre n’admet aucune modification, ayant besoin de mes troupes ailleurs, et d’ailleurs mon intention n’étant pas de tenir en Illyrie plus de troupes que ces provinces n’en peuvent nourrir. Le gouverneur général pourra tenir plusieurs bataillons croates en Dalmatie pour les garnisons de ce pays et renforcer la garde des côtes.

Vous réduirez en conséquence l’état-major général, ainsi que les états-majors du génie et de l’artillerie. Il n’y aura pour chef d’état-major qu’un adjudant commandant; il n’y aura qu’un colonel com­mandant l’artillerie, un autre colonel commandant le génie, et vous ferez rentrer tout ce qui serait jugé inutile.

Deux généraux de brigade me paraissent suffisants, l’un en Dalmatie et l’autre à Laybach ou Trieste. En conséquence, vous ferez rentrer les autres généraux de division et de brigade.

Vous me rendrez compte quand les 11e, 79e et 60e seront arrivés dans le Frioul.

Donnez ordre aux deux bataillons du 59e de ligne et du 81e, qui sont dans le Frioul, de se rendre à Toulon. Faites-les passer par Gênes, afin de leur éviter le passage des Alpes.

Donnez ordre que la brigade Pastol, qui est à Rome, soit dissoute, et que les 53e et 106e qui la composent rentrent à leurs régiments en Italie ainsi que la cavalerie.

Donnez ordre aux quatre bataillons du 10e de ligne et au 20e de ligne de se rendre de Naples à Rome.

Donnez ordre également de renvoyer les deux escadrons du 9e de chasseurs à Rome.

 

Palais des Tuileries, 10 décembre 1810

MESSAGE AU SÉNAT.

Sénateurs, j’ordonne à mon ministre des relations extérieures de vous faire connaître les différentes circonstances qui nécessitent la réunion de la Hollande à l’Empire.

Les arrêts publiés par le conseil britannique en 1806 et 1807 ont déchiré le droit public de l’Europe. Un nouvel ordre de choses régit l’univers. De nouvelles garanties m’étant devenues nécessaires, la réunion des embouchures de l’Escaut, de la Meuse, du Rhin, de l’Ems, du Weser et de l’Elbe à l’Empire, l’établissement d’une navi­gation intérieure avec la Baltique, m’ont paru être les premières et les plus importantes.

J’ai fait dresser le plan d’un canal qui sera exécuté avant cinq ans et qui joindra la Baltique avec la Seine.

Des indemnités seront données aux princes qui pourront se trouver froissés par cette grande mesure, que commande la nécessité et qui appuie sur la Baltique la droite des frontières de mon Empire.

Avant de prendre ces déterminations, j’ai fait pressentir l’Angle­terre ; elle a su que le seul moyen de maintenir l’indépendance de la Hollande était de rapporter ses arrêts du conseil de 1806 à 1807, ou de revenir enfin à des sentiments pacifiques. Mais celte puissance a été sourde à la voix de ses intérêts comme au cri de l’Europe.

J’espérais pouvoir établir un cartel d’échange des prisonniers entre la France et 1*Angleterre, et par suite profiter du séjour des deux commissaires à Paris et à Londres pour arriver à un rapprochement entre les deux nations. Mes espérances ont été déçues. Je n’ai reconnu dans la manière de négocier du gouvernement anglais qu’astuce et mauvaise foi.

La réunion du Valais est une conséquence prévue des immenses travaux que je fais faire depuis dix ans dans cette partie des Alpes. Lors de mon acte de médiation, je séparai le Valais de la Confédé­ration helvétique, prévoyant dès lors une mesure si utile à la France et à Italie.

Tant que la guerre durera avec l’Angleterre, le peuple français ne doit pas poser les armes.

Mes finances sont dans l’état le plus prospère. Je puis fournir à toutes les dépenses que nécessite cet immense Empire, sans demander à mes peuples de nouveaux sacrifices.

Napoléon.

 

Paris, 12 décembre 1810

Au prince Cambacérès, archichancelier de l’empire, à Paris

J’accorde volontiers au baron Bernadotte, frère du prince royal de Suède, les 11,764 francs de rente sur le grand-livre que j’ai accordés à ce prince. Ces 11,764 francs de rente formeront la dota­tion de sa baronnie. Faites rédiger des lettres patentes en conséquence.

Je vous prie également de communiquer la lettre du prince au con­seil du sceau, afin de rendre une décision pour reprendre la princi­pauté de Ponte-Corvo et tous les autres biens. Comme je veux traiter le prince favorablement, il me semble que le plus simple sera de lui faire une pension.

Tous les biens de Westphalie et du Hanovre doivent être censés attachés à la principauté de Ponte-Corvo ; il faut en extraire les 11,764 francs de rente sur le grand-livre.

 

Paris, 12 décembre 1810

Au général Savary, duc de Rovigo, ministre de la police générale, à Paris

Je désirerais avoir la note de tous les Belges qui ont fait leur décla­ration qu’ils ont profité du traité de Campo-Formio et qu’ils veulent rester Autrichiens. Où est cette déclaration ?

 

Paris, 12 décembre 1810

Au général Savary, duc de Rovigo, ministre de la police générale, à Paris

Il parait que le commissaire de police de Gènes répand l’alarme partout sur de prétendus complots et révoltes qui se trameraient en Italie. Ce commissaire, n’ayant envoyé aucune pièce, prouve qu’il n’a voulu autre chose que se rendre intéressant. Cela est fâcheux, parce que ses rapports ont porté le prince Borghèse à faire des mou­vements de troupes; ce qui fait presque autant de mal que si la chose était réelle. Demandez-lui les preuves de ce qu’il a avancé et sur quoi sont fondées des suppositions qui tendent à calomnier une partie de l’Empire.

 

Paris, 12 décembre 1810

Au prince Camille Borghèse, gouverneur général des départements au-delà des Alpes, à Turin.

Mon Cousin, le commissaire de police de Gênes a tort de répandre légèrement des bruits qui calomnient une partie de l’Empire, et je vois avec peine les mouvements que vous avez faits sur de simples indices. Il est nécessaire, avant de prendre des mesures de cette espèce, de savoir sur quel fondement reposent les assertions de ce commissaire et ce qui l’a porté à donner ainsi l’alarme.

 

Paris, 13 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, je vous prie de me mettre sous les yeux la lettre  que le prince de Bénévent a écrite à mes ministres pour leur faire connaître une audience très vive que je donnai à lord Withworth, chez l’Impératrice, en ventôse an XI.

 

Paris, 13 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, faites mettre dans le Moniteur les pièces officielles apportées par le dernier courrier venu d’Amérique, relatives à nos dernières relations avec ce gouvernement, telles que la proclamation du président des Etats-Unis, la circulaire du dépar­tement du trésor et les différentes lettres qu’a envoyées le ministre Turreau sur M. Pinckney.

Mettez-moi sous les yeux le projet d’une dépêche au sieur Sérurier, s’il est encore à Bayonne. Vous la lui enverrez, par duplicata, par la frégate américaine, afin que, en cas qu’il n’arrivât pas, cette lettre servît pour Turreau. Vous témoignerez dans cette lettre la satis­faction que j’ai éprouvée à la lecture des dernières lettres d’Amérique. Vous donnerez l’assurance que, si le gouvernement américain est décidé à maintenir l’indépendance de son pavillon, il trouvera toute sorte de secours et de privilèges dans ce pays. Votre lettre sera, comme de raison, en chiffre. Vous y ferez connaître que je ne m’op­pose en rien à ce que les Florides deviennent possession américaine; que je désire, en général, tout ce qui peut favoriser l’indépendance de l’Amérique espagnole. Vous ferez la même communication au chargé d’affaires d’Amérique, qui écrira en chiffre à son gouverne­ment que je suis favorable à la cause de l’indépendance des Amériques; que nous n’avons eu qu’à nous louer de l’indépendance des États-Unis, et que, ne fondant pas notre commerce sur des prétentions exclusives, je verrai avec plaisir l’indépendance d’une grande nation, pourvu qu’elle ne soit pas sous l’influence de l’Angleterre.

Ayez une conférence avec ce chargé d’affaires pour bien connaître ce que veut le gouvernement américain. Vous lui direz que j’ai sou­mis à des formalités les bâtiments venant d’Amérique; que ces for­malités consistent en une lettre en chiffre jointe aux licences qui constate que le bâtiment vient d’Amérique et y a été chargé; mais que je ne peux pas admettre des bâtiments américains venant de Lon­dres, puisque cela bouleverserait mon système; qu’il n’y a aucun moyen de le connaître, et qu’il y a des armateurs qui, par esprit mercantile, font échouer les mesures du gouvernement américain; qu’enfin j’ai fait un pas ; que j’attendrai au 2 février pour voir ce que fera l’Amérique, et que d’ici à ce temps je me comporterai selon les circonstances, mais de manière à ne faire aucun tort aux bâtiments qui viendraient réellement d’Amérique; que la question est difficile; mais qu’il doit donner l’assurance positive à son gouvernement de mon désir de le favoriser en tout; qu’il sait d’ailleurs que plusieurs bâtiments venus d’Amérique depuis que les dernières mesures sont connues, ont obtenu la permission de décharger en France; qu’enfin nous ne pouvons considérer comme américains les bâtiments qui sont dans les convois qui couvrent la Baltique, qui ont de doubles expéditions, etc. Il serait avantageux que vous pussiez engager ce chargé d’affaires à vous répondre par une note et à convenir qu’il désavoue les bâtiments américains qui naviguent dans la Baltique. Cela serait envoyé en Russie et servirait. En général, mettez toutes les formes possibles pour convaincre ce charge d’affaires, qui, je suppose, parle français, des dispositions particulièrement favorables où je suis envers les Américains; que l’embarras est de reconnaître les véritables Américains de ceux qui servent les Anglais, et que je considère le pas fait par le gouvernement américain comme un pre­mier pas fait pour arriver à un bon résultat.

 

Paris, 13 décembre 1810

Au comte Montalivet, ministre de l’intérieur, à Paris

Le gouverneur général à Turin m’écrit que l’approbation des tra­vaux que j’avais arrêtés pour le Piémont pendant l’hiver n’est pas encore arrivée.

 

Paris, 13 décembre 1810

Au comte Mollien, ministre du trésor public, à Paris

Monsieur le Comte Mollien, j’ai reçu votre rapport et votre projet de décret sur la comptabilité des canaux, etc. J’ai effacé de l’état des crédits ouverts sur la caisse d’amortissement les approvisionnements de blé pour Paris, et j’ai ajouté au décret un titre pour ordonner que le trésor public fera recette de tout ce qui doit être définitivement dépensé à la caisse d’amortissement comme fonds spécial, et la caisse des canaux fera recette de ce qui est dépensé pour travaux publics. Mon but en cela est de simplifier la caisse d’amortissement et de la décharger de toute comptabilité. Pour la caisse de l’extraordinaire, il y a un trésorier qui a sa comptabilité, et dès lors cela n’est suscep­tible d’aucune modification. Ainsi, dorénavant, il n’y aura plus de lacune; toute dépense devra se faire ou par le trésor public ou par la caisse des canaux. Quant aux emprunts faits à la caisse d’amor­tissement, comme elle doit être remboursée, ce n’est pas une dépense définitive.

 

Paris, 13 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Monsieur le Duc de Feltre, l’administration en Hollande finit en 1811. Prenez toutes les mesures qui vous concernent, pour que le service n’éprouve aucune interruption et pour qu’il n’y ait pas de lacune entre l’administration hollandaise et l’administration qui la remplace.

 

Paris, 13 décembre 1810

Au vice-amiral comte Decrès, ministre de la marine, à Paris

Mettez-moi sous les yeux un projet de lettre au Transport-Officer pour réclamer avec force le renvoi en France des Français prison­niers en Angleterre qui se trouvaient chez les insurgés lors de la con­vention de Cintra. Représentez-moi en même temps cette convention. Il me semble que voilà une infraction bien manifeste de l’Angleterre au droit des gens.

 

Paris, 14 décembre 1810

Au comte de Montalivet, ministre de l’intérieur, à Paris

Je reçois votre rapport sur les départements où les formes consti­tutionnelles ne sont pas établies. Faites ce qui est convenable pour que les départements du Taro, des Apennins, de l’Arno, de la Méditerranée, de l’Ombrone, de Rome, du Trasimène, des bouches de l’Escaut, du Rhin, et l’arrondissement de Breda aient des juges de paix constitutionnels; que leurs députés puissent être nommés au Corps législatif, ainsi que les dix départements formés par le sénatus-consulte. Formez les collèges électoraux de tous les départements qui n’en ont pas.

 

Paris, 14 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Il serait convenable d’avoir à Danzig un équipage de pont de quatre-vingts bateaux avec leurs baquets. Comme il y a à Danzig beaucoup de bois et qu’on y construit des bâtiments, cet équipage peut être fait très promptement. Je ne veux cependant pas qu’on le fasse aujourd’hui, parce que cela donnerait l’alarme; mais je voudrais qu’on emmagasinât les bois nécessaires et ceux qu’on peut se procu­rer le plus difficilement, et savoir combien de temps il faudrait pré­venir d’avance pour avoir cet équipage de pont.

 

Paris, 14 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Je vois, dans votre rapport du 12 sur les jeunes Croates, qu’on a mis seize fils de sous-officiers à la Flèche, ainsi que le fils d’un maître de poste et celui d’un garde forestier. Mon intention est qu’ils soient envoyés à Châlons; ce qui augmentera de dix-huit le nombre des jeunes gens qu’on mettra à Châlons.

 

Paris, 14 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Les sept cent quarante et une voitures qui sont en Allemagne sont plus que suffisantes.

En cas de guerre, mon intention est de n’avoir pour équiper toutes ces voitures que deux bataillons du train qui seraient alors portés au grand complet. Les 8e et 9e bataillons destinés à cette arme, qui sont incomplets, seraient complétés alors pour atteler cinq cents autres voitures.

 

Paris, 15 décembre 1810

Au comte Mollien, ministre du trésor public, à Paris

Monsieur le Comte Mollien, j’ai lu avec grand intérêt votre rap­port du 12 décembre sur la vérification des receveurs des communes. Mon intention est que vous augmentiez de six, si cela est nécessaire, le nombre des vérificateurs, et que vous fassiez vérifier les receveurs des grandes communes, telles que Lyon, Gênes, Bordeaux, etc., de sorte que, successivement et dans l’espace de deux ans, tous les receveurs des communes soient vérifiés.

 

Paris, 15 décembre 1810

A M. Maret, duc de Bassano, ministre secrétaire d’État

Monsieur le Duc de Bassano, faites extraire un article pour le Moniteur du rapport ci-joint du ministre du trésor public. Cet article sera suivi du décret de destitution des receveurs de Mayence, d’Obernai et Bernardswiller et de Saverne, et d’une note annonçant le ren­voi des autres pièces au Conseil d’État pour vérifier les abus qui existeraient dans cette partie importante de la comptabilité.

Vous renverrez toutes les pièces à la section des finances du Con­seil d’État, à laquelle sera adjoint le conseiller d’État Quinette, pour présenter des mesures, pour vérifier les receveurs des différentes communes et liquider, entre autres, ces six vérifications l’une après l’autre. On me présentera autant de décrets qu’il y aura de vérifica­tions, soit pour les approuver, soit pour les rejeter. Chacun de ces décrets sera ensuite mis dans le Moniteur, afin d’opérer une secousse chez tous les receveurs.

 

Paris, 15 décembre 1810

Au général Savary, duc de Rovigo, ministre de la police générale, à Paris

Il est nécessaire de faire venir à Paris le capitaine de vaisseau qui était à Hambourg, pour qu’il puisse vous donner des renseignements sur ces mers, vous aider à l’organisation des côtes depuis la Hol­lande jusqu’à Hambourg. Je désire être bien maître de l’Elbe et tenir, s’il le faut, une frégate comme il y en avait jadis. Faites-moi un rapport là-dessus.

 

Paris, 16 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

La situation des officiers français qui seraient aides de camp du prince royal de Suède serait forcée et point naturelle. Je désire donc qu’à l’expiration du congé de quatre mois que j’ai accordé à ces offi­ciers vous les rappeliez en France et les placiez dans des régiments.

 

Paris, 16 décembre 1810

A Marie-Louise, impératrice d’Autriche, à Vienne

Madame ma Sœur, Votre Majesté Impériale a été assez bonne pour se priver pour moi d’un portrait qui lui était bien cher. Elle y a mis une condition que je m’empresse de remplir. Je désire que Votre Ma­jesté soit contente de la ressemblance, et qu’elle me permette de saisir cette circonstance pour lui réitérer l’assurance des sentiments d’estime et de parfaite considération avec lesquels je suis, de Votre Majesté Impériale, le bon Frère.

 

Paris, 17 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, je vous renvoie votre rapport sur les pertes de la Westphalie. Ce rapport est fait à contresens de ce qu’il doit être; aussi ne conclut-il à aucun résultat. Vous raisonnez comme si le Hanovre appartenait au roi de Westphalie. Le Hanovre n’appar­tient pas au Roi. Ce prince n’ayant pas exécuté le traité qu’il a fait avec moi, j’ai considéré ce traité comme non avenu ; je me regarde donc comme encore en possession du Hanovre. L’ancienne population du royaume de Westphalie était de 1,900,000 âmes. Je prends de ces anciens États une population de 200,000 âmes; un revenu de tant, une somme d’impôts de tant. Proposez-moi de lui donner en échange la partie du Hanovre que je ne prends pas, qui comprend une population de tant, un revenu de tant, des impôts pour tant, des revenus domaniaux pour tant ; et là-dessus présentez-moi un projet de décret. Voilà la seule manière de faire ces calculs, et non, comme vous le faites, en supposant que le Hanovre appartient au Roi.

 

Paris, 17 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Feltre, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, il faut envoyer l’ouvrage sur la conduite de la France et de l’Angleterre à l’égard des neutres à Saint-Pétersbourg et à mes ministres à l’étranger, non comme donnant une sanction officielle à tout le dire de l’auteur, mais parce qu’ils pourront y puiser des renseignements utiles sur cette grande question.

 

Paris, 11 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Monsieur le Duc de Feltre, je désire que vous me présentiez un projet pour dissoudre, à dater du ler janvier 1811 , le corps d’obser­vation de Hollande;

Pour donner du service dans l’armée d’Allemagne, en France ou en Italie, à tous les généraux et colonels hollandais, sans exception ;

Pour confier le commandement de la 17e division militaire au général Molitor, et celui de la 31e au général Durutte ;

Pour placer au commandement de chacun des sept départements un général de brigade français, bon et sur lequel on puisse compter;

Pour mettre dans chaque division un ordonnateur ;

Pour mettre dans les places des commandants d’armes français et des officiers du génie et de l’artillerie ;

Et pour répartir les troupes françaises et hollandaises entre les différents départements des divisions.

Il faut auprès des généraux commandant les divisions un adjoint commandant et quelques adjoints à l’état-major.

Envoyez-moi l’état nominatif des généraux et officiers supérieurs que vous emploierez. Il faut choisir des hommes d’une probité sûre, et qui aient l’activité nécessaire pour prendre connaissance du pays et mettre tout en règle.

Veillez à ce qu’il y ait les ordonnateurs, inspecteurs et sous-inspecteurs aux revues nécessaires ; l’administration se trouvera fort simplifiée.

Quant aux généraux hollandais, il faut qu’au 1er janvier ils aient tous reçu une destination.

Vous pouvez, pour le 1er janvier, organiser les commandements de départements et des places ; vous organiserez le détail successivement.

Je désire que les généraux et colonels du génie et de l’artillerie hollandais aient une destination dans l’intérieur. Il sera bon de laisser à la disposition des généraux commandant les divisions quelques adjoints hollandais, du grade de capitaine, qui, parlant la langue et connaissant le pays, seront utiles.

Vous chargerez le général Dumonceau, comme inspecteur, de passer l’inspection des régiments hollandais, et d’autres fonctions administratives relatives à sa charge, dont il viendra vous rendre compte à Paris.

Je vous recommande de veiller, dans l’organisation, à l’île de Goeree. Il est convenable que cette île ait un général de brigade ou un colonel pour commandant, et les troupes de ligne, d’artillerie et du génie nécessaires, à peu près comme pour l’île de Walcheren.

Après Goeree, vient le point important du Texel. Le général qui commandera le département du Zuiderzee doit se tenir au Texel et commander là son département.

Le général de brigade qui commandera le département des Bouches-de-la-Meuse pourra se tenir à Rotterdam ; il veillera à la sûreté d’Hellevoetsluis.

Il me semble que la Hollande ne peut être attaquée que par l’île de Walcheren et celle de Beveland ; j’y ai pourvu, puisque le général Gilly commande ces îles. L’île de Goeree, les embouchures de la Meuse, le Texel, sont les autres points attaquables. Les généraux qui commanderont dans la Frise et dans l’Ost-Frise défendront le reste.

Il faudra que vous correspondiez avec les généraux pour vous assurer que les batteries sont tenues en état et que les points les plus importants sont défendus. Ces mesures simplifieront l’administration, et elles rendront disponible le duc de Reggio, qui demande à rentrer en France.

Les généraux commandant les divisions seront autorisés, sans déplacer les troupes des postes que vous leur assignerez, à réunir les forces qui deviendraient nécessaires pour la garde du Texel et des points importants.

 

Paris, 17 décembre 1810

Au vice-amiral comte Decrès, ministre de la marine, à Paris

Je vous renvoie deux lettres sur la flottille qui est dans la Jahde.

En organisant la marine sur les côtes de Hollande, il faut organiser la marine de l’Elbe, de la Jahde et du Weser, afin que j’aie dans ces trois rivières des bricks, des chaloupes et bateaux canonnière, et des péniches pour surveiller les côtes et tenir l’ennemi en haleine ; que j’aie des administrations pour solder et entretenir les matelots et pour faire faire les réparations, etc. L’idée du prince d’Eckmühl de remplacer la canonnière perdue par un beau brick, qu’on se procu­rerait à Hambourg, est une très bonne idée; mais il faut prendre un bon bâtiment, plus fort que nos bricks ou corvettes ordinaires, qui soit bon marcheur et puisse servir utilement.

 

Paris, 17 décembre 1810

Au comte de Lavalette, directeur général des Postes, à Paris

Voyez madame de Genlis. Dites-lui que j’ai lu avec intérêt ses notes sur les écoles primaires des femmes ; que je désirerais qu’elle fît un plan général pour l’éducation des filles du peuple, depuis l’âge de sept à huit ans jusqu’aux premières écoles ; qu’elle fit bien con­naître quelle est l’éducation des femmes à Paris, afin qu’on sache bien ce qui se fait, et après, en deux sections, ce que l’on pourrait faire. Je désire surtout savoir ce que coûte au peuple son éducation, avoir des renseignements sur les écoles primaires et autres de cette espèce.

 

Paris, 18 décembre 1810

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, je suis toujours dans l’étonnement que le tarif du 5 août n’ait rien rendu au royaume d’Italie ; qu’il n’y ait rien dans les entre­pôts, chez les négociants, ni qu’il ne soit entré aucune denrée colo­niale en Italie depuis le mois d’août jusqu’aujourd’hui. J’avais compté que le produit de ces droits vaudrait un secours de dix millions au royaume d’Italie.

J’ai été fort indigné de voir le certificat du ministre de Hambourg que vous m’avez envoyé hier. J’ai ordonné une enquête sévère sur le sieur Bourrienne à cette occasion. Vous devez regarder tous certificats comme non avenus, celui-là comme tous ceux qui vous seront pré­sentés. Vous m’avez envoyé également un certificat pour des draps d’un fabricant du département de la Roér. Le fabricant existe, mais il est hors d’état de faire aucun envoi. Ce certificat a été vendu à quelque Suisse pour peu de chose. Ne laissez rien entrer de la Suisse et de l’Allemagne, du moins en draps, denrées coloniales, marchan­dises de coton, etc. Vous ne devez laisser entrer par le cabotage d’Ancône ou d’autres ports aucune marchandise venant de Naples ni du Levant.

Aussitôt que les comptes des finances seront en règle, envoyez ici le ministre des finances, afin que j’arrête le budget de 1811.

P. S. J’ai dit dans ma lettre que j’avais été indigné du certificat du ministre de Hambourg, mais j’ai oublié de dire que ce certificat ne justifiait pas l’introduction en Italie des marchandises qu’il cou­vrait. La preuve en est qu’avec ces certificats on n’a pu franchir au­cune douane en France. C’est qu’il y a beaucoup à reprendre et à faire dans les douanes d’Italie.

 

Paris, 19 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Je reçois votre rapport de ce jour. J’accorde à la Saxe trente-quatre pièces de 3 autrichiennes avec affûts et trente-quatre caissons. Faites-les donner sans délai.

 

Paris, 19 décembre 1810

NOTE SUR LE MÉMOIRE DES DÉPUTÉS DU COMMERCE DE LYON.

Trois moyens sont proposés dans le mémoire.

Le premier consiste dans les secours que peut donner le gouverne­ment. Sa Majesté a ordonné au garde-meuble de faire des commandes pour employer, pendant les mois de janvier, février et mars, les mé­tiers d’étoffes façonnées qui ne sont plus en activité. Elle désire que les députés fassent connaître à quelle somme doivent se monter ces commandes, et qu’ils voient M. le comte Daru pour s’entendre avec lui sur cet objet et combiner les commandes dans la proportion des besoins des palais de Sa Majesté. L’intendant général avancera suc­cessivement l’argent qui sera nécessaire, pourvu qu’il y ait sûreté pour les avances. C’est donc un arrangement à faire, sous la haute surveillance du ministre de l’intérieur, entre l’intendant général de la Couronne et les députés du commerce de Lyon.

Pour mettre aussi en activité les métiers qui fabriquent des étoffes unies, Sa Majesté est disposée à faire des commandes d’objets étran­gers aux besoins de ses palais. Il faut d’abord que les députés de Lyon fassent connaître à combien devraient s’élever ces commandes, dans chacun des mois de janvier, février et mars, pour atteindre le but qu’on se propose. La fabrique de Lyon remettrait des étoffes fabri­quées pour le montant de ces commandes. Ou les commandes do Nord et de l’Amérique se rétabliraient, et alors on rendrait les mar­chandises aux fabricants, ou elles ne se rétabliraient point, et les marchandises resteraient en magasin à la disposition du gouvernement, qui les ferait vendre selon les circonstances. Cette opération consisterait donc en avances faites par le gouvernement sur nantissement de marchandises fabriquées. Il sera nécessaire que le ministre de l’intérieur propose les mesures à prescrire pour les époques des avances, le mode de la remise des marchandises, leur emmagasinement, etc.

Le deuxième objet du mémoire est relatif au rétablissement du change de la Russie. Cet objet est mal présenté. Il n’est dans la puis­sance de personne de relever le change de la Russie. La perte qu’elle  éprouve ne résulte pas de l’interruption de son commerce, mais des  dépenses énormes occasionnées par les guerres onéreuses entreprises  depuis Paul Ier. Il est très probable que même la paix avec l’Angle­terre le ferait baisser plutôt que relever. On peut cependant suivre avec la marine une opération utile à la fabrique de Lyon. Le ministre achèterait des marchandises du Nord pour trois millions, et l’on mettrait pour condition à ces achats que les payements se feraient en  étoffes de Lyon. Cette idée a besoin d’être développée par la députation  du commerce de cette ville.

Quant au troisième objet du rapport, qui concerne le commerce avec les Américains, on peut mettre pour condition aux permis amé­ricains que chaque bâtiment exportera des étoffes de Lyon pour la moitié de la valeur de sa cargaison d’importation. Cette condition peut être étendue aux permis ottomans et aux licences simples.

En même temps qu’on discutera ces vues, il convient d’examiner ce qu’on pourrait faire pour les fabriques de Lyon par les règlements de cour. On peut dire que pendant l’hiver, et toutes les fois qu’on sera en grand costume, l’habit de velours sera obligé, et que les jours de cour, autres que ceux de grande cérémonie, tout le monde, excepté les officiers de service, paraîtra à la cour sans costume, mais vêtu en étoffes de Lyon. On pourrait étendre ce règlement à la cour du gouverneur général de Turin, de la grande-duchesse de Toscane, du vice-roi d’Italie et du roi de Naples.

Sa Majesté désire que le ministre de l’intérieur se mette en mesure de lui présenter un état de situation détaillé de toutes les fabriques de France.

 

Paris, 21 décembre 1810

Au vice-amiral comte Decrès, ministre de la marine, à Paris

L’hiver se passe, et vous ne me faites pas connaître si l’on peut faire l’expédition de Cherbourg sur l’île de France. Il parait évident que celle de Rochefort ne partira pas.

Vous ne me faites pas connaître si les trincadoures et la corvette qui est à Bayonne sont en partance et de quoi elles sont chargées.

Aussitôt que vous apprendrez l’arrivée de la frégate l’Élisa dans un de mes ports, faites-en l’objet d’un article pour le Moniteur. Faites aussi connaître dans le Moniteur la corvette anglaise qui s’est perdue.

 

Paris, 22 décembre 1810

Au baron Alquier, ministre de France, à Stockholm

Monsieur, Sa Majesté me charge de vous faire connaître sa manière d’envisager quelques questions qui pourraient vous être faites, mais que vous n’êtes point obligé de provoquer.

Elle avait accordé un congé de quatre mois aux officiers français aides de camp du prince royal pour l’accompagner en Suède. Ce congé sera bientôt expiré. Ces officiers devront retourner en France. En restant en Suède, ils se trouveraient dans une fausse position. Des officiers français ne peuvent être aux ordres d’un gouvernement étranger. Vous n’avez point à faire usage de ces notions ; elles sont surtout pour votre instruction particulière.

Le prince royal a remis au domaine extraordinaire les fiefs qu’il tenait de la générosité de l’Empereur. Son Altesse en avait jugé la conservation incompatible avec la constitution à laquelle il venait de promettre d’être fidèle. Le conseil du sceau a accepté cette restitu­tion, mais l’Empereur, empressé de faire ce qui pouvait être agréable au prince, a, d’après sa demande, conféré à son frère le titre de baron avec les 12,000 francs de rente sur le trésor public qui dépen­daient de la principauté de Ponte-Corvo.

Le prince royal écrit souvent à l’Empereur, qui ne lui a pas répondu. Il est convenable que vous sachiez, seulement pour user de cette information selon les circonstances, que cela vient de ce que l’Empe­reur, ayant pour maxime de ne pas faire chez les autres ce qu’il ne fait jamais chez lui, n’entretient de correspondance avec aucun prince royal. L’Empereur n’aime point à s’écarter légèrement de ce qui lui parait devoir être l’ordre naturel des choses.

Quand le prince sera devenu roi, l’Empereur recevra ses lettres avec plaisir et y répondra dans les occasions déterminées par l’usage; mais le vœu de Sa Majesté est que toutes les affaires se traitent tou­jours par le canal ordinaire des ministres. L’Empereur en use ainsi même avec ses frères qui sont sur le trône. Il ne veut pas qu’aucun d’eux puisse répondre à une réclamation ou à une demande qui lui serait portée par le ministre de France cette formule, qu’ils pour­raient être tentés d’employer : Je traiterai directement cette affaire avec l’Empereur, ou l’Empereur m’a écrit sur cet objet, etc. Sa Majesté veut, Monsieur, que de pareilles allégations ne règlent pas votre conduite.

D’ailleurs Sa Majesté désire que vous vous rendiez agréable au roi et au prince, et vous engage à insister fortement sur la confiscation des marchandises anglaises et sur la prohibition de tout commerce de denrées anglaises ou venant d’Angleterre. Vous ferez sentir que, les Anglais donnant la plus grande publicité à leurs relations commerciales, la Suède ne peut en entretenir avec eux sans qu’elles soient promptement connues. Elle ne peut donc espérer de se déro­ber, à moins que ce ne soit ouvertement, à l’exécution des engage­ments qu’elle a contractés.

Montrez le ridicule de son insignifiante déclaration de guerre et l’inconvenance de la circulaire presque offensante pour l’Empereur qui en accompagnait la communication. L’Empereur a dit en riant que c’était à lui, et non aux Anglais, que la Suède déclarait la guerre.

Cette conduite n’est point honorable pour le gouvernement suédois. Il se déconsidère lui-même aux yeux de sa nation et rend sa position bien plus difficile en soulevant l’opinion contre la guerre qu’il s’est engagé à soutenir. Mieux valait une résistance franche et ouverte aux volontés de l’Empereur.

Champagny, duc de Cadore.

 

Palais des Tuileries, 22 décembre 1810

A M. Roquebert, capitaine de frégate, à Brest

Monsieur Roquebert, capitaine de frégate, nous vous faisons con­naître par la présente que nous révoquons l’ordre que nous vous avons donné par celle du 3 de ce mois, de conduire la division sous votre commandement sur notre île de Java, dans les mers orientales, et nous vous notifions que notre intention est que vous conduisiez cette division dans les ports de notre Ile de France, où vous mettrez à la disposition de notre capitaine général de cette colonie les troupes passagères qui sont à votre bord, ainsi que les métaux, armes et munitions que vous avez pris en chargement.

Arrivé à l’Ile de France, vous aurez à recevoir les ordres de notre dit capitaine général sur les opérations des bâtiments que vous com­mandez et sur leur destination ultérieure.

Nous chargeons notre ministre de la marine de vous faire connaître les derniers renseignements arrivés de l’île de France sur l’état des croisières ennemies et sur l’atterrage des ports de cette colonie.

Nous vous prescrivons de n’y entrer qu’avec circonspection et après avoir communiqué préalablement avec la terre pour connaître l’état des choses. Si, par quelque raison que ce soit, vous ne pouviez entrer à l’île de France, notre intention est que vous vous dirigiez sur notre île de Java, où vous débarquerez vos troupes et vos munitions, et vous vous mettrez avec vos frégates à la disposition du gouverneur.

Nous vous référons à ce que nous vous avons prescrit dans nos instructions du 3 de ce mois, sur les cas de séparation des bâtiments sous vos ordres, sur ce que vous devez faire à l’égard de ceux dont vous vous emparerez pour augmenter autant que possible votre appro­visionnement en eau et en vivres, sur le soin que vous devez avoir d’éviter toute relâche qui ne serait pas nécessaire, et enfin sur ce que nous attendons de votre zèle, de vos talents et de votre courage pour bien remplir la mission que nous avons jugé à propos de vous confier.

 

Paris, 22 décembre 1810

A Joachim Napoléon, roi des Deux-Siciles, à Naples

Je reçois la carte que vous m’avez envoyée sur le détroit de Mes­sine. Si elle est exacte, je suis fort surpris que vous n’ayez pas fait la descente, si vous aviez les moyens de passer 15,000 hommes. Il n’y a aucune espèce de doute que vous deviez passer et vous emparer de la Sicile, au lieu de faire un débarquement inutile et de faire prendre les deux bataillons corses, forts de plus de 950 hommes.

 

Paris, 23 décembre 1810

Au comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, à Paris

Monsieur le Comte Bigot de Préameneu, depuis quelques jours le préfet de Savone écrit que le Pape est disposé à s’arranger et à faire le pape où on voudra. C’est la première fois que j’entends ce langage. Si cet exposé est exact et que le Pape soit sincère, comme je ne désire pas autre chose que d’entrer en arrangement, vous pouvez écrire au sieur Chabrol que j’ai appris par le prince Borghèse et par le ministre de la police que, dans une conférence qu’il a eue avec le Pape, le Pape avait dit qu’il ferait le pape où l’on voudrait; qu’il ne voulait qu’exercer le pouvoir spirituel, sans gêner le pouvoir tempo­rel; en un mot, qu’il désirait en venir à un accommodement; que, cela étant, il doit lui dire que, s’il désire un accommodement sur les affaires spirituelles, je le désire autant que lui, mais que je ne veux faire aucune concession temporelle; que, si telle était sa pensée, il faudrait qu’il écrivit une lettre à l’Empereur pour lui faire connaî­tre les maux de l’Église et lui exprimer le vœu, en mettant de côté toute prétention et tout intérêt autre que celui de la religion, d’entrer en arrangement pour concilier tous les intérêts. Cette lettre devrait être écrite sans fiel, mais avec la charité de l’Évangile, ne faire aucune allusion et ne respirer que le pur désir du bien. Vous ajouterez qu’il n’est aucun doute que l’Empereur ne réponde à cette lettre d’une manière très favorable; mais qu’il faut que le préfet explique bien qu’il ne doit être question du temporel en aucune manière; que les statuts de la France sont formels et irrévocables là-dessus, et qu’il ne peut être question que des intérêts spirituels.

 

Paris, 23 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Je reçois votre lettre du 22, par laquelle vous me rendez compte qu’en exécution de l’article 7 du traité entre moi et le roi de Westphalie vous avez donné des ordres pour qu’on remît au roi de Westphalie l’armement de la place de Magdeburg. Vous avez eu tort de donner cet ordre sans me l’avoir soumis. Donnez contre-ordre; mon intention est de garder Magdeburg avec l’artillerie, les magasins et ce qui existe, et de n’en pas mettre en possession la Westphalie. Vous ferez connaître cette décision au prince d’Eckmühl : il n’y aura pas de contre-ordre, vu que le prince d’Eckmühl n’aura point donné l’ordre d’évacuation. En un mot, je ne veux point me défaire de la place de Magdeburg.

 

Paris, 23 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Je vous renvoie le projet de décret pour l’organisation des compa­gnies de gendarmerie dans la Hollande. Ce ne sont pas sept compagnies, mais deux légions de gendarmerie qu’il me faut en Hollande. Présentez-moi un projet de décret ainsi rédigé. Il n’y a pas de raison de sortir pour la Hollande de l’organisation ordinaire de la gen­darmerie.

 

Paris, 23 décembre 1810

NOTE POUR LES MINISTRES DES CULTES ET DE LA GUERRE.

Les demandes d’exemption de conscription faites en faveur de clercs étudiants deviennent très nombreuses. Il convient que le mi­nistre de la guerre et le directeur général des revues voient le ministre des cultes et réunissent toutes les demandes. On fera faire ensuite, par un inspecteur aux revues, des vérifications qui auront pour objet de s’assurer si les jeunes gens pour lesquels les exemptions sont demandées appartiennent à de grands et non à de petits séminaires, et s’ils ont une vocation réelle pour l’état ecclésiastique. On aura soin de ne prévenir l’évêque qu’au moment même où la vérification aura lieu. Cette mesure paraît surtout indispensable lorsqu’on voit que le nombre des demandes faites pour l’évêché de Bayonne, par exemple, dont le grand séminaire est peu considérable, s’élève à 92.

 

Paris, 23 décembre 1810

DÉCISION.

Le ministre de la guerre présente à l’Empereur un rapport pour la répartition des troupes françaises et hollandaises entre les différents départements qui doivent composer, au 1er janvier 1811, les 17e et 31e divisions militaires. J’approuve les différentes dispositions contenues dans ce rapport. Il faut recommander aux généraux de réunir quelques compagnies de voltigeurs français et hollandais, soutenues de quelques détachements de ca­valerie, et d’en faire des colonnes pour surveiller les côtes, prêter main-forte aux douanes et empê­cher les communications avec l’Angleterre, qui sont encore très fréquentes

Paris, 23 décembre 1810

Au vice-amiral comte Decrès, ministre de la marine, à Paris

Le ministre de la police m’envoie des lettres que la marée a ap­portées près de la Rochelle. Il paraît qu’elles étaient à bord d’un bâtiment venant de Batavia à Bordeaux, sans doute le troisième de ceux que le général Daendels a expédiés, qui a été pris près la Ro­chelle. Ce bâtiment a jeté à l’eau ses dépêches, et la mer les a appor­tées à terre. Il est nécessaire que vous instruisiez le général Daendels de la prise de ce bâtiment et de l’arrivée de ses dépêches par ce sin­gulier hasard, et que vous activiez le départ de la trincadoure et de la corvette de Bayonne et des autres expéditions pour cette intéressante colonie.

 

Paris, 23 décembre 1810

A Joachim Napoléon, roi des Deux-Siciles, à Paris

Je reçois votre lettre du … décembre. Je ne crois pas que vous deviez donner des titres et reconstituer votre noblesse. Cette recon­stitution ne serait que ridicule. Y a-t-il un seul Napolitain qui se soit distingué à votre service, qui ait gagné une bataille ? Y en a-t-il qui aient acquis de l’illustration en Europe ? Non. Dès ce moment, vous ne pouvez avoir d’autre noblesse que celle que vous avez. Monteleone sera duc et jouira de quelque considération en Europe comme des­cendant des Cortez; d’autres familles, comme ayant un rang dans l’histoire de Naples; d’ailleurs les nobles de votre royaume ont con­tinué à s’appeler ducs, princes, comtes; vous devez donc laisser les choses comme elles sont.

J’ai dû reconstituer en France la noblesse, parce qu’il s’était élevé beaucoup d’hommes qui se sont illustrés dans toutes les carrières, civiles et militaires, soit au milieu des dissensions et factions, soit au milieu des camps. Ce que j’ai fait en France, et ce que l’Europe a approuvé, ce serait à Naples une singerie mal appliquée; laissez dor­mir cela. Quelque chose que vous fassiez, il n’est pas en votre pou­voir, avant que de grands événements illustrent votre pays, de faire oublier le passé et de faire dater les choses de l’époque actuelle.

 

Paris, 24 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, il n’y a aucun inconvénient à la ratification de l’acte de renonciation à ses droits sur la monarchie autri­chienne qu’a souscrit l’Impératrice avant de partir de Vienne.

 

Paris, 24 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, je vous ai envoyé la lettre du landammann et celle du petit canton. Mettez-moi sous les yeux un projet de réponse à l’un et à l’autre, où vous direz que je n’ai l’intention de toucher en rien à l’acte de médiation, ni à la situation politique des cantons du Tessin, mais que les Suisses doivent reconnaître que les bailliages italiens sortent du sein de l’Italie et entrent dans l’intérieur du royaume d’Italie; que les conscrits réfractaires, les agents d’in­trigues et de contrebande se réfugient dans ces cantons pour de là inonder l’Italie, et qu’ils établissent réellement un système hostile contre elle; que sans doute il serait à souhaiter, pour le bien de la Confédération, que ses limites fussent naturelles, et qu’elle ne fut pas exposée à être compromise par la faiblesse et la fausse position de quelques cantons ; qu’il n’est point dans ma pensée de rien changer à l’acte de médiation, mais qu’il est convenable de prendre des me­sures qui concilient l’indépendance des cantons du Tessin avec la sûreté et la police du royaume d’Italie, et qu’un traité particulier qui imposerait des stipulations à ces cantons paraîtrait devoir remplir ce but; que, si ces clauses étaient sérieusement et exactement observées par les cantons du Tessin, et qu’ils ne donnassent aucune inquiétude à l’Italie, ils pourraient conserver leur état actuel; mais que, si les magistrats de ces cantons étaient assez peu éclairés pour tolérer des abus qu’ils devraient réformer, il finirait par arriver que le bien de l’Italie, c’est-à-dire de dix-huit millions d’hommes, obligeât ces petits cantons à se placer sur leurs barrières naturelles.

Vous me présenterez un projet de lettre dans le même sens, que mon ministre écrira aux cantons italiens. Vous donnerez pour instruc­tion à mon ministre, qui aura connaissance de vos deux lettres, de laisser faire aux Suisses ce qu’ils veulent.

Vous écrirez au vice-roi pour avoir un projet de traité sur les pré­cautions de douanes et de police qu’il faudrait prendre et sur tout ce qu’il faudrait prévoir là-dessus. Il serait convenable que ce traité se fît à Milan, où les cantons enverraient des commissaires.

Quant au commerce, j’ai permis le transit des colons du Levant par la Suisse; je crois avoir décidé que les marchandises étrangères séquestrées pourraient venir dans mes entrepôts. J’ai donc fait tout ce qu’il m’était possible de faire.

Comme j’ai l’habitude de répondre au landammann, présentez-moi un projet de lettre très court dans laquelle je m’en rapporterai à vous.

 

Paris, 24 décembre 1810

A M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur le Duc de Cadore, j’ai lu avec attention votre rapport sur les princes de Salm-Salm et de Salm-Kirburg. Les princes de la Confédération n’ont pas de droits en France. Tout ce que je puis faire pour ceux qui viennent à être dépossédés, c’est de constituer en leur faveur un majorât de 200,000 francs et de leur donner dans mon palais les mêmes prérogatives qu’ont les ducs français. Quant aux princes de Salm, vous estimez que je leur dois l’équivalent d’un revenu de 240,000 francs; mais il faut en ôter les charges, surtout le contingent ; il doit rester peu de chose. Il est nécessaire que vous me proposiez quelqu’un pour faire un traité avec eux. Le conseiller d’État Dalberg pourrait être chargé de cette besogne.

 

Paris, 24 décembre 1810

Au baron de La Bouillerie, trésorier du domaine extraordinaire, à Paris

J’ai lu avec attention le compte que vous m’avez remis de la caisse de l’extraordinaire. Ce compte me parait fort bien établi comme compte de caisse; mais je désirerais que vous l’établissiez un peu comme compte d’administration, c’est-à-dire que vous distinguassiez les capitaux des revenus, au moins pour 1809 et 1810. Ainsi il serait établi sur une colonne ce que les fonds ont dû rendre en 1809, ce qu’ils ont rendu réellement, et dès lors ce qui reste à recouvrer.

Vous mettrez dans le produit le revenu des domaines dont je n’avais pas disposé. Vous mettrez à côté le fonds de dépenses, qui se con­stituerait des frais de service, des pertes du change, des négocia­tions, et enfin des dispositions que j’aurais faites sur les revenus. Je crois avoir fait payer plusieurs millions par le ministre des finances et avoir fait des affectations spéciales sur les revenus. Le même état serait fait pour 1810; de sorte qu’il me ferait connaître la situation des recettes comme revenus et celle des dépenses, soit dépenses de services et dépenses du domaine extraordinaire, soit celles provenant des affectations que j’aurais faites par décrets. Enfin un autre compte établirait le revenu de 1811, où vous me feriez connaître les capi­taux placés, les domaines vacants, et enfin le budget de recette comme revenus. Vous porterez à compte les dépenses de l’intendant, les vôtres, les frais de service, les affectations que j’aurais faites, d’où résulterait ce qui me reste. Le portefeuille de réserve y serait compris sous une seule dénomination. Ainsi, par approximation, le revenu de 1811 se compose, 1° de 84 millions placés au trésor public; 2° de l’intérêt de 70 millions de la Prusse; 3° de l’intérêt des bons des différentes puissances; 4° des intérêts des actions de la Banque, etc. C’est en distinguant pour 1809 et 1810 les revenus des fonds que je désire que vous établissiez mes revenus en 1811. Je désire avoir une note qui me fasse connaître ce que doit le domaine extraordinaire, soit à la caisse des canaux, pour les travaux du temple de la Victoire, du Louvre, de Versailles, soit pour d’autres dépenses qui auraient été affectées et qui seraient à votre con­naissance.

 

Paris, 24 décembre 1810

NOTE SUR LES CONSEILS D’ADMINISTRATION DU GÉNIE.

Je tiendrai le conseil tous les jeudis. On pourrait commencer de jeudi en huit.

On me présentera les états de dépenses du génie en 1806, 1807, 1808, 1809 et 1810. On me fera connaître les fonds que j’ai accor­dés pour les places, le casernement et le service de campagne, ce qui a été payé, ce qui reste à solder, et s’il y a des crédits, afin d’être certain que tout l’arriéré est payé, puisque cela doit influer sur la bonne administration des années suivantes, et que toute la comptabilité est en règle. On me fera connaître dans le même conseil l’état actuel de situation du service du génie et de son train, et on me présentera un projet de décret pour organiser d’une manière définitive le service et le train du génie en campagne. On me fera un rapport général sur les places de Hollande, qui me fasse connaître celles que l’on doit conserver, améliorer, et celles qu’il faut détruire; enfin on fixera le sort des places qui nous séparent de la Hollande, telles que Breda, Bois-le-Duc et autres. On marquera, sur une carte générale, les places qui existent, et on remettra des notes sur leur situation.

Une place sans abris à l’épreuve de la bombe, à moins qu’elle ne soit d’une grande étendue, est bien faible. Aussi toutes les places de la Hollande ont-elles été prises par quelques bombes ou obus.

Quand on aura bien décidé les places qu’il faut conserver pour appuyer la ligne du Rhin à la mer, pour assurer l’Escaut et Anvers et les divers ports de la Hollande, on pourra renvoyer à une autre séance tout ce qui sera relatif aux détails des projets.

Après cela on pourra s’occuper de l’Escaut, Lillo, Bath, des bat­teries des rades de l’Escaut, Flessingue et l’île de Walcheren, les autres forts et batteries de la rive gauche de l’Escaut jusqu’à l’Écluse; tout cela dans la même séance. On aura les plans de tous ces objets, les travaux faits de l’année, les projets et le budget de l’année pro­chaine, enfin tout en règle comme l’année dernière.

Après cela on s’occupera d’Ostende, Dunkerque, Calais et Bou­logne, le Havre, Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, etc.

On présentera ensuite les projets de Wesel, Juliers, Mayence, etc.

Après cela, les ouvrages de Toulon, des îles d’Hyères et des places au delà des monts.

 

Paris, 24 décembre 1810

NOTE SUR ANVERS.

Voici ce que je voudrais pour Anvers :

La réunion de la Hollande donne à Anvers une nouvelle impor­tance, et je veux avoir à Anvers tous mes magasins d’artillerie, pou­dres, arsenal, etc.

Cette place étant la seule que j’aurais entre la France et la Hol­lande, je suis décidé à commencer cette année la place de la rive gauche de l’Escaut. Il faut faire le tracé sur un grand plan, puisque tout porte à croire que ce terrain sera chèrement vendu.

La grande difficulté est de l’autre côté de la rivière. Mon intention est d’y faire une autre place et des quais qui la fassent correspondre avec la partie opposée d’Anvers et son enceinte.

On n’élèvera les terre-pleins que dans les bastions, et les courtines resteront ouvertes comme quais. La place d’Anvers venant à être prise, on ferait les parapets des courtines; la place se trouverait parfaitement fermée du côté de la rivière, et on n’aurait rien à crain­dre du côté d’Anvers. Il faut donc tracer la place de manière à laisser sur les quais l’emplacement des terre-pleins, d’une rue et des maisons, de sorte que le quai sera très large sur les courtines. On ne construirait point de maisons dans les bastions.

Les courtines devront être très longues, parce qu’elles ne seront abordables que par eau et qu’il n’est pas question de cheminements.

On pourrait avoir là trois beaux quais, de 100 à 150 toises chacun, dont le terrain serait très précieux et que je vendrais au commerce.

Les bastions auront des poternes et des portions de quai autour, afin de former les quais de l’artillerie et de l’administration militaire, et qu’on puisse ne rien prendre sur les autres quais.

On tracera là une fonderie, un arsenal et un magasin d’artillerie, une manutention des vivres de terre et des magasins.

II faudra construire tout cela sur des canaux et des bassins intérieurs.

Par ce moyen, Anvers jouira des avantages d’une grande place située sur les deux rives de l’Escaut et des agréments d’une place isolée sur chaque rive.

 

Paris, 24 décembre 1810

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, il est nécessaire de vous occuper de faire armer la côte de Grado, afin que les communications de Venise avec Trieste ne puissent pas être gênées, l’été prochain, par les Anglais.

 

Paris, 25 décembre 1810

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de l’armée d’Espagne, à Paris

Mon Cousin, le Moniteur de demain contiendra des nouvelles de Lisbonne du 2 décembre. Faites-en part au général Foy, s’il est encore ici, et, s’il était déjà parti, écrivez-lui par l’estafette de ce soir, sous le couvert du commandant de Bayonne. Vous lui ferez connaître que, le 25 novembre, lord Wellington a fait un mouve­ment pour menacer la droite de l’armée française; ce qui a décidé le prince d’Essling à rappeler toutes les troupes qu’il avait sur la gauche du Zezere, en gardant seulement une tête de pont; mais que tout s’était passé en escarmouches, dans lesquelles il parait que les An­glais ont été repoussés; que le prince d’Essling occupe toujours la forte position de Santarem ; qu’il a même dirigé un détachement de 6,000 hommes sur Leiria, dont il s’est emparé; que lord Welling­ton s’est, à ce qu’il paraît, décidé à reprendre sa position de Torres-Vedras; que les Anglais croyaient que Drouet avait déjà rejoint; qu’il devient donc important plus que jamais de culbuter Silveira et de balayer tous les derrières de l’armée de Portugal, aussitôt que la saison des eaux sera passée et que le temps sera devenu meilleur.

 

Paris, 26 décembre 1810

Au comte Mollien, ministre du trésor public, à Paris

Je vous prie de me faire un rapport confidentiel, ce soir, sur cet établissement de prêts. (Projet d’une caisse destinée à prêter sur dépôt de marchandises.)

Faites-moi également, dans la journée, un petit rapport sur le prêt qui m’est proposé en faveur de la maison Richard-Lenoir.

[1]Richard-Lenoir, nom de commerce de la manufacture de coton fondée par Richard (d’Épinay-sur-Odon, Calvados) et Lenoir-Dufresne (d’Alençon).

 

Paris, 26 décembre 1810

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de l’armée d’Allemagne, à Paris

Mon Cousin, faites partir, ce soir, une estafette pour Rayonne, et écrivez au général Foy pour lui faire connaître que nous avons des nouvelles de Londres du 22; qu’il en résulte qu’au 3 décembre le prince d’Essling occupait toujours Santarem ; qu’il y avait eu quel­ques affaires d’avant-garde où les Anglais avaient été repoussés, et que lord Wellington avait repris sa position de Lisbonne; que Silveira se vantait d’un succès à Pinhel sur l’avant-garde du général Gardane; qu’il paraîtrait, par les détails que donne Silveira, qu’il a peu de monde, et que, si le général Gardane avait continué à marcher à lui, des magasins assez considérables de blé et de biscuit auraient été exposés.

Envoyez au général Foy trois exemplaires du Moniteur d’aujour­d’hui, qui contient les nouvelles reçues hier de Londres, et prévenez-le que demain on lui enverra le Moniteur du jour, où seront des articles relatifs à ces détails et aussi ce qui concerne la régence à Londres ; ce qui ne laisse pas d’avoir quelque influence sur les affaires de l’armée.

 

Paris, 27 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre, à Paris

Je vous renvoie votre lettre du 26. Mon intention est que tout soit payé en Hollande comme en France, et qu’il n’y ait aucune diffé­rence. J’ai beaucoup bonifié le sort du soldat; j’ai augmenté la solde d’un sou ; j’ai accordé un sou pour la soupe, et deux sous, je crois, de masse d’ordinaire, ce qui fait quatre sous, de sorte que le soldat a 9 sous, outre le pain; cela est donc suffisant. La seule chose à la­quelle il serait possible que je consentisse serait d’augmenter d’un tiers la masse d’ordinaire. Quant aux officiers, il ne me paraît pas nécessaire de rien augmenter.

Comme il n’y a pas de temps à perdre, donnez ordre que les trou­pes, soit françaises, soit hollandaises, soient, à dater du 1er janvier, traitées sur le pied français. Vous ferez faire un état comparatif de ce que reçoit aujourd’hui le soldat avec le traitement qu’il recevait en l’an IX. La comparaison fera voir que tout accroissement serait inutile : on le réclamerait aussi pour Hambourg, pour Rome, et ce serait à n’en plus finir, d’autant plus qu’il sera convenable en Hol­lande, vu la mauvaise eau, de donner aux troupes, en été, de l’eau-de-vie; ce qui sera encore un surcroît de dépense.

 

Palais des Tuileries, 29 décembre 1810

PRÉAMBULE DU DÉCRET ÉTABLISSANT LA RÉGIE DES TABACS.

Les finances ont été l’objet constant de nos méditations. Les finances d’un grand empire doivent offrir les moyens de faire face aux circonstances extraordinaires, même aux vicissitudes des guerres les plus acharnées, sans avoir recours à de nouvelles impositions, puisqu’elles rendent peu pendant les premières années qu’elles sont établies.

Les nations les plus éclairées sur ces matières avaient pensé que le seul moyen qui pût remplir cet objet était un système d’emprunt bien calculé. Ce moyen est à la fois immoral et funeste; il impose à l’avance les générations futures; il sacrifie au moment présent ce que les hommes ont de plus cher, le bien-être de leurs enfants; il mine insensiblement l’édifice public et condamne une génération aux ma­lédictions de celles qui la suivent.

Nous avons adopté d’autres principes. Nous avons reconnu qu’il fallait un grand nombre d’impositions qui pèseraient peu sur nos peuples en temps ordinaires parce que le tarif en serait peu élevé, et seraient susceptibles de pourvoir à tous les besoins du trésor dans des temps extraordinaires par la simple élévation du tarif.

Nous avons considérablement diminué les impositions foncière et personnelle.

Nous avons établi les droits réunis et l’imposition sur le sel, en évitant les vexations et les injustices dont la France a eu tant à se plaindre sous le régime des aides et des gabelles.

Les tabacs, qui, de toutes les matières, sont la plus susceptible d’imposition, n’avaient pas échappé à nos regards. L’expérience nous a démontré tous les inconvénients des mesures qui ont été prises jusqu’à ce jour. Les fabricants étant peu nombreux, il était à prévoir que l’on serait obligé d’en réduire encore le nombre. Le prix du tabac fabriqué était aussi élevé qu’à l’époque de la ferme générale. La plus faible partie des produits entrait au trésor; le reste se partageait entre les fabricants. A tant d’abus se joignait celui que les agriculteurs se trouvaient à leur merci.

Après de mûres discussions, nous avons jugé que toutes les con­sidérations, même les intérêts de l’agriculture, veulent que la fabri­cation du tabac ait lieu par une régie, au profit du trésor; que la culture sera suffisamment garantie et protégée lorsque nous impose­rons à la régie l’obligation de ne fabriquer ses tabacs qu’avec les produits de la culture du sol français; que, la consommation restant ainsi la même, l’agriculteur ne pourra recevoir aucun dommage de rétablissement de la régie; et qu’enfin, sans augmenter les charges de nos peuples, nous acquerrons une branche de revenus que l’on évalue à près de 80 millions ; ce qui nous permettra d’apporter une diminution de pareille somme au tarif des contributions personnelle et foncière, et ce qui assurera au trésor de notre Empire un revenu toujours en proportion avec les circonstances et avec les besoins.

Nos besoins ne sont que de 660 millions en temps de paix ; ils sont de 900 millions en temps de guerre maritime, et ils seraient de 1,100 millions dans des circonstances critiques et extraordinaires où nos peuples auraient à soutenir l’intégrité de l’Empire et l’honneur de notre couronne. Pour arriver à ce but, nous n’avons besoin ni d’em­prunts, ni d’aucune aliénation, ni de l’établissement de nouvelles impositions ; la simple augmentation ou diminution du tarif des con­tributions suffira pour produire ces grands résultats.

[2]Suivent les articles du décret.

 

Paris, 30 décembre 1810

Au général Clarke, duc de Feltre, ministre des relations extérieures, à Paris

Je vous envoie un projet de décret que je désire que vous teniez secret. Vous comprendrez la grande importance que j’y attache. Je n’ai pas besoin, pour remplir ce décret, d’augmenter les régiments de ma Garde; chaque régiment de fusiliers est de 2,000 hommes, il y a 400 hommes de plus qu’il ne faut. Je crée une compagnie dans chaque bataillon, qui par là, au lieu d’être de quatre compagnies, sera de cinq; ce sera 400 hommes par régiment; l’effectif des fusiliers peut les fournir.

Le premier régiment de tirailleurs a 1,900 hommes, le second est à 1,800, les deux régiments de conscrits-chasseurs sont chacun de 1,800. Les tirailleurs ne sont que de 1,600 hommes et auront besoin de renfort.

Il faut ordonner sur-le-champ au major général de charger posi­tivement le général Dorsenne de former ces compagnies et de les faire partir pour Paris. Faites-moi connaître qui on peut nommer directeur de l’instruction de ces jeunes gens.

Avec cette organisation je peux lever 40,000 à 50,000 hommes, et avoir en trois mois une armée de 50,000 hommes de vieilles troupes.

 

Paris, 30 décembre 1810

Au comte Regnaud de Saint-Jean d’Angely, ministre secrétaire d’État, à Paris

Monsieur Regnaud, je vous prie de rédiger un projet pour exempter du payement des impositions pendant vingt ans les personnes qui construiraient des maisons rue de Rivoli, pour les indemniser du surcroît de dépenses résultant de l’obligation de se soumettre à un plan d’arcades extérieures, et, par là, de concourir à l’embellissement de la ville. Cependant, pour qu’on se hâte de bâtir, il faut déclarer que cette immunité ne sera accordée qu’à ceux qui auraient com­mencé à bâtir avant telle ou telle époque, et achevé avant telle autre.

 

Paris, 30 décembre 1810

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, je réponds à votre lettre du 18 décembre, relative à la formation du corps d’armée de mon royaume d’Italie. Je trouve qu’il est bien faible en artillerie, n’ayant que soixante-deux pièces de canon pour 30,000 hommes : ce ne serait que deux pièces pour 1,000 hommes, ce qui est évidemment peu. Il est nécessaire d’avoir le nombre de pièces que j’ai indiqué. Il faut me faire un rapport pour préparer le matériel et les munitions.

Vous n’avez point non plus suffisamment de personnel. Il faut retirer de d’Istrie, du royaume de Naples, de l’Espagne ce que vous y auriez, et me proposer, si cela est nécessaire, la formation de quelques nouvelles compagnies. Je crois que l’organisation actuelle confond dans le régiment d’artillerie les soldats du train, les ponton­niers et les ouvriers. Il faut séparer ces armes et avoir un bataillon du train, un régiment d’artillerie à pied, plusieurs compagnies d’ou­vriers et plusieurs compagnies de pontonniers. Il est nécessaire que les sapeurs aient leurs caissons et leurs outils. Il faut donc préparer ce personnel. Quant aux chevaux, rien ne presse ; vous serez toujours prévenu deux ou trois mois d’avance. Jusqu’à présent tout me porte à penser que je n’aurai pas besoin de ce corps au mois de mai. Dans cette situation, que pensez-vous que mon armée italienne pourrait m’offrir au mois de mai 1812 ? Les dragons de la garde sont bien peu nombreux ; il faudrait les doubler et avoir au moins un bon régiment de 700 hommes. Faites-moi connaître s’ils coûtent beau­coup plus que le reste de la cavalerie. Je vois que la garde royale n’a que six pièces de canon ; cela est intolérable. Il faut qu’elle ait une réserve d’au moins dix-huit pièces, dont une division à cheval et deux à pied. Je désire donc que vous me fassiez un rapport sur la situation de l’armée d’Italie et sur la possibilité d’augmenter les cadres pour 1812. Faites-moi un petit aperçu de la dépense pour 1810 et pour 1811.

 

Paris, 31 décembre 1810

Au comte de Montalivet, ministre de l’intérieur, à Paris

Monsieur le Comte Montalivet, j’ai parcouru le projet de distri­bution de 30 millions à employer en vingt ans pour le perfectionne­ment de la navigation de la Seine et des canaux y affluant. Bien des accidents peuvent naître en vingt ans. En commençant tout, on court le risque de ne rien finir et de ne jouir de rien. Il faut que dans l’espace de trois ou quatre ans on ait déjà obtenu des résultats. Je désire donc un nouveau projet de répartition tel que la dépense de tous les 5 mil­lions employés présentement me représente finalement un avantage pour Paris.

 

Paris, 31 décembre 1810

Au comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, à Paris

Monsieur le Comte Bigot de Préameneu, je vous envoie un rapport qui m’est transmis par le gouverneur général à Turin. Vous recevrez un décret par lequel je supprime cinq canonicats du chapitre d’Asti, dont je réunis les biens au Domaine. Vous écrirez par l’estafette de ce soir à l’évêque Dejean pour qu’il désigne au gouverneur général les cinq canonicats à conserver. Vous écrirez au gouverneur général de faire réunir au Domaine les cinq canonicats supprimés. Ces cinq canonicats seront ceux occupés par les cinq chanoines qui se sont le plus mal comportés. Vous écrirez à l’archevêque de Turin de témoi­gner au chapitre mon mécontentement, et de déclarer que, s’il ne change pas de conduite, je supprimerai l’évêché d’Asti et réunirai ses biens au Domaine, et que j’attends une réparation éclatante de cet acte de rébellion. Si cela est nécessaire, l’archevêque de Turin se transportera à Asti. Vous écrirez au préfet de Montenotte pour lui faire connaître ces actes, en lui faisant remarquer que voilà où mènent les germes de rébellion que suscite le Pape ; que je suis résolu à réunir au Domaine les biens des évêchés où ces germes éclateraient, et qu’ainsi le Pape sera cause que les évêques du Piémont et de l’Italie perdront leurs domaines.

 

Paris, 31 décembre 1810

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de l’armée d’Espagne, à Paris

Mon Cousin, le ministre de la guerre vous fera connaître l’ordre par lequel je viens de former un bataillon de fusiliers-sergents, com­posé de quatre compagnies ou 800 hommes, choisis parmi les meil­leurs sujets de mes régiments de fusiliers, et deux bataillons d’égale force de voltigeurs-caporaux et de tirailleurs-caporaux, choisis parmi les meilleurs sujets de mes tirailleurs et conscrits. Mon intention est de placer ces trois bataillons à Fontainebleau et de leur donner une instruction particulière. Par cette organisation, mon but est d’avoir sous la main 800 sergents pouvant servir à la composition de deux cent dix compagnies, et 1,600 caporaux pour un pareil nombre de compagnies ; ce qui me formerait les cadres de trente ou quarante bataillons. Le corps des fusiliers étant de quatre bataillons et de 4,000 hommes, ce sera un homme sur cinq qu’il devra fournir. Les corps de tirailleurs et de conscrits étant de seize bataillons, ce sera un homme sur huit qu’ils devront fournir. Voyez le prince d’Eckmühl, concertez-vous avec lui pour faire le travail sur le papier, pour que les hommes absents par congé ou maladie, reconnus pour bons sujets, soient compris dans cette formation, et écrivez au général Dorsenne sur le nombre d’hommes que chacun des bataillons qui sont en Es­pagne doit fournir. Vous lui prescrirez de réunir les hommes qui doivent former les trois bataillons à Burgos et de les mettre eu route pour Fontainebleau. Le prince d’Eckmühl fera faire à Fontainebleau les dispositions nécessaires pour les recevoir. Vous sentez l’importance que j’attache à avoir ces hommes réunis à Fontainebleau.


 

References

References
1 Richard-Lenoir, nom de commerce de la manufacture de coton fondée par Richard (d’Épinay-sur-Odon, Calvados) et Lenoir-Dufresne (d’Alençon).
2 Suivent les articles du décret.