Correspondance de Napoléon – Février 1805

Février 1805

 

Palais des Tuileries, ler février 1805

MESSAGE AU SÉNAT CONSERVATEUR

Sénateurs, nous avons nommé grand amiral de l’Empire notre beau-frère le maréchal Murat. Nous avons voulu non-seulement reconnaître les services qu’il a rendus à la patrie et l’attachement particulier qu’il a montré à notre personne dans toutes les circonstances de sa vie, mais rendre aussi ce qui est dû à l’éclat et à la dignité de notre couronne, en élevant au rang de prince une personne qui nous est de si près attachée par les liens du sang.

 

Palais des Tuileries, ler février 1805

MESSAGE AU SÉNAT CONSERVATEUR

Sénateurs, nous avons nommé notre beau-fils Eugène Beauharnais archichancelier d’État de l’Empire. De tous les actes de notre pouvoir, il n’en est aucun qui soit plus doux à notre cœur.

Élevé par nos soins et sous nos yeux, depuis son enfance, il s’est rendu digne d’imiter, et, avec l’aide de Dieu, de surpasser un jour les exemples et les leçons que nous lui avons donnés.

Quoique jeune encore, nous le considérons dès aujourd’hui, par l’expérience que nous en avons faite dans les plus grandes circonstances, comme un des soutiens de notre trône et un des plus habiles défenseurs de la patrie.

Au milieu des sollicitudes et des amertumes inséparables du haut rang où nous sommes placé, notre cœur a eu besoin de trouver des affections douces dans la tendresse et la consolante amitié de cet enfant de notre adoption; consolation nécessaire sans doute à tous les hommes, mais plus éminemment à nous, dont tous les instants sont dévoués aux affaires des peuples.

Notre bénédiction paternelle accompagnera ce jeune prince dans toute sa carrière, et, secondé par la Providence, il sera un jour digne de l’approbation de la postérité.

 

Palais des Tuileries, 1er février 1805

Au prince Eugène

Mon Cousin, je vous ai nommé prince et archichancelier d’État. Je ne puis rien ajouter aux sentiments exprimés dans le message que j’ai envoyé au Sénat à cette occasion et dont copie vous sera adressée. Vous y verrez une preuve de la tendre amitié que je vous porte, et l’espoir où je suis que vous continuerez dans la même direction à mettre à profit les exemples et les leçons que je vous ai donnés. Ce changement n’apporte aucun obstacle à votre carrière militaire. Votre titre est : Le prince Eugène Beauharnais, archichancelier d’État vous recevrez celui d’Altesse Sérénissime. Vous n’êtes plus colonel général des chasseurs, vous restez général de brigade, commandant les chasseurs à cheval de ma Garde. Il n’y a rien de changé dans relations ordinaires, si ce n’est que vous signerez : Le prince Eugène. Vous n’ajouterez votre titre d’archichancelier d’État que dans les affaires qui ressortent de votre dignité ou dans les affaires officielles.

 

Paris, 1er février 1805

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, je vous prie de m’apporter à onze heures, ce soir, un tableau des mouvements que j’ai ordonnés depuis quinze jours. Les circonstances ayant changé, et tous les doutes que je pouvais avoir étant levés sur la continuation de la paix continentale, mon intention est de contremander une partie de ces mouvements.

Écrivez au maréchal Jourdan cette nouvelle situation des choses qui ne me permet plus d’avoir d’alarmes; que je désire que les mouvements sur Vérone soient contremandés; que le général qui commande à Vérone dise dans ses relations et conversations que 60,000 hommes étaient en marche, mais qu’ayant reçu des lettres de l’empereur, j’ai tout contremandé, et que je ne nourris aucune inquiétude sur la continuation de la bonne intelligence avec l’Allemagne.

 

Paris, 1er février 1805

Au général Pino

Monsieur Pino, mon Ministre de la guerre à Milan, je vous ai ordonné, par mon dernier courrier, plusieurs expéditions. Les circonstances ont changé; je n’ai plus aucune espèce d’inquiétude. Mes relations avec S. M. l’empereur d’Allemagne ont pris un caractère de plus grande intimité. Je désire donc que, au lieu de 800 chevaux d’artillerie, vous n’en leviez que 200, et que, au lieu d’un million de rations de biscuit, vous vous contentiez d’en faire confectionner 100,000, que vous déposerez à Legnago. Contremandez l’armement de Peschiera et de Mantoue, et contentez-vous, à Porto-Legnano d’un très-petit nombre de pièces de canon, pour que cette place se trouve à l’abri d’un coup de main

 

Paris, 1er février 1805

A M. Melzi

Monsieur Melzi, Vice-président de la République italienne, les dispositions que vous me proposez pour procurer un secours extraordinaire au département de la guerre pourraient gêner mes peuples d’Italie : j’ai donc jugé à propos de ne rien faire. Les circonstances ayant d’ailleurs changé par une lettre que je viens de recevoir de l’empereur d’Allemagne, qui m’a absolument et entièrement tranquillisé, j’ai écrit à mon ministre de la guerre à Milan pour contremander tous les ordres extraordinaires que je lui avais donnés. Cependant, vu l’intention où je suis que Porto-Legnago, qui se trouve sur la lisière, soit un peu approvisionné, la dépense de 2 à 300,000 francs que cette disposition pourrait occasionner me paraît pouvoir être faite sur le budget ordinaire de la guerre.

Expédiez un courrier à Milan pour rassurer sur toute crainte de rupture. J’ai ordonné ce matin au maréchal Berthier de contremander une partie des troupes qui se trouvent en marche pour Milan.

 

Paris, ler février 1805

Au général Lauriston

Monsieur le Général Lauriston, j’ai reçu votre lettre du 2. J’ai vu avec peine votre retour à Toulon. Je crois que votre amiral a manqué de décision. La séparation des vaisseaux n’était rien. Il faudrait renoncer à naviguer, même dans la plus belle saison, si une opération pouvait être contrariée par la séparation de quelques bâtiments. Votre amiral a dû, dans le cas où cette séparation aurait lieu, leur donner rendez-vous à la hauteur des Canaries, et leur remettre des ordres cachetés, pour que, après avoir resté tant de jours dans ces parages,,ils les ouvrissent et connussent l’endroit où ils devraient se rendre; alors les séparations ne sont rien. L’eau que faisait l’Annibal n’était pas une raison suffisante; il pouvait aller à Cadix : il y aurait versé son monde sur l’Aigle. Quelques mâts de hune cassés, quelques désordres dans une tempête, qui accompagnent une escadre sortant, sont, pour un homme d’un peu de caractère, des événements d’une nature fort ordinaire. Deux jours de beau temps eussent consolé l’escadre et mis tout au beau. Mais le grand mal de notre marine est que les hommes qui la commandent sont neufs dans toutes les chances du commandement. Toutefois il faut aujourd’hui réparer le temps perdu. Le ministre a dû donner ordre de débarquer les troupe Vivez au milieu d’elles, soignez leur instruction; complétez tous vos bataillons à 800 hommes; que toutes les compagnies aient leurs officiers et sous-officiers. Les petites réparations de l’escadre faites et avant la fin du mois, vous aurez ordre de rembarquer pour ailleurs; car le temps est trop avancé pour votre destination. L’escadre de Rochefort est partie depuis vingt jours; elle ne doit pas être éloignée de sa destination. J’ai reçu d’ailleurs d’excellentes nouvelles de la Martinique et de la Guadeloupe. Les six frégates que j’y ai envoyées y ont porté des troupes et des munitions. Tenez vos troupes en haleine, et faites-moi connaître en détail la situation de l’escadre. S’il était possible que le Pluton pût remplacer un des plus mauvais vaisseaux, ce serait une bonne opération; mais je crains qu’il ne faille bien du temps avant qu’il puisse être en rade. Il y a à Toulon deux ou trois flûtes de 300 tonneaux : faites moi connaître si elles sont en bon état et si l’on pourrait s’en servir.

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Je vous ai nommé général de division.

 

Paris, 2 février 1805

DÉCISION

Le ministre du trésor public présente des observations sur des suppléments de traitement demandés par les ministres de la guerre et des relations extérieures.Je prie M. Gaudin de me présenter confidentiellement un projet de décret qui règle les traitements et les frais de maison des ministres, de manière qu’ils ne puissent rien ordonnancer à titre de fête ou de matériel, etc., etc.

 

Paris, 6 février 1805

NOTE POUR LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

Faire achever le Louvre pour y placer la Bibliothèque impériale. Le ministre dépense 24,000 francs par an; mais cette somme est insuffisante, et l’époque où la translation de la Bibliothèque au Louvre pourra s’effectuer demeurerait longtemps incertaine. Il convient donc affecter à ces travaux des fonds extraordinaires; ces fonds se trouveraient dans le produit de la vente des Capucines et même de quelques maisons sises rue des Orties.

Pour tirer des Capucines un parti avantageux, aucun projet ne paraît plus convenable que celui qu’indique le ministre, et qui consiste à ouvrir sur ce terrain une belle rue de la même largeur que les entrées de la place Vendôme et dans le même alignement.

En conséquence, le ministre est invité à faire faire le plan et à présenter un projet de décret qui ordonne la vente, en prescrive les conditions et en affecte les produits à l’achèvement du Louvre.

Les travaux du Louvre donnent lieu à une question qu’il faut décider. On demande quel est l’ordre d’architecture qu’on suivra. Les architectes voudraient adopter un seul ordre et, dit-on, tout changer. L’économie, le bon sens et le bon goût sont d’un avis très-différent; il faut laisser à chacune des parties qui existent le caractère de son siècle, et adopter pour les nouveaux travaux le genre le plus économique. Il est en même temps très-important de régler l’ordre des travaux et de prescrire qu’on s’occupera d’abord et uniquement de ce qui est indispensable pour mettre le Louvre en état de recevoir la Bibliothèque; les choses d’art et d’ornement viendront ensuite.

Les Capucines peuvent valoir trois millions, et le local actuel de Bibliothèque à peu près cette somme; ce fonds, dont il faudrait pouvoir disposer dans le cours de six ans, serait suffisant pour obtenir dans les travaux des progrès raisonnables.
Lorsque la vente des Capucines sera terminée, on vendra le terrain des Filles-Saint-Thomas, et le prix de cette vente sera encore appliqué à l’achèvement du Louvre. Ce local avait été demandé pour l’établissement de la Bourse; il faut la placer provisoirement dans un théâtre, et rendre les Petits-Pères au culte.

 

Paris, 6 février 1805

NOTE POUR LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

Le ministre de l’intérieur est invité à veiller à ce que le fonds spécial accordé à la Bibliothèque impériale pour l’an XIII soit employé à acheter tous les bons ouvrages français qui ont paru depuis 1785 et qui manquent à la collection.

Beaucoup d’autres ouvrages anciens ou modernes y manquent également, tandis qu’ils se trouvent dans les autres bibliothèques publiques de Paris ou des départements. Il faudrait en faire dresser l’état et les faire prendre dans ces établissements, auxquels on donnerait en échange des ouvrages qu’ils n’ont pas et dont la bibliothèque a des doubles. Il doit résulter de cette opération, si elle est bien faite, que, lorsqu’on ne trouvera pas un livre à la Bibliothèque impériale, il sera certain que cet ouvrage n’existe pas en France. Le déplacement des objets à tirer des autres bibliothèques pour l’exécution de cette mesure, ainsi que celui des livres à donner en échange, n’aura lieu que lors de l’établissement définitif de la Bibliothèque au Louvre.

 

Paris, 6 février 1805

NOTE POUR LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

L’Empereur est autorisé à penser que le droit de passe ne rend pas ce qu’il devrait rendre, et que cette partie du service public n’est point exempte des atteintes de la corruption.

On prétend que dans le Haut-Rhin des personnes attachées à la préfecture prennent part à l’exploitation du droit de passe, comme intéressés ou comme fermiers.

L’administration de la ville de Marseille parait également exiger l’attention du ministre. On prétend qu’on a donné un pot-de-vin de 30,000 francs pour le bail de l’octroi. Il est indispensable de s’occuper du nettoiement du port; les fonds qui se trouvent dans la caisse de Santé doivent fournir à cette dépense.

Ne serait-il pas possible de mettre les sourds et muets de Bordeaux à la charge de l’octroi de cette ville ?

 

Paris, 6 février 1805

DÉCISION

Le ministre de l’intérieur présente un rapport sur la proposition faite par le colonel général Junot, ambassadeur à Lisbonne, de permettre une exportation 200,000 quintaux de froment en Portugal.Il faut que la même maison qui doit faire l’exportation pour l’Espagne la fasse pour le Portugal. Je ne veux pas de concurrence  d’acheteurs, qui ferait trop élever le prix des blés.

 

Paris, 6 février 1805

A M. Gaudin

Toutes les marchandises anglaises qui arrivent dans nos ports viennent d’Emden avec des certificats d’un commissaire d’Emden. Faîtes-moi un rapport sur cet objet. D’abord nous n’avons point de commissaire dans ce port; il n’y vient point de produits de nos colonies; les marchandises coloniales qui y arrivent sont nécessairement anglaises.

 

Paris, 6 février 1805

A M. Fouché

Je désire avoir un rapport plus détaillé sur la contrebande qui se fat à Emden. Faites arrêter le nommé Chervet et le quartier-maître qui l’a recommandé. Il faut suivre cette affaire avec la plus grande activité.

 

Paris, 6 février 1805

DÉCISION

Le ministre du trésor public présente une note en réponse à des observations faites par la section des finances au Conseil d’État sur l’augmentation de son traitement.120,000 francs pour un ministre sont nécessaires, même
pour le crédit public. Il faut vivre comme son siècle. Sur un maniement de huit cents millions, il y a telle demi-heure bien employée qui doit faire gagner le double au trésor.

DÉCISION

Le général Lahorie demande une audience à l’Empereur, pour donner des explications sur sa conduite.Renvoyé au ministre de la police. Ce citoyen ne doit plus rester  en France.

DÉCISION

Le ministre de la guerre présente un rapport sur la demande du ministre de la marine de mettre en mouvement les troupes destinées pour le Ferrol.Faire partir les cinq compagnies du 3e bataillon du 79e régiment de ligne pour le Ferrol, où elles s’embarqueront sur l’escadre.

DÉCISION

Le ministre de la guerre présente un rapport sur la demande du sénateur Volney de permettre à M. Hamilton, membre de la société asiatique de Calcutta, de revenir à Paris, pour y étudier les manuscrits indiens qui sont à la
Bibliothèque.
Accordé sous la caution du sénateur Volney.

 

Paris, 7 février 1805

Au général Dejean

Il serait nécessaire d’établir le compte des vivres-pain, fourrages et habillement de l’an XII, de la manière suivante:

1° A combien s’est monté ce service par entreprise, pendant l’année, en calculant sur les revues et les décomptes;
2° Ce que chaque entrepreneur a reçu jusqu’au ler pluviôse an XIII;
3° Ce qui lui reste dû.

Par ce moyen, on pourra connaître la situation de ces services.

 

Paris, 7 février 1805

Au contre-amiral Lacrosse

Sa Majesté, Monsieur le Contre-Amiral, s’est fait rendre un compte particulier de quelques services relatifs à la flottille de Boulogne. Elle a observé que les transports de Calais à Boulogne et de tous les autres ports de la côte se font par des bâtiments frétés qui occasionnent une dépense considérable. Elle a observé aussi que la flottille occupait 40 bâtiments de pêche pour les poudres, boulets, ancres et câbles, mouillage au large de la ligne, vedettes, garde-pêche, etc.; que sur ces 40 bâtiments 18 sont en désarmement.

Sa Majesté, considérant que cet ordre de service a le très-grand inconvénient de laisser en stagnation et inactivité les marins et bâtiments de la flottille, vient d’ordonner, comme mesure générale qui devra être strictement observée depuis la Somme jusqu’à Ostende,

1° Que tous les bâtiments, de quelque nature qu’ils soient, qui sont frétés pour son service, et particulièrement pour celui de la flottille et de ses approvisionnements, seront licenciés sans délai et dans les trois jours au plus tard qui suivront la réception de cette lettre, de manière que toute dépense cesse absolument sur cet article;
2° Que tout le service de la flottille et de ses approvisionnements se fasse par les bâtiments de transport de la flottille exclusivement, ainsi que tout le service de la rade, ports, ligne d’embossage, etc.

Vous devrez, Monsieur, donner les ordres les plus positifs pour l’exécution de cette mesure, et m’informer de ses résultats.

Le ministre de la marine, par ordre de l’Empereur.

 

PAROLES DE L’EMPEREUR LORS DE LA DISTRIBUTION DES GRANDS CORDONS DE LA LÉGION D’HONNEUR AU PALAIS DES TUILERIES, LE 21 PLUVIÔSE AN XIIL

Messieurs, la grande décoration vous rapproche de ce trône sans exiger de vous des serments nouveaux; elle ne vous impose point de nouvelles obligations. C’est un complément aux institutions de Légion d’honneur. Cette grande décoration a aussi un but particulier, celui de lier à nos institutions les institutions des différents États de l’Europe, et de montrer le cas et l’estime que je fais, que nous faisons, de ce qui existe chez les peuples nos voisins et nos amis.

 

RÉPONSE DE L’EMPEREUR A UNE ADRESSE DU CORPS LÉGISLATIF,
AU PALAIS DES TUILERIES, LE 21 PLUVIÔSE AN XIII

Messieurs les Députés des départements au Corps législatif, lorsque j’ai résolu d’écrire au roi d’Angleterre, j’ai fait le sacrifice du ressentiment le plus légitime et des passions les plus honorables. Le désir d’épargner le sang de mon peuple m’a élevé au-dessus des considérations qui déterminent ordinairement les hommes. Je serai toujours prêt à faire les mêmes sacrifices. Ma gloire, mon bonheur, je les placés dans le bonheur de la génération actuelle. Je veux, autant que je pourrai y influer, que le règne des idées philanthropiques généreuses soit le caractère du siècle. C’est à moi, à qui de tels sentiments ne peuvent être imputés à faiblesse, c’est à nous, c’est peuple le plus doux, le plus éclairé, le plus humain, de rappeler aux nations civilisées de l’Europe qu’elles ne forment qu’une même famille, et que les efforts qu’elles emploient dans leurs dissensions civiles sont des atteintes à la prospérité commune. Messieurs les députés des départements au Corps législatif, je compte sur votre assistance comme sur la bravoure de mon armée.

 

Paris, 10 février 1805

A M. Gaudin

Monsieur Gaudin, mon Ministre des finances, mon intention est que, demain, la caisse d’amortissement fasse en sorte que les rentes ne baissent pas. Je désire, si M. Mollien n’y voit pas trop d’inconvénient que l’on soutienne ces effets à 60 francs. Toutefois, il ne faut pas qu’elles soient cotées demain moins qu’elles ne l’ont été samedi.

 

Paris, 11 février 1805

DÉCISION

Mme Fauche-Borel demande la mise en liberté de M. Fauche-Borel, son beau-frère. L’Empereur avait bien voulu  lui promettre cette grâce, il y a trois semaines.Accordé. Renvoyé au ministre de la police générale. Il sera conduit par la gendarmerie à Munster, et remis au premier poste prussien.

 

Paris, 14 février 1805

A M. Monge

Je prie M. Monge de lire ces mémoires, de consulter l’ingénieur Gérard, de se rendre comme amateur sur le terrain, et de me faire un rapport secret et confidentiel sur cette grande question.

 

Paris, 16 février 1805

NOTE SUR LES LYCÉES

Sa Majesté ne partage ni l’opinion du ministre, ni celle du Conseil d’État. Le but de l’institution des lycées est manqué si le prix des pensions est augmenté. Il existe de très-bonnes écoles secondaires où les enfants reçoivent une éducation complète et où on ne paye que 400 francs. Les lycées sont dans les premiers moments de leur existence; il est possible qu’ils n’aient pas encore un nombre suffisant d’élèves pour couvrir les dépenses communes, telles que les traitements de l’administration et des professeurs, le chauffage des classes, l’éclairage, etc. , etc., dépenses qui sont toujours à peu près les mêmes, que les élèves soient en grand ou en petit nombre.

Ainsi, pour parvenir à un bon raisonnement , il faut distinguer les dépenses communes du lycée et les dépenses personnelles à chaque élève. Il se peut que 316 francs soient une somme insuffisante pour l’entretien et la nourriture d’un élève; mais il est certain que la pension que fournit le trésor public excède de beaucoup cette sorte de dépense. Cet excédant est destiné à couvrir les dépenses communes. Il faut donc commencer par établir quelle est la partie de la pension nécessaire, dans chaque lycée, à tout ce qui concerne l’élève individuellement. Il faut établir ensuite quelle somme est nécessaire pour les dépenses communes de chaque lycée. Ces bases une fois reconnues, il sera facile de déterminer le nombre d’élèves que chaque lycée doit avoir pour que l’excédant du prix de la pension , les dépenses personnelles des élèves prélevées, couvre les dépenses communes du lycée. Ainsi , dans les localités où le prix des vivres est plus cher, la dépense personnelle à chaque élève sera plus considérable, et il faudra donner à ce lycée un plus grand nombre d’élèves, pour augmenter le total de l’excédant nécessaire aux dépenses communes. L’habileté du conseiller d’État chargé de l’instruction publique doit s’employer à déterminer, d’après ces rapports composés, la juste proportion du nombre des élèves à donner à chaque lycée.

On doit se rappeler qu’à l’époque de l’organisation on avait mis en principe qu’il fallait cent cinquante élèves pour couvrir les dépenses d’un lycée, et, s’il en est où il ne se trouve que quatre-vingts ou cent élèves, il est fort naturel que les moyens de cet établissement soient insuffisants; mais cette insuffisance ne résulte point du prix de lapension; sa cause réside uniquement dans le petit nombre d’élèves.

L’Empereur désire que le ministre, dans un nouveau rapport fasse connaître : 1° les dépenses fixes ; 2° les dépenses variables d’instruction, livres, papiers, etc.; 3° les dépenses de chauffage, éclairage, etc. ; 4° la dépense de l’entretien et de la nourriture de chaque élève. Ces notions, appliquées à chaque lycée en particulier, conduiront à établir quel nombre d’élèves il convient de donner à chaque lycée pour mettre au pair les dépenses de toute nature.

L’extrait des revenus de chacun des lycées, dressé par trimestre, à commencer du ler vendémiaire an XII, sera joint à ce rapport. Il comprendra les élèves nationaux et les élèves pensionnaires. Or examinera, à cette occasion, si les revues sont bien faites, et si l’on suit à cet égard ce qui se pratiquait pour les écoles militaires : on joignait aux revues des notes exactes sur chaque individu , et tout récemment encore l’Empereur a eu sous les yeux des notes fort utile sur des jeunes gens qui étaient dans les écoles militaires il y a vingt cinq ans.

S’il résulte de ce rapport qu’il est nécessaire de venir au secours de quelques lycées, on le fera par des gratifications que payera h trésor public. On multipliera le montant de la portion à prendre sur la pension de chaque élève pour les dépenses communes par le nombre des élèves qui manqueront pour former un lycée complet, et l’on arrivera à la somme qu’il sera nécessaire de donner en gratification.

On n’a jamais considéré les trois ou quatre millions que doivent coûter les lycées, dans les premières années comme une dépense constante; on a, au contraire, pensé que le moment viendrait où cette dépense serait nulle; elle le sera lorsque les lycées seront parvenus à un nombre suffisant d’élèves : alors Sa Majesté ne nommera plus d’élèves nationaux pour soutenir des lycées, mais quand il y aura lieu à faire des grâces particulières, soit pour encourager les écoles secondaires, soit pour récompenser des services publics ou de bonnes actions. Avant d’arriver à ce but, on prendra un moyen intermédiaire qui consistera à établir des demi-bourses pour les jeunes gens qui seront admis à cette faveur, soit en conséquence d’examens soutenus dans les écoles secondaires, soit par le choix de l’Empereur.

Les parents fourniront un supplément de pension dont la quotité sera déterminée à raison de leur contribution ou du traitement des fonctions publiques qu’ils rempliront.

Le moment de l’application de ces vues n’est point encore arrivé. L’Empereur désire que le ministre les médite, et, s’il est possible de les mettre à exécution en l’an XIV, il n’y a que le temps nécessaire pour y penser.

Le ministre examinera dès à présent si le nombre des administrateurs et des professeurs n’est pas trop considérable dans les lycées. Ils sont établis en conséquence d’une loi générale qui peut être susceptible de quelques modifications, à raison du nombre différent des élèves dans les divers lycées. Il se peut aussi que les fonctionnaires soient trop également rétribués; et, en effet, il y a eu tel collège célèbre dont deux professeurs distingués ont fait la fortune, et où il ne fallait qu’un petit nombre d’agents pour une administration parfaite, les proviseurs, les censeurs, les procureurs gérants formant un état-major très-considérable pour l’administration de cent cinquante élèves. Il y a telle pension particulière dans laquelle le directeur seul remplit ces diverses fonctions.

On voit, dans le projet du Conseil d’État, que le supplément d’habillement doit être porté à 100 francs, tandis que l’habillement d’un élève ne doit pas coûter plus de 40 francs dans un lycée où il y a de l’ordre et une bonne administration.

Enfin, pour parvenir à combler le déficit qu’on annonce, il y a divers moyens à prendre avant de songer au moyen impraticable, destructeur des lycées, qui consisterait à augmenter les pensions.

Ces établissements sont naissants; ils ne peuvent réussir que par une grande surveillance de la part du conseiller d’État, qui doit s’en occuper en entier, parcourir les lycées , et entretenir avec les administrateurs une correspondance journalière.

Dans plusieurs des lycées que l’Empereur a visités, il a remarqué que les élèves n’étaient pas assez nombreux. On s’abuserait si on concluait de leur situation financière actuelle qu’il y a des changements à faire dans les principes de leur organisation. Sa Majesté n’est pas entrée dans la cour d’un seul lycée sans voir aussitôt un grand nombre de femmes aux fenêtres. Ce système est dangereux sous d’autres rapports encore que celui de l’économie.

Peut-être le temps arrivera-t-il bientôt de s’occuper de la question de savoir s’il faut former un corps enseignant. Ce corps, ou cet ordre, doit-il être une association religieuse, faire vœu de chasteté, renoncer au monde, etc.? Il ne paraît pas qu’il y ait aucune connexité entre ces idées.

L’enseignement se compose, dans l’état actuel, de proviseurs, de censeurs, de professeurs. Il y aurait un corps enseignant si tous les proviseurs, censeurs, professeurs de l’Empire, avaient un ou plusieurs chefs, comme les Jésuites avaient un général, des provinciaux, etc. ; si l’on ne pouvait être proviseur ou censeur qu’après avoir été professeur; si on ne pouvait être professeur dans les haut classes qu’après avoir professé dans les basses; s’il y avait, enfin dans la carrière de l’enseignement, un ordre progressif qui entretint l’émulation et qui montrât, dans les différentes époques de la vie un aliment et un but à l’espérance. Il faudrait qu’un homme consacré à l’enseignement ne pût se marier qu’après avoir franchi plusieurs degrés de sa carrière; que le mariage fût, pour lui comme pour tous les hommes, un terme placé en perspective où il ne pût atteindre qu’après avoir assuré sa considération et sa fortune par une place dont la rétribution suffirait pour le faire vivre comme chef de famille, sans sortir de l’état auquel il se serait livré. Ainsi la condition de l’enseignement serait la même que celle des autres carrières civiles.

Ce corps aurait un esprit. L’Empereur pourrait en protéger les membres les plus distingués, et les élever par ses faveurs plus haut dans l’opinion que ne l’étaient les prêtres lorsqu’on considérait en eux le sacerdoce comme une sorte de noblesse. Tout le monde sentait l’importance des Jésuites; on ne tarderait pas à sentir l’importance de la corporation de l’enseignement, lorsqu’on verrait un homme, d’abord élevé dans un lycée, appelé par ses talents à enseigner à son tour, avançant de grade en grade, et se trouver, avant de finir sa carrière, dans les premiers rangs de l’État.

De toutes les questions politiques, celle-ci est peut-être de premier ordre. Il n’y aura pas d’état politique fixe s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu’on n’apprendra pas dès l’enfance s’il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, etc., l’État ne formera point une nation; il reposera sur des bases incertaines et vagues ; il sera constamment exposé aux désordres et aux changements.