Correspondance de Napoléon Ier – Avril 1808

Saint-Cloud, ler avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures

Vous remettrez, le 3 avril, la note ci-jointe au cardinal Caprara. Vous ferez connaître au ministre des cultes que je ne reconnais plus le cardinal Caprara comme légat. Vous ferez en sorte qu’avant trois jours tous les employés de la légation romaine qui ne sont pas mes sujets quittent la France; s’ils sont sujets de mon royaume d’Italie, ils se rendront à Milan. Quant au cardinal Caprara, j’écris à son sujet au sieur Aldini.

ANNEXE

NOTE

Le soussigné a mis sous les yeux de S. M. l’Empereur et Roi la note du cardinal Caprara, en date du 2 mars. Il a été chargé d’y faire la réponse suivante :

Sa Majesté ne saurait reconnaître le principe que les prêtres ne sont pas sujets du souverain sous la domination duquel ils sont nés.

Quant à la seconde question, le sine qua non de l’Empereur est que toute l’Italie, Rome, Naples et Milan, fassent une ligue offensive et défensive afin d’éloigner le désordre et la guerre de la presqu’île. Si le Saint-Père adhère à cette proposition, tout est terminé. S’il s’y refuse, il déclare par là la guerre à l’Empereur. Le premier résultat de la guerre est la conquête, et le premier résultat de la conquête, le changement de gouvernement. La conséquence de tout ceci sera que l’Empereur sera en guerre avec Rome, qu’il en fera facilement la conquête, qu’il en changera le gouvernement et en établira un autre qui fera cause commune avec les royaumes d’Italie et de Naples contre les ennemis communs. Ceci ne fera rien perdre aux droits spirituels du Pape; il sera évêque de Rome comme l’ont été ses prédécesseurs dans les huit premiers siècles et sous Charlemagne. Cependant ce sera un sujet de douleur, que l’Empereur partagera le premier, de voir la sotte vanité, l’obstination et l’ignorance détruire l’ouvrage du génie, de la politique et des lumières.

Au moment même où le soussigné recevait l’ordre de faire cette réponse à Votre Eminence, sa note du 30 mars lui était remise. Cette note a deux objets :

Le premier, la cessation des pouvoirs de Votre Éminence, qu’elle notifie contre l’usage et les formes ordinaires et à la veille de la semaine sainte, trois circonstances qui expliquent assez l’esprit charitable et tout à fait évangélique du Saint-Père. N’importe, Sa Majesté ne reconnaît plus Votre Éminence comme légat. L’Église gallicane rentre, dès ce moment, dans toute l’intégrité de sa doctrine. Plus instruite, plus véritablement religieuse que l’Église de Rome, elle n’a pas besoin d’elle.

Le second objet de la note de Votre Éminence est la demande de ses passeports comme ambassadeur. Elle les trouvera ci-joints. Cette demande formelle de passeports suppose la résolution de sa cour de soutenir la guerre contre la France. Nous sommes donc en guerre, et Sa Majesté vient de donner des ordres en conséquence. Sa Sainteté sera contente ; elle aura le bonheur de déclarer la guerre pendant la semaine sainte; les foudres du Vatican seront plus formidables. Sa Majesté les redoute moins que celles du château Saint-Ange. Celui qui maudit les rois est maudit par Dieu.

La minute de cette note est corrigée de la main de l’Empereur. On croit devoir reproduire ici la note, un peu modifiée, qui a été envoyée au légat.

 

Paris, 3 avril 1808.

Le soussigné, ministre des relations extérieures de S. M. l’Empereur des Français, Roi d’Italie, a mis sous les yeux de Sa Majesté la note de Son Eminence M. le cardinal Caprara.

L’Empereur ne saurait reconnaître le principe que les prélats ne sont pas sujets du souverain sous la domination duquel ils sont nés.

Quant à la seconde question, la proposition dont l’Empercur ne se départira point est que toute l’Italie, Rome, Naples, Milan, fassent une ligne offensive et défensive afin d’éloigner de la presqu’île le désordre et la guerre.

Si le Saint-Père adhère à cette proposition, tout est terminé. S’il s’y refuse, il annonce par cette détermination qu’il ne veut aucun arrangement, aucune paix avec l’Empereur, et qu’il lui déclare la guerre. Le premier résultat de la guerre est la conquête, et le premier résultat de la conquête est le changement de gouvernement; car, si l’Empereur est forcé d’être en guerre avec Rome, ne l’est-il pas aussi d’en faire la conquête, d’en changer le gouvernement, d’en établir un autre qui fasse cause commune avec les royaumes d’Italie et de Naples contre les ennemis communs ? Quelle autre garantie aurait-il de la tranquillité et de la sûreté de l’Italie, quand ces deux royaumes seraient séparés par un Etat où leurs ennemis continueraient de compter sur un accueil assuré ?

Ces changements devenus nécessaires, si le Saint-Père persiste dans ses refus, ne lui feront rien perdre de ses droits spirituels. Il continuera d’être évêque de Rome et chef de l’Eglise comme l’ont été ses prédécesseurs pendant les huit premiers siècles et sous Charlemagne. Cependant ce sera pour Sa Majesté un sujet de douleur de voir l’imprudence, l’obstination, l’aveuglement détruire l’ouvrage du génie, de la politique et des lumières.

Au moment même où le soussigné recevait de Sa Majesté l’ordre de faire cette réponse à M. le cardinal Caprara, il recevait la note que Son Éminence lui a fait l’honneur de lui adresser le 30 mars. Cette note a deux objets : le premier d’annoncer la cessation des pouvoirs du légat du Saint-Siège, de la notifier contre ]’usage et les formes ordinaires, et à la veille de la semaine sainte, temps où la cour de Rome, si elle était encore animée d’un véritable esprit évangélique, croirait devoir multiplier les secours spirituels et prêcher par son exemple l’union entre les fidèles. Quoi qu’il en soit, le Saint-Père ayant retiré ses pouvoirs à Son Eminence M le Cardinal, l’Empereur ne le reconnaîtra plus comme légat. L’Église gallicane rentre dans toute l’intégrité de sa doctrine; ses lumières, sa piété continueront de conserver en France la religion catholique, que l’Empereur mettra toujours sa gloire à faire respecter et à défendre.

Le second objet de la note de Son Éminence M. le cardinal Caprara est de demander ses passeports comme ambassadeur. Le soussigné, ministre des relations extérieures, a l’honneur de les lui adresser. Sa Majesté voit avec regret cette demande formelle de passeports, dont l’usage de nos temps modernes a fait une véritable déclaration de guerre. Rome est donc en guerre avec la France, et, dans cet état de choses, Sa Majesté a dû donner les ordres que la tranquillité de l’Italie rendait nécessaires. Le parti qu’a pris la cour de Rome de choisir pour cette rupture un temps où elle pouvait croire ses armes plus puissantes, peut faire prévoir de sa part d’autres extrémités – mais les lumières du siècle en arrêteraient l’effet; le temporel, le spirituel ne sont plus confondus, et la dignité royale, consacrée par Dieu même, est au-dessus de toute atteinte.

Le soussigné désire que les observations qu’il a reçu ordre de transmettre à Son Eminence M. le cardinal Caprara puissent déterminer le Saint-Siège à accéder aux propositions de Sa Majesté.

 

Saint-Cloud, ler avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures

Monsieur de Champagny, le dey d’Alger ayant reconnu les Gênois comme Français et les peuples de mon royaume d’Italie comme mes sujets et rendu les 123 esclaves qui étaient détenus dans ses bagnes, la bonne intelligence se trouve rétablie entre nous. Mon intention est donc que l’ordre qui avait été à mes bâtiments de guerre et de course de courir sur les bâtiments algériens soit rapporté et que l’embargo mis sur les bâtiments et sur les marchandises de cette régence soit levé, soit en France, soit dans mes états d’Italie.

 

Saint-Cloud, 1er avril 1808

A M. Aldini, ministre secrétaire d’état du royaume d’Italie, à Paris

Le cardinal Caprara n’est plus légat, la cour de Rome ayant rapporté ses pouvoirs; il a également été rappelé et a demandé ses passeports, qui lui ont été donnés par les relations extérieures, Mais, comme Caprara est mon sujet, mon intention est qu’il soit maître de rester dans une partie quelconque de mon royaume de France ou d’Italie, sans qu’il en puisse passer les limites.

 

Saint-Cloud, 1er avril 1808 

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 25 mars. Je serai le 4 avril à Bordeaux, probablement le 6 à Bayonne. Je vous ai écrit hier. Je vois avec plaisir, par votre lettre du 25, que la tranquillité régnait à Madrid, que le prince de la Paix n’aura point de mal. Il conviendrait que vous pussiez l’envoyer à Bayonne. Quand, vous feriez semblant de l’envoyer comme prisonnier, c’est égal; le principal est qu’il sorte d’Espagne.

Je vois avec plaisir que vous ayez fait occuper Aranjuez; mais il faut l’occuper en force. Le maréchal Bessières est actuellement suffisamment fort pour la Galice. Appelez à vous tout le corps du général Dupont. Le général Dupont peut porter son quartier général et son parc à Tolède. Il se trouvera là en position d’avant-garde, sur le chemin de Cadix et de Badajoz; il peut avoir là avec lui une de ses divisions. Placez la 2e à Aranjuez et la 3e à l’Escurial.

Ma Garde doit être en marche depuis longtemps sur Madrid. Je suppose qu’elle sera arrivée avant le 10 avril. Mes chevaux, les détachements de ma Maison, de ma Bouche, doivent être également partis pour Madrid. Il faut placer tout cela où je dois loger. Je ne sais pas si le Prado, qui est une maison de campagne du roi d’Espagne, est assez grand pour moi ; s’il n’est pas assez grand, peut-être serait-il convenable que j’allasse à l’Escurial.

Ainsi donc gardez les trois divisions de Moncey à Madrid. Je désire qu’elles soient campées, et qu’elles complètent tous les jours leur instruction. Placez le quartier général du général Dupont à Tolède; gardez les cuirassiers avec vous à Madrid, et donnez au général Dupont un régiment de dragons et un de hussards; cela, avec sa 1e division et douze ou dix-huit pièces d’artillerie, fera plus de 8,000 hommes. Il sera ainsi à même d’éclairer la route de Cadix et de Badajoz. La 2e division du général Dupont sera à Aranjuez ou à Madrid même, avec les trois divisions du maréchal Moncey; la 3e, à l’Escurial ; ma Garde à pied et à cheval, au lieu où je dois loger; au Prado, si cela est possible; à l’Escurial, si le Prado n’est pas logeable; enfin dans une maison de campagne près Madrid. Il faut cependant que ce soit une maison royale ou une maison de prince. Enfin je m’en rapporte pour mon logement à ce que vous ferez. Il suffit que ma Garde se trouve où je dois loger, et que, si je vais à Madrid, je puisse sortir sans traverser toute la ville.

 

Saint-Cloud, 1er avril 1808

A Joseph Napoléon, roi de Naples

Mon Frère, je ne conçois rien à votre lettre du 23. Je suppose que la lettre de Champagny est antérieure à la querelle relative aux lettres de créance de M. d’Aubusson; j’en témoigne mon mécontentement à Champagny. Tout cela est l’ouvrage d’un comité de protocole composé de trois vieilles ganaches d’une immense réputation, qui ne font que des bêtises. Je viens de les chasser. L’Angleterre elle-même avait si bien senti que vous étiez roi de Naples et de Sicile, qu’elle avait renoncé à ce que cette île ne fit pas partie de vos États. Faites attention au protocole qu’on vous envoie, car il est possible qu’il y ait d’autres inconvenances.

 

Palais de Saint-Cloud, 1er avril 1808

ORDRE DU SERVICE PENDANT L’ABSENCE DE S. M. L’EMPEREUR ET ROI

Étant dans l’intention de visiter plusieurs départements de notre Empire et de nous rendre à Bordeaux et à Bayonne, nous avons réglé l’ordre du service pour le temps de notre absence de la manière suivante.

Nos ministres se réuniront le mercredi de chaque semaine, dans une salle de notre palais des Tuileries, sous la présidence de notre cousin l’archichancelier de l’Empire. Ils porteront à ce conseil le travail de leurs départements respectifs, qui nous sera transmis, et qui sera porté à cet effet à notre ministre secrétaire d’Etat par un auditeur, qui se rendra chez les princes et les ministres pour prendre leurs ordres et partir dans les vingt-quatre heures.

Tous nos ministres correspondront avec nous pour les affaires de leur département.

Les dépêches télégraphiques, transmises à Paris ou à transmettre, seront portées à l’archichancelier, avant qu’il puisse leur être donné cours.

 

Saint-Cloud, 2 avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures

Aussitôt que vous aurez remis la note au cardinal-légat, vous en enverrez copie à mon chargé d’affaires à Rome, qui pourra avoir une conférence avec le Pape ou avec son ministre. Si le Pape adhère aux conditions portées dans ma note, mon chargé d’affaires restera à Rome et le fera connaître au vice-roi par un exprès, S’il n’y adhère pas, il laissera finir le carême, et, avant le 20 avril, il remettra une note où il dira que, le légat ayant demandé ses passeports à Paris et les ayant reçus, il ne reste plus au soussigné qu’à demander les siens. Et, en effet, avant la journée du 20 avril, il aura quitté Rome et se rendra à Ancône. Vous direz bien à mon chargé d’affaires qu’il doit suivre strictement mes instructions, et que, quelque chose qui arrive, il doit prendre ses passeports si le Pape ne consent pas à entrer dans une ligue offensive et défensive avec les royaumes d’Italie et de Naples pour la défense de la presqu’île italienne. Tout autre biais ou mezzo-termine ne serait pas adopté.

 

Saint-Cloud, 2 avril 1808

A M. Cretet, ministre de l’Intérieur

Monsieur, Sa Majesté a été informée des bruits qui ont été répandus sur l’Histoire de l’anarchie de Pologne, par Rulhière. Pendant la campagne de Pologne, le ministre des relations extérieures avait mis sous ses yeux deux volumes manuscrits d’un ouvrage sur le même sujet, ayant le même titre et portant la date de 1764. Cet ouvrage était attribué au Père Maubert, ex-capucin. En le comparant avec le premier volume de l’Hisloire de Rulhière, il était impossible de ne pas reconnaître que c’était le même ouvrage et qu’il appartenait au même auteur. La discussion qui s’est élevée récemment dans les journaux a rappelé cette circonstance au souvenir de l’Empereur, qui m’a chargé d’adresser à Votre Excellence le manuscrit attribué au Père Maubert. Sa Majesté désire que vous le fassiez remettre à la troisième classe de l’Institut, qui sera invitée à faire connaître son opinion et à juger entre le Père Maubert et Rulhière.

 

Saint-Cloud, 2 avril 1808

A Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, Aldini vous a envoyé un décret relatif aux quatre Légations. Au lieu de le mettre à exécution le 20 avril, je désire qu’il ne le soit que le 30, et que jusque-là vous le teniez très-secret. Si, d’ici à ce temps, le Pape adhère à mon ultimatum, qui est d’entrer dans une ligne offensive et défensive avec les royaumes d’Italie et de Naples pour la défense de l’Italie, mon chargé d’affaires vous en préviendrait. Ces dix jours de plus vous mettront à même de prendre mieux vos mesures, de mieux régler tout, de manière que tout cela se fasse comme un coup de théâtre.

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P.S. Je pars à l’instant pour Bayonne

 

Orléans, 2 avril 1808 

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je suis arrivé ce soir à Orléans. Je serai le 4 ou le 5 à Bordeaux, où j’aurai reçu de nouvelles lettres de vous et d’où je vous répondrai en détail.

 

Château de Marrac, 3 avril 1808

A Louis Napoléon, roi de Hollande

Monsieur mon Frère, l’auditeur D …. m’a remis il y a une heure votre dépêche du 22 mars. Je fais partir un courrier qui vous portera cette lettre en Hollande.

L’usage que vous venez de faire du droit de faire grâce ne peut qu’être d’un très-mauvais effet. Le droit de grâce est un des plus beaux et des plus nobles attributs de la souveraineté. Pour ne pas le discréditer, il ne faut l’exercer que dans le cas où la clémence royale ne peut déconsidérer l’oeuvre de la justice, que dans le cas où la clémence royale doit laisser après les actes qui émanent d’elle l’idée de sentiments généreux. Il s’agit ici d’un rassemblement de bandits qui vont attaquer et égorger un parti de douaniers pour ensuite faire la contrebande. Ces gens sont condamnés à mort; Votre Majesté leur fait grâce ! Elle fait grâce à des meurtriers, à des assassins, à des individus auxquels la société ne peut accorder aucune pitié ! Si ces individus avaient été pris faisant la contrebande, si même, en se défendant, ils avaient tué des employés, alors vous auriez pu peut-être considérer la position de leurs familles, leur position particulière, et donner à votre gouvernement une couleur de paternité, en modifiant par une commutation de peine la rigueur des lois. C’est dans les condamnations pour contravention aux lois de fiscalité, c’est plus particulièrement encore dans celles qui ont lieu pour des délits politiques, que la clémence est bien placée. En ces matières, il est de principe que, si c’est le souverain qui est attaqué, il y a de la grandeur dans le pardon. Au premier bruit d’un délit de ce genre, l’intérêt public se range du côté du coupable et point de celui d’où doit partir la punition. Si le prince fait la remise de la peine, les peuples le placent au-dessus de l’offense, et la clameur s’élève contre ceux qui l’ont offensé. S’il suit le système opposé, on le répute haineux et tyran. S’il fait grâce à des crimes horribles, on le répute faible ou mal intentionné.

Ne croyez pas que le droit de faire grâce puisse être exercé impunément, et que la société applaudisse toujours à l’usage qu’en peut faire le monarque : elle le blâme lorsqu’il l’applique à des scélérats, à des meurtriers, parce que ce droit devient nuisible à la famille sociale. Vous avez trop souvent et en trop de circonstances usé du droit de grâce. La bonté de votre coeur ne doit point être écouté, lorsqu’elle peut nuire à vos peuples. Dans l’affaire des Juifs, j’aurai fait comme vous; dans celle des contrebandiers de Middelburg, je me
serais bien gardé de faire grâce.

Mille raisons devaient vous porter à laisser la justice faire une exécution exemplaire, qui aurait eu l’excellent effet de prévenir beaucoup de crimes par la terreur qu’elle aurait inspirée. Des gens du Roi sont égorgés au milieu de la nuit; les assassins sont condamnés; Votre Majesté commue la peine de mort en quelques années de prison : quel découragement n’en résultera-t-il point parmi les gens qui font rentrer vos impôts ! L’effet politique est très-mauvais ; je m’explique.

La Hollande était le canal par lequel, depuis plusieurs années, l’Angleterre introduisait sur le continent ses marchandises. Les marchands hollandais ont gagné à ce trafic des sommes immenses ; voilà pourquoi les Hollandais aiment la contrebande et les Anglais, et voilà les raisons pour lesquelles ils n’aiment point la France, qui défend la contrebande et qui combat les Anglais. La grâce que vous avez accordée à ces contrebandiers assassins est une espèce d’hommage que vous rendez au goût des Hollandais pour la contrebande. Vous paraissez faire cause commune avec eux, et contre qui ?… contre moi. Les Hollandais vous aiment; vous avez de la simplicité dans les manières, de la douceur dans le caractère; vous les gouvernez selon eux; si vous vous montriez fermement résolu à réprimer la contrebande, si vous les éclairiez sur leur position, vous useriez sagement de votre influence; ils croiraient que le système prohibitif est bon, puisque le Roi en est le propagateur. Je ne vois pas quel parti pourrait tirer Votre Majesté d’un genre de popularité qu’elle acquerrait à mes dépens. Assurément la Hollande n’est point au temps de Ryswick, et la France aux dernières années, de Louis XIV. Si la Hollande ne peut suivre un système politique indépendant de celui de la France, il faut qu’elle remplisse les conditions de l’alliance.

Ce n’est point au jour la journée que doivent travailler les princes; mon Frère, c’est sur l’avenir qu’il faut jeter les yeux. Quel est aujourd’hui l’état de l’Europe ? L’Angleterre, d’un côté; elle possède par elle-même une domination à laquelle jusqu’à présent le monde entier a dû se soumettre ; de l’autre, l’Empire français et les puissances continentales qui, avec toutes les forces de leur union, ne peuvent s’accommoder du genre de suprématie qu’exerce l’Angleterre. Ces puissances avaient aussi des colonies, un commerce maritime; elles possèdent, en étendue de côtes, bien plus que l’Angleterre. Elles se sont désunies; l’Angleterre a combattu séparément leur marine; elle a triomphé sur toutes les mers; toutes les marines ont été détruites. La Russie, la Suède, la France, l’Espagne, qui ont tant de moyens d’avoir des vaisseaux et des matelots, n’osent hasarder une escadre hors de leurs rades. Ce n’est donc plus d’une confédération des puissances maritimes, confédération, d’ailleurs, qu’il serait impossible de faire subsister à cause des distances et des croisements d’intérêts, que l’Europe peut attendre sa libération maritime et un système de paix qui ne pourra s’établir que par la volonté de l’Angleterre.

Cette paix, je la veux par tous les moyens conciliables avec la dignité et la puissance de la France; je la veux au prix de tous les sacrifices que peut permettre l’honneur national. Chaque jour, je sens qu’elle devient plus nécessaire; les princes du continent la désirent autant que moi; je n’ai contre l’Angleterre ni prévention passionnée, ni haine invincible. Les Anglais ont suivi contre moi un système de répulsion: j’ai adopté le système continental beaucoup moins, comme le supposent mes adversaires, par jalousie d’ambition, que pour amener le cabinet anglais à en finir avec nous. Que l’Angleterre soit riche et prospère, peu m’importe, pourvu que la France et ses alliés le soient comme elle.

Le système continental n’a donc d’autre but que d’avancer l’époque où le droit public sera définitivement assis pour l’Empire français et pour l’Europe. Les souverains du Nord maintiennent sévèrement le régime prohibitif; leur commerce y a singulièrement gagné : les fabriques de la Prusse peuvent rivaliser avec les nôtres. Vous savez que la France et le littoral qui fait aujourd’hui partie de l’Empire, depuis le golfe. de Lion jusqu’aux extrémités de l’Adriatique, sont absolument fermés aux produits de l’industrie étrangère. Je vais prendre un parti dans les affaires d’Espagne, qui aura pour résultat d’enlever le Portugal aux Anglais et de mettre au pouvoir de la politique française les côtes que l’Espagne a sur les deux mers. Le littoral entier de l’Europe sera fermé aux Anglais, à l’exception de celui de la Turquie; mais comme les Turcs ne trafiquent point en Europe, je ne m’en inquiète pas.

Voyez-vous, par cet aperçu, quelles seraient les funestes conséquences des facilités que la Hollande donnerait aux Anglais pour introduire leurs marchandises sur le continent ? Elle leur procurerait l’occasion de lever sur nous-mêmes les subsides qu’ils offriraient ensuite à certaines puissances pour nous combattre. Votre Majesté est plus intéressée que moi à se garantir de l’astuce de la politique anglaise. Encore quelques années de patience, et I’Angleterre voudra la paix autant que nous la voulons nous-mêmes.

Considérez la position de vos États; vous remarquerez que ce système vous est plus utile qu’à moi. La Hollande est une puissance maritime commerçante; elle a des ports magnifiques, des flottes, des matelots, des chefs habiles, et des colonies qui ne coûtent rien à la métropole; ses habitants ont le génie du commerce comme les Anglais. N’a-t-elle pas tout cela à défendre aujourd’hui ? La paix ne peut-elle pas la remettre en possession de son ancien état ? Sa situation peut être pénible pendant quelques années : n’est-elle pas préférable à faire du monarque hollandais un gouverneur pour l’Angleterre, de la Hollande et de ses colonies un fief de la Grande-Bretagne. L’encouragement que vous donneriez au commerce anglais vous conduirait à cela. Vous avez sous les yeux l’exemple de la Sicile et du Portugal. Laissez marcher le temps. Si vous avez besoin de vendre vos genièvres, les Anglais ont besoin de les acheter. Désignez les points où les smogleurs anglais viendront les prendre; mais qu’ils les payent avec de l’argent, et jamais avec des marchandises. Jamais, entendez-vous ? Il faudra bien enfin que la paix se fasse ; vous signerez en son lieu un traité de commerce avec l’Angleterre; j’en signerai peut-être un aussi; mais les intérêts réciproques seront garantis. Si nous devons laisser exercer à l’Angleterre une sorte de suprématie sur les mers, qu’elle aura achetée au prix de ses trésors et de son sang, une prépondérance qui tient à sa position géographique et à ses occupations territoriales dans les trois parties du monde, au moins nos pavillons pourront se montrer sur l’Océan sans craindre l’insulte; notre commerce maritime cessera d’être ruineux. C’est à empêcher l’Angleterre de se mêler des affaires du continent qu’il faut travailler aujourd’hui.

Votre affaire de grâce m’a entraîné dans ces détails; je m’y suis livré parce que j’ai craint que vos ministres hollandais n’aient fait entrer de fausses idées dans l’esprit de Votre Majesté.

Je désire que vous réfléchissiez sur cette lettre, et que vous fassiez des sujets qu’elle traite l’objet des délibérations de vos conseils; enfin que vos ministres impriment à l’administration le mouvement qui lui convient.

Sous aucun prétexte la France ne souffrira que la Hollande se sépare de la cause continentale.

Quant à ces contrebandiers, puisque la faute a été commise, il n’y a plus à revenir sur le passé; je vous conseille seulement de ne pas les laisser dans les prisons de Middelburg ; c’est trop près du lieu où le crime a été commis; renvoyez-les dans le fond de la Hollande.

 

Barbezieux, 4 avril 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre

Monsieur le Général Clarke, j’ai passé, en route, la revue du bataillon du 13e léger et du 72e, faisant partie du 14e provisoire. J’ai observé qu’il n’y avait que trois ou quatre officiers pour chacun de ces bataillons, tandis qu’il devrait y en avoir quatorze. J’en ai demandé la raison, et l’on m’a dit qu’il y avait de vieux officiers qui restaient au dépôt et ne marchaient pas ; faites-en passer la revue de rigueur et donnez-leur leur retraite. Mon armée ne doit pas être l’armée prussienne. Il n’y avait pas de chefs de bataillon; il est vrai qu’ils étaient commandés par deux excellents capitaines que j’ai nommés sur-le-champ chefs de bataillon. Berthier vous enverra la nomination de ces deux chefs de bataillon, pour que vous les fassiez compter au corps.

J’aurai besoin de beaucoup d’officiers en Espagne. D’après ce que j’ai vu et ce que l’on m’a dit, le plus court est de commencer par en faire. Vous ferez partir, en conséquence, vingt-quatre heures après la réception de cette lettre, par la diligence pour Bayonne, et de manière à être arrivés à Bayonne du 13 au 15 : 1° 25 vélites de ma Garde, pris dans les chasseurs à pied , et 25 vélites grenadiers ; ces 50 vélites devront être pris parmi les plus instruits , les plus âgés et les plus forts, et qui se soient trouvés ou à la campagne d’Austerlitz ou à celle de Pologne; 2° 15 sergents, caporaux ou soldats, tirés des grenadiers, et 15 tirés des chasseurs de ma Garde, pris parmi les vieux soldats, lettrés, vigoureux, et dans le cas d’être faits officiers. Vous donnerez à ces 80 individus leurs frais de poste jusqu’à Bayonne, leur gratification d’entrée en campagne ; vous les ferez partir et vous en enverrez l’état au major général. Arrivés à Bayonne, je les placerai dans différents régiments. Vous aurez soin de les munir, avant de partir, de leur hausse-col, épée et épaulettes. Vous en nommerez également 5 dans les vélites des chasseurs à cheval, 5 dans les grenadiers à cheval et 5 dans les dragons; vous en nommerez 10 parmi les grenadiers et 10 parmi les chasseurs, en prenant ces 35 hommes parmi les anciens soldats capables, pour leur intelligence, d’être officiers. Ce sera 35 officiers que me fournira ma Garde à cheval. Vous ferez prendre aux grenadiers l’uniforme de cuirassiers, et aux chasseurs l’uniforme de chasseurs et de hussards, aux dragons l’uniforme de dragons. Ces 35 officiers se rendront également à Bayonne : ce sera un secours de 115 officiers pour l’armée. Je vous recommande faire donner la retraite à tous ceux qui n’auront point marché.

J’ai remarqué dans les bataillons que j’ai vus, et l’on m’assure que cela est commun à tous, que le dépôt avait gardé la masse de linge et de chaussure ; de sorte que, me faisant présenter les livrets de chaque homme, j’ai vu qu’il manquait 12 francs, 6 francs, 8 francs. Les commandants disaient que cet argent était à la caisse à Anvers. Ordonnez que les états des sommes appartenant à la masse de linge et de chaussure des dépôts qui ont des détachements aux corps qui sont en Espagne soient envoyés à ces détachements. A cet effet, l’inspecteur portera au compte des dépôts, sur les premières sommes qu’il livrera, tout ce qu’ils auraient à ce titre. Le payeur, en Espagne, payera à chaque compagnie ce qui lui revient de ladite masse. Les états seront comparés, dans vos bureaux, pour s’assurer qu’ils sont les mêmes et que le trésor n’y perd rien. Donnez les ordres les plus immédiats sur cet objet.

J’ai remarqué également que les détachements étaient mal habillés. Le 13e a 300 hommes qui n’ont que des capotes et point d’habits. Ce serait une folie que de leur en faire donner. Il faudrait que le ministre Dejean écrivît au corps pour savoir pourquoi l’on n’a pas habillé les conscrits, puisqu’on a touché la première mise.

Ayez soin que de la Garde, tant à pied qu’à cheval, on n’envoie que des hommes qui soient utiles et qui lui fassent honneur. Fait moi connaître également si l’on ne pourrait pas envoyer de Saint-Cyr une douzaine de jeunes gens, pour en faire des sergents-majors et des fourriers, et de l’École polytechnique 15 ou 20. Mais il faudrait s’assurer avant s’ils savent commander ; s’ils ne le savent pas, qu’ils l’apprennent avant d’être employés; autrement ils ne seraient d’aucune utilité aux corps. Envoyez également 50 tambours et 20 trompettes. Il y a aux Invalides une école de tambours, et à Versailles une école de trompettes; si ces écoles ne pouvaient envoyer ce nombre, qu’elles envoient ce qu’elles pourront. Vous pouvez charger ces enfants, avec leurs caisses et leurs trompettes, sur trois ou quatre vélocifères pour Bayonne. Envoyez au major général l’état nominatif de tout cela le jour où cela doit arriver à Bayonne.

S’il y avait, parmi les officiers en réforme, 30 capitaines, 8 ou 10 chefs de bataillon, quelques colonels de quelque valeur, vous pourriez les tirer de la réforme et les diriger sur Bayonne, où je trouverai moyen de les employer.

 

Bordeaux, 5 avril 1808

Au prince Cambacérès, archichancelier de l’Empire

Mon Cousin, je suis arrivé à Bordeaux au moment où l’on m’attendait le moins, j’étais couché que peu de monde le savait encore. Je vais recevoir dans une heure les autorités et passer la revue de quelques troupes; je visiterai ensuite le port. Il n’y a du reste rien de nouveau. J’ai eu le plus beau temps dans ma route. Je joins ici une note, bonne à insérer dans le Journal de l’Empire, et une autre pour le Moniteur.

 

Bordeaux, 5 avril 1808

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

J’arrive à Bordeaux. J’ai reçu toutes vos lettres, celles du 30 comprises. J’attends dans la journée celles du 31 mars et du ler avril. Dès que j’aurai reçu celle du 1er avril, je partirai pour Bayonne, où j’attendrai celles du 2 et du 3.

La division Chabran, toute composée de Français, a dû entrer le ler avril en Espagne par Perpignan, et devra être rendue le 8 à Barcelone, ce qui rendra le général Duhesme très-fort.

En changeant de chevaux à Tours, j’ai rencontré le duc de Fernan Nunez, qui a remis à Duroc une lettre du prince des Asturies, Je n’ai pas pu le voir, puisque j’ai toujours marché.

Je sais que deux autres grands d’Espagne sont arrivés à Bayonne. Le prince Masserano avait à Paris des pouvoirs du nouveau roi : j’ai éludé. Je suis encore en mesure d’éluder; dans des affaires de cette importance, il faut voir clair.

J’ai ici trois régiments provisoires qui se mettent en marche pour Bayonne, pour joindre la division Verdier, qui alors sera tout à fait respectable.

Je vous ai mandé d’envoyer la division Dupont à Tolède, en la plaçant sur le chemin de Madrid à Badajoz. Je vous ai dit de faire venir à l’Escurial l’ancien roi, et de vous en rendre toutefois parfaitement le maître; de faire venir le prince de la Paix à Bayonne. Une voiture de poste et des escortes doivent l’y amener promptement. Je désire fort voir ce prince à Bayonne avant de prendre un parti sur rien. Je suppose que ces différents ordres ont été exécutés. Quant au nouveau roi, vous me mandez qu’il devait venir à Bayonne. Je pense que cela ne pourrait être qu’utile. Je n’ai point d’autres ordres à vous donner. Si mes troupes manquent de paille pour camper, il faut les faire cantonner dans des couvents et casernes, à raison d’un bataillon par couvent. Le principal est qu’elles soient bien.

Vous pourriez appeler même le régiment de Paris, qui est accoutumé à faire le service des grandes villes, et qui pourrait servir pour faire la police de Madrid.

Savary doit être arrivé depuis longtemps.

 

Bordeaux, 5 avril 1808

Au maréchal Bessières, commandant la Garde impériale en Espagne, à Burgos

Mon Cousin, je suis arrivé à Bordeaux, Si les deux régiments de fusiliers, formant la seconde colonne de ma Garde, sont fatigués, vous pouvez les garder quelques jours à Burgos. Vous devez occuper en force Aranda. Vous pouvez y envoyer les escadrons et les bataillons provisoires; ils se trouveraient là sur le chemin de rejoindre à Madrid leurs corps. Donnez à un bon général le commandement de ce détachement; joignez-y trois pièces de canon. Les 13e, 14e et 15e régiments provisoires , qui doivent compléter à 9,000 hommes la division Verdier, sont à la hauteur de Bordeaux et se mettent en marche demain pour rejoindre successivement.

Hédouville doit être à Burgos ; il serait nécessaire qu’il se rendit à ma rencontre à Vittoria. Vous vous assurerez d’abord qu’il sait l’espagnol assez bien pour traduire, avec fidélité et élégance, mes différents discours. Il est nécessaire que vous réunissiez à Vittoria toute la division Verdier, afin que, dans une heure de temps, je puisse voir ce qui lui manque, les promotions qu’il y aurait à l’aire dans les différents corps , etc.

 

Bordeaux, 6 avril 1808

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, j’ai reçu votre lettre du 29 mars, par laquelle vous m’annonciez que la journée d’hôpital a été réduite à 1 franc dans les hôpitaux civils, et à 1 franc 30 centimes dans les hôpitaux militaires; cela commence à devenir raisonnable; l’année prochaine, il faut la réduire encore de 5 centimes.

La joie du Pape de l’arrivée de son courrier à Paris est ridicule, comme tout ce qui se fait à Rome. Ils font bien voir que cette cour de Rome est composée de méchantes gens; heureusement qu’ils n’ont aucun pouvoir. Le courrier portait un ordre au cardinal-légat de demander ses passeports, chose que je lui ai accordée sur-le-champ, car je n’ai pas besoin de lui. Il est impossible de perdre plus bêtement ces États temporels que le génie et la politique de tant de Papes avaient formés. Quel triste effet produit le placement d’un sot sur le trône !

Je vous renvoie vos décrets. Par le décret que j’ai pris, vous aurez vu que je vous ai chargé des premières nominations. Nommez des hommes qui connaissent l’administration, qui aient du caractère, et accoutumés à lutter contre les prêtres.

Je vous envoie une lettre du colonel du 24e de dragons; voyez ce que c’est, et rendez justice à tout le monde. Je ne sais pas s’il existe des plaintes contre ce colonel; il me semble que j’en avais toujours eu bonne opinion.

J’ai signé le décret de nomination du colonel des chasseurs.

 

Bordeaux, 6 avril 1808

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

L’épée de François 1er, ne valait pas la peine qu’on en fit de l’éclat dans cette circonstance. François ler était roi de France, mais il était Bourbon. Il n’a pas été pris d’ ailleurs par les Espagnols, mais par les Italiens.

Je suppose qu’après ma dernière lettre vous aurez été voir le roi Charles et la reine.

Faites exécuter tous mes ordres. Approvisionnez mes troupes de vivres et de cartouches.

Vous dites que je suis le maître de tout, et vous ne l’êtes pas du roi Charles ; car qu’est-ce qu’une brigade dans une ville comme Aranjuez ? Vous ne me parlez pas de la situation et de la force des troupes espagnoles à Madrid et à Aranjuez, et vous me laissez dans l’obscur sur tout. J’espère que Monthion me donnera quelques explications.

Je pense que vous pouvez envoyer le sieur Beauharnais à ma rencontre, à Bayonne; je vous en laisse cependant le maître. Je crois qu’indépendamment des renseignements que je pourrai en tirer, son éloignement de Madrid ne peut être qu’utile. Il laissera son secrétaire comme chargé d’affaires pendant son absence.

Je suppose que vous avez dit à tout le monde que je suis arrivé à Bordeaux, Faites-le mettre dans les journaux, ainsi que l’article du Moniteur qui en fait mention.

J’espère qu’après avoir reçu cette lettre vous recevrez des nouvelles de Barcelone, qui vous annonceront l’arrivée de mes troupes.

 

Bordeaux, 6 avril 1808

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 31 mars. Le général Belliard envoie au prince de Neuchâtel un état qui est plein d’erreurs. Il porte 3,300 chevaux au corps de la Gironde, comme il ne porte à la division des Pyrénées occidentales que 2,000 hommes; il n’y porte pas le général Verdier. Je ne songe pas à convertir les régiments provisoires en régiments définitifs. Chaque régiment provisoire est composé de quatre bataillons à quatre compagnies; ces quatre compagnies sont toutes d’un même régiment. Je crois qu’il n’y a que quatre bataillons qui aient leurs compagnies formées de deux régiments différents, ce qui est une exception. Par la nouvelle organisation que j’ai donnée à l’armée, les bataillons sont composés de six compagnies, et presque toutes les quatre compagnies qui sont aux régiments provisoires feront partie des 4e bataillons. Aussitôt que les dépôts pourront le faire, ils expédieront les deux compagnies de grenadiers et de voltigeurs, et alors les régiments provisoires seront composés de quatre bataillons, chaque bataillon fort de six compagnies et ayant un effectif de 840 hommes. Dans tous les temps, dans l’organisation militaire, un bataillon a été détaché; ainsi, si toutes les fois que cela arrive, on devait culbuter l’organisation, où en serions-nous ? D’ailleurs les dépôts fourniront aux régiments, au lieu qu’ils n’auraient pas de dépôts d’où je pusse diriger sur les armées d’Espagne et sur la Grande Armée.

Chaque bataillon doit être commandé par un chef de bataillon. Je sais qu’il en manque beaucoup; mais, quand je serai à l’armée, les bons capitaines, je les ferai chefs de bataillon. Je sais qu’il manque beaucoup d’officiers. J’en ai fait venir cent, tirés des vélites de ma Garde, qui ne tarderont pas à se rendre à Madrid, et seront placés dans les régiments. Vous pouvez demander au général Lepic vingt vélites ou vieux soldats, capables d’être faits sous-lieutenants, pris dans les bataillons de ma Garde qui ont du arriver le 6 à Madrid. Vous en enverrez l’état au major général, ainsi que des corps où ils seront attachés, en les donnant aux corps qui en ont le plus besoin. Je suppose que chaque régiment provisoire a un guidon en forme de drapeau. S’ils n’en ont pas, faites-en faire. Un simple guidon, comme les grenadiers en avaient, est suffisant. Ayez bien soin de recommander que, dans la manoeuvre, chaque compagnie forme une division, et chaque demi-compagnie un peloton. Il faut le mettre à l’ordre, le dire et le redire, afin que les officiers le comprennent bien; dire que, dans l’organisation des bataillons à quatre compagnies, une compagnie forme toujours une division.

Vous devez avoir des souliers. Dites à l’intendant général d’en écrire au major général, et de lui faire connaître la quantité que le maréchal Moncey a fait faire, celle que le ministre Dejean a envoyée, et celle distribuée. J’ai donné, je crois, une gratification de souliers. Les corps doivent en sus s’en fournir sur la masse de linge et de chaussure. Ils peuvent s’en faire faire à Madrid, car, enfin, on porte des souliers en Espagne.

J’ai donné une gratification à la masse de linge et de chaussure. Il faut mettre tout cela en règle. Les corps, à ce qu’il parait, n’ont point emporté de leur régiment la masse de linge et de chaussure ; ils ont porté leurs livrets; mais on a laissé la caisse au régiment. Je viens d’ordonner qu’à Paris on fasse la retenue de cette masse aux conseils d’administration des régiments, et qu’en même temps on réintègre les mêmes sommes dans les compagnies des régiments provisoires. Vous pouvez faire exécuter cette disposition sans délai, et ordonner qu’un relevé soit fait des livrets, par compagnie, qui constate ce que chaque individu a dans la masse de linge et de chaussure. L’intendant général arrêtera l’état définitif, qui sera envoyé à la guerre. Le payeur enverra ce même état au trésor public. Cela mettra quelque aisance dans la masse de linge et de chaussure.

Il est nécessaire que l’administration des régiments reste séparée par bataillon, puisque c’est le moyen le plus simple de la rattacher à l’administration générale du corps. Les majors peuvent avoir la surveillance sur les quatre bataillons des régiments.

Je suppose que les troupes s’exercent deux ou trois fois par jour; qu’on fait faire l’exercice à feu et tirer à la cible. Si l’on tire à la cible, il ne faut pas le faire en public, mais de bonne heure et sans qu’il y ait d’Espagnols.

Tous les caissons d’infanterie qui étaient destinés an corps du maréchal Moncey doivent être partis. Le général Dupont doit en avoir beaucoup, de manière que vous devez être muni de cartouches d’infanterie. Comme vous le dites, le parti que vous prenez d’en faire faire est le meilleur. Les soldats doivent, indépendamment de ce qu’ils ont dans le sac, avoir leurs cinquante cartouches; je suppose que le général la Riboisière s’occupe sérieusement de cet objet. Il faut avoir un dépôt de cartouches à Burgos, à Aranda, à Vittoria, à Pampelune, à Saint-Sébastien ; Pampelune doit vous en fournir. Faites-vous remettre par le général la Riboisière un mémoire qui fasse connaître votre situation dans cette partie. J’avais ordonné la réunion de cent voitures à Bayonne; cela devrait être prêt à présent. Il y a dans le nombre beaucoup de caissons d’infanterie.

 

Bordeaux, 7 avril 1808

Au prince de Neuchâtel, major général de la Grande Armée

Mon Cousin, j’approuve l’organisation de l’artillerie que le général Songis présente dans son rapport du 5 mars, avec les changements suivants. Dix obusiers sont de trop pour le 1er corps; huit suffisent. On portera alors au parc six pièces de 6, au lieu de quatre. Six pièces ne suffisent pas an 3e corps. Quoique ce corps ne soit composé que de trois divisions, il y a cependant un plus grand nombre de régiments que dans les autres divisions. Je pense donc qu’il faut porter au parc quatre pièces de plus, ce qui ferait dix pièces au lieu de six; des pièces peuvent être détachées avec les régiments qui seraient extraits des divisions. Cela porterait le nombre de pièces du 3e corps à cinquante-deux. La réserve du 4e corps n’est pas suffisante à six pièces, il faut également l’augmenter de quatre; ce qui porterait le nombre des pièces de ce corps à soixante-quatre. La réserve du 5e corps est trop forte à six pièces, quatre suffisent; ce qui fera monter le nombre des pièces de ce corps à trente-quatre. Même observation pour le 6e corps. Le total des pièces nécessaires serait donc de trois cent quatre, au lieu de trois cents. Il faut avoir, indépendamment de cela, au parc général, seize pièces; ce qui ferait trois cent vingt pièces de canon. Je pense que le général Songis doit se procurer ces trois cent vingt pièces sans délai, et qu’il en a les moyens avec la quantité du personnel du train qu’il a ; qu’il doit supprimer tout ce qui serait luxe de parc inutile, et recruter avec activité les chevaux. Il y a une partie de l’approvisionnement qu’on se procurerait plus tard, qui, nécessairement, serait traîné de Küstrin, de Stettin , de Varsovie, par réquisitions ou par des moyens de transport qu’on trouvera alors. Cet équipage serait composé de trente-six pièces de 12, de deux cent dix de 3 , de 4, de 6 et de 8, et de soixante et douze obusiers. Ce qui fait, pour un approvisionnement complet, 630 caissons, 320 pièces, 150 forges, caissons de parc, prolonges, affûts de rechange, c’est-à-dire 1,100 attelages, 600 caissons d’infanterie, en tout 1,700 attelages; et, pour un approvisionnement et demi, 945 caissons, 320 pièces, 150 forges, caissons de parc, etc., c’est-à-dire 1,415 voitures et 600 caissons d’infanterie, en tout 2,015 attelages, qui, à 5 chevaux l’un portant l’autre, en comprenant les voitures qui doivent être attelées de 6 chevaux , ne forment que 10,000 chevaux. Or vous en avez 13,000 : il reste donc 3,000 chevaux pour le parc et pour les autres besoins. Ces 3,000 chevaux peuvent atteler 600 caissons (c’est-à-dire porter, comme parc général, un demi-approvisionnement de toute l’artillerie) , 100 caissons de parc, forges, prolonges, etc. , et 200 caissons d’infanterie. Vous devez observer au général Songis que l’artillerie, telle qu’il l’organise, coûte trop de chevaux d’attelage, et qu’il faut que les effets soient proportionnés aux moyens.

 

Bordeaux, 7 avril 1808

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie

Mon Fils, un nommé Thienson, peintre, doit arriver à Milan, se dirigeant sur Rome de Milan, il doit se rendre à Florence, et de 1à à Rome, où il a le projet d’être rendu le 25 avril. Au reçu de cette lettre, vous le ferez arrêter, vous ferez saisir ses papiers, que vous m’enverrez tout cacheté; et lui, vous le dirigerez sur Paris. S’il était parti de Milan, vous enverriez cet ordre au commandant français à Florence. Il est possible qu’il ait dans ses papiers des lettres pour Lucien, pour le roi de Naples. Tout doit être mis indistinctement sous le scellé et doit m’être envoyé.

(Propre main) S’il est parti de Florence et qu’il soit à Rome, vous le laisserez, mais vous le ferez arrêter à son retour.

 

Bordeaux, 7 avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures

Monsieur de Champagny, répondez au sieur Beauharnais que je suis étonné qu’il n’ait pas su faire la réponse à cette note : « que ce n’est pas dans un moment où le peuple fait la loi au gouvernement qu’on peut être indifférent à la circulation d’une si grande quantité d’armes et qu’il semble que le gouvernement espagnol doit être bien aise de voir les armes en sûreté et hors du pouvoir des hommes qui paraissent vouloir agiter la monarchie »

 

Bordeaux, 8 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Les 3,000 matelots des villes hanséatiques se lèvent. Il faut correspondre avec le sieur Bourrienne ou avec l’officier que vous en avez chargé, pour les dépenses. D’un autre côté, l’ordonnateur de ce port me mande qu’il en a envoyé plus de 500 à Flessingue, et qu’il en attend plus de 1,500 venant d’Espagne, qu’il dirige également sur Flessingue.

Le commandant de la marine ici m’assure que la frégate la Comète, qui est au Passage, est susceptible d’être réparée; qu’il ne s’est pas vérifié qu’elle faisait eau, et que les premiers rapports sont controuvés. Donnez les ordres nécessaires pour réarmer cette frégate et pour la faire monter avec les matelots qui viennent d’Espagne et avec les Français qui se trouvent là. Elle sera utile pour éloigner les les croisières ennemies de ces parages ou pour être envoyée en mission.

Il parait qu’on pourrait construire des vaisseaux à Bordeaux, mais que cela ne serait d’aucune utilité, puisque les bois se transportent facilement à Rochefort; mais qu’il serait utile d’avoir, dans une anse entre Bordeaux et Rochefort, deux ou trois péniches et autant de chaloupes canonnières, parce que les Anglais interceptent cette communication avec des péniches. Donnez des ordres efficaces pour la station de ce petit armement entre Rochefort et la Gironde. On emploie ici à des frégates du bois qui pourrait être utile à des vaisseaux de ligne. Il parait que l’on marque, dans le bassin de la Gironde et de la Dordogne, pour 100 milliers de pieds cubes de bois, mais que les fournisseurs n’en marquent que 50,000 et que les 50 autres milliers rentrent aux adjudicataires. D’un autre côté l’on ne marque point dans des forêts où l’on pourrait marquer du très-beau bois.

Il faudrait mettre deux frégates en construction à Bordeaux. Il y a vingt ans qu’on y construit quatre vaisseaux de 60. Faut-il admettre dans les escadres des vaisseaux de 50 ? C’est une question sur laquelle je sais que les officiers de marine se sont prononcés. Cependant l’exemple des Anglais prouve qu’ils y sont nécessaires. Ils ont l’avantage d’être plus forts qu’une frégate dans un combat de ligne, et ils ont l’avantage encore de pouvoir s’approcher des côtes et d’entrer dans beaucoup de ports où un vaisseau de 74 ne peut entrer. A Aboukir et dans d’autres circonstances, des vaisseaux de 50 ont rendu aux Anglais plus de services que n’auraient pu en rendre des vaisseaux de 74. Comme il paraît que nous ne manquerons pas de vaisseaux à Flessingue, activez les constructions d’Anvers, afin d’avoir en mer trois ou quatre vaisseaux à la fin de l’année. Comme il parait que nous allons aussi avoir des matelots à Rochefort, le vaisseau 1e Calcutta, étant en bon état, si ce vaisseau marche, on pourrait l’armer. Il serait pris sans déshonneur par un vaisseau de 74, et il ne le sera jamais par une frégate; dès lors, il nous rendrait à peu près le même service; car 74 contre 74, avec les équipages qu’ont aujourd’hui nos vaisseaux, il y a bien des probabilités qu’ils seront pris. Le principal est de s’assurer si le Calcutta marche; on m’assure qu’il est susceptible de bien marcher.

Il faudrait beaucoup que les frégates la Pallas, l’Elbe et la Renommée fussent armées et à l’eau, lorsque je passerai dans cette ville; d’ici à six semaines.

Je désirerais qu’on mit à l’eau, à la même époque, l’Amphitrite à Cherbourg et la Bellone à Saint-Malo.

 

Bordeaux, 8 avril 1808, 5 heures après midi

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 2 au soir. Je n’approuve pas votre ordre du jour. Qu’est-ce que les Suédois et les Russes ont de commun avec mon armée ? Pourquoi annoncer que je vais en Espagne ? Je ne vous y avais pas autorisé. Je n’ai jamais dit que j’irais à Madrid. Vous pouviez le dire et non l’écrire. Le moins que vous écrirez sera le mieux. Il serait fâcheux que tout cela et votre discours pour la réception de l’épée de François ler fussent imprimés.

Vous aurez reçu dans la journée du 3 ma lettre du 27 mars, qui vous aura fait connaître mes intentions. Savary aura dû vous en dire le fond. J’attends cette nuit votre réponse.

Le général Reille va se rendre immédiatement près de vous. Vous ne devez pas être inquiet sur vos subsistances; tous les couvents sont remplis de vivres.

Je suis fâché que mes généraux se soient enfournés dans les plus belles maisons de Madrid. Ils devaient se cantonner aux portes de la ville ou dans les faubourgs. S’il arrive quelque malheur, ce sera leur faute. La scène arrivée à mes soldats. est très-fâcheuse, et, si je vais à Madrid, je ne pourrai que donner des marques de mon improbation à l’officier qui commandait la caserne. Il y a dans tout cela de la faiblesse. J’attends avec impatience de vos nouvelles.

 

Bordeaux, 9 avril 1808

A M. Daru, intendant général de la Grande Armée

Monsieur Daru, je ne conçois rien à votre dépêche du 9 mars. Il me semble que le sieur Jollivet avait assez bien arrangé les choses ; il fallait le laisser signer; d’autant plus que, ayant calculé sur ce que vous m’aviez dit que le traité était signé , j’avais disposé de 6,500,000 francs. Tout cela traîne en longueur sans raison. Il était bon d’arrêter le principe, mais vous aviez le temps de discuter les détails. Mes troupes resteront le temps nécessaire et ne rentreront que lorsque les 30 millions seront payés; ainsi j’avais bien le temps de me faire payer de 6 millions. La direction que vous avez donnée à cette affaire est très-préjudiciable à mes intérêts. Le sieur Jolivet l’avait mieux terminée.

 

Bordeaux, 9 avril 1808, 8 heures du matin

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 3, à minuit, par laquelle je vois que avez reçu ma lettre du 27 mars. Celle du 30 et Savary, qui doit être arrivé, vous auront fait connaître encore mieux mes intentions. Le général Reille part à l’instant pour se rendre près de vous.

Je vois en général que vous attachez trop d’importance à l’opinion de la ville de Madrid. Je n’ai pas réuni de si grandes armées en Espagne pour suivre les fantaisies de la populace de Madrid. Le principal est que vous soyez bien le maître du roi Charles, qu’il n’ai pas autour de lui des gens importuns, et qu’une bonne division le rassure contre les événements populaires; ensuite qu’il n’y ait aucune intelligence des nouveaux faiseurs avec l’Angleterre, ni aucune tendance à s’en aller; que l’armée ne se constitue pas habitante de Madrid ; que les hôpitaux et les magasins soient resserrés dans les faubourgs; qu’on maintienne une bonne discipline et qu’on ne tienne aucun mauvais propos. On dit que les officiers chassent dans les chasses de l’Escurial : cela serait très-mal fait. Il est à désirer que le prince des Asturies soit à Madrid ou vienne à ma rencontre. Dans ce dernier cas, je l’attendrai à Bayonne. Il serait fâcheux qu’il prit un troisième parti. Savary connaît tous mes projets et a dû vous faire part de mes intentions. Quand on connaît le but où l’on doit marcher, avec un peu de réflexion, les moyens viennent facilement.

Je vous ai fait connaître que je faisais arriver un grand nombre d’officiers en Espagne, et je vous ai autorisé à en nommer. Demandez à l’intendant général de vous faire connaître où sont tous les souliers qu’a envoyés le ministre Dejean et ceux que le maréchal Moncey fait fabriquer. Les états du général Belliard sont toujours inexactes. Il porte à la division des Pyrénées occidentales le 1er régiment provisoire : c’est un régiment de marche ; le 1er régiment provisoire est au corps du maréchal Moncey. Il n’y porte d’ailleurs ni les cinq bataillons des légions de réserve, ni la division Verdier.

 

Bordeaux, 10 avril 1808

A M. Mollien, ministre du trésor public, à Paris

Monsieur Mollien, je vous envoie copie d’une lettre que j’écris au sieur Daru. Je pense qu’il est nécessaire que vous envoyiez un homme du trésor, très-fort, que vous recommanderez à l’intendant général et au receveur général, pour rédiger sur tout cela un travail clair et bien fait. L’objet de sa mission sera de porter une grande surveillance sur le payeur. Les abus de la solde doivent être énormes; il y a au moins 20 millions de trop, ou par la faute du payeur, ou par le grand nombre d’abus qui se sont glissés. Le rapport que vous enverra l’agent du trésor, qui doit être considérable dans cette partie, aura pour but de bien faire connaître tout ce qui était entré, au 1er janvier 1808, dans la caisse des contributions, ou reçu par les administrateurs du pays, ce qui, selon les comptes de l’intendant général, doit se monter à 199 millions avoués par le receveur, et à 22 millions qu’il a dû recevoir depuis, et de constater l’emploi de ces sommes, ce qui doit conduire au résultat de 88 millions disponibles, acquis à la caisse d’amortissement. Cette opération faite, l’agent du trésor assistera, avec l’intendant général, à la formation du budget de 1808, en recettes et en dépenses. Combien le receveur général croit-il recevoir, indépendamment des 222 millions qu’il est censé avoir reçus ? Combien est-il dû encore sur la contribution extraordinaire ? Combien est-il dû au ler avril ? Combien croit-on pouvoir en percevoir dans l’année ? Quels sont les revenus ordinaires présumés de tous les états pour l’année 1808 ? Combien avaient-ils rendu au ler avril ? L’agent du trésor vous répondra sur ces questions. On verra par là les rentrées qu’on peut espérer dans l’année. Les dépenses, en les portant exagérées, ne peuvent dépasser 70 millions.

 

Bordeaux, 10 avril 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre

Je ne conçois pas comment vous n’avez pas pu m’envoyer les vélites que je demandais. Vous m’envoyez des officiers d’ordonnance c’est bien différent; ils porteront dans les corps un faux esprit.

 

Bordeaux, 10 avril 1808, à midi

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 6, à quatre heures après midi. J’y vois que le prince des Asturies s’est rendu à Aranjuez pour de là se rendre Burgos. Il est fâcheux que vous ne soyez pas plus fort à Aranjuez. Si vous aviez là 6,000 hommes d’infanterie, tout serait bien. Mai tout ce que je pourrais dire là-dessus actuellement est inutile.

Savary doit être arrivé le 7, et vous aura fait connaître mes intentions. Reille est parti d’ici hier matin avec des instructions dans le sens de celles de Savary. Je fais partir aujourd’hui Monthion avec de instructions dans le même sens pour Bessières, pour Verdier et pour vous. Mais avant tout il est nécessaire de connaître le parti que prendra le prince des Asturies. S’i1 se rend à Burgos et à Bayonne il aura tenu sa parole. S’il reste à Aranjuez, ou s’il allait à Séville et qu’il eût enlevé le roi Charles, alors cela signifierait qu’il est en pleine disposition hostile. Lorsque le but que je me propose et que vous aura fait connaître Savary sera rempli, vous pourrez déclarer verbalement, et dans toutes les conversations, que moi intention est non-seulement de conserver l’intégrité des provinces et l’indépendance du pays, mais aussi les privilèges de toutes les classes et que j’en prendrai l’engagement ; que j’ai le désir de voir l’Espagne heureuse et dans un système tel que je ne puisse jamais la voir redoutable pour la France.

Le sieur Beauharnais me mande qu’il serait possible que le duc de l’Infantado fût à la tête d’un mouvement à Madrid. Si cela est, vous le réprimerez à coups de canon, et vous en ferez une sévère justice Vous devez vous souvenir des circonstances où, sous mes ordres, vous avez fait la guerre dans de grandes villes. On ne s’engage point dans les rues ; on occupe les maisons des têtes de rues et on établi de bonnes batteries.

Vous devez, dans tous les cas, trouver dans la bonté et l’utilité de mes projets sur l’Espagne des arguments propres à concilier tous les partis. Ceux qui veulent un gouvernement libéral et la régénération de l’Espagne les trouveront dans mon système ; ceux qui craignent le retour de la Reine et du prince de la Paix peuvent être rassurés, puisque ces deux individus seront sans influence et sans crédit. Les grands qui voudront de la considération, et des honneurs, qu’ils n’avaient pas dans l’administration passée, la retrouveront. Les bons Espagnols qui veulent la tranquillité et une bonne administration trouveront ces avantages dans un système qui maintiendra l’intégrité et l’indépendance de la monarchie espagnole.

 

Bordeaux, 11 avril 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Monsieur le Général Clarke, je crois vous avoir donné l’ordre d’envoyer le bataillon de Neuchâtel au Havre. Je désire qu’à mesure que la légion de la Vistule arrivera vous en fassiez passer la revue par un inspecteur, et que vous fassiez mettre sa comptabilité en bon état. Mon intention est que vous placiez son dépôt à Sedan. Vous composerez ce dépôt du fond d’une compagnie de chaque régiment, ce qui fera trois compagnies, et d’une du régiment à cheval, ce qui fera quatre compagnies. Vous mettrez à ce dépôt un quartier-maitre, un conseil d’administration et un major. Les recrues venant de Pologne s’arrêteront là pour être habillées. Vous sentez que cette légion a besoin d’une autre organisation, et que trois régiments d’infanterie de 1,800 hommes chacun et un régiment de cavalerie de 1,2200 hommes ne peuvent rester sous un seul chef. Il faut donc avoir, d’abord , un régiment de lanciers organisé, comme nos régiments de chasseurs, à 4 escadrons de 1250 hommes chacun, plus une compagnie de dépôt de 125 hommes, ce qui ferait un effectif de 11 à 1,200 hommes; secondement, des trois régiments d’infanterie, je prendrai le parti d’en faire un seul, ayant son administration à part et composé de 6 bataillons de 6 compagnies chacun et d’un bataillon de dépôt de 4 compagnies, ce qui ferait 40 compagnies, chacune à l’effectif de 140 hommes. En attendant, vous pouvez placer la cavalerie, immédiatement après en avoir passé la revue, à Paris, le long de l’Eure ou de la Seine, en choisissant les pays où le fourrage est le plus abondant et à meilleur marché, et de manière qu’elle soit à portée de marcher au secours d’un débarquement qui aurait lieu à Cherbourg et au Havre. Jetez-la cependant un peu à gauche, afin que si, après avoir reçu votre rapport, je me décidais à la faire venir en Espagne, il n’y eût aucune fausse marche de faite. Vous cantonnerez l’infanterie dans l’arrondissement de deux ou trois marches de Paris, toujours du côté de la mer, en plaçant chaque régiment dans une localité, pour qu’il puisse s’occuper de son instruction et être à même de marcher où il serait nécessaire. Pendant ce temps, vous méditerez l’organisation de la légion d’après les nouvelles bases que je viens d’indiquer, et, sur la connaissance que vous aurez prise de la situation en hommes et en officiers, vous me présenterez un rapport et un projet de décret.

 

Bordeaux, 12 avril 1808

NOTE POUR M. CRETET, MINISTRE DE L’NTÉRIEUR, A PARIS.

Sa Majesté n’approuve pas les principes énoncés dans la note du ministre (1).

(1) Le ministre de l’intérieur se proposait de faire la réponse suivante à l’abbé Halma, demandant à publier, aux frais de l’État, une continuation de l’Histoire  de France, de Velly, Villaret et Garnier :

« ….. Le ministre a consulté à cet égard les hommes les plus éclairés ; ils ont pensé que cette demande ne pouvait être accueillie. Il ne saurait y avoir aucun motif pour faire intervenir le Gouvernement dans cette continuation et en faire une dépense publique… Cette opération ne sort point de la classe des entreprises que le Gouvernement petit laisser à l’industrie particulière, et ses secours doivent être réservés à l’exécution des grands travaux et des collections qui sont au-dessus des forces des simples particuliers » (Note pour Sa Majesté , en date du 6 avril 1808.)

Ils étaient vrais il y a vingt ans, ils le seront dans soixante, mais ils ne le sont pas aujourd’hui. Velly est le seul auteur un peu détaillé qui ait écrit sur l’histoire de France. L’Abrégé chronologique du président Hénault est un bon livre classique. Il est très-utile de les continuer l’un et l’autre. Velly finit à Henri IV, et les autres historiens ne vont pas au delà de Louis XIV. Il est de la plus grand importance de s’assurer de l’esprit dans lequel écriront les continuateurs. La jeunesse ne peut bien juger les faits que d’après la manière dont ils lui sont présentés. La tromper en lui retraçant des souvenirs c’est lui préparer des erreurs pour l’avenir. Sa Majesté a chargé le ministre de la police de veiller à la continuation de Millot; elle désir que les deux ministres se concertent pour faire continuer Velly et le président Hénault. Il faut que ce travail soit confié non-seulement à des auteurs d’un vrai talent, mais encore à des hommes attachés, qui présentent les faits sous leur véritable point de,vue, et qui préparent une instruction saine, en prenant ces historiens au moment où ils s’arrêtent, et en conduisant l’histoire jusqu’en l’an VIII.

Sa Majesté est bien loin de compter la dépense pour quelque chose. Il est même dans son intention que le ministre fasse comprendre qu’il n’est aucun travail qui puisse mériter davantage la protection de l’Empereur.

Il faut faire sentir à chaque ligne les effets de l’influence de la cour de Rome, des billets de confession, de la révocation de l’édit de Nantes, du ridicule mariage de Louis XIV avec madame de Maintenon, etc. Il faut que la faiblesse qui a précipité les Valois du trône, et celle des Bourbons, qui ont laissé échapper de leurs mains les rênes du gouvernement, excitent les mêmes sentiments. On doit être juste envers Henri IV, Louis XIII , Louis XIV, Louis XV, mais sans être adulateur. On doit peindre les massacres de septembre et les horreurs de la Révolution du même pinceau que l’Inquisition et les massacres des Seize. Il faut avoir soin d’éviter toute réaction en parlant de la Révolution. Aucun homme ne pouvait s’y opposer. Le blâme n’appartient ni à ceux qui ont péri, ni à ceux qui ont survécu. Il n’était pas de force individuelle capable de changer les éléments et de prévenir les événements qui naissaient de la nature des choses et des circonstances.

Il faut faire remarquer le désordre perpétuel des finances, le chaos des assemblées provinciales, les prétentions des parlements, le défaut de règle et de ressort dans l’administration, cette France bigarrée, sans unité de lois et d’administration, étant plutôt une réunion de vingt royaumes qu’un seul État; de sorte qu’on respire en arrivant à l’époque où l’on a joui des bienfaits dus à l’unité de lois, d’administration et de territoire. Il faut que la faiblesse constante du gouvernement sous Louis XIV même, sous Louis XV et sous Louis XVI, inspire le besoin de soutenir l’ouvrage nouvellement accompli et la prépondérance acquise. Il faut que le rétablissement du culte et des autels inspire la crainte de l’influence d’un prêtre étranger ou d’un confesseur ambitieux qui pourraient parvenir à détruire le repos de la France.

Il n’y a pas de travail plus important. Chaque passion, chaque parti peut produire de longs écrits pour égarer l’opinion ; mais un ouvrage tel que Velly, tel que 1’Abrégé chronologique du président Hénault, ne doit avoir qu’un seul continuateur. Lorsque cet ouvrage bien fait et écrit dans une bonne direction aura paru, personne n’aura la volonté et la patience d’en faire un autre, surtout quand, loin d’être encouragé par la police, on sera découragé par elle. L’opinion exprimée par le ministre dans sa note, et qui, si elle était suivie, abandonnerait un tel travail à l’industrie particulière et aux spéculations de quelques libraires, n’est pas bonne et ne pourrait produire que des résultats fâcheux.

Quant à l’individu qui se présente, la seule question à examiner consiste à savoir s’il a le talent nécessaire, s’il a un bon esprit, et si l’on peut compter sur les sentiments qui guideraient ses recherches, conduiraient sa plume.

 

Bordeaux, 12 avril 1808  

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

L’empereur de Russie a mis toutes ses escadres à ma disposition. Il est, en conséquence, nécessaire que vous envoyiez un ordre au préfet maritime de Toulon, pour les deux vaisseaux russes qui sont à l’île d’Elbe, de se rendre à Toulon, soit en profitant du passage de l’amiral Ganteaume, s’ils le peuvent, soit en profitant de la première occasion favorable. Vous ne mettrez point de date à votre lettre au commandant de l’escadre russe, et vous laisserez au préfet maritime la faculté de la mettre. Votre ordre sera ainsi conçu :

« Monsieur le Commandant, en conséquence des ordres de S. M. l’Empereur Alexandre, qui met ses escadres à la disposition de S. M. l’Empereur Napoléon, mon auguste maître, Sa Majesté me charge de vous faire connaître que son intention est que vous vous rendiez avec les deux vaisseaux que vous commandez dans le port de Toulon, pour immédiatement vous mettre en état de suivre le mouvement général de ses escadres. »

Vous enverrez le même ordre au commissaire général de la marine à Venise, et vous lui prescrirez d’envoyer un ingénieur à Trieste pour prendre connaissance de la situation des vaisseaux russes qui sont dans ce port, afin que je leur fasse passer les ordres nécessaires. Vous ajouterez qu’il est nécessaire qu’une partie de ces vaisseaux soit toujours en appareillage, afin d’obliger les Anglais ou à abandonner ces mers, ou à y tenir une division; ce qui les affaiblira d’autant sur d’autres points. Vous chargerez l’ingénieur de vous rendre compte de la situation des vaisseaux russes et de ce que je puis en espérer.

 

Bordeaux, 12 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Monsieur Decrès, j’ai 10 vaisseaux à Toulon. Je vous réitère de prendre les mesures nécessaires pour que le vaisseau qui est à Gênes soit mis à l’eau dans le plus court délai, ainsi que les deux qui sont à Toulon; ce qui portera le nombre de mes vaisseaux dans ce port à 13, qui, avec les 2 vaisseaux russes de l’île d’Elbe et les 6 vaisseaux espagnols de Mahon, formeront une escadre de 21 vaisseaux de ligne, avec une douzaine de frégates, corvettes ou gros bricks. J’ai à Toulon 2 flûtes de 800 tonneaux, 2 flûtes de 450 et 1 de 350. Le Frontin doit être tenu en bon état; il peut servir comme flûte. Ces 6 flûtes doivent facilement porter 3,500 hommes, et l’escadre dont je viens de parler doit facilement porter 16,000 hommes; ce qui ferait près de 20,000 hommes. Je désire que vous fassiez construire à la Ciotat, à Marseille, etc. , 8 flûtes de 800 tonneaux ou de 450, selon que vous le jugerez plus utile. Celles de 800 tonneaux ont l’avantage d’employer moins de bâtiments; celles de 450 ont l’avantage de n’exiger que des bois d’un petit échantillon et d’être plus faciles à manoeuvrer. Vous me ferez connaître également le nombre de bâtiments suédois, prussiens, portugais, qui sont à Toulon ou à Marseille, appartenant à la marine, et les ressources qu’ils pourraient offrir. S’il y avait quelques flûtes danoises, vous me rendrez compte s’il est convenable de les acheter. Mon intention est d’avoir toujours à Toulon un nombre de flûtes suffisant pour porter 6,000 hommes d’infanterie, 1,000 chevaux et 1,000 hommes avec les chevaux. Je désirerais que, s’il n’y a pas d’inconvénient, il y eût sur chaque flûte des chevaux, et que le nombre des flûtes pour porter ces 7,000 hommes et 1,000 chevaux ne dépassât pas 20. Je compte le Frontin comme flûte, de sorte que 28 à 30,000 hommes et 1,000 chevaux seraient portés sur 50 bâtiments au moins, sur 60 au plus, ce qui ne serait pas un immense convoi. Le transport serait pour une expédition dans la Méditerranée, et demanderait trois mois de vivres et deux mois d’eau pour les chevaux. Faites-moi un mémoire très- sérieux là-dessus. Mon intention est de tenter une grande opération au mois d’octobre, pour laquelle j’ai besoin de 30,000 hommes et de 1,000 chevaux. Activez toutes les constructions de Toulon. Proposez-moi la construction des flûtes que je vous demande. Si je puis les avoir en septembre, bien; sans quoi elles serviront pour l’année prochaine. Proposez-moi un projet d’expédition en septembre avec les moyens actuels, si nous ne pouvons pas compter sur les nouvelles flûtes. Je vois dans ce pays une grande quantité de bâtiments danois qu’on aurait à bon marché, et qui paraissent être de beaux bâtiments.

 

Bordeaux, 12 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Monsieur Decrès, j’ai dans ce moment 8 vaisseaux et 2 frégates à Flessingue. Je désire que les travaux d’Anvers soient poussés avec plus grande activité. Je compte les aller voir dans le courant de l’été. Je désirerais mettre à l’eau avant le mois de novembre 2 ou 3 vaisseaux, et, au mois de mars prochain , les autres. Je pourrais donc espérer d’avoir dans la campagne prochaine 18 vaisseaux de guerre dans le temps que les Hollandais en auraient 10. Ces 18 vaisseaux, s’ils étaient toute l’année prochaine sans sortir, pourraient-ils tous entrer à Flessingue ? Il me semble avoir entendu dire que ce port ne pouvait en contenir que 14; mais il doit y avoir moyen d’en placer 3 ou 4 dans un lieu à l’abri des glaces. Il serait en général à désirer que 25 vaisseaux pussent être réunis à Flessingue, puisque les chantiers d’Anvers sont les seuls où nous puissions vraiment construire et que la guerre actuelle peut être longue. En y mettant toute l’activité convenable, nous pouvons en 1810 avoir 27 à 28 vaisseaux dans la rade de Flessingue, accroissement progressif effrayant pour l’Angleterre. Je crois avoir ouï dire qu’il était facile d’augmenter les bassins. J’attends le rapport que vous me ferez là-dessus.

Je ne puis espérer d’avoir à Brest que 6 vaisseaux capables de faire campagne, lesquels ne porteraient que 3,000 hommes. Je pourrais y avoir 6 frégates ou grosses corvettes portant 1,200 homme Je désirerais savoir si l’on ne pourrait pas disposer de 7 ou 8 de nos anciens vaisseaux, qu’on armerait en flûte, qui pourraient porter 7 à 8,000 hommes, et qui seraient capables d’aller en Irlande ou en Amérique. Enfin il y a les flûtes qui sont à Brest.

Puis-je avoir l’année prochaine à Lorient 3 vaisseaux de guerre, à Rochefort 5 ? J’espère en avoir 8 à Cadix, parce que je réunirai à mon escadre 3 vaisseaux espagnols, 4 à Lisbonne, combinés avec flotte russe, 15 à Toulon et 3 à Ancône ; ce qui me ferait 64 vaisseaux de guerre français. J’aurai de plus 25 vaisseaux espagnols, 12 russes et 10 hollandais, total 111 vaisseaux de guerre; situation qui ne laisserait pas de donner lieu à toute espèce de combinaisons, surtout appuyés à la flottille. L’Irlande, les possessions d’Amérique, Surinam, le Brésil, Alger, Tunis, l’Égypte, la Sicile, sont des points vulnérables. Mais le port où il faut construire avec le plus d’activité, c’est Anvers,

Pourquoi n’y a-t-il pas un autre vaisseau à Gênes ? Si le local vous paraît défavorable, faites-le mettre à Sestri ou à la Spezia.

 

Bordeaux, 12 avril 1808

NOTES POUR M. LE COLONEL LACOSTE, AIDE DE CAMP DE L’EMPEREUR , EN MISSION

Qu’est-ce qu’on me construit de frégates à Bayonne ? Quelle est la plus grosse frégate qu’on ait construite ? Combien y a-t-il de pieds cubes de bois en magasin ou sur les chantiers ? Combien peut-on s’en procurer par an ? Combien y a-t-il d’eau dans la rade ? A quelle distance de la côte peut mouiller un vaisseau de 74 ? Est-il là sur un bon fond, à l’abri du mauvais temps ? Combien la marée monte-t-elle en vive eau à l’équinoxe sur la barre ? Si, au lieu où l’on construit une frégate, on construisait un vaisseau de 74, combien faudrait-il l’alléger pour le faire passer sur la barre aux plus vives eaux du printemps ? Qu’est-ce qui empêche de faire cet allégement par le moyen d’un chameau ? Prendre les mêmes renseignements sur le port du Passage.

 

Bordeaux, 12 avril 1808, à midi

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 7 à minuit. Je pars à l’instant pour Bayonne, où je recevrai vos lettres des 9, 10, 11 et du 12. J’ai vu avec plaisir que Savary était arrivé. Mes instructions étaient absolument conformes à ce que vous vouliez entreprendre. J’attends d’apprendre que le roi Charles soit entièrement en sûreté et arrivé à l’Escurial. J’espère que Reille est arrivé à cette heure, puisqu’il est parti le 9 au matin d’ici. Ainsi vous serez parfaitement éclairé sur le parti que vous avez à prendre. Vous avez vingt fois plus de troupes qu’il ne vous faut pour mettre à la raison quiconque ne marcherait pas droit.

Je viens de passer la revue des 10e et 22e de chasseurs et d’autre corps qui font partie de la division Lasalle. J’ai passé la revue de plusieurs régiments provisoires, qui sont très-beaux. Quand je jugerai le moment arrivé, j’arriverai à Madrid comme une bombe. Mai remplissez le but que je me propose et que vous aura fait connaître le général Reille.

 

Bordeaux, 12 avril 1808

DÉCISION

M. Mollien, ministre du trésor public, expose que M. de Champagny, ministre des relations extérieures, prétend appliquer à des dépenses antérieures à l’an VIII une somme allouée seulement pour des dépenses de l’an IX à l’an XIII. M. Mollien ne croit pas pouvoir consentir à cette mesure sans l’autorisation spéciale de l’Empereur.Le ministre du trésor a raison, il faut ne rien payer que sur 1es exercices courants.

 

Bordeaux, 13 avril 1808

Au prince de Neuchâtel, major-général de la Grande Armée

Mon Cousin, répondez au prince de Ponte-Corvo que vous avez mis sa lettre sous mes yeux; que je ne suis pas étonné de tout ce qui est arrivé, et que c’est parce que je l’avais prévu que j’avais ordonné que la première colonne qu’on ferait passer en Seeland serait une colonne espagnole; qu’il faut donner à la Seeland tous les secours qui sont en notre pouvoir, y faire passer deux régiment espagnols et tous les officiers d’artillerie, du génie et d’état-major dont pourrait avoir besoin le roi de Danemark; qu’il doit se servir des Espagnols pour la défense des îles ; que lui, prince de Ponte-Corvo, doit prendre le commandement général du Holstein , et veiller, avec les deux divisions espagnoles, une division hollandaise et la division française, non-seulement à la garde du Holstein, mais aussi à la défense des villes hanséatiques et de Cuxhaven; qu’une division hollandaise est nécessaire pour défendre l’île de Walcheren, Flessingen et le Texel, où nous avons des escadres considérables. En résumé le prince de Ponte-Corvo doit faire passer deux régiments espagnols en Seeland, avec tous les officiers d’état-major, d’artillerie et du génie, que peut désirer le roi de Danemark; tenir réunies la division francaise et une division hollandaise, l’une dans le Holstein, et l’autre dans les villes hanséatiques; dès que le mois de juin sera arrivé , faire camper toutes les troupes françaises par division dans des lieux très-sains, afin d’entretenir la discipline et les tenir toujours en haleine; disperser la cavalerie pour la défense des côtes; disperser les Espagnols dans les îles pour la défense de la Fionie et des autres points ; tenir la seconde division hollandaise réunie et prête à retourner en Hollande, où les Anglais pourraient bien tenter quelque chose s’ils s’aperçoivent qu’elle est dégarnie. Je ne crois pas que, du reste, les Anglais entreprennent rien contre les Danois , chez lesquels ils n’ont rien à faire. Le roi de Danemark a 18 ou 20,000 hommes de troupes en Seeland. Il faut, d’ailleurs, lui renvoyer tous les Danois qui seraient sur le continent.

Vous ferez connaître au prince de Ponte-Corvo que les troupes espagnoles méritent quelque surveillance; qu’il est nécessaire de les isoler, de manière que, dans aucun cas, elles ne puissent rien faire; que le prince des Asturies est monté sur le trône, que le roi Charles a protesté et s’est rendu à l’Escurial; que, dans cette situation des choses, 50,000 Français sont à Madrid , 30,000 en Catalogne, 30,000 à Burgos et 30,000 en Portugal ; que l’Empereur part pour se rendre à Bayonne, et que vous lui écrirez lorsqu’il y aura quelque chose de plus décidé. En attendant, il peut en causer avec le général de la Romana, et lui dire que je désire l’avantage de l’Espagne et relever ce pays de manière qu’il soit utile à la cause commune contre l’Angleterre. Il m’expédiera un officier qui viendra me joindre partout où je me trouverai, tant pour me porter des nouvelles de ce qui se passe dans le Nord que pour rapporter des nouvelles de ce qui se sera passé ici. Il doit se concerter avec le roi de Hollande pour que, dans tout événement extraordinaire, il puisse lui porter des secours. A cet effet, il faut que son quartier général soit central au milieu du Holstein, à portée de Copenhague, d’Amsterdam et de Hambourg.

 

Mont-de-Marsan, 13 avril 1808, 10 heures du soir

Au Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois vos lettres du 8 et du 9. Vos lettres ne sont pas assez claires. Vous me dites que le roi Charles est à l’Escurial, et vous ne me dites pas comment il y est arrivé, comment il y est gardé, et quelle sensation cela a fait sur les meneurs de Madrid. En général , il faut toujours faire une exposition claire et franche des choses.

Il ne faut pas chercher ni espérer d’obtenir un grand succès d’opinion, mais se tenir dans une excellente position militaire. Reille, qui doit être arrivé depuis longtemps, vous aura dit tout ce que je pense là-dessus. Monthion a dû vous arriver depuis. Je serai demain à Bayonne.

 

Mont-de-Marsan, 13 avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures

Monsieur de Champagny, vous trouverez ci-joint les dépêches qui étaient pour vous dans les deux estafettes. J’ai ouvert les dépêches adressées au cardinal Caprara. Il n’y a rien. C’est une nouvelle preuve de l’extravagance de ce pauvre pape.

Je pense qu’il serait convenable que vous écriviez à M. de Beauharnais de se rendre à Bayonne en voyageant, jour et nuit, de manière à y arriver le plus tôt possible. Mon projet est d’arriver demain à Bayonne, sur les 8 ou 9 heures du soir, pour ne voir personne qu’après-demain. Il est nécessaire que vous donniez des ordres pour qu’on ne laisse passer aucun courrier et que vous fassiez venir le directeur des postes, afin de vous assurer qu’il n’y a pas d’autres lettres que pour les généraux français

 

Mont-de-Marsan, 13 avril 1808, 10 heures du soir

Au maréchal Bessières, commandant la Garde, etc. à Burgos

Mon Cousin, j’arriverai demain à Bayonne. Vous aurez du voir Reille et l’adjudant-commandant Monthion à leur passage; ils vous auront fait connaître la nécessité de vous tenir en règle, vos troupes bien reposées et en situation d’exécuter, en tout état de choses, ce qu’ils vous auront fait connaître être mon intention.

Le général Savary a dû passer, venant de Madrid, puisqu’il en est parti le 10, et le prince des Asturies avec plusieurs grands d’Espagne a dû dépasser Burgos. Vous devez en instruire le grand-duc de Berg, et vous devez savoir à quoi vous en tenir sur tout , puisque je suis toujours dans la même intention qui vous a été manifestée par le général Reille.

—————–

P.S. Écrivez au général Verdier et au général commandant à Pampelune de se tenir en mesure, comme doivent se trouver tous militaires. Prenez vos mesures pour avoir le moins d’hommes isolés et de convois.

 

Bayonne, 15 avril 1808,

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie

Mon fils, je suis ici depuis hier. L’infant don Carlos est venu ici pour attraper la rougeole, de manière que je n’ai pas pu le voir. J’attends le roi Charles et le prince des Asturies. Ma santé est fort bonne, 1’Impératrice est restée à Bordeaux.

 

Bayonne, 15 avril 1808

A M. Cretet, ministre de l’intérieur, à Paris

Monsieur Cretet, je désire encourager le commerce des places maritimes avec les colonies françaises et espagnoles, rendre de l’activité à nos ports, faire arriver en France des denrées coloniales, et aux colonies les deux objets de première nécessité pour elles, c’est-à-dire le pain et le vin. Voici le mode que j’ai jugé le plus convenable pour obtenir ces résultats. Je désirerais qu’il se formât à Bordeaux, la Rochelle, Nantes, Saint-Malo, Granville et le Havre, des compagnies dont les actions seraient de 5, de 10 ou de 15,000 francs, et qui feraient des expéditions soit avec des bâtiments tout construits, soit avec des bâtiments que l’on construirait à cet effet, les uns et les autres bons marcheurs et de 150 à 300 tonneaux. Leurs cargaisons seraient composées ainsi que la compagnie le jugerait à propos. Pour former de telles compagnies l’emploi de mon autorité est inutile; mais voici comment elle peut intervenir, et quels sont les encouragements que je veux donner : 1° je prendrai, pour chaque armement, le tiers des actions; 2°  la marine payera, sur chaque bâtiment, le passage de 10 à 20 conscrits, qui iront renforcer les corps qui sont aux colonies, et qui renforceront en même temps l’équipage des bâtiments pour le service des canons qu’ils auront, afin de n’avoir rien à craindre des petits corsaires ; 3° la marine prendra depuis 20 jusqu’à 50 tonneaux de chaque chargement; elle les emploiera à envoyer des farines ou des objets d’artillerie. Elle payera le fret au moment du départ, de sorte que, si le bâtiment est pris, elle perdra sa marchandise et le fret qu’elle aura payé. La proportion des tonneaux que prendra la marine ne pourra excéder le sixième du tonnage de ces bâtiments. Ces encouragements sont tels que j’ai lieu d’espérer qu’ils engageront à faire beaucoup d’expéditions. La chambre de commerce de Bordeaux, à qui j’ai parlé de ce projet, va créer des actions pour deux millions, et chercher dans son port ou faire construire dans ses chantiers quinze goélettes capables de porter 3 ou 4,000 tonneaux ; elle les expédiera pour la Guadeloupe, la Martinique et Cayenne. Il est bien entendu que les expéditions ne partiront que dans le temps des longues nuits, qu’on les préparera pendant l’été, et qu’elles ne mettront à la voile qu’à la fin de septembre ou au commencement d’octobre, pour être de retour avant la fin de mars. Je pense que la Rochelle, Saint-Malo et Granville pourront expédier chacun trois bâtiments; Nantes et le Havre, chacun cinq ; ce qui fera une trentaine de bâtiments, ou 6 à 7,000 tonneaux , et une valeur d’armement de quatre à cinq millions. Il est probable que je ne perdrai rien à cette opération, puisque je m’intéresserai à tous ces armements. Si la moitié seulement des navires réussissait et rentrait dans les ports, je retrouverais les capitaux que j’y aurais mis. Pour les expéditions à faire au Havre, parlez à Begouen; lui et Foache peuvent se mettre à la tête de cette opération. Écrivez aussi aux négociants les plus accrédités de Nantes, de la Rochelle, de Saint-Malo et de Granville. Ayez soin de leur recommander le secret. Engagez-les à mettre en construction de bons marcheurs, s’ils n’en ont pas. On peut porter l’opération jusqu’à soixante bâtiments, c’est-à-dire 12,000 tonneaux, s’il y a des facilités pour cela. Il est bien entendu que je ne veux être pour rien dans la direction et l’administration de ces expéditions. Conférez avec le ministre de la marine, afin qu’il sache ce qu’il peut donner en chargement dans les différents ports. Il expédiera probablement du vin et des farines, de Bordeaux; des ancres et des objets d’artillerie, du Havre, etc. Je n’ai nommé ni Anvers ni Dunkerque, qui me paraissent trop immédiatement sous le canon de l’Angleterre.

 

Bayonne, 15 avril 1808

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 11 avril à onze heures du soir. Le général Reille doit être arrivé. Le prince des Asturies était le 14 à Vittoria, Monthion, que je vous ai expédié, l’ayant rencontré, l’a vu ; il était douteux s’il se rendrait ou non à Tolosa. Cependant il devait s’y rendre samedi. Laissez à Bessières les fusiliers de la Garde. Reposez bien vos troupes. Demain je vous expédierai un officier. Savary est ici depuis hier.

La division du général Lasalle, ayant plusieurs régiments de très belle cavalerie, va arriver ici. Vous connaissez mes intentions ; elles sont immuables. Il est inutile que j’entre dans d’autres détails.

Je vois avec plaisir qu’à mon arrivée il n’y aura plus de gale, que les différents détachements seront réunis , et que vous aurez vos vivres assurés pour deux mois.

J’ai ici 100 caissons chargés de munitions à canon et d’infanterie; je les ferai escorter par la division Lasalle et 4,000 hommes d’infanterie.

J’ai ici réunis 500 mulets embrigadés; on va les charger de cartouches, et les faire partir à fur et mesure.

Il parait que vous avez à Madrid beaucoup de fusils ; vous devez vous en servir pour armer vos troupes, ainsi que des munitions que vous avez à Ségovie.

Il faut que vous teniez en règle votre magasin de deux millions de cartouches à Madrid, afin que vous puissiez en distribuer cinquante à chaque homme.

S’il y avait des mouvements en Espagne, ils ressembleraient à ceux que nous avons vus en Égypte. Ainsi donc il faut tenir vos troupes réunies, et faire marcher les convois en grande force.

Je vous ai fait connaître que les points importants étaient Aranda, Buitrago, où il fallait avoir des magasins de cartouches et de vivres.

J’ai appris avec plaisir que les officiers se tenaient resserrés dans les mêmes quartiers et bien en mesure. Tenez la main à ce qu’aucun homme isolé ne marche, et réitérez l’ordre à Aranda qu’on les retienne tous et qu’on ne les fasse marcher que par colonne de 500 hommes. Vous ne sauriez trop veiller à cela.

 

Bayonne, 15 avril 1808

A Joseph Napoléon, roi de Naples, à Naples

J’ai reçu votre lettre, celles de la reine de Naples, de Charlotte et de Zénaïde.

Vous ne me parlez plus de l’amiral Ganteaume. Il y a cependant longtemps qu’il a dû partir. Il est vrai que les vents du nord-est règnent dans cette saison.

Je suis à Bayonne depuis hier. L’infant don Carlos y est aussi. Je n’ai pas pu le voir, ce prince étant tombé malade la veille de mon arrivée. J’attends le prince des Asturies, qui a pris le nom de Ferdinand VII ; il est sur la frontière. J’attends aussi l’infortuné Charles IV et la reine.

Le grand-duc de Berg est à Madrid. Le général Dupont est à Tolède.

J’ai des divisions à l’Escurial et à Aranjuez.

 

Bayonne, 16 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Monsieur Decrès, j’ai vu en grand détail le port de Bayonne. Les vaisseaux de 74, comme ceux d’Anvers, pourraient y être construits et conduits jusqu’à la barre. Le passage de la barre dépendrait des événements. Il y a des exemples de vaisseaux suédois, tirant 18 pieds d’eau, qui y ont passé : cette barre est très-mobile. Cependant, s’il était possible d’alléger le vaisseau avec un chameau, le passage serait facile. Il peut y avoir de l’avantage à ces constructions, puisque les bois ne peuvent être transportés à Rochefort. Mais cela est, d’ailleurs, une circonstance très-secondaire. Je désire que vous me fassiez un rapport là-dessus. Je ne sais par quelle bizarrerie les travaux du port sont dans les mains des ingénieurs militaires, que cela ne regarde pas. Je ne pense pas qu’il soit de mon honneur d’abandonner les grands travaux qu’on a faits depuis quatre-vingts ans, lorsque avec une somme de 4 à 500,000 francs je puis me promettre de grands avantages de ces travaux. Jusqu’où le prolongement des jetées doit-il être fait ? Cela détruira-t-il la barre ?

J’ai trouvé à Bayonne deux gabares de 2 à 300 tonneaux, tirant 12 pieds d’eau, chargées. Elles ne trouvent pas tous les jours la facilité de sortir. Rien n’est plus mal entendu que ce service, et, en jetant un coup d’oeil sur ces détails, je ne suis pas étonné que la marine me dépense cent millions et que rien ne réussisse dans mes arsenaux. La Moselle est une gabare de 2 à 300 tonneaux; elle porte 3,200 pieds cubes de bois, et fait un voyage par an de Bayonne à la Rochelle.

Ainsi donc, pour avoir 3,200 pieds cubes de bois, qui valent 12,000 francs, transportés de Bayonne à Rochefort, j’entretiens un bâtiment qui, en agrès, réparations, me coûte au moins 3,000 francs par an, qui exige quatre officiers et cent seize marins, qui doivent me coûter au moins 80,000 francs pour vivres, solde et habillement. Pour avoir donc 3,200 pieds cubes de bois, je dépense 83,000 francs par an, c’est-à-dire 24 francs par pied cube, et je n’ai pas même la consolation de former des marins, car ces bâtiments, comme vous voyez, ne naviguent pas et ne font qu’un voyage par an. A cette perte il faut ajouter que les 100,000 pieds cubes de bois que produisent le bassin de l’Adour et les Landes ne trouvent point d’écoulement par les mauvais moyens qu’on prend. Si, au lieu de cela, on laissait les gabares désarmées dans le port de Rochefort, afin d’être employées en temps de paix pour le service des colonies, et qu’on se servît des alléges de Nantes, qui ne tirent que 7 à 8 pieds d’eau, on transporterait le quadruple de bois. Enfin on transporterait la quantité qu’on voudrait par les caboteurs, même les bois longs, de Bayonne à Rochefort, en leur donnant une légère indemnité. J’ai remarqué qu’il
avait sur ces gabares d’anciens matelots; leurs équipages suffiraient pour armer un vaisseau. Quand j’ai évalué 83,000 francs la dépense que me coûtent ces gabares, je n’ai pas calculé le danger qu’elle courent d’être prises. L’année passée, j’en ai perdu trois. Je n’ai pas compté non plus le renouvellement des agrès, coûtant 150,000 francs qui, étant usés en dix ans, forment encore 15,000 francs. Mais, dira-t-on, on faisait cela en 1782 : sans doute; mais les circonstances étaient bien différentes ; on était en paix , on sortait comme on voulait. Quand on voit ces bâtiments, il n’y a qu’une seule chose qui reste, c’est l’idée qu’ils puissent faire un voyage sans être pris. De Bayonne à Rochefort ils n’ont pas de protection. Ils sont énormes , marchent d’autant plus mal qu’on y a mis des pièces de 6 au lieu de pièces de 4. Ils marchent mal, parce qu’ils sont mal construits, parce qu’ils n’ont pas assez de bau. Les marins sont toujours étonnés qu’on ne construise pas les gabares sur le modèle de la Lionne, qui sert d’amiral à Rochefort. Elle portait 6,000 pieds cubes de bois au lieu de 3,000, tirait 6 pieds d’eau, et marchait comme une frégate. En général, je vois que dans tous les ports on fait les mêmes plaintes. Les bâtiments se comportent mal à la mer, parce qu’ils n’ont pas assez de bau. Je demande que les ingénieurs mettent leurs plans dans leur poche, et que l’on construise des gabares sur le modèle de la Lionne; qu’elles soient réservées pour le Nord, et pour s’en servir en temps de paix, et pour des ports où il n’y a pas de barre ; que les transports de Bayonne à Rochefort surtout ne se fassent que par des alléges comme celles de Nantes, tirant 7 à 8 pieds d’eau, ayant peu d’équipage et portant une grande quantité de bois ; et qu’enfin on livre, s’il le faut, ces transports à l’industrie particulière.

Le port de Bayonne n’est presque jamais bloqué. Des corvettes et des avisos pourraient en partir pour les îles sans danger; cependant il n’y en a pas un. Il devrait toujours y avoir trois ou quatre corvettes ou bricks pour expédier des troupes et des avis aux colonies.

De là j’ai été à l’arsenal; j’y ai vu une assez grande quantité de bois, et ce qu’on avait fait de deux vaisseaux de guerre. Les pièces du Vénitien sont prêtes depuis un an. J’ai vu en construction deux très-muvaises gabares, à la place desquelles on aurait pu mettre deux frégates ou au moins deux corvettes ou bricks, qui, sortant de Bayonne et ayant les ports d’Espagne pour refuge, pourraient croiser avec succès ou se porter partout où il serait nécessaire. J’ai vu 15 à 20,000 pieds cubes de bois pourri, parce qu’il est là depuis un temps immémorial, Il faut achever ces deux mauvaises gabares ou les ôter du chantier, et mettre deux corvettes tirant 11 ou 12 pieds d’eau, et quatre ou cinq bricks, qu’on pourra facilement mettre en armement pour voyager aux colonies. Il serait aussi à propos d’y construire deux frégates pour utiliser ces bois qui coûtent si cher à transporter, et qui, ne l’étant pas, se pourrissent.

Le commerce de Bayonne demande, avec raison, que son cabotage avec le Portugal soit protégé. Si ce cabotage était protégé au passage des trois caps, il irait alimenter le Portugal en vins et en blés, et rapporterait en retour des sucres et autres denrées à Bayonne. Je désire donc que vous chargiez un capitaine de frégate intelligent de se rendre à Bayonne; que vous mettiez sous ses ordres quatre ou cinq bâtiments d’une force supérieure aux péniches et goélettes , avec lesquels il ira prendre station pour favoriser le passage des caps de Bayonne à Lisbonne. Cet officier pourrait prendre langue à Bayonne, aller visiter les lieux par terre, et revenir prendre le commandement de ces bâtiments. Vous pourriez, pendant ce temps, lui préparer son armement à Bordeaux, Bayonne ou Rochefort. Vous devez sentir l’immense avantage qui résulterait pour la France et pour le Portugal de cet établissement de cabotage. Si l’on peut tenir des frégates sur les points où le cabotage peut être protégé, il faut y en diriger trois, en attachant à chaque frégate un brick et trois ou quatre péniches. Je crois vous avoir écrit que le cabotage de Bordeaux ne dépendait que du passage des caps, où il avait besoin d’être protégé. Je dois ajouter qu’il faut à l’embouchure de la Gironde deux frégates et deux bricks, qui feraient une division de quatre bâtiments de guerre, commandés par un officier qui aurait l’autorisation de les faire sortir quand il le jugerait nécessaire. Cela aurait l’avantage de maintenir libre l’embouchure de la Gironde et de favoriser le commerce. Avec l’argent que coûte le transport des bois de Bayonne à Rochefort, on en aurait une grande quantité dans la Garonne, et on approvisionnerait Rochefort comme on voudrait.

La marine a beaucoup de choses à faire. Il faut tout voir par vous même, et raisonner dans le sens de notre situation. On pourrait avoir de grandes économies, faire beaucoup de travaux, et donner du soulagement au commerce.

 

Bayonne, 16 avril 1808

NOTES POUR LE PRINCE DE NEUCHATEL, MAJOR GÉNÉRAL DE LA GRANDE ARMÉE

Demander un mémoire sur les trois provinces de la Biscaye. Qui est le capitaine général ? où se tient-il ? Quels sont les commandants sous ses ordres ? où se tiennent-ils ? Quelle est l’organisation civile ce pays ? Où est l’intendant général ? qui est-il ? Ses subdélégués ? se tiennent-ils ? L’organisation des états ? ou s’assemblent-ils ? leur nombre ? lorsqu’ils ne sont pas réunis, qui les représente ? Où se tient la députation ?

Recommander au général Verdier de ne point laisser isolé aucun détachement, infanterie ou cavalerie; de s’organiser bien fortement à Vitoria avec sa 1e brigade, d’où pourront, au besoin, partir des colonnes mobiles. Sa 2e brigade viendra prendre de suite position à Hernani, où, au besoin, elle pourra être renforcée d’une partie de la garnison de Saint-Sébastien. Il laissera seulement au poste un gendarme et deux hommes de cavalerie sous la responsabilité de l’alcade, pour lui prêter main-forte ainsi qu’aux maîtres de poste, et avoir la police des hommes isolés. On fera comprendre au gouverneur général de la province et aux alcades que ces hommes ne sont que pour protéger et avoir la police sur les derrières.

A M. le maréchal Bessières : que les seuls points où il doit avoir des Français sont Vitoria, Aranda, Burgos et Hernani; qu’il placera des détachements avec quinze jours de vivres dans les postes (tels Pancorbo) à l’abri d’un coup de main; qu’il concentrera toutes troupes ; qu’il retirera les hommes de l’hôpital de Valladolid pour porter sur ceux de Burgos, Aranda, etc., à l’exception d’une centaine qu’on ne pourrait transporter, et qu’on y laissera sous la responsablité espagnole; qu’à Valladolid continuera à rester le commandant de la place avec 12 hommes et un piquet de cavalerie (lui recommander les hommes isolés, surtout de la Garde impériale) ; qu’à Burgos se porteront ceux depuis Vitoria à Burgos ; à Madrid, tous ceux depuis Lerma à Madrid. Que l’Empereur approuve la nomination du général Frère au commandement de la division à Aranda, poste important et qu’il faut garder soigneusement. Réunir sous ses ordres les divers bataillons de marche. Avoir au moins à Aranda 1,200 hommes d’infanterie, 5 à 600 hommes de cavalerie et quatre pièces de canon de la division Merle.

Que le général Verdier continuera à être sous les ordres du maréchal Bessières, mais ayant la police de la province de Biscaye, composée de Guipuzcoa, Alava et Biscaye proprement dite; il n’y a que la seule place de Saint-Sébastien. Que le général Verdier prenne connaissance de l’organisation de la province, des hommes en place ou qui ont de l’influence, afin d’agir au besoin en conséquence. Sa le brigade, à Vitoria; sa 2e, à Hernani, comme il a été dit. Faire connaître ces dispositions au maréchal Bessières.

C’est le moyen d’être partout, puisque en deux marches on peut se porter sur tous les points avec des forces imposantes. Point de garnisons; point de petits paquets. Quant au chemin d’Aranda à Madrid, il y aura le point de Buitrago, où sont des magasins et un hôpital ; le grand-duc y tiendra 1,000 hommes en infanterie et cavalerie avec deux pièces de canon pour tenir les communications.

Les hôpitaux à Saint-Sébastien, Burgos, Aranda et Vitoria; aucun homme souffert entre ces points; les soldats isolés seront sur-le-champ dirigés sur le plus près. Rendre les généraux responsables des hommes isolés, les retenir dans les corps et les y mettre en subsistance.

Que le maréchal Bessières, les généraux Verdier et Frère se portent sur le pays ou village qui pourrait s’insurger ou qui aura maltraité des soldats et des courriers; y faire un grand exemple. Une fois dans une campagne un terrible exemple, comme j’ai fait à Bignasco en Italie, suffira.

Le maréchal Bessières jugera s’il ne serait pas à propos de réunir les escadrons provisoires dans les quatre régiments provisoires. Ces escadrons, mal organisés, rendent peu de services, d’autant que 1,000 hommes du général Lasalle arrivent à Bayonne. L’intention de l’Empereur est que le maréchal Bessières ait le commandement des trois provinces, Navarre, Biscaye et Vieille-Castille. Dans la province de la Navarre, il y a le général d’Agoult avec sa brigade; on tiendra bonne garnison dans la citadelle de Pampelune, qui, dominant la ville, en rend toujours maître; dans celle de la Biscaye, le
général Thouvenot est chargé de Saint-Sébastien.

Tous les hommes isolés seront retenus à Bayonne. Après trois jours de repos, avec des cartouches et bien armés, ces hommes seront dirigés sur Saint-Sébastien, de manière à porter les bataillons de la réserve à 1,000 hommes chacun, et avoir une colonne mobile, commandée par le colonel Pepin, de 1,200 hommes d’infanterie, 50 hommes de cavalerie et quatre pièces de canon.

A Hernani, la 2e brigade du général Verdier, composée du 3e escadron de marche des cuirassiers, du 13e provisoire d’infanterie et de trois pièces de canon. A la tête de cette colonne sera le général Ducos, qui partira de Bayonne le 18; le 17, au soir, le major général prendra là-dessus mes ordres. Cette brigade sera renforcée du 14e régiment provisoire (qui doit arriver le 14 à Bayonne, y rester un jour et prendre mes ordres avant le départ), et d’une compagnie de 100 Basques, s’il est possible de la former. Le général Verdier, avec sa 1e brigade et douze pièces de canon, 3 à 400 hommes de cavalerie qui forment à présent les postes dans les relais depuis Irun, se tiendra à Vitoria; sa 2e brigade, ainsi que la garnison de Saint-Sébastien, sera spécialement chargée de la Biscaye.

Enfin M. le maréchal Bessières se tiendra à Burgos avec les deux régiments de fusiliers de la Garde, huit pièces de canon de la Garde, la 1e brigade du général Merle avec huit pièces de cette division, le 1er régiment de marche, la brigade Gaulois. Toute la cavalerie de la Garde, entre Vitoria et Burgos. Enfin le général Frère se tiendra à Lerma avec trois bataillons de marche, différents escadrons de marche et les quatre régiments de marche du général Lagrange. Le maréchal Bessières est maître d’établir des troupes dans ces quatre points, Hernani, Burgos, Aranda et Vitoria ; il n’y aura point de Français ailleurs, à l’exception d’un poste à l’abri d’un coup de main, que l’on pourra occuper. On pourra laisser quelques capitaines ou lieutenants pour commander les points importants, avec ordre de se replier vers la masse en cas d’insurrection générale.

On fera connaître à M. le maréchal Bessières et au général Verdier que j’irai en Espagne à la tête de la division Lasalle, composée de quelques milliers d’hommes. On laissera les chevaux aux relais. Dans tous les pays quelconques, en tenant les principales villes ou postes, on les contient facilement, en ayant sous sa main les évêques, les magistrats, les principaux propriétaires, qui sont intéressés à maintenir l’ordre sous leur responsabilité.

Au maréchal Bessières : tenir à Madrid des corps nombreux de la Garde; c’est là que les événements se passeront. C’est là le centre des Espagnols. Autour de cette capitale se trouvent les grandes plaines.

Dépôts de cartouches à Burgos, Aranda, Vitoria et Buitralo, et y faire venir des vivres et du biscuit. 300,000 rations de biscuit à Vitoria, autant à Burgos, Aranda et Buitrago. Ces mesures doivent s’exécuter sous dix jours, par gradation et sans secousses , rien n’est pressé; mais cependant plus tôt si des insurrections se manifestaient.

 

Bayonne, 16 avril 1808

A Ferdinand, prince des Asturies, à Vitoria

Mon Frère, j’ai reçu la lettre de Votre Altesse Royale. Elle doit avoir acquis la preuve, dans les papiers qu’elle a eus du Roi son père, de l’intérêt que je lui ai toujours porté. Elle me permettra, dans la circonstance actuelle, de lui parler avec franchise et loyauté. En arrivant à Madrid, j’espérais porter mon illustre ami à quelques réformes nécessaires dans ses États et à donner quelque satisfaction à l’opinion publique. Le renvoi du prince de la Paix me paraissait nécessaire pour son bonheur et celui de ses sujets. Les affaires du Nord ont retardé mon voyage. Les événements d’Aranjuez ont eu lieu. Je ne suis point juge de ce qui s’est passé et de la conduite du prince de la Paix; mais ce que je sais bien, c’est qu’il est dangereux pour les rois d’accoutumer les peuples à répandre du sang et à se faire justice eux-mêmes ; je prie Dieu que Votre Altesse Royale n’en fasse pas elle-même un jour l’expérience. Il n’est pas de l’intérêt de l’Espagne de faire du mal à un prince qui a épousé une princesse du sang royal et qui a si longtemps régi le royaume. Il n’a plus d’amis : Votre Altesse n’en aura plus, si jamais elle est malheureuse. Les peuples se vengent volontiers des hommages qu’ils nous rendent. Comment, d’ailleurs, pourrait-on faire le procès au prince de la Paix sans le faire à la Reine et au Roi votre père ? Ce procès alimentera les haines et les passions factieuses : le résultat en sera funeste pour votre couronne. Votre Altesse Royale n’y a de droits que ceux que lui a transmis sa mère; si le procès la déshonore, Votre Altesse déchire par là ses droits. Qu’elle ferme l’oreille à des conseils faibles et perfides. Elle n’a pas le droit de juger le prince de la Paix; ses crimes, si on lui en reproche, se perdent dans les droits du trône. J’ai souvent manifesté le désir que le prince de la Paix fût éloigné des affaires ; l’amitié du roi Charles m’a porté souvent à me taire et à détourner les yeux des faiblesses de son attachement. Misérables hommes que nous sommes ! faiblesse et erreur, c’est notre devise ! Mais tout cela peut se concilier. Que le prince de la Paix soit exilé d’Espagne, et je lui offre un refuge en France. Quant à l’abdication de Charles IV, elle a eu lieu dans un moment où mes armées couvraient les Espagnes, et, aux yeux de l’Europe et de la postérité, je paraîtrais n’avoir envoyé tant de troupes que pour précipiter du trône mon allié et mon ami. Comme souverain voisin, il m’est permis de vouloir connaître, avant de reconnaître cette abdication. Je le dis à Votre Altesse Royale, aux Espagnols, au monde entier : Si l’abdication du roi Charles est de pur mouvement, s’il n’y a pas été forcé par l’insurrection et l’émeute d’Aranjuez, je ne fais aucune difficulté de l’admettre, et je reconnais Votre Altesse Royale comme roi d’Espagne. Je désire donc causer avec elle sur cet objet. La circonspection que je porte depuis un mois dans ces affaires doit lui être garant de l’appui qu’elle trouvera en moi , si, à son tour, des factions de quelque nature qu’elles soient venaient à l’inquiéter sur son trône. Quand le roi Charles me fit part de l’événement du mois d’octobre dernier, j’en fus douloureusement affecté, et je pense avoir contribué, par les insinuations que j’ai faites, à la bonne issue de l’affaire de l’Escurial. Votre Altesse Royale avait bien des torts, je n’en veux pour preuve que la lettre qu’elle m’a écrite, et que j’ai toujours voulu ignorer. Roi à son tour, elle saura combien les droits du trône sont sacrés : toute démarche près d’un souverain étranger de la part d’un prince héréditaire est criminelle. Le mariage d’une princesse française avec Votre Altesse Royale, je le tiens conforme aux intérêts de mes peuples, et surtout comme une circonstance qui m’attacherait par de nouveaux liens à une Maison dont je n’ai eu qu’à me louer depuis que je suis monté sur le trône. Votre Altesse Royale doit se défier des écarts des émotions populaires. On pourra commettre quelques meurtres sur mes soldats isolés, mais la ruine des Espagnes en serait le résultat. J’ai déjà vu avec peine qu’à Madrid on ait répandu des lettres du capitaine général de la Catalogne et fait tout ce qui pouvait donner du mouvement aux têtes. Votre Altesse Royale connaît ma pensée tout entière. Elle voit que je flotte entre diverses idées qui ont besoin d’être fixées. Elle petit être certaine que, dans tous les cas, je me comporterai avec elle comme envers le Roi son père. Qu’elle croie à mon désir de tout concilier et de trouver des occasions de lui donner des preuves de mon affection et de ma parfaite estime.

 

Bayonne, 16 avril 1808

Au maréchal Bessières, commandant de la Garde impériale, en Espagne, etc. à Burgos

Mon Cousin, le major général vous aura fait connaître mes intentions. Je désire que mes troupes soient centralisées dans les quatre points de Hernani, Vitoria, Burgos et Aranda. J’envoie à Hernani le général Ducos avec le 3e escadron de marche de cavalerie, une brigade de régiments provisoires et six pièces de canon que j’ai fait organiser à Bayonne; ce qui compose une fort belle brigade, qui sera la seconde de la division Verdier. Il ne sera fait aucun établissement à Hernani ; les hôpitaux et les magasins seront établis dans la place de Saint-Sébastien. Cette brigade du général Ducos sera augmentée, si l’occasion l’exige, d’une colonne mobile tirée de Saint-Sébastien, que commandera le colonel Pépin. Cette colonne serait de 1.200 hommes et de deux pièces d’artillerie. Le général Verdier avec ses douze pièces d’artillerie, sa 1e brigade et 2 ou 300 chevaux, gardera Vitoria; il aura le commandement de la Biscaye et prendra des mesures pour assurer la tranquillité de cette province. Tous les hommes isolés se rendront à Saint-Sébastien, pour être mis en subsistance dans les bataillons ; aucun ne passera Vitoria ni Burgos. Recommandez bien aux commandants de place d’y porter la plus grande surveillance et mettez en subsistance les hommes isolés dans les bataillons de marche que vous avez.

Entre Hernani et Vitoria il n’y aura aucun hôpital ni dépôt; tout sera évacué sur Saint-Sébastien. Entre Vitoria et Burgos il n’y aura aucun hôpital, ni établissement, ni poste français; tout sera à Vitoria ou à Burgos. Vous réunirez à Burgos toutes vos troupes, en laissant à Aranda 1,800 hommes d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie. Il y aura aussi à Saint-Sébastien, Vitoria, Burgos et Aranda, des magasins de vivres, de biscuit, de cartouches, et des hôpitaux. Tenant ainsi les capitales, le pays restera tranquille, et, s’il était agité, quelques colonnes mobiles tombant sur le lieu, et y faisant des exemples sévères, y rétabliraient la tranquillité. Vous pouvez laisser entre les différents points de réunion quelques gendarmes avec des soldats espagnols, en faisant connaître qu’ils sont là pour faire respecter les alcades et maintenir la police. Laissez également des commandants de place dans les lieux où ils seraient nécessaires pour faire respecter les alcades.

Faites évacuer tout ce qui est à Valladolid sur Burgos et l’Escurial, en y laissant un commandant d’armes qui puisse avoir l’oeil sur tout ce qui s’y passe.

Vous laisserez mes relais, en employant mes escortes, sur les routes de Vitoria, Burgos et Aranda. Je vous recommande de ne laisser aucun homme de ma Garde isolé, pour n’avoir, dans aucun cas, à regretter l’assassinat ni la perte d’aucun. Lorsque toutes les mesures que je prescris seront exécutées, le général Verdier aura 10,000 hommes pour la police de la Biscaye; vous en aurez autant pour la police de la Castille. Je pense que la cavalerie ne vous sera pas utile dans les lieux où vous êtes ; ainsi vous pouvez envoyer à Madrid les 2e et 3e escadrons de marche, pour être incorporés dans les régiments provisoires ; ce qui aura l’avantage de mettre de l’ordre et de fortifier mon armée de Madrid. Je vous laisse le maître de garder les quatre régiments de cavalerie du général Lagrange, ou de n’en garder que ce que vous jugerez vous être nécessaire, et d’envoyer le reste à Madrid, car c’est là surtout qu’il faut de la cavalerie.

Quant à la cavalerie de ma Garde, il faut qu’elle soit forte à Madrid. Je suppose que vous avez en Espagne 1,500 chevaux de ma Garde; il faut qu’il y en ait 1,000 à Madrid et 500 à Burgos, sans cependant faire faire aucun mouvement rétrograde. Il faut que vous ayez en main ces 500 chevaux à Burgos , et, si vous y joignez les 5 600 hommes d’autre cavalerie, cette force sera suffisante. Le reste de la cavalerie de ma Garde, il faut l’envoyer à Madrid.

D’après ce que j’apprends d’Espagne, mon intention est d’y venir à la tête d’une division, en m’arrangeant de manière à faire double marche. Je vous préviendrai d’ailleurs pour que vous puissiez envoyer de Burgos à ma rencontre des détachements convenables. J’attends après-demain ici la division Lasalle, qui a les 10e et 22e régiments de chasseurs, deux très-beaux régiments que j’ai vus Bordeaux. Votre artillerie doit être distribuée de la manière suivante: trois à Aranda, quatorze à Burgos, douze à Vitoria, et six à Hernani. En cas de grands mouvements militaires, ces corps peuvent se réunir pour livrer bataille, et vous auriez alors une armée respectable. Vous êtes aussi chargé de la garde de la Navarre; je me borne à faire occuper la citadelle. Les 100,000 rations de biscuit doivent y être arrivées. Aussitôt que d’autres troupes arriveront dans la position de Hernani on renforcera Vitoria. Je pense que vous devez réunir sous les ordres du général Frère, à Aranda, les bataillons de marche, en gardant avec vous à Burgos le ler régiment de marche. Tout ce qui porte le nom de régiment ou d’escadron de marche est destiné à être incorporé dans les régiments provisoires qui sont à Madrid. Ainsi, du moment que la cavalerie du général Lasalle sera arrivée à Burgos, mon intention est que les quatre régiments du général Lagrange et les autres escadrons de marche se rendent à Madrid pour être incorporés. Cela est nécessaire pour donner de la force à ces cadres. Il est nécessaire que vous gardiez les deux régiments de fusiliers. Vous pouvez toujours envoyer les cuirassiers des régiments de marche du général Lagrange et des autres escadrons de marche à Madrid. Vous savez que les cuirassiers sont plus utiles que toute autre cavalerie. La cavalerie n’est d’aucun usage d’ici à Burgos; elle est, au contraire, nécessaire à Madrid. En deux mots, renvoyez tout ce qui porte le titre de régiment, escadron et bataillon de marche, à Madrid, hormis ce qui vous est nécessaire pour compléter 300 chevaux à Vitoria, 1,000 chevaux à Burgos et 300 chevaux à Aranda; ce qui fera 1,600 chevaux; et du moment que la division Lasalle sera à Burgos, cette division vous fournira de bonne et belle cavalerie. Vous pourrez donc renvoyer tout ce qui est escadron ou régiment de marche à Madrid.

Quant aux cartouches, un parc de 100 caissons chargés de 600,000 cartouches partira demain pour Saint-Jean-de-Luz; il est tout attelé par le 6e bis; il continuera sa marche sur Madrid pour compléter le parc de l’armée. J’en fais partir 500,000 autres pour Burgos, pour mettre en magasin, à Burgos. Après-demain il en partira 500,000 autres pour Aranda, et le 19 il en partira 500,000 autres pour Burgos. Si vous n’avez pas de besoins urgents, vous pouvez diriger le premier convoi sur Aranda et garder le second pour Burgos.

Je vous ai déjà, je crois, recommandé d’établir une grande distinction entre les régiments de marche et les régiments provisoires qui sont en Espagne. Un régiment provisoire de cavalerie ou d’infanterie est organisé et ne doit subir aucun changement tant qu’il restera en Espagne; un régiment, bataillon ou escadron de marche est une organisation provisoire pour conduire les troupes à Madrid, c’est-à-dire aux régiments provisoires. Cette intelligence est très-nécessaire pour bien comprendre les ordres que vous recevrez. Ainsi, tous les hommes isolés qui vous arriveront, vous pouvez les incorporer, soit à Aranda, soit à Burgos, dans les régiments ou bataillons de marche; puisque alors naturellement ces régiments se dirigeront sur Madrid, pour être incorporés dans les régiments provisoires, les hommes que vous y aurez mis en subsistance sauront y retrouver leurs corps. Pour les hommes isolés appartenant aux corps du Portugal ou de la division du général Dupont, tous ceux qui vous arriveront à Aranda, vous les mettrez en subsistance dans les corps comme vous l’entendrez, même dans les régiments de fusiliers, où ils seront mieux, et mieux dressés; et quand vous en aurez réuni 6 à 800 de l’un ou de l’autre corps vous en formerez un bataillon de marche, que vous appellerez bataillon de marche de l’armée du Portugal ou du corps de la Gironde et vous les garderez à Burgos jusqu’à ce que je vous envoie des ordres pour leur destination. Le général Verdier, qui a des régiments provisoires et aucun bataillon de marche, mettra en subsistance dans ses corps les hommes isolés qui lui arriveront, vous en enverra l’état exact, et, lorsque vous verrez qu’il a un millier d’hommes, si les circonstances le permettent, vous lui donnerez l’ordre de les diriger sur Burgos pour être incorporés dans les bataillons de marche, ou dans ceux de l’armée de Portugal ou du corps de la Gironde. Ces précautions sont nécessaires; cette armée ne s’est formée que par des soin perpétuels : il ne faut point s’en départir.

Vous devez avoir des souliers à Burgos. Il n’y a pas d’inconvénient que vous fassiez faire un millier de culottes, un millier d’habits et un millier de shakos, si on peut le faire à un marché convenable, à Burgos. Vous distribuerez ces effets d’habillement aux hommes isolés ou sortant des hôpitaux.

Il ne doit y avoir aucun magasin, aucun hôpital intermédiaire entre Saint-Sébastien et Vitoria, entre Vitoria et Burgos ; il ne doit y avoir aucun poste isolé, voilà le principal.

Du reste, ces dispositions ne sont pas pressantes ; il faut les faire avec adresse, faire le moins de mouvements possible de Valladolid sur Burgos. La majeure partie de ce qui est à Valladolid est en guérison ; il faut les envoyer au corps. Le grand-duc de Berg donnera l’ordre au maréchal Moncey de tenir à Buitrigo 500 hommes d’infanterie et de cavalerie et trois pièces de canon, et d’y avoir un hôpital et un magasin de cartouches. Par ce moyen , avec ces cinq grands dépôts, l’armée peut faire ses mouvements sur Madrid sans inconvénient. En prenant ces mesures, on ne craindra plus le mauvais esprit qu’on cherche à répandre en Espagne, et la division de Galice ou un mouvement insurrectionnel dans le pays seront réprimés. Les évêques, les intendants, les états, les notables des capitales doivent répondre de la tranquillité des villages et de la sûreté des communications. Pour tout cela il faut avoir un système bien entendu.

 

Bayonne, 17 avril 1808

A l’Impératrice, à Bordeaux

Je reçois ta lettre du 15 avril. Ce que tu me dis du propriétaire de la campagne me fait plaisir; vas-y passer la journée quelquefois.

Je donne ordre qu’il soit fait un supplément de 20,000 francs par mois à ta cassette, pendant ton voyage, à compter du 1er avril.

Je suis horriblement logé. Je vais dans une heure changer et me mettre à une demi-lieue, dans une bastide. L’infant don Charles et cinq ou six grands d’Espagne sont ici; le prince des Asturies est à vingt lieues. Le roi Charles et la reine arrivent. Je ne sais où je logerai tout ce monde-là. Tout est encore à l’auberge. Mes troupes se portent bien en Espagne.

J’ai été un moment à comprendre tes gentillesses. J’ai ri de tes souvenirs. Vous autres femmes, vous avez de la mémoire.

Ma santé est assez bonne, et je t’aime de bien bonne amitié. Je désire que tu fasses des amitiés à tout le monde à Bordeaux ; mes occupations ne m’ont permis d’en faire à personne.

 

Bayonne, 17 avril 1808

A M. Gaudin, ministre des finances, à Paris

Les États-Unis d’Amérique ont mis un embargo sur leurs bâtiments, et ont pris la résolution de ne plus faire de commerce que la guerre actuelle ne soit terminée. Il est donc évident que tous les bâtiments qui se disent venir d’Amérique viennent d’Angleterre, et que leurs papiers sont fabriqués. Donnez donc ordre que ceux qui viendraient dans les ports de France, de Hollande et dans ceux des villes hanséatiques et d’Italie soient mis sous le séquestre et d’abord suspectés de venir d’Angleterre. Parlez de cela avec M. Collin et sachez s’il y en a beaucoup de venus, soit en Hollande, soit en France, depuis le 1er janvier.

 

Bayonne, 17 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

J’ai ordonné qu’on armât la frégate, la Comète; j’y ai destiné l’équipage d’une des gabares que l’on allait armer, et je l’ai complété avec la conscription. Cette frégate protégera la côte et pourra être quelque utilité. Envoyez un bon capitaine de frégate pour la commander. Je n’ai trouvé ici que des lieutenants. Rien n’eût été facile comme de faire entrer cette frégate dans le port de Bayonne ou même dans la Gironde. On l’aurait mise là en état, et j’aurais un bâtiment de plus, propre à tout. Il paraît que les réparations qu’on y a faites l’ont mise en état de faire une bonne mission.

 

Bayonne, 17 avril 1808

Au maréchal Davout, chargé du commandement de la Grande Armée, à Varsovie.

Mon Cousin, je reçois votre lettre du 30 mars. Les Polonais sont légers, actifs. Les grandes villes en général ont ce caractère. Varsovie plus que toute autre ; elles sont comme la surface de la mer, qui n’est jamais la même deux jours de suite. Mais les Polonais sont au fond, attachés à la France. Vous sentez qu’en prenant des Polonais à mon service j’ai consulté l’intérêt de la Pologne. J’ai des soldats en France autant que j’en veux. J’ai même consenti que, dans la capitulation. qui a été faite pour cet objet, on insérât la clause que les Polonais ne pourront pas être embarqués pour un service de mer pour les colonies. Écrivez au sieur Bourgoing pour qu’il accélère le départ de ces troupes et pour qu’on ne fasse pas partir de compagnies à moins qu’elles ne soient à 140 hommes effectifs. Ce n’est pas une nuée d’officiers que je veux, mais des corps dont je puisse me servir.

 

Bayonne, 17 avril 1808

Au maréchal Bessières, commandant de la Garde impériale en Espagne, etc., à Burgos

Mon Cousin, le roi Charles et la reine sont partis de l’Escurial le 14. Ils doivent être arrivés à Burgos le 17 ou le 18. Je suppose que vous leur aurez rendu tous les honneurs imaginables. Vous les escorterez avec toute votre division, si cela est nécessaire, ou du moins avec la meilleure partie, pour franchir Vitoria et les mettre sur la route de Bayonne.

Vous trouverez ci-joint la copie d’une lettre (lettre à Ferdinand, du 16 avril) que Savary porte au prince des Asturies ; si le prince des Asturies vient à Bayonne, c’est fort bien; s’il rétrograde sur Burgos, vous le ferez arrêter et conduire à Bayonne. Vous instruirez de cet événement le grand-duc de Berg, et vous ferez connaître à Burgos que le roi Charles a protesté et que le prince des Asturies n’est pas roi, que, d’ailleurs, il faut attendre les communications de Madrid.

Vous devez maintenir libres les communications avec Vitoria, et envoyer des officiers à Savary, pour bien connaître l’état des choses. Si le prince des Asturies quitte Vitoria et a dépassé Burgos pour se rendre à Madrid , vous enverrez après lui et vous le ferez arrêter partout où il se trouvera, car, s’il refuse l’entrevue que je lui propose, c’est signe qu’il est du parti des Anglais, et alors il n’y a plus rien à ménager. Ces événements extrêmes arrivant, ce qui , je l’espère, ne sera pas, si vous jugiez que ce soit convenable, vingt-quatre heures après avoir arrêté le prince des Asturies, vous ferez imprimer ma lettre au prince et la protestation du roi Charles, dont je vous envoie copie, au cas que vous en ayez besoin. Vous sentez que ces pièces sont pour vous seul, et que, dans aucun cas autre que ceux  précités, elles ne doivent paraître.
Je vous recommande fermeté, activité et prudence, mais surtout de l’activité. Si vous étiez obligé, soit pour escorter le Roi et la Reine, soit pour dissiper des rassemblements, de marcher sur Vitoria, vous donnerez ordre aux troupes qui sont à Lerma et à Valladolid de marcher sur Burgos pour garder cette ville. Le grand-duc de Berg enverrait également de l’autre côté.

Il ne s’agit pas de tâtonner, il faut marcher avec énergie. Ou le prince des Asturies vient à Bayonne, et alors tout peut s’arranger; ou il s’y refuse, et alors il s’entend avec les Anglais, et d’un coup il faut le prévenir.

 

Bayonne, 17 avril 1808

Au maréchal Bessières, commandant de la Garde impériale en Espagne, etc., à Burgos

Mon Cousin, il a été expédié de Bayonne sur Burgos 300,000 rations de biscuit d’un premier envoi, 100,000 sur Pampelune et 100,000 d’un troisième envoi sur Burgos; faites-moi connaître si cela est arrivé. 9,400 paires de souliers ont été expédiées sur Burgos, venant, de Paris, et 3,000 venant également de Paris sur Saint-Sébastien. 13,000 paires de souliers, provenant du marché fait par ordre du grand-duc de Berg, et 14,000 paires, provenant du marché du maréchal Moncey, ont été également expédiées. 6,000 paires de souliers, complément du marché de 120,000 paires fait par le grand-duc de Berg, sont également parties de Bayonne. Ainsi il a été expédié d’ici sur Burgos 44,000 paires de souliers, et sur Saint-Sébastien 3,000 paires. 5,000 autres paires vont être expédiées sur Burgos, ce qui complétera le marché du maréchal Moncey. Ainsi les troupes ne doivent point manquer de souliers.

 

Bayonne, 18 avril 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Vous trouverez un décret que j’ai pris sur un officier que vous avez nommé chef de bataillon dans le 13e régiment provisoire. C’est une chose désespérante pour l’armée que j’aie des capitaines depuis 1792, qui m’ont constamment rendu tant de services, et que vous me proposiez pour chef de bataillon un officier qui était lieutenant ou capitaine en 1794, et qui n’a pas servi depuis. Ce sont de singuliers principes qu’on a là aux bureaux de la guerre; avec ces principes, l’espoir de mon armée va être perdu. Les nominations que peuvent avoir faites le maréchal Kellermann ou tout autre général, dans des moments pressants, ne sont d’aucune valeur. Si vous m’avez fait confirmer toutes les nominations faites dans la légion du Nord, je ne vois pas pourquoi je n’ai pas nommé colonels des officiers qui n’étaient que lieutenants. Faites-moi un rapport sur les nominations faites par le maréchal Kellermann et sur toutes celles de ce genre que j’aurais confirmées depuis le mois d’octobre 1806. Cela me désole plus et fait plus de tort à l’armée que la perte de plusieurs bataillons.

N’adressez plus aucun officier aux régiments provisoires, mais envoyez-en l’état au major général, qui prendra mes ordres. Il était d’usage qu’un officier ne passât pas d’un corps dans un autre sans mon autorisation, au moins depuis le grade de chef de bataillon. Le prince de Neuchâtel et les ministres qui l’ont précédé ne s’écartaient pas de cet usage, et cependant le sieur Bleterin vient commander un bataillon, et je n’en sais rien. Il serait bien injuste que des officiers qui ont quitté l’armée au moment du danger soient récompensés à l’exclusion des officiers qui n’ont point mis d’interruption dans leurs services; ce serait trahir les règles de la politique et les devoirs les plus sacrés. Je dois tout à ceux qui m’ont fait gagner des batailles. Je ne passe pas la revue d’un dépôt sans trouver matière à faire quatre chefs de bataillon. Ce ne sont pas de beaux diseurs ni de belles jambes qu’il me faut, mais de bons soldats.

 

Bayonne, 18 avril 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Il est nécessaire que vous me fassiez un rapport sur la gendarmerie. Je viens de voir la citadelle de Bayonne, dans laquelle se trouve un dépôt de conscrits; à mon grand étonnement, je l’ai trouvé gardé par une brigade de gendarmerie à cheval, ce qui paralyse six chevaux; une brigade de gendarmerie à pied aurait mieux valu. Il y a ainsi plusieurs dépôts, prisons et autres établissements, où l’on fait la même sottise. Faites-vous rendre compte des postes de toute espèce que garde la gendarmerie, et faites-m’en un rapport général. La gendarmerie à cheval ne doit être chargée d’aucun service que la gendarmerie à pied peut faire. Un gendarme à cheval me coûte une fois plus qu’un gendarme à pied , et un gendarme à pied fait le service de deux gendarmes à cheval près d’un dépôt ou d’une prison, parce qu’il n’a point de cheval à soigner. Parlez-en à l’inspecteur pour qu’il tienne la main à cela, et témoignez-lui mon mécontentement de ce que j’ai trouvé le dépôt de conscrits de Bayonne gardé par des gendarmes à cheval. Faites-moi faire un livret de la gendarmerie, compagnie par compagnie, et faites-y noter le service que fait
chaque brigade près des prisons, dépôts, préfectures, etc., soit à pied, soit à cheval. Ce livret me sera remis tous les mois , et je pourrai m’assurer que cela n’existe plus.

 

Bayonne, 18 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Monsieur Decrès, méditez l’expédition d’Alger [1]Napoléon songe alors à une expédition purement française contre Alger, dans le but d’inquiéter les Anglais, tant sous le point de vue de mer que sous celui de terre. Un pied sur cette Afrique donnera à penser à l’Angleterre. Y a-t-il sur cette côte un port où une escadre soit à l’abri d’une force supérieure ? Quels seraient les ports par où l’armée, une fois débarquée, pourrait être ravitaillée et combien l’ennemi pourrait-il bloquer de ports différents ? Il n’y avait guère en Égypte que le port d’Alexandrie. Rosette était un port très-dangereux; cependant on le comptait. Ici, je crois qu’il y en a une douzaine. Combien peuvent-ils contenir de frégates, de bricks et de gabares ? L’escadre de l’amiral Ganteaume entrerait-elle à Alger et y serait-elle à l’abri d’une force supérieure ? Quelle est la saison où la peste n’est plus à craindre et où l’air est bon ? Je suppose que ce doit être en octobre.

Après avoir étudié l’expédition d’Alger, étudiez bien celle de Tunis. Écrivez-en confidentiellement à Ganteaume, qui, avant de venir à Paris, peut prendre des renseignements ; ils peuvent s’étendre jusqu’à Oran et s’appliquer à la terre et à la mer. Les renseignements à prendre par terre sont s’il y a des chemins et de l’eau. Je suppose que cette expédition demande 20,000 hommes. Vous sentez bien que cette expédition, l’ennemi la supposerait pour la Sicile, et qu’il serait bien déjoué si, au lieu de cela, elle se rendait à Alger.

Je ne vous demande une réponse que dans un mois ; mais , pendant ce temps, recueillez des matériaux tels qu’il n’y ait pas de mais, de si, de car. Envoyez un de vos ingénieurs discrets sur un brick, qui puisse causer avec le sieur Thainville (Charles François Dubois-Thainville, 1758-1818, consul à Alger); mais il faut que ce soit un homme de tact et de talent (Ce sera le chef de bataillon Vincent-Yves Boutin, 1772-1815. Les notes qu’il ramènera de sa mission – parfois rocambolesque – et le rapport qu’il en fit, serviront  pour l’établissement de l’expédition de 1830). Il faudrait que cet ingénieur fût un peu officier de marine et un peu ingénieur de terre. Il faut qu’il se promène lui-même en dedans et en dehors des murs, et que, rentré chez lui, il écrive ses observations, afin qu’il ne nous rapporte pas de rêveries. Vous pourriez même vous concerter avec Sanson Nicolas Antoine Sanson, 1756-1824. Responsable du service topographique) pour avoir un homme capable. Vous devez trouver des renseignements dans les archives des relations extérieures et de la guerre. Faites faire des recherches dans ces archives et dans les vôtres. De tout temps on a demandé en France des renseignements sur ces pays.

 

Bayonne, 18 avril 1808

Au vice-amiral Ganteaume, commandant l’escadre de la méditerranée, à Toulon.

Monsieur le Vice-Amiral Ganteaume, je reçois voire lettre de Toulon, du 10. Les contrariétés de temps que vous avez éprouvées sont inouïes. Mais c’est une nouvelle obligation que j’ai à mon escadre d’avoir si bien rempli mes instructions. Au 5 avril, les mers de Corfou se trouvaient libres. Cette place avait 10,000 hommes de garnison. 300 milliers de poudre, 2 millions de cartouches et des vivres pour deux ans; et au moment où l’on m’écrivait, tout filait encore. Je charge mon ministre de la marine de témoigner mon mécontentement au contre-amiral Cosmao (Julien-Marie, baron Cosmao-Kerjulen, 1761-1825, contre-amiral) de la fausse interprétation qu’il a donnée à vos instructions; il a, par cette malhabileté, compromis mon escadre. Il ne devait pas non plus laisser la Baleine, puisque le but de l’expédition était de ravitailler Corfou : puisqu’il n’y avait que deux flûtes chargées, il était absurde d’en abandonner une. Mon ministre vous fera connaître la marque éclatante de ma satisfaction que j’ai voulu vous donner, et j’attends son rapport pour accorder des distinctions aux officiers de votre escadre dont vous avez particulièrement à vous louer.

 

Bayonne, 18 avril 1808

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, je reçois votre lettre, et celle du général Miollis, du 8. Je suis immensément occupé, c’est pour cela que je désire que les affaires de Rome soient remises au (propre main) au 10 mai. En attendant, faites, gouvernez temporellement les quatre légations, comme je l’ai ordonné, et conformément à l’intérêt de mon royaume. Il ne faut pas se mettre tout sur les bras à la fois. Veillez sur Florence, on dit qu’il y a un mauvais esprit, et qu’on y est peu content des changements actuels. Faites-moi connaître ce que vous pensez là-dessus. J’ai ici l’infant don Carlos. C’est un jeune homme de vingt ans, qui a pris ici la rougeole. Il est accompagné de plusieurs grands d’Espagne. J’attends le prince des Asturies, qui se fait nommer Ferdinand IV, et le roi Charles IV dans peu de jours. Il y a beaucoup de mouvements en Espagne. Le grand duc est à Madrid, Bessières à Burgos, et Duhesme à Barcelone. Le roi Charles a protesté contre son abdication, et a eu recours à moi. Le temps décidera ce que tout cela deviendra. En attendant, empêchez que l’opinion n’en prenne une idée décisive; mais laissez en dire assez dans les gazettes pour faire voir qu’il y a incertitude dans les affaires et division dans la famille d’Espagne.

 

Bayonne, 18 avril 1808

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, j’ai reçu votre lettre du 6 avril. Le 6e bataillon du train va se rendre à l’armée d’Italie. Il doit être recruté insensiblement en Italie. Il n’a pas besoin de chevaux du train pour porter les équipages de pont : les moyens du pays les charrieront facilement.

J’ai vu dans votre projet d’organisation de l’armée que vous portez le 7e de ligne; il n’y faut plus penser : ce régiment est en Espagne. Vous pouvez seulement compter sur le 4e bataillon; mais il serait bientôt remplacé par un régiment que, le cas arrivant, je tirerais de Naples.

La dépense de 600,000 francs que vous me proposez de faire pour le camp m’effraye un peu. Il me semblerait qu’en faisant des coupes vers le haut Tagliamento le soldat pourrait se faire lui-même ses baraques, comme au camp de Boulogne; on lui donnerait les bois, il ferait le reste. Cela ne coûterait pas plus de 100,000 francs. Toutefois je pense que c’est de cette manière que vous devez faire votre camp. Il ne durera pas deux ans, mais huit ou dix ans. Il y a cinq ans que celui de Boulogne est fait, et il endurera encore plus de cinq ; il n’a pas coûté plus de 100,000 écus, et le bois est précieux dans le nord. S’il y avait trop de difficulté, vous commenceriez par le faire ainsi pour deux régiments, dans les environs d’Udine et d’Osoppo, et on ferait cantonner le reste. On aurait l’avantage de pouvoir les faire manoeuvrer successivement par brigade. Il me semble qu’il y a des bois nationaux au delà d’Udine, où l’on pourrait faire une coupe extraordinaire que l’on charrierait par le Tagliamento. Il ne faut pas charger de ces baraques des ingénieurs; le soldat les construira lui-même. Une partie des troupes serait campée, et le reste cantonné dans les villages et environs, de manière à se réunir une fois par semaine pour manoeuvrer par brigade, c’est-à-dire par six bataillons. Les troupes resteront ainsi cantonnées pendant les mois de juin, juillet, août et septembre.

Il ne faut pas penser aux tentes ; cela n’est bon à rien qu’à donner des maladies ; il pleut souvent en Italie. Si vous commencez à disposer votre camp ainsi, faites-le tracer en carré à Osoppo, et même, s’il est possible, dans les lignes que j’ai ordonnées. Mon premier but est de mettre les troupes dans un pays sain ; camper, qui est aussi très-utile, n’est que mon second but.

——

P. S. J’ai donné des ordres au ministre de la marine, à Paris, de faire restituer au consul de Russie tout ce qui lui appartient sur le bâtiment autrichien le Bizarre. Donnez de votre côté les mêmes ordres.

 

Bayonne, 18 avril 1808

A Joseph Napoléon, roi de Naples, à Naples

Je reçois votre lettre du 7 avril. Je vois avec plaisir ce que vous me dites de Corfou. Je suis fort aise de voir cette île dans une si bonne situation. J’apprends également avec plaisir que vous fortifiez Scilla. Vous connaissez assez le pays pour savoir comment vous devez placer vos troupes pendant cette saison pour conserver surtout le poste important de Scilla. Ce que je désire par-dessus tout, c’est qu’elles soient placées dans des lieux sains et à l’abri des maladies.

Vous faites fort bien de diriger des recrues sur Barcelone. J’ai monté vos chasseurs. Toutes ces troupes prennent une habitude d’exercice et un esprit qui seront fort avantageux à votre royaume. Envoyez-moi des régiments napolitains tant que vous voudrez, pourvu qu’ils soient forts de 140 hommes par compagnie.

Remerciez Julie et Zénaïde des lettres qu’elles m’ont écrites; je leur répondrai, mais j’ai à présent trop d’affaires. Vous avez dû être heureux de recevoir vos enfants bien portants et qui m’intéressent sous tous les rapports.

L’Infant don Carlos est ici. Ce jeune prince, quia vingt ans, est tombé malade à son arrivée, de sorte que je n’ai pas pu le voir. Il a avec lui plusieurs grands d’Espagne. Le prince des Asturies, qui s’intitule Ferdinand VII, est à vingt lieues de la frontière avec une grande suite. Le roi Charles et la reine sont en route pour venir. Il a protesté et en a appelé à mon arbitrage. Mes troupes sont à Madrid, Barcelone, Figuières, Saint-Sébastien , Burgos. L’armée espagnole n’est pas redoutable. Le peuple est en fermentation. Le grand-duc de Berg et le maréchal Moncey sont à Madrid. Le général Dupont est à Tolède, et le maréchal Bessières, à Burgos.

J’ai ici près de 100,000 hommes de régiments provisoires. Ils gagnent tous les jours par l’exercice et le mouvement. Ce sont tous de gros enfants de vingt ans, dont j’ai lieu d’être satisfait. Pas un homme de ma Grande Armée n’a augmenté ces corps en infanterie, cavalerie, artillerie.

Renvoyez en Italie un régiment de cavalerie et le 6e bataillon du train que je vous ai demandé plusieurs fois. Vous avez acquis assez d’habitude à présent à Naples pour trouver des charretiers napolitains; les hommes français du train me sont nécessaires, et il faut que ma Grande Armée soit prête à me seconder, s’il le faut, dans le courant de l’été.

Mon escadre est rentrée à Toulon en bon état. La flûte la Baleine est arrivée à Minorque. Je n’ai rien perdu, et j’ai fait naviguer cette escadre, ce qui forme d’autant mes matelots.

Une escadre sort tout armée de l’Escaut. J’ai déjà huit vaisseaux en rade à Flessingue, qui ont été construits à Anvers. J’en aurai autant dans le courant de l’été. Veillez et faites exécuter mes mesures sur le blocus. Tout bâtiment américain qui se présente dans vos ports vient d’Angleterre; partez de ce principe.

Jusqu’à cette heure toute mon armée d’Espagne est à mes frais et me coûte des sommes énormes. La conscription que je lève, celle que je vais peut-être bientôt lever, mes régiments de cavalerie que je porte à 1,200 chevaux, tout cela m’entraîne dans d’immenses dépenses; mais les circonstances veulent que je couvre l’Europe de mes troupes. L’Angleterre commence à souffrir. La paix seule avec cette puissance me fera remettre le glaive dans le fourreau et rendre à l’Europe la tranquillité.

Il ne serait pas impossible que je vous écrivisse dans cinq ou six jours de vous rendre à Bayonne. Vous laisseriez le commandement des troupes au maréchal Jourdan, et la régence de votre royaume à qui vous voudrez. Votre femme resterait à Naples. Les relais seront préparés, dans ce cas, sur votre route. Cependant, jusqu’à présent, cela est encore incertain.

 

Bayonne, 18 avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures

Monsieur de Champagny, en conséquences des nouvelles de Cagliari, vous donnerez ordre à mon chargé d’affaires de quitter la Sardaigne. Vous me présenterez un projet de décret pour mettre un embargo sur tous les bâtiments sardes. Vous le motiverez sur ce que ce gouvernement n’a pas exécuté la convention qu’il a faite. Ecrivez à mon chargé d’affaires à Madrid de demander que les bâtiments des États-Unis : la Suzanna, capitaine John Tosa, et Morning ster, capitaine Michel Ashley, qui sont entrés à Cadix, chargés de denrées coloniales, et prétendant venir de Norvège, mais dans le fait venant de Londres, soient confisqués.

 

Bayonne, 19 avril 1808

Au général Junot, commandant de l’armée du Portugal, à Lisbonne

Vous violez la loi du blocus contre l’Angleterre en Portugal et vous recevez des navires neutres chargés de denrées coloniales censée venir d’Amérique, et que tout le monde sait venir de Londres. Donnez des ordres pour que tous vaisseaux américains ou autres arrivant à Porto chargés de marchandises coloniales soient mis sous le séquestre. Vous laissez également expédier des vins de Porto sur des bâtiments de Kniphausen et hambourgeois ; cela va en Angleterre. Si mes corsaires les prennent, ils seront de bonne prise. Tout bâtiment portant pavillon de Kniphausen est au compte des Anglais et doit être confisqué. Il serait absurde que, lorsque Bordeaux ne peut exporter un tonneau de vin, que la Hollande ne peut faire sortir un navire, le Portugal eût la liberté de faire le commerce avec l’Angleterre. Cette affaire est de la plus grande importance; veillez-y sérieusement. L’Angleterre est aux abois, et, si on lui ouvre des débouchés en Portugal, elle nous fera un mal immense.

 

Bayonne, 19 avril 1808

NOTE POUR LE GÉNÉRAL CLARKE, MINISTRE DE LA GUERRE, A PARIS.

Le projet sur Mayence n’est pas adopté; cependant rien n’est plus urgent, ni plus important que de travailler, cette année, à fortifier Kastel (Kastel sur le Main). Si, dans la situation actuelle de cette place, l’ennemi se portait devant Kastel, soit pendant que l’armée se trouverait en Pologne, soit parce qu’elle aurait été battue, soit que ses efforts se fussent tournés autre part, dans toutes ces hypothèses, il y aurait grand inconvénient à avoir Kastel dans son état actuel.

Partant de l’hypothèse d’aujourd’hui, si une division de 20,000 hommes se portait devant Kastel pendant le temps que l’armée est éloignée, le mauvais état des fortifications exigerait que le commandant de Mayence tint là au moins 2,000 hommes, qui seraient probablement de nouvelles levées et faiblement organisés. En ouvrant la tranchée et en supposant un peu de vigueur de la part de l’assiégeant, il serait possible que Kastel fût pris, ce qui serait un très-grand malheur.

Dans le cas ordinaire où une armée de 100,000 hommes serait devant Mayence, c’est-à-dire devant une place qui a besoin de 12,000 hommes à la rigueur et où, avec ce nombre de troupes, on sera faible partout, on sera cependant obligé d’en tenir 2,000 à Kas tel. Ces 2,000 hommes seront fort embarrassés pour le passage. Quel malheur pour un commandant de voir ces 2,000 hommes inutiles au reste de la garnison et de ne pouvoir pas les porter au point de l’attaque ! Si au contraire Kastel était revêtu, avec le relief convenable, à vingt-quatre pieds, avec ses contrescarpes, ses demi-lunes, ses chemins couverts, selon le tracé ordinaire, dans l’un et l’autre cas, une compagnie d’artillerie, 2 ou 100 gardes nationaux pour aider au service des pièces et deux ou trois compagnies d’infanterie assureraient la tranquillité de ce point important.

Dans le premier cas, on n’aurait pas le moyen de le prendre, parce qu’on n’aurait pas celui de faire un siège. Dans le second, on n’irait pas s’amuser à faire un siège si considérable et qui n’aboutirait à rien; car, quand on aurait Kastel après un long siège, on n’aurait encore rien ; tandis que la même attaque donnerait le fort Meusnier ou l’autre fort du côté de l’ouvrage à corne, c’est-à-dire avancerait de beaucoup la reddition de la place. Il est donc urgent de mettre en bon état Kastel.

Dès cette année, avec les 1,300,000 francs destinés par l’Empereur à Kastel, on peut commencer à achever trois demi-lunes qui sont construites en avant de la place, les environner d’un chemin couvert, outre celui qui est autour de Kastel, chemin couvert utile parce qu’il peut servir d’une espèce de camp retranché et contenir l’arrière-garde et les bagages pendant qu’ ils défileraient. Mais il est vrai de dire que, pour commencer à travailler d’une manière permanente, il faut un projet approuvé. En attendant, on peut faire connaître à l’ingénieur que les fonds sont faits pour Kastel, qu’il peut faire un grand approvisionnement de matériaux. 1,300,000 francs sont une somme qu’on peut employer en cinq ou six mois, surtout quand on en a employé trois à faire les approvisionnements. Enfin, s’il reste 2 ou 300,000 francs à dépenser, on les emploiera la campagne suivante.

On avait eu le projet de ne rien faire à Kastel et d’inonder tout le terrain sur la rive droite du Rhin , en se servant du Main; on l’a raisonnait ainsi : pour revêtir Kastel, il faut trois ou quatre millions; avec les trois ou quatre millions, on peut détourner le Main, fait un pont éclusé et inonder à volonté tout le terrain jusque vis-à-vis l’île Saint-Pierre. Dès lors, ce côté n’est plus attaquable ; dès lors l’ennemi ne s’y présentera pas. Deux redoutes en terre et noyées par l’inondation, une vis-à-vis l’île Saint-Pierre, l’autre sur le haut Rhin, construites à un millier de toises de Kastel, éloigneraient l’ennemi de ce point. Alors le passage ne pourrait plus être inquiété d’aucune manière , l’ennemi ne pouvant approcher du pont qu’à une grande distance, parce que l’inondation l’en empêcherait. Cette idée, je désire qu’on me la présente sur un huilé et qu’on me dise si cela est impossible d’après le nivellement, où du moins si la dépense pour creuser ou aplanir le terrain serait assez forte pour qu’il fallût y renoncer.

Alors il n’y aurait besoin de rien faire à Kastel. On aurait sur 1a droite du Rhin un camp d’une étendue immense, puisqu’on se conserverait, au moyen des glacis, autant de terrain qu’on voudrait à l’abri de l’inondation. Le Rhin ne serait plus rien ; on le passerait comme on voudrait; l’ennemi serait si éloigné qu’il ne pourrait empêcher le passage, ni même voir les mouvements. D’ailleurs, ayant trois ponts, les mouvements seraient très-rapides, et le gouvernur oserait, à la pointe du jour, avec les trois quarts de la garnison, déboucher par Kastel, culbuter tout ce qu’il trouverait , fourrager plusieurs lieues sans inquiétude et, avant la moitié du jour, rentrer dans la place et se porter sur un autre point d’attaque, à Mayence, si l’ennemi s’était dégarni de ce côté, car on ne suppose pas que ce puisse être Kastel qui soit attaqué.

Quand il sera prouvé que ce Projet ne peut se réaliser et qu’on ne peut tirer parti de l’inondation du Main , il faudra donner successivement aux fortifications de Kastel un bon tracé et un bon relief. Il faudra tâcher de se procurer le plus d’espace que l’on pourra, afin que les troupes puissent déboucher et repasser le Rhin sans confusion. Mais on n’aura encore rempli qu’une partie du but.

L’autre but à remplir, c’est de mettre le pont à l’abri de tout insulte. L’ennemi ne doit pouvoir établir aucune espèce de batterie sur le bord du fleuve, à mille toises du pont. Du côté du bas Rhin, il semble que cela est facile à cause de l’île Saint-Pierre; du côté du haut Rhin, cela est plus difficile. Si ce qui existe à Kastel n’était d’aucune valeur, la première question à examiner sera celle-ci : où convient-il de placer le pont ? et peut-être trouverait-on qu’il convient de placer le pont plusieurs cent toises plus bas que Kastel.

Il faudrait donc dans le projet, indépendamment de Kastel, conserver une tête de pont à l’île Saint-Pierre, qui tirât sa défense de cette île. Le canal n’a là que cent toises de largeur. On passerait de la rive gauche à l’île Saint-Pierre, comme on voudrait, par un pont qui ne serait vu d’aucun côté, et de l’île Saint-Pierre au fort, par un petit pont de peu d’importance, parce qu’il aurait moins de cent toises, et que ce n’est pas là le principal courant. Ce point occupé sur la rive gauche aurait le grand avantage d’empêcher l’ennemi de voir le pont de Kastel de ce côté-là.

Il ne faut pas compter sur les ouvrages de campagne. Ils ont l’inconvénient d’affaiblir une garnison qui, quelle qu’elle soit, sera trop faible dans une place qui a tant d’étendue. Il ne faut point citer l’exemple du dernier siège : on sait trop bien qu’il y avait alors, non une garnison, mais une armée dont une grande partie n’avait pas pu sortir. Sans doute, quand on ne peut pas faire autrement, il faut faire des ouvrages de campagne; mais en organisant une place, il faut tâcher de n’en pas avoir besoin, afin d’avoir économie d’hommes et sûreté, ce qui est la propriété de la fortification permanente.

 

Bayonne, 19 avril 1808.

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie, à Milan

Mon Fils, il ne faut pas envoyer les troupes du Pape à Mantoue, ce serait leur perte. Il faut les placer à Ancône, Rimini ou Bologne; les bien traiter et organiser; mais ne leur faire faire aucun mouvement rétrograde. Si elles sont à Ancône, il faut les y laisser. Envoyez un inspecteur pour voir leur comptabilité et la mettre dans le meilleur état. Il faut en former un beau régiment.  

 

Bayonne, 19 avril 1808.

A M. Fouché, ministre de la police générale, à Paris

Vous trouverez ci-joint une lettre du ministre de la marine avec un paquet de lettres qu’il m’envoie. Comment ces lettres se sont-elles trouvées sur le paquebot le Bristol qui se rendait à New-York ? quel était l’individu porteur de ces papiers `à qui étaient-ils adressés ? tout cela est fort important. Interrogez tous les hommes de ce bâtiment; il doit y avoir là de ces brigands qu’on cherche. Il me semble qu’il y a là dedans des choses à éclaircir et quelques individus à arrêter. Faites-moi une petite note qui me fasse connaître tout ce que cela dit.

 

Bayonne, 19 avril 1808.

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Bayonne

Monsieur de Champagny, faites mettre un article dans le Moniteur sur l’expédition de Finlande et faîtes connaître en même temps la mauvaise foi de l’Angleterre

 

Bayonne, 19 avril 1808.

A M. Fouché, ministre de la police générale, à Paris

Le sieur Alexandre, de Berne, dont il est question dans votre rapport du 12 avril est français et au service de Russie. Vous le renverrez en Russie; je ne veux point de français naturalisés russes en France. Cela ne souffre point d’exception. Il faut avoir une explication avec le bureau des passeports des relations extérieures qui donnent de pareils passeports. Il ne doit donner de passeports qu’aux ministres étrangers et s’il continue ainsi, il finira par avoir des désagréments.

Faites venir à Bicêtre comme fou,le nommé Dubois-Dutié qui est à Rennes et ne le laissez pas dans une ville.

 

Bayonne, 19 avril 1808

DÉCISION

Le prince de Neuchâtel, major général , demande les ordres de l’Empereur sur la destination à donner au 14e régiment provisoire d’infanterie qui arrive à Bayonne.Demain ce régiment fera l’exercice à feu : le matin, il tirera à la cible; le soir, on passera la revue de ses souliers et de son armement; après-demain , 21, je le passerai en revue. Il se tiendra prêt à partir le 22.

 

Bayonne, 20 avril 1808

DÉCRET

Napoléon, Empereur des Français, Roi d’Italie et Protecteur de la Confédération du Rhin.

Considérant que les navires français ne trouvent depuis longtemps sur les côtes de Sardaigne ni sûreté, ni protection ; que plusieurs ont été enlevés par les vaisseaux de guerre et les corsaires anglais, à la vue du rivage de cette île et sans que le Gouvernement sarde ait cherché à faire respecter aux ennemis sa neutralité; que les corsaires anglais arment publiquement en Sardaigne; qu’on y permet de nombreux approvisionnements pour Malte et pour Gibraltar; que le Gouvernement sarde, après s’être engagé envers la France, par une convention conclue le 19 novembre 1807, à réparer ces violations et à en prévenir le retour, s’est ensuite formellement refusé à remplir ses engagements;

Nous avons décrété ce qui suit

Il sera mis un embargo sur les bâtiments sardes dans tous les ports de nos États et des pays occupés par nos armées.

Nos ministres de la marine, de la guerre, et des finances sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.

 

Bayonne, 21 avril 1808

A l’Impératrice, à Bordeaux

Je reçois ta lettre du 19 avril.

J’ai eu hier le prince des Asturies et sa cour à dîner : cela m’a donné bien des embarras. J’attends Charles IV et la reine.

Ma santé est bonne. Je suis assez bien établi actuellement à la campagne.

Adieu, mon amie; je reçois toujours avec bien du plaisir de tes nouvelles.

Napoléon

 

 

Bayonne, 21 avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur de Champagny, faites rédiger pour le Moniteur un article qui fasse bien connaître les horreurs que commet le gouvernement d’Alger, et les vexations qu’il fait peser sur toute l’Europe. Un simple narré, extrait de la dépêche du sieur Thainville, remplira ce but.

Faites connaître à M. de Dreyer que j’ai donné l’ordre au prince de Ponte-Corvo de faire passer des troupes en Seeland, coûte que coûte, pour la défense de cette île.

 

Bayonne, 21 avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures

Monsieur de Champagny, il n’y a pas de difficulté à permettre au ministre de Saxe de se rendre à Bayonne avec les députés polonais.

 

Bayonne, 21 avril 1808

A M. Daru, Intendant général de la Grande Armée, à Berlin

Monsieur Daru, je reçois votre état de situation des sept bataillons des équipages militaires, d’où il résulte qu’il y a 2,600 hommes présents sous les armes, et 4,500 chevaux, plus de 1,000 voitures, c’est-à-dire de quoi porter un million de rations de pain. Cet état est satisfaisant, si les voitures sont en bon état, et si les chevaux et les harnais sont d’un bon service. Je vois qu’il leur manque quelques objets de détail, que vous vous empresserez sans doute de leur faire fournir. Faites mettre tous ces équipages en état, afin qu’avant le 1er juillet les sept bataillons soient susceptibles de rendre tous les services possibles. Il faut donner à ces bataillons des carabines prussiennes; quoiqu’elles ne soient pas de calibre, c’est égal. Ces bataillons, ne devant pas se battre en ligne, peuvent avoir leurs cartouches particulières. J’approuve fort qu’il y ait à chaque bataillon un moule pour faire les cartouches. J’approuve la répartition que vous me proposez. Vous pouvez laisser en Silésie les 4e et 6e bataillons, sauf, lorsqu’il le faudrait, à en tirer une compagnie pour attacher à l’administration générale.

J’attends la situation des caissons d’ambulance que doit avoir chaque corps. Les 19e, 65e, 72e, 105e et les 5e, 7e et 16e légers n’ont pas eu leur première mise; il faut la leur faire donner, et qu’ils se procurent leurs caissons d’ambulance. Je ne suis point de l’avis de former un bataillon uniquement destiné au service de l’ambulance. Il faut qu’il y ait, sur les trente-quatre caissons de chaque compagnie, quatre caissons pour le pain et quatre caissons pour l’ambulance. Vous savez vous-même que, le lendemain d’une bataille, on est obligé de se servir des caissons du pain pour évacuer les malades, et vice versa. Mais il semble que chaque division d’infanterie a déjà ses quatre caissons d’ambulance appartenant aux régiments, et quatre caissons pris dans ceux des transports militaires qui lui sont attachés; elle en a alors suffisamment.

Quand je vous ai donné l’ordre de faire fournir aux corps les capotes, souliers et autres effets dont ils auraient besoin, je n’ai pas seulement entendu que vous les leur fissiez fournir des magasins de l’armée, mais encore que vous eussiez à m’éclairer sur les ordres qui auraient été donnés aux dépôts de ne rien laisser passer, pour contremander ces ordres, s’ils existaient, afin que les corps soient pourvus de tout avant le 1er juillet.

 

Bayonne, 22 avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Bayonne

Monsieur de Champagny, il parait à Bayonne une gazette espagnole. Il est nécessaire de veiller à la manière dont elle parlera du prince des Asturies, et à ce qu’elle ne l’appelle pas Roi. Il n’y a pas un moment à perdre puisqu’elle parait aujourd’hui. Envoyez donc sur-le-champ chercher le rédacteur.

 

Bayonne, 22 avril 1808

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 19 à une heure du matin. J’approuve votre marche et tout ce que vous faites. Ici, j’ai fait connaître mes intentions aux cinq ou six Grands qui accompagnent le prince, et tous conviennent des avantages qui résulteront pour l’Espagne de la consolidation de son indépendance et de son intégrité sous la domination d’un prince de ma dynastie.

Ne laissez rien imprimer à Madrid sur le prince des Asturies. Vous pouvez faire parler de la manière distinguée dont je l’ai reçu, dire que, quoique je ne l’aie pas reconnu roi, j’ai voulu témoigner dans sa personne et dans celle des Grands de sa suite la considération que je porte à l’Espagne.

Je vous ai déjà écrit qu’il fallait envoyer ici le roi Charles et la reine.

Il faut laisser percer que je ne veux rien de l’Espagne; que le royaume conservera son indépendance et son intégrité, mais que je veux une dynastie qui réunisse davantage les deux nations.

 

Bayonne, 22 avril 1808

Au maréchal Bessières, commandant la Garde impériale en Espagne, etc., à Burgos

Mon Cousin, je reçois votre lettre du 20 avril, Je vous ai écrit hier par d’Hanneucourt que j’avais très-bien reçu le prince des Asturies, voulant honorer l’Espagne en sa personne. Je ne l’ai pas reconnu roi, et je ne pense pas que je le reconnaisse. Toutefois vous devez dire que je ne veux rien des Espagnes, qu’elles resteront dans leur intégrité et leur indépendance.

Vous devez faire filer les régiments portugais sur Saint-Jean-de-Luz, en me prévenant de leur arrivée, afin que je connaisse leur direction et que je les envoie se reposer dans les meilleurs pays du Languedoc. S’il était vrai qu’il y eût plus de chevaux que d’hommes, vous pourriez en prendre pour monter ma cavalerie.

J’ai donné l’ordre au général Ducos [2]Nicolas, baron Ducos, 1756-1823. C’est le frère du directeur Roger Ducos. Il vient d’être mis à la suite de l’état-major général de l’armée d’Espagne de se rendre avec sa brigade à Tolosa. Le 14e régiment provisoire est toujours ici avec la division du général Lasalle. Le 4e escadron de marche part demain et va prendre position à Hernani. Lorsque le général Ducos sera à Tolosa, vous pourrez attirer toute la cavalerie à vous. Le général Ducos est sous les ordres du général Verdier, qui lui donnera des ordres en cas d’événement.

 

Bayonne, 23 avril 1808

A l’Impératrice, à Bordeaux

Mon amie, Hortense est accouchée d’un fils [3]Charles-Louis Napoléon, troisième fils d’Hortense, le futur Napoléon III, né le 20 avril 1808 ; j’en ai éprouvé une vive joie. Je ne suis pas surpris que tu ne m’en dises rien, puisque ta lettre est du 21, et qu’elle est accouchée le 20, dans la nuit.

Tu peux partir le 26, aller coucher à Mont-de-Marsan, et arriver ici le 27. Fais partir ton premier service le 25 au soir. Je te fais arranger ici une petite campagne, à côté de celle que j’occupe. Ma santé est bonne.

J’attends le roi Charles IV et sa femme.

Adieu, mon amie.

 

Bayonne, 23 avril 1808

A Hortense, reine de Hollande, à Paris

Ma Fille, j’apprends que vous êtes heureusement accouchée d’un garçon. J’en ai éprouvé la plus grande joie. Il ne me reste plus qu’à être tranquillisé et à savoir que vous vous portez bien. Je suis étonné que dans une lettre du 20, que m’écrit l’archichancelier, il ne m’en dise rien.

 

Bayonne, 24 avril 1808

RAPPORT A L’EMPEREUR

[4]Ce rapport du ministre des relations extérieures a été placé ici, parce que l’on croit y trouver les idées de Napoléon sur la politique de la France envers l’Espagne. La minute de … Continue reading

Sire, la sûreté de votre empire, l’affermissement de sa puissance, la nécessité d’employer tous les moyens pour forcer à la paix un gouvernement qui, se faisant un jeu du sang des hommes et de la violation de tout ce qu’il y a de plus sacré parmi eux, a mis en principe la guerre perpétuelle, imposent à Votre Majesté l’obligation de mettre un terme à l’anarchie qui menace l’Espagne et aux dissensions qui la déchirent. La circonstance est grave, le choix du parti à prendre extrêmement important; il tient à des considérations qui intéressent au plus haut degré et la France et l’Europe.

De tous les États de l’Europe, il n’en est aucun dont le sort soit plus nécessairement lié à celui de la France que l’Espagne. L’Espagne est pour la France ou une amie utile ou une ennemie dangereuse. Une alliance intime doit unir les deux nations, ou une inimitié implacable les séparer.

Malheureusement la jalousie et la défiance qui existent entre deux nations voisines ont fait de cette inimitié l’état le plus habituel des choses. C’est ce qu’attestent les pages sanglantes de l’histoire. La rivalité de Charles V et de François 1er, n’était pas moins la rivalité des deux nations que celle de leurs souverains ; elle fut continuée sous leurs successeurs. Les troubles de la Ligue furent suscités et fomentés par l’Espagne ; elle ne fut point étrangère aux désordres de la Fronde, et la puissance de Louis XIV ne commença à s’élever que lorsque, après avoir vaincu l’Espagne, il forma, avec la Maison alors régnante dans ce royaume, une alliance qui, dans la suite, fit passer cette couronne sur la tête de son petit-fils. Cet acte de sa prévoyante politique a valu aux deux contrées un siècle de paix après trois siècles de guerre.

Mais cet état de choses a cessé avec la cause qui l’avait fait naître.

La révolution française a brisé le lien permanent qui unissait les deux nations.
Lors de la troisième coalition, lorsque l’Espagne prodiguait à la France des protestations d’amitié, elle promettait secrètement son assistance aux coalisés, comme l’ont fait connaître les pièces communiquées au parlement d’Angleterre. Le ministère anglais se détermina, par ce motif, à ne rien entreprendre contre l’Amérique espagnole, regardant déjà l’Espagne comme son alliée, et l’Espagne, ainsi que l’Angleterre, présageant la défaite de vos armées. Les événements trompèrent cette attente, et l’Espagne resta amie.

Lors de la quatrième coalition, l’Espagne montra plus ouvertement ses dispositions hostiles et trahit, par un acte public, le secret de ses engagements avec l’Angleterre. On ne peut oublier cette fameuse proclamation qui précéda de neuf jours la bataille d’Iéna, par laquelle toute l’Espagne était appelée aux armes, lorsque aucun ennemi ne la menaçait, et qui fut suivie de mesures promptement effectuées, puisque l’établissement militaire de ce royaume fut porté de 118,000 hommes à 140,000. Alors le bruit s’était répandu que l’armée de Votre Majesté était cernée, que l’Autriche allait se déclarer contre elle, et l’Espagne crut pouvoir aussi se déclarer impunément. La victoire d’Iéna vint confondre ces projets.

Le moment est arrivé de donner à la France, du côté des Pyrénées, une sécurité invariable. Il faut que, si jamais elle se trouve exposée à de nouveaux dangers, elle puisse, loin d’avoir à craindre l’Espagne, attendre d’elle des secours, et que, au besoin, les armées espagnoles marchent pour la défendre.

Dans son état actuel, l’Espagne, mal gouvernée, sert mal ou plutôt ne sert pas du tout la cause de la France contre l’Angleterre. Sa marine est négligée; à peine compte-t-on quelques vaisseaux dans ses ports, et ils sont dans le plus mauvais état. Les magasins manquent d’approvisionnements; les ouvriers et les matelots ne sont pas payés ; il ne se fait dans ses ports ni radoubs, ni constructions, ni armements. Il règne dans toutes les branches de l’administration le plus horrible désordre; toutes les ressources de la monarchie sont dilapidées. L’État, chargé d’une dette énorme, est sans crédit. Les produits de la vente des biens du clergé, destinés à diminuer cette
dette, ont une autre destination. Mais enfin, dans la pénurie de ses
moyens, l’Espagne, en abandonnant totalement sa marine, s’occupe cependant de l’augmentation de ses troupes de terre. De si grands maux ne peuvent être guéris que par de grands changements.

L’objet le plus pressant des sollicitudes de Votre Majesté est la guerre contre l’Angleterre. L’Angleterre annonce ne vouloir se prêter à aucun accommodement. Toutes les ouvertures de Votre Majesté ont été repoussées ou négligées. L’impuissance de faire la guerre la déterminera seule à conclure la paix. La guerre contre elle ne peut donc être poussée avec trop de vigueur. L’Espagne a des ressources maritimes qui sont perdues pour elle et pour la France. Il faut qu’un bon gouvernement les fasse renaître, les améliore par une judicieuse organisation, et que Votre Majesté les dirige contre l’ennemi commun, pour arriver enfin à cette paix que l’humanité réclame, dont l’Europe entière a si grand besoin. Tout ce qui conduit à ce but est légitime. L’intérêt de la France, celui de l’Europe continentale ne permettent pas à Votre Majesté de négliger les seuls moyens par lesquels la guerre contre l’Angleterre peut être poursuivie avec succès.

La situation de l’Espagne compromet la sûreté de la France et le sort de la guerre contre l’Angleterre. Le pays de l’Europe qui offre le plus de moyens maritimes est celui qui en a le moins.

Sire, l’Espagne ne sera pour la France une amie sincère et fidèle, la guerre avec l’Angleterre ne pourra être continuée avec l’espérance d’arriver à la paix, que lorsqu’un intérêt commun unira les deux Maisons régnant sur la France et sur l’Espagne. La dynastie qui gouverne l’Espagne sera toujours, par ses affections, ses souvenirs, ses craintes, l’ennemie cachée de la France, l’ennemie d’autant plus perfide qu’elle se présente comme amie, cédant tout à la France victorieuse, prête à l’accabler du moment où sa destinée deviendrait incertaine.

Il faut pour l’intérêt de l’Espagne, comme pour celui de la France, qu’une main ferme vienne rétablir l’ordre dans son administration et prévenir la ruine vers laquelle elle marche à grands pas. Il faut qu’un prince, ami de la France par sentiment, par intérêt, n’ayant point à la craindre et ne pouvant être un objet de défiance pour elle, consacre toutes les ressources de l’Espagne à sa prospérité intérieure, au rétablissement de sa marine, au succès de la cause qui lie l’Espagne à la France et au continent. C’est l’ouvrage de Louis XIV qu’il faut recommencer.

Ce que la politique conseille, la justice l’autorise. L’Espagne s’est réellement mise en guerre avec Votre Majesté. Ses intelligences avec l’Angleterre étaient un acte hostile; sa proclamation du 5 octobre, une véritable déclaration de guerre, qui aurait été suivie d’une agression, si Votre Majesté n’avait pas vaincu à Iéna. Alors, le midi de la France était envahi, et les départements de la gauche de la Loire, que Votre Majesté avait laissés sans troupes, auraient été obligés d’accourir pour repousser ce prétendu allié de la France, devenu son plus dangereux ennemi. Votre Majesté a dissimulé ses justes ressentiments. Les commerçants français en Espagne ont perdu leurs anciens privilèges. Les lois de douanes ont été dirigées principalement contre le commerce français. Elles étaient remarquables par leur arbitraire et leurs perpétuelles variations; ces variations ne pouvaient être connues ; elles n’avaient aucune publicité; ce n’était que dans les bureaux de douanes que l’on apprenait que la loi de la veille n’était plus celle du lendemain. Les marchandises confisquées, souvent sans prétexte, n’étaient jamais rendues. Toutes les réclamations faites par des Français ou pour des intérêts français étaient repoussées. Pendant que l’Espagne faisait ainsi la guerre en détail aux Français et à leur commerce, tous ses ports, et principalement ceux du golfe de Gascogne, étaient ouverts au commerce anglais. Les lois de blocus, proclamées en Espagne comme en France, n’étaient qu’un moyen de plus de favoriser cette contrebande des Anglais, dont les marchandises se répandaient de l’Espagne dans le reste de l’Europe. D’ailleurs, les circonstances actuelles ne permettent pas à Votre Majesté de ne point intervenir dans les affaires dé ce royaume. Le roi d’Espagne a été précipité de son trône. Votre Majesté est appelée à juger entre le père et le fils; quel parti prendra-t-elle ? Voudrait-elle sacrifier la cause des souverains, celle de tous les pères, et permettre un outrage fait à la majesté du trône ? Voudrait-elle laisser sur le trône d’Espagne un prince qui ne pourra se soustraire au joug des Anglais qu’autant que Votre Majesté entretiendra constamment une armée puissante en Espagne ? Si, au contraire, Votre Majesté se détermine à replacer Charles IV sur son trône, elle sait qu’elle ne peut le faire sans avoir à vaincre une grande résistance et sans faire couler le sang français. Ce sang, que la nation prodigue pour ses propres intérêts, peut-il être versé pour l’intérêt d’un roi étranger dont le sort n’importe nullement à la France ? Enfin Votre Majesté peut-elle, ne prenant aucun intérêt sur ces grands différends, abandonner la nation espagnole à son sort, lorsque déjà une extrême fermentation l’agite et que l’Angleterre y sème le trouble et l’anarchie ? Votre Majesté doit-elle laisser cette nouvelle proie à dévorer pour l’Angleterre ? Non, sans doute. Ainsi Votre Majesté, obligée de s’occuper de la régénération de l’Espagne d’une manière utile pour elle, utile pour la France, ne doit donc ni rétablir, au prix de beaucoup de sang, un roi détrôné, ni sanctionner la révolte de son fils, ni abandonner l’Espagne à elle-même; car, dans ces deux dernières hypothèses, ce serait la livrer aux Anglais, dont l’argent et les intrigues ont amené les déchirements de ce pays, et assurer leur triomphe.

J’ai exposé à Votre Majesté les circonstances qui l’obligent à prendre une grande détermination. La politique la conseille, la justice l’autorise, les troubles de l’Espagne en imposent la nécessité. Votre Majesté doit pourvoir à la sûreté de son empire et sauver l’Espagne de l’influence de l’Angleterre.

 

Bayonne, 24 avril 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major-général de la Grande Armée, à Bayonne.

Mon Cousin, envoyez sur-le-champ l’ordre suivant au général de brigade Ducos, par un officier de votre état-major, de partir avec le 3e escadron de marche, tout le 13e régiment provisoire et ses deux pièces de canon, et de se rendre à Mondragon et à Placencia, de se saisir de 15,000 armes qui sont dans ces magasins et de les faire évacuer sur Saint-Sébastien. Vous lui ferez comprendre l’importance d’arracher le plus tôt possible ces armes à la révolte, et de veiller à ce qu’au fur et mesure qu’il y aurait des armes à Mondragon, elles soient évacuées sur Saint-Sébastien. Vous lui prescrirez de prendre des informations sur les armes qui pourraient exister dans d’autres parties de la province, et de les faire également évacuer sur Saint-Sébastien. Donnez l’ordre que les 200,000 cartouches, parties hier pour Vitoria, si elles ne sont pas utiles au général Verdier, il les fasse filer sur Madrid. Pour cela, il faut que le général Verdier fasse fournir 50 cartouches à chacun des hommes des deux régiments provisoires qui sont à Vitoria, et qu’il ait ses caissons remplis; le surplus, il le fera diriger sur Madrid. De la position de Mondragon, le général Ducos sera en mesure de recevoir les ordres du général Verdier. L’officier que vous enverrez continuera sa route sur Vitoria et portera le duplicata de ces ordres au général Verdier, auquel vous ferez sentir la nécessité de s’assurer des armes qui pourraient se trouver dans la province. Vous donnerez l’ordre au général de division Lasalle de partir avec le 14e provisoire, le 22e de chasseurs et deux pièces de canon de 4, et de prendre position à Tolosa. De là il correspondra avec le général de brigade Ducos, chargé de prendre à Mondragon le magasin de 15,000 armes qui s’y trouve et de l’évacuer sur Saint-Sébastien, Il se mettra en correspondance avec le général Thouvenot à Saint-Sébastien, qui pourrait lui fournir, en cas d’événement, une colonne de renfort; avec le général Verdier à Vitoria, qui lui enverra des ordres, comme son ancien. Il correspondra également avec vous pour vous informer de tout ce qui arriverait à sa connaissance. Il tiendra ses troupes le plus réunies possible, et aura soin de les faire exercer tous les jours, cavalerie et infanterie. Il aura soin qu’il y ait toujours à Tolosa des vivres pour huit jours. Ainsi, vous ferez connaître au général Verdier qu’une brigade sous ses ordres est réunie à Vitoria, que celle du général Ducos, composée d’un régiment d’infanterie, le 13e provisoire, d’un escadron de cavalerie, et de deux pièces de canon, et que le 14E provisoire, avec un autre régiment de cavalerie et deux pièces de canon, composant la division Lasalle, mais dont il ne pourra disposer qu’en cas des plus extrêmes événements, sont sous ses ordres. Le général Lasalle aura soin que ses chasseurs aient leurs 20 cartouches par homme, en partant de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, et que toutes les armes soient continuellement chargées. Le 1er escadron du 10e de chasseurs partira demain avec le colonel pour se rendre à Saint-Jean-de-Luz. Le 2e escadron restera à Bayonne jusqu’à nouvel ordre, ayant soin que chaque homme ait ses cartouches. Les dépôts du 22e et du 10e régiment de chasseurs, ainsi que tous les hommes malades et éclopés, resteront à Bayonne ou aux environs, et le commandant de la place en aura toujours l’état.

 

Bayonne, 25 avril 1808

A M. de Talleyrand, prince de Bénévent, Vice-Grand Électeur, à Paris

Mon Cousin, j’ai reçu votre lettre du 21 avril. Je vous remercie de la part que vous prenez à l’heureux accouchement de la reine de Hollande.

J’ai reçu vos différentes lettres sur le langage des ambassadeurs à Paris. J’ai peine à croire que M. Tolstoï ait tenu le langage qu’on lui prête; c’est un quolibet parisien. Ou pourrait lui répondre que le premier courrier de M. Caulaincourt a apporté la nouvelle de la rupture de l’armistice de Moldavie; le second, la conquête de la Finlande; le troisième, l’envoi de nouvelles troupes en Moldavie. Mais les deux cours sont au mieux. Je puis avoir des démêlés avec Rome et avec l’Espagne, cela ne regarde pas la Russie , c’est pour moi les frontières de la Chine. Je suis bien avec tout le monde, et en mesure d’être mal avec qui voudra.

Il faut que mon système s’achève ; mon habitude n’est jamais de rester en chemin. Toutefois donnez à dîner quelquefois à M. de Tolstoï. Guérissez M. de Dreyer de sa peur; dites-lui que 25,000 hommes que le Danemark a en Seeland répondent à tout; que les Anglais ne sont pas hommes à envoyer en Suède autre chose que quelques flibustiers; que l’expédition de Scanie exigeait 40,000 hommes; que j’en ai 30,000, que les Danois devaient y joindre 10,000 hommes; mais que ces 40,000 hommes devaient débarquer à la fois et non en deux parties; car, si 20,000 hommes débarquaient, et que les 20,000 autres ne pussent pas passer, l’expédition était manquée et la moitié des troupes très-exposée; que le prince de Ponte-Corvo s’est rendu à Copenhague, qu’il s’est assuré par lui-même qu’il n’y avait de moyens de transport que pour 15,000 hommes à la fois, que dès lors rien n’était possible qu’en cas de gelée, mais qu’elle n’a pas eu lieu; que sans doute l’année prochaine les gelées auront lieu, ou que les moyens d’embarquement seront plus puissants. Vous comprenez bien que, dans le fait, je ne pouvais pas aussi légèrement porter mes soldats contre la Suède, et que ce n’est pas là que sont mes affaires.

Le prince des Asturies est ici ; je le traite fort bien. Je l’accompagne au haut de l’escalier, je le reçois de même, mais je ne le reconnais pas.

Le Roi et la Reine seront ici dans deux jours. Le prince de la Paix arrive ce soir. Ce malheureux homme fait pitié. Il a été un mois entre la vie et la mort, toujours menacé de périr. Diriez-vous que, dans cet intervalle, il n’a pas changé de chemise, et qu’il avait une barbe de sept pouces ? La nation espagnole a montré là une inhumanité sans exemple. On débite sur son compte les faits les plus absurdes. On dit qu’on lui a trouvé 500 millions, et hier encore les meneurs disaient : « Qu’a-t-il donc fait de son argent ? nous n’avons trouvé  » que le courant d’une grande maison. » »  Faites faire des articles, non qui justifient le prince de la Paix, mais qui peignent en traits de feu le malheur des événements populaires, et attirent la pitié sur ce malheureux homme; aussi bien ne tardera-t-il pas à arriver à Paris.

Je continue mes dispositions militaires en Espagne. Cette tragédie, si je ne me trompe, est au cinquième acte; le dénouement va paraître.

Le roi de Prusse est un héros en comparaison du prince des Astu ries. Il ne m’a pas encore dit un mot; il est indifférent à tout, très- matériel, mange quatre fois par jour et n’a idée de rien.

 

Bayonne, 25 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Je suppose que vous avez envoyé différents agents au Mexique et à Montevideo. Il serait convenable d’en envoyer de nouveau.

Il serait bon que quelques bricks, goélettes et frégates pussent se rendre au fond du Mexique, à Cayenne, à Rio de la Plata et même qu’on fit passer des informations à la Guadeloupe, où le capitaine général a beaucoup de moyens de communication avec le continent d’Espagne. Occupez-vous de ces objets sans attendre mes ordres, et faites des expéditions. Les agents doivent s’étudier à faire connaître que les changements qui arrivent en Espagne sont avantageux aux colonies, puisque, dans les nouveaux rapports que l’Espagne va avoir avec la France, il y aura plus d’unité dans les mesures et plus de moyens de les secourir.

 

Bayonne, 25 avril 1808, minuit

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant de l’Empereur en Espagne, à Madrid

Mon Frère, je revois votre lettre du 23 à deux heures du matin, où je vois que le prince de la Paix est parti le 122 à dix heures u soir. Je suppose  aujourd’hui 25, le roi Charles à Burgos.

Il serait nécessaire que l’on connût à Madrid la protestation que le roi Charles a faite à la commission, et la résolution qu’a prise la commission de gouverner au nom de roi, sans désigner quel prince. Ce préalable me paraît indispensable pour faire marcher l’opinion. Immédiatement après la réception de cette lettre, faites donc imprimer dans la Gazette de Madrid l’une et l’autre de ces pièces. Prenez la haute main sur tout ce qui est imprimerie. Faites mettre dans les gazettes un extrait de ma lettre au prince des Asturies, à Vitoria; tout peut même en être imprimé, si cela est nécessaire. Il est essentiel de bien caractériser dans l’opinion qu’on se trouve sans roi.

Empêchez qu’il ne soit brûlé aucune maison, et contenez sévèrement le peuple. Quand vous aurez fait les publications ci-dessus, vous réunirez chez vous les principaux de la ville et vous leur déclarerez que je les rends responsables de la tranquillité du royaume; que j’attends l’arrivée du roi Charles à Bayonne, pour faire connaître ce qui aura été arrêté; mais que, dans tout état de choses, l’indépendance et l’intégrité des Espagnes seront maintenues ; que je n’en veux pas même un village. Cette déclaration, faite avec un peu d’art, pourra être imprimée le lendemain.

Faites ensuite imprimer dans les journaux des articles sur la mauvaise administration de l’Espagne depuis plusieurs années, et sur la nécessité, d’y porter remède pour recouvrer l’éclat et la gloire des anciens Espagnols, et de marcher constamment avec la France, qui est le seul pays par lequel l’Espagne communique avec le continent.

En résumé : 

l° après la réception de cette lettre, vous ferez imprimer dans la Gazette de Madrid la protestation de Charles IV et l’engagement qu’a pris la régence ; que le prince de la Paix s’est rendu à Bayonne, que mon intention n’est pas même de le voir, mais de l’envoyer en exil dans le fond d’un village, à cent lieues de l’Espagne.

2° Le lendemain, assemblée des principaux de la ville pour s’assurer du maintien de la tranquillité, et déclarer que, dans aucun état de choses, l’indépendance et l’intégrité de l’Espagne ne seront compromises. Le lendemain de cette réunion, faites mettre cette déclaration dans les journaux.

3° Le surlendemain, mettre un article sur la bonne réception que j’ai faite au prince des Asturies et aux Espagnols qui l’accompagnent, en lui déclarant que je ne pouvais le reconnaître s’il était vrai que le Roi son père eût protesté. Enfin , mettre tous les jours des articles sur la nécessité de marcher d’accord avec la France et de réformer plusieurs parties importantes du gouvernement. Pour cela, à quelque prix que ce soit, emparez-vous de l’administration.

 

Bayonne, 25 avril 1808

A Louis Napoléon, roi de Hollande, à La Haye

Je vous envoie la liste de toutes les personnes qui font la contrebande chez vous, et infestent mes frontières. C’est une véritable hostilité qu’ils me font. J’ai fait arrêter ceux qui sont sur la frontière de France; je vous engage à en faire autant sur la vôtre. Vous n’aurez pas par là à vous plaindre de méfaits de ma part; mais je ne peut souffrir ce scandale plus longtemps. Cela équivaut à un rassemblement de gens armés. Le tort qu’ils font au commerce est tel, qu’il y a des gens qui ont gagné une vingtaine de millions dans ces fraudes.

 

Bayonne, 25 avril 1808, minuit

Au maréchal Bessières, commandant la Garde impériale en Espagne, à Burgos

Mon Cousin, l’estafette qui m’arrive ne m’apporte point de lettre de vous. Il faudrait cependant vous arranger pour être instruit du passage de l’estafette et écrire à moi ou au major général; il y a tou jours quelque chose à dire.

Je suppose que le roi Charles et la reine ont dépassé Burgos. J’ai bien traité le prince des Asturies, mais je ne l’ai pas reconnu. Vous pouvez dire, dans la conversation , que je lui avais fait connaître depuis Vitoria que je ne le reconnaîtrais pas si le roi Charles avait protesté. Dites que je n’accorde un refuge au prince de la Paix que pour éviter tout scandale et empêcher l’effusion du sang.

Appelez à vous toute la cavalerie qui se trouve depuis Irun jusqu’à Burgos, hormis le 3e escadron de marche de cuirassiers qui est avec le général de brigade Ducos, et la division du général Lasalle, dont un régiment, le 22e de chasseurs, se rend avec un régiment provisoire d’infanterie à Tolosa. J’ai retenu ici le 10e régiment de chasseurs. J’attends, ces jours-ci, plusieurs escadrons de marche. Ainsi vous pouvez appeler à vous toute la cavalerie qui est sur la route de Burgos. Le pays où vous êtes est un pays de cavalerie, où l’on ne saurait en avoir trop. La cavalerie du général Lasalle et celle qui arrive sont suffisantes pour garder les derrières. Vous pouvez laisser les détachements de la Garde qui sont à Vitoria puisqu’ils pourraient me servir. Je suppose que vous me donnez de grands détails sur le passage du Roi.

 

Château de Marracq, 26 avril 1808 

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Bayonne

Monsieur de Champagny, faites faire un présent de ma part au chirurgien dont parle M. Clérambault. Faites mettre dans les petits journaux des articles sur la situation de Bucharest, sur l’éloignement du divan et sur l’espèce de prise de possession des Russes. Faites mettre les nouvelles d’Amérique dans les journaux et le message du Président, s’il n’y a pas déjà été mis.

 

Bayonne, 26 avril 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major-général de la Grande Armée, à Bayonne

Mon Cousin, témoignez mon mécontentement au grand-duc de Berg de ce qu’il s’est donné le droit de commuer la peine à laquelle un militaire a été condamné. Il n’a pas ce droit; faites-lui connaître que j’ai annulé sa décision. Cette demande de grâce doit être envoyée au grand juge, pour être examinée en conseil privé. Avant tout, le grand-duc de Berg doit connaître les lois du pays et ne pas usurper les droits de souveraineté. Je ne puis qu’être extrêmement mécontent de ce qu’il s’est permis de faire.

 

Bayonne, 26 avril 1808

NOTE EN MARGE D’UN RAPPORT DU MAJOR GÉNÉRAL

Réitérer les ordres pour que le territoire du grand-duché de Varsovie ne soit violé d’aucune manière.

 

Bayonne, 26 avril 1808

A Eugène Napoléon, vice-roi d’Italie

Mon fils, je vois dans votre projet d’organisation de l’armée d’Italie, que vous formez la 4e et la 2e division de l’armée de Dalmatie; que la 5e division est celle du général Séras, cantonnée à Udine; que la 3e est celle du général Broussier, cantonnée à Osopo; que la 5e est celle du général Souham, que vous placez au camp de Montéchiaro. Vous ne devez pas compter sur le 7e de ligne, qui est en Espagne; il faut donc y suppléer par quatre quatrièmes bataillons.

La 6e division que vous faites commander par le général Grenier se réunirait en cas d’événement. La 7e que vous faites commander par le général Lauriston, se réunirait à Trévise et Padoue. La 8e, que vous faites commander par le général Miollis, Se réunirait aussi en cas d’évènement dans le pays vénitien. Cela me paraît fort bien, et je compte que vous êtes assez fort pour tenir tête à qui que ce soit. Je vais probablement joindre à cette armée une bonne division portugaise, dont la tête commence à arriver en France.

 

Bayonne, 26 avril 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Je reçois votre lettre du 23 avril. Ce qui m’importe, c’est que j’aie des chefs de bataillons qui sachent bien leurs manoeuvres. On doit regarder les nominations qu’ont faites le maréchal Kellermann et le général Dejean dans des moments de presse comme des avancements à revoir. Ne me proposez pour majors et pour chefs de bataillons que des officiers qui n’aient point d’interruption dans leurs services et qui aient été en activité pendant toute la guerre.

 

Bayonne, 27 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Je reçois votre lettre du 23. Je vois avec plaisir que, moyennant les travaux que vous ordonnez et qu’il faut pousser avec la plus grande activité, le bassin de Flessingue pourra contenir vingt vaisseaux de guerre; ces vingt vaisseaux, nous pouvons les avoir l’année prochaine; quel immense résultat ! Et ce sera un grand objet de menace pour l’Angleterre.

Je pense qu’il est nécessaire de visiter et radouber le Tourville, l’Aquilon, le Républicain et le Wattignies. Ces quatre vaisseaux doivent pouvoir servir, soit comme vaisseaux de guerre , soit comme flûtes. Vous avez une partie de l’été pour ces opérations. Dans tous les cas, soit qu’ils servent comme vaisseaux ou comme flûtes, ils pourraient aller finir leurs destins dans les opérations qui auraient été méditées, soit au Brésil , soit dans l’Amérique espagnole.

 

Bayonne, 27 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

J’accorde la Légion d’honneur au capitaine Grassin, commandant le corsaire le Généra1-Ernouf. Faites connaître dans le Moniteur les prises faites sur les Anglais par les corsaires de la Guadeloupe.

Je désapprouve l’incorporation du bataillon du 26e dans le 66e; vous le direz au capitaine général pour que cela n’arrive plus. Rendez compte de cela au ministre de la guerre, pour que ce bataillon soit reformé au 26e, qui est en France.

Présentez-moi un projet de décret pour destituer le général …… Prenez des mesures pour envoyer 800 hommes à la Guadeloupe. Les trois aventuriers qui viennent de la Guadeloupe, ainsi que ceux que Bordeaux, Bayonne et Nantes veulent expédier, pourraient porter chacun une vingtaine d’hommes.

Faites connaître dans le Moniteur le voyage de l’amiral Duckworth dans le golfe du Mexique.

Faites connaître le nom des soixante et onze prises qui ont été faites à la Guadeloupe.

Pourriez-vous envoyer des secours à la Martinique avant octobre ? Serait-il prudent de faire partir deux frégates de Lorient dans cette saison ? ou bien de Brest ?

 

Bayonne, 27 avril 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Le mémoire des sieurs Sganzin et Cachin sur l’Adour ne dit rien et ne répond pas à la question. Les travaux qui ont été faits ont considérablement amélioré la rade, et l’Adour, qui se jetait à deux ou trois lieues de Bayonne en suivant la mer, s’y jette aujourd’hui directement. Il est nécessaire que vous envoyiez le sieur Sganzin sur les lieux. Le raisonnement sur l’inutilité du prolongement de la digue ne me paraît point porter sur les faits; sans doute, la barre sera éloignée de 30 toises; mais, s’il y a 40 pieds de fond, comme le disent les marins, il faudra 150 ou 120 ans avant que la barre soi refaite. Cela est assez important pour que vous donniez ordre aux sieurs Prony et Sganzin de venir sur les lieux. Il est très-intéressant pour ces départements que des bâtiments de commerce entrent franchement à Bayonne. Il est également avantageux pour la marine de construire des frégates, des vaisseaux, pour employer des bois qu’on ne peut transporter ailleurs sans des frais immenses. Je suis d’autant plus étonné des conclusions du sieur Sganzin , qu’il me propose la même chose pour Venise, des travaux qui éloignent la barre et fondés sur les mêmes raisons.

 

Bayonne, 27 avril 1808

NOTE EN MARGE D’UN RAPPORT DU MINISTRE DE LA MARINE.

Quand on voit les côtes de l’Océan, on gémit sur l’abandon où elles sont. Point de chaloupes canonnières, point de péniches pour protéger le cabotage; cette incurie lui fait courir des risques, le rend difficile, et cela par la seule faute de la marine. Le cabotage serait aussi sûr qu’en temps de paix, s’il y avait la moindre organisation et si l’on prenait la moindre précaution.

 

Bayonne, 27 avril 1808

NOTE POUR LE MINISTRE DE LA MARINE

Le général Morand assure que la forêt de Libio, située dans le département de Limione, a fourni aux arsenaux de Toulon et de Gênes 250,000 pieds cubes de bois d’aussi bolonne qualité que celui du Nord. Ce fait est facile et important à vérifier. Le ministre demandera que, dans les comptes qui lui seront rendus, on divise les quantités par essence de chêne, de bois blanc et de sapin. Si le fait est constaté, il ordonnera que des essais soient faits à Toulon, et que l’on emploie des mâtures de Corse pour des bricks et pour des frégates. L’exploitation de la forêt de Libio mérite toute son attention. Cet objet aurait le double avantage de procurer des travaux à la Corse et des bois à notre marine.

 

Bayonne, 27 avril 1808

DÉCISION

Le prince de Neuchâtel, major général, rend compte, d’après le rapport du maréchal Davout, de la violation du territoire du duché de Varsovie par des hussards autrichiens. Le colonel Niepperg, commandant le cordon autrichien en Galicie, a fait de fausses déclarations pour éluder la satisfaction exigée. Le maréchal Davout a renvoyé au dépôt un officier de son corps d’armée qui, sans y être autorisé, a eu des relations avec l’officier russe mêlé à cette affaire.Il faut donner ordre pour que cet officier soit mis en prison. Il est ridicule que le maréchal Davout l’ait envoyé dans le 3e bataillon; le 3e bataillon a besoin de bons officiers comme les deux premiers. Il devait lui infliger une punition. Aujourd’hui M. de Niepperg est publiquement connu pour avoir été l’ennemi des Français; il faut donc lui fermer toute entrée à Varsovie. C’est lui qui a fait déserter un petit chirurgien, neveu de Precy, qui est aujourd’hui lieutenant-colonel au service de la Russie.

 

Bayonne, 29 avril 1808

A Alexandre Ier, Empereur de Russie, à Saint-Pétersbourg

Monsieur mon Frère, j’ai reçu par M. de Czernitchef la lettre de Votre Majesté, du 24 mars, avec les publications qu’elle a jugé à propos de faire sur l’occupation de la Finlande et sur la prohibition des marchandises anglaises. J’ai vu l’un et l’autre de ces actes avec le plaisir que j’éprouve à tout ce que fait Votre Majesté. La saison avance; le présence des Anglais, le peu de moyens des Danois me font craindre que l’expédition du maréchal Bernadotte n’éprouve des retards. Tout cependant est en mesure, les circonstances feront le reste. J’ai ici le prince des Asturies, qui s’est fait proclamer Ferdinand VII. J’attends demain le roi Charles IV, son père. Celui-ci proteste. Cette querelle de famille et les symptômes de révolution qui s’annoncent en Espagne me donnent quelque embarras; mais je serai bientôt libre pour concerter la grande affaire avec Votre Majesté. Le travail de M. de Romanzof est loin de pouvoir concilier les différents intérêts; c’est cependant là où il faut travailler à arriver. J’ignore tout ce que fait l’Autriche, et n’ai aucune liaison ni intelligence sur ses mouvements; Votre Majesté peut compter là-dessus. J’ai bien du tracas et des embarras avec la Porte et ses cent pachas, qui tous font à leur guise. Mes escadres ont eu le petit succès de ravitailler Corfou pour deux ans en munitions de toute espèce, de guerre et de bouche, et sont rentrées à Toulon. Je désire fort le moment de revoir Votre Majesté et de lui dire de vive voix tout ce qu’elle m’inspire. 

NAPOLÉON.

 

Château de Marracq, 29 avril 1808 

A Charles IV, roi d’Espagne

J’ai reçu toutes les lettres de Votre Majesté. Elle sera instruite à cette heure que j’en ai fait usage. Je n’ai pas reconnu et ne reconnaîtrai jamais le prince des Asturies comme roi d’Espagne; je le lui ai fait dire officiellement. Je me réjouis de voir Votre Majesté, mais je suis fâché de la savoir incommodée. Elle peut compter sur mon désir de lui être agréable et de lui donner des preuves de l’intérêt qu’elle m’inspire et de la véritable amitié que j’ai pour elle.

 

Bayonne, le 29 avril 1808

Au général Junot, commandant le 8e corps de l’armée d’Espagne.

Ce que vous proposez me paraît raisonnable de faire payer les gratifications de campagne et la gratification extraordinaire en papier et même les appointements, en payant 1/2 en papier et 1/2 en argent avec la bonification en papier.

Puisque vous avez pris le titre de duc d’Abrantès, il faut continuer à le porter; mais les titres ne se prennent pas sur la lettre de notification, mais sur les lettres patentes. Envoyez vos noms, prénoms, etc., à l’archichancelier, pour qu’iö vous expédie vos lettres patentes et faîtes-lui connaître aussi vos idées sur les armoiries et livrée.

 

Bayonne, 30 avril 1808 

Au général Duroc, Grand Maréchal du palais, à Bayonne

Donnez des ordres pour que les troupes soient sous les armes depuis la porte de la ville jusqu’au logement du roi Charles IV. Le commandant de la place le recevra à la porte de la ville au moment de son arrivée. La citadelle ainsi que tous les bâtiments qui sont en rade tireront soixante coups de canon. Vous recevrez le roi Charles à la porte de son palais. L’aide de camp Reille fera les fonctions de gouverneur du palais du Roi. Un de mes chambellans attendra également le Roi à la porte de son palais, ainsi que M. d’Oudenarde, écuyer, qui aura soin du service des voitures. Le sieur Dumanoir, chambellan, sera de service près de la Reine. Vous présenterez au Roi et à la Reine ceux de mes officiers qui sont de service près Leurs Majestés. Toutes les mesures seront prises pour qu’ils ne manquent de rien et qu’ils soient nourris à mes frais, par ma cuisine. Un de mes maîtres d’hôtel et un cuisinier seront affectés à ce service. Si le Roi a des cuisiniers, ils pourront assister les miens. Le gouverneur du palais du Roi prendra tous les jours ses ordres pour les consignes. Il y aura un piquet de cavalerie et de garde d’honneur. On mettra à la porté deux cuirassiers à cheval, et on retiendra pour ce service le détachement de cuirassiers qui est ici.

——–

P. S. Les autorités civiles de Bayonne se trouveront également à la porte de la ville pour recevoir le Roi, etc.

 

Bayonne, 30 avril 1808, huit heures du matin

Au maréchal Bessières, commandant la Garde impériale en Espagne, etc., à Burgos

Il arrive à l’instant une estafette partie le 28 de Burgos. Il n’y a aucune lettre de vous, ni de qui que ce soit, si ce n’est quelques lettres particulières insignifiantes. J’ignore si le roi Charles est parti le 27 ou non de Burgos. Il est nécessaire que vous écriviez tous les jours au major général, et plutôt deux fois qu’une. Il me semble qu’il faut peu de soin pour se faire instruire du passage de l’estafette, et lui faire remettre vos lettres. Je n’ai jamais vu si peu de rapports que ceux de Burgos. Écrivez tous les jours à moi ou au major général.

J’ai deux pages à Burgos; renvoyez-les-moi. Faites-moi connaître les officiers d’ordonnance qui s’y trouvent.

Il eût été très-intéressant pour moi de savoir si le roi Charles était arrivé à Burgos le 27, et ce qu’il faisait le 28.

Votre état-major remet sans précaution ses paquets pour Saint-Sébastien et Pampelune à l’estafette qui les apporte à Bayonne, au lieu d’adresser les dépêches pour Pampelune à Vitoria, au général Verdier qui les ferait passer, et à Hernani celles destinées pour Saint-Sébastien. Tout cela a l’air d’un état-major qui n’a jamais servi.

Vous devez ordonner au commandant de la place de Burgos de vous faire un rapport journalier que vous enverrez, tous les jours, par l’estafette. Donnez le même ordre à Vitoria.

 

Bayonne, 30 avril 1808

Au général Verdier, commandant la 1e division d’observation des Pyrénées-Orientales, à Vitoria

Vous trouverez ci-joints plusieurs exemplaires de la Gazette de Bayonne. Vous la communiquerez aux principaux de la province, et vous causerez avec eux de la situation actuelle des choses. J’ai chargé mon chambellan Tournon de parcourir les différents points de la Biscaye dans le même objet. Vous ferez sentir la nécessité qu’on se comporte bien ; qu’on gagnera à cela la conservation des privilèges, la tranquillité, d’avoir peu de troupes, car, dès que je serai sûr que la tranquillité ne sera point troublée, je ferai rentrer mes troupes en Espagne. Faites bien comprendre que, plus voisins de la France, ils sont plus intéressés que d’autres à se bien conduire; que la perte de leurs privilèges et leur ruine totale seraient le résultat de toute autre conduite. Engagez les États, les évêques, les alcades à faire des publications pour exhorter tout le monde à se tenir tranquille. Correspondez tous les jours avec le major général, et rendez-moi compte souvent de la direction de l’esprit public, et influez de manière à maintenir la tranquillité de la Biscaye. Si voisins de la France, la moindre imprudence les perdrait.

 

Marracq, 30 avril 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Bayonne

Monsieur de Champagny, je vous renvoie avec votre portefeuille la note de M. de Cevallos. Vous lui répondrez, en forme de billet, que toutes les lettres dont son courrier était porteur ont été remises à la poste française, qui les remettra à Madrid et à Burgos avec la plus grande exactitude, que toutes les personnes en Espagne, qui voudront écrire pourront le faire par la poste ordinaire ou même par l’estafette française, que l’empêchement qui a été mis au départ du courrier vient de ce que, en conséquence de la notification que Sa Majesté avait faite le matin qu’elle ne reconnaissait que le roi Charles IV, elle ne pouvait reconnaître sur son territoire aucun acte ou passeport au nom d’un autre roi d’Espagne.


 

References

References
1Napoléon songe alors à une expédition purement française contre Alger, dans le but d’inquiéter les Anglais
2Nicolas, baron Ducos, 1756-1823. C’est le frère du directeur Roger Ducos. Il vient d’être mis à la suite de l’état-major général de l’armée d’Espagne
3Charles-Louis Napoléon, troisième fils d’Hortense, le futur Napoléon III, né le 20 avril 1808
4Ce rapport du ministre des relations extérieures a été placé ici, parce que l’on croit y trouver les idées de Napoléon sur la politique de la France envers l’Espagne. La minute de ce document porte, au reste, les traces d’un travail personnel de l’Empereur : ce sont de nombreuses corrections, presque toutes de sa main. Note de la Commission