Correspondance de Napoléon – Décembre 1806

Décembre 1806

 

Posen , ler décembre 1806 , 10 heures du matin.

Au grand-duc de Berg

Je reçois votre lettre du 28 novembre à onze heures du soir, où j’apprends votre arrivée à Varsovie.

Le maréchal Ney est aujourd’hui à Gnesen, se dirigeant sur Thor.

Faites donc appuyer sur Varsovie les corps des maréchaux Lannes Augereau. Je pense que le corps du maréchal Augereau pourrait tenir à la hauteur et vis-à-vis du confluent de la Narew dans la Vistule.

Si l’ennemi faisait la sottise d’évacuer Praga, emparez-vous de faubourg, rétablissez le pont et faites construire une bonne tête de pont. Alors, la Vistule passée, je ferai appuyer les corps des maréchaux  Soult et Bernadotte sur Varsovie. Vous devez avoir le parc du génie à la suite du corps du maréchal Davout. Il y a là beaucoup d’ingénieurs, d’outils, et beaucoup de sapeurs. J’envoie le général Chasseloup pour construire deux têtes de pont à l’embouchure de la Narew, pour l’unir à la Vistule. Si, en attendant, vous pouvez avoir la tête du pont de Praga, faites-y travailler.

J’ai envoyé le Polonais Wibicki, homme de beaucoup d’esprit, à Varsovie; il est parti le 29 au matin, il doit être arrivé; il connaît la direction que je veux donner à l’esprit public.

Vous pouvez chasser sans difficulté les autorités prussiennes. Un ordonnateur, qui était à Posen, est parti et doit être arrivé à Varsovie; c’est le second intendant général.

J’ai nommé un individu pour faire les fonctions d’intendant à Varsovie; j’imagine qu’il doit être arrivé.

Vous pouvez très-bien nommer le général Belliard pour faire fonctions de commandant de la ville jusqu’à nouvel ordre. Faites-en   sorte qu’il n’y ait aucune espèce de gaspillage et que les habitants n’aient à se plaindre de rien.

J’ai formé une troisième brigade de cavalerie légère sous les ordres du général Watier; elle est composée du 11e de chasseurs et d’un régiment de chevau-légers bavarois, appelé le Prince royal. Cette brigade va se réunir à Lowicz et sera attachée à votre réserve de cavalerie.

Les divisions des généraux Sahuc, Nansouty et d’Hautpoul sont ici. Celle du général Espagne, composée des quatre régiments de cuirassiers venant d’Italie, sera à Posen dans douze jours. Je laisse ici reposer toute cette cavalerie jusqu’à ce que j’aie vu le parti que j’aurai à prendre.

Je serai bien satisfait si vous passez la Vistule à Praga. Immédiatement après cela, tâchez de passer le Bug.

Annoncez à Varsovie que je ne tarderai pas à m’y rendre. Faites imprimer dans les journaux les bulletins de la Grande Armée, avec celui d’Austerlitz, qui, j’imagine, ne l’aura pas été.

Je n’ai point encore de nouvelle que le prince Jérôme soit arrivé à Kalisz.

 

Posen, 1er décembre 1806

A M. Cambacérès

Mon Cousin, je reçois votre lettre du 21. Vous verrez, par le bulletin d’aujourd’hui, que mes troupes sont entrées à Varsovie. La Pologne tout entière prend les armes. Il est difficile de se faire une idée du mouvement national de ce pays. Les Polonais lèvent des régiments à force. Les plus chauds sont les plus riches. Prêtres, nobles, paysans , tous sont unanimes. La Pologne aura bientôt 60,000 hommes sous les armes. Les grands nobles du pays sont tous des gens de 100 à 500,000 francs de rente. Ce sont eux qui fournissent aux dépenses de leur armée. Au milieu des marches et des mouvements d’une si grande armée, et des excès qui en sont la suite, nous sommes en bals, et je vais demain à un bal que me donne la noblesse de la ville. Les dames m’ont été présentées ; elles ont toutes quitté leurs campagnes ; c’est la première fois, depuis la destruction de la Pologne, qu’elles se sont montrées. Tous les gens un peu aisés parlent français, et les paysans aiment la France.

 

Posen, 1er décembre 1806

A M. Regnier, Grand-Juge

J’ai reçu votre lettre du 21 novembre. Je trouve que la loi qui rend les communes responsables de ce qui se passe chez elles est une loi militaire, et dès lors une loi de guerre. Étranger au pays, le conquérant n’entre dans aucune discussion et rend responsable la masse des citoyens de ce qui se passe chez eux. Quand elle émane de l’autorité civile, elle suppose une extrême faiblesse de la part de l’administration et presque l’impuissance du gouvernement. Cette loi est à la fois trop faible et trop forte. Cependant, s1 les autorités croient qu’elle produira un si grand résultat, je ne puis que me ranger à l’idée que les lois doivent être exécutées, et que le tribunal qui a refusé l’exécution de la loi est dans son tort.

 

Posen, 1er décembre 1806

A M. Gaudin

Faites une circulaire et prenez des mesures pour que, dans l’étendue de l’Empire, toutes lettres venant d’Angleterre ou écrites en anglais et par des Anglais soient mises au rebut. Tout cela est fort important, car il faut absolument isoler l’Angleterre.

 

Posen, 1er décembre 1806

A M. Fouché

Monsieur Fouché, je vois dans le bulletin du 29 novembre, article Gênes, qu’un nommé Bustori est à la tête d’un rassemblement pour les Anglais. Le commissaire général de police traite cela d’extravagance; il a tort; cet individu est de tout temps connu pour agent des Anglais, et probablement la dénonciation est vraie. Il faut donc arrêter ce Bustori et ce Garbineau, dans l’État de Gènes ou même de Toscane, partout où ils sont. Ce sont des misérables qui, si on les presse vivement, pourront donner des renseignements utiles.

S’il y a dans la vallée de Zeri un rassemblement de 50 conscrits réfugiés, il faut que la gendarmerie emploie la force pour les dissiper.

Le commissaire général de police à Gênes ne connaît ni le pays ni les Anglais. Il traite cela de chimères. C’est cependant toujours avec ces caractères qu’ont commencé les tentatives des Anglais sur ce pays.

Écrivez à mon ministre en Toscane que la qualité d’Autrichien qu’a le colonel Rothe ne doit pas l’empêcher de demander l’arrestation de cet agent sicilien, puisqu’il trame à Pise des conspirations contre la France et entretient des correspondances avec la reine Caroline.

 

Posen, 1er décembre 1806

A M. Fouché, ministre de la police générale, à Paris

Je vous envoie un paquet trouvé sous l’enveloppe de l’empereur de Russie. Je ne pense pas qu’il y ait de mystère lè-dedans. Tout me paraît innocent dans cette correspondance, mais je désire savoir quel est l’homme de lettres qui correspond avec l’empereur de Russie. Vous pouvez remettre le paquet sous l’enveloppe de l’empereur de Russie et le laisser passer.

(de Brotonne)

 

Posen, 1er décembre 1806

Au général Sebastiani, ambassadeur à Constantinople

Vous trouverez ci-joint les imprimés qui vous feront connaître l’état des choses. Le grand-duc de Berg, avec 100,000 hommes, est maître de Varsovie. Les Russes, qui ont voulu défendre cette place, ont été battus et chassés. Je suis à Posen, maître de tout le pays situé entre le Rhin et la Vistule, ainsi que de toutes les places fortes. Les Polonais se lèvent, et 60,000 font déjà sous les armes. Dans cette situation, faite, à la Porte les participations nécessaires. Il faut que les hospodars du choix de la Porte soient rétablis et les partisans des Russes chassés. C’est le moment où la Porte peut recouvrer son indépendance. Vous êtes autorisé à signer un traité secret offensif et défensif par lequel je garantirai à la Porte l’intégrité de ses provinces de Moldavie et de Valachie, et de la Servie. Pressez-la de réunir des troupes du côté de Choczim, et je m’engagerai à ne faire la paix avec la Russie que de concert avec elle. Faites ce qui vous sera possible pour faire sortir la Porte de son engourdissement. Je vous envoie une lettre pour le Grand Seigneur; vous en ferez faire la traduction en turc.

 

Camp impérial de Posen, 1er décembre 1806       

Au sultan Selim

La Prusse, qui s’était liguée avec la Russie, a disparu; j’ai détruit ses armées et je suis maître de ses places fortes.

Mes armées sont sur la Vistule, et Varsovie est en mon pouvoir. La Pologne prussienne et russe se lève et forme ses armées pour reconquérir son indépendance. C’est le moment de reconquérir la tienne.

Chasse les hospodars rebelles, que la plus injuste violence t’a obligé de rétablir au mépris de ton firman qui les avait déclarés traîtres.

Remets en place tes vrais serviteurs et les hospodars de ton choix. N’accorde pas aux Serviens ces concessions qu’ils te demandent les armes à la main.

Fais marcher tes troupes sur Choczim; tu n’as plus rien à craindre de la Russie.  J’ai chargé mon ambassadeur de contracter avec toi tous les engagements nécessaires. Si tu as été prudent jusqu’à cette heure, une plus longue condescendance envers la Russie serait faiblesse et perdrait ton empire.

 

Posen, 1er décembre 1806

Au général Andreossy, ambassadeur à Vienne

Il y a fort longtemps que je n’ai eu de vos nouvelles. Je désire que vous correspondiez dorénavant avec moi par Varsovie : ce sera plus court.

Le roi de Prusse a déclaré que, son pays étant plein de Russes, ne pouvait ratifier la suspension d’armes; ce qui m’a fait quitter Berlin pour poursuivre mes avantages. Je suis depuis quatre jour Posen. Le grand-duc de Berg, avec les corps des maréchaux Davout, Lannes et Augereau , est depuis le 28 à Varsovie. Toutes les troupes que j’ai dans les 27e et 28e divisions militaires ont fait un mouvement vers Vérone, Brescia et Alexandrie. La Pologne entière se lève.  Prêtres, nobles, paysans, tout est soldat. Il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher cette explosion nationale. Il serait difficile de croire que la partie de la Pologne située sur la gauche de la Vistule a déjà 60,000 hommes sur pied. Je ne demandais pas mieux que de refroidir ce zèle par la suspension d’armes : le roi de Prusse n’a pas voulu; les destins feront le reste.

Dans cette situation de choses, je conçois que la cour de Vienne doit être incertaine. Vous trouverez ci-joint des imprimés qui vous feront connaître les publications que j’ai faites au Sénat. Envoyez deux exemplaires à Constantinople. Vous y trouverez aussi mon ordre du jour pour le 2 décembre, que vous enverrez également à Constantinople. J’attends M. de Talleyrand demain ici; mais je ne veux pas perdre un moment à vous faire connaître mes intentions. Je veux la paix avec l’Autriche. Les mouvements d’Italie, vous devez les représenter comme deux corps formés pour entrer en Allemagne et rejoindre l’armée, si la Maison d’Autriche toutefois ne fait aucune menace; l’insurrection de la Pologne prussienne, comme une suite naturelle de la présence des Francais. D’ailleurs, je n’ai jamais reconnu le partage de la Pologne; mais, fidèle observateur des traités, en favorisant l’insurrection des Polognes prussienne et russe, je ne me mêlerai en rien de la Pologne autrichienne.

Si l’empereur sent lui-même la difficulté de maintenir la Pologne autrichienne au milieu de ces mouvements, et qu’il veuille admettre en indemnité une portion de la Silésie, vous pouvez déclarer que vous êtes prêt à entrer à pourparler pour cet objet. Ma conduite ne saurait être plus pacifique. Mes armement, à Brescia et Vérone sont faits dans le même plan que j’ai eu en retirant d’Italie plusieurs régiments de cavalerie. L’insurrection de la Pologne est une suite de ma guerre avec la Russie et la Prusse.

L’Autriche veut-elle conserver la Galicie ? Je ne m’en mêle en rien. Veut-elle en céder une partie ? Je suis prêt à donner toutes les facilités qu’elle peut désirer. Veut-elle traiter publiquement, secrètement ? Je suis prêt à faire ce qu’elle veut. Après ces manifestations, je dois dire que je ne crains personne. Je vous autorise à déclarer que, quoique je ne reconnaisse pas le partage de la Pologne, je ne veux cependant point toucher à la Galicie, parce que je veux tenir toute la garantie que j’ai assurée aux États autrichiens par la paix de Presbourg.

Vous communiquerez à M. de Stadion les pièces ci-jointes, si vous le jugez convenable. Ce qui m’importe, c’est qu’elles arrivent à Constantinople.

 

Posen, ler décembre 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, écrivez au maréchal Mortier d’employer le général de brigade Schramm dans une division active, et de le mettre à même de se battre, parce que c’est un homme qui a l’habitude de la  guerre.

 

Posen, 1er décembre 1806

Au maréchal Berthier

Il y a un capitaine nommé Dupin, à Heringen, qui se fait entretenir par la ville, on ne sait à quel titre. Faites-le rejoindre son corps.

 

Posen, 1er décembre 1806

Au général Chasseloup

Vous vous rendrez à Lenczyca et me ferez un rapport détaillé sur ce fort. Vous ordonnerez les travaux nécessaires pour le mettre en état de défense, et qu’il puisse contenir hôpitaux, magasins et le parc d’armée. Vous laisserez à Lenczyca un officier du génie pour exécuter vos ordres, et de là vous vous rendrez à Varsovie. Si nous parvenons à passer le pont, vous ferez établir des ouvrages pour assurer la défense de Praga. Vous irez ensuite reconnaître, au confluent de la Narew dans la Vistule, un emplacement pour y établir une place forte. Mon intention est de prendre une île pour cet emplacement, et de construire deux têtes de pont sur l’une et l’autre rive. Je placerai là mes magasins, mes dépôts. Cette île et les deux têtes de pont devront être fortifiées pendant l’hiver avec des sapins, du bois et tous les moyens que l’art pourra employer pour mettre la place en état de soutenir un siège. Mon intention est d’abandonner cette place à elle-même, si cela est nécessaire.

 

Posen, 1er décembre 1806

Au général Clarke

Le rassemblement de tous les princes et ministres à Berlin est inutile. Ceux qui ont affaire au prince de Bénévent peuvent se rendre à Posen. Il faut notifier aux ministres qui étaient accrédités auprès du roi de Prusse, tels que celui de Danemark, de passer la Vistule ou de retourner chez eux. Vous pouvez cependant laisser à Berlin ceux dont vous seriez content.

 

Posen, 1er décembre 1806

NOTE POUR LE MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES

Renvoyé à M. le prince de Bénévent, pour envoyer la lettre jointe à mon ministre en Suisse, avec l’ordre précis d’insister impérieusement pour que le journaliste et le directeur des postes soient arrêtés, et pour que tout ce qui est demandé par le vice-roi soit ponctuellement et promptement exécuté. Mon ministre déclarera qu’au moindre retard qui serait apporté à ces satisfactions, je ferai marcher des troupes à Lugano pour arrêter les coupables, et que je réunirai les deux bailliages à mon royaume d’Italie.

 

 Posen, ler décembre 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, j’approuve fort les mesures que vous avez prises relativement à la Gazelle de Lugano; faites en sorte que le journal soit interdit et le rédacteur arrêté. Ne souffrez dans la Suisse italienne aucun germe de mauvais esprit. Écrivez à mon ministre italien et à mon ministre français à Berne, et envoyez quelqu’un près du canton du Tessin pour y témoigner mon mécontentement.

 

Posen, ler décembre 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, vous aurez reçu le décret relatif au blocus de l’Angleterre. Ayez bien soin que toutes les lettres écrites en anglais ou par des Anglais soient arrêtées et mises au rebut. Il faut empêcher toute communication de l’Angleterre avec le continent.

 

Posen, 1er décembre 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, j’ai reçu l’aperçu de la situation de l’armée d’Italie au 1er décembre. J’espère qu’elle se trouvera augmentée, dans le courant de janvier, de 10,000 hommes par l’incorporation des conscrits qui seront arrivés en novembre et en décembre, et, dans le mois de mars, de dix autres mille hommes. Correspondez souvent avec M. Dejean pour la nomination des officiers. Tous les régiments qui ont quatre bataillons, envoyez-en trois à l’armée active en janvier. Je vais  lever la conscription de 1807 ; elle sera arrivée en février. Cela augmentera le nombre de vos conscrits de 20,000 hommes. Ce sera donc 30 à 40,000 hommes que vous aurez d’augmentation par ces deux conscriptions.

L’adjudant commandant Pascalis est trop vieux pour servir dans une division active. Quatre régiments de dragons ne sont pas suffisants; j’écris au roi de Naples d’en envoyer deux autres. Il ne faut faire aucun mouvement de la Dalmatie sur l’Italie, parce que, si l’on venait à se brouiller, les corps qui seraient en route seraient pris. Ne négligez pas cette observation. Le général Daurier est bon pour l’armée active. Le général Mainoni est incapable de défendre Mantoue. Puisque le général Clausel n’a point de commandement, donnez-lui le commandement de cette place; en attendant, donnez-lui celui de
la division formée des dépôts de l’armée de Naples. Palmanova est en état de défense, indépendamment des deux lunettes; d’ailleurs, avec l’activité qu’on met dans les travaux de cette place, elle le sera bientôt. Il suffit que l’artillerie soit en règle et qu’il y ait beaucoup de bois pour les blindages. Pour ne pas trop effaroucher les Autrichiens, avec lesquels je suis en bonne intelligence, vous devez dire que les divisions de Brescia et de Vérone se réunissent pour se rendre à l’armée comme les régiments de cuirassiers qui sont déjà partis. J’ai vu avec plaisir que les officiers désignés pour la retraite sont partis de vos dépôts, ainsi que les vétérans et les invalides. Les officiers qui les remplacent ne tarderont pas à arriver.

 

Posen, ler décembre 1806

Au roi de Hollande

Vous n’avez à l’armée que le ler et le 3e régiment de hussards, et le 2e de cavalerie hollandais formant un millier d’hommes. Je désire que vous fassiez passer à Hambourg encore un millier d’homme cavalerie. Vous devez avoir à l’armée plus de trois régiments. Envoyez aussi des hommes avec des selles, pour que les régiments qui ne sont que de 300 hommes soient portés à 500. On leur procurera des chevaux dans le Mecklenburg et dans le Hanovre. Il faut que votre cavalerie soit forte de 3,000 chevaux à l’armée. Envoyez aussi des recrues pour renforcer vos régiments d’infanterie.

 

Posen, 1er décembre 1806

36e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Le quartier général du grand-duc de Berg était, le 27, à Lowiez.

Le général Bennigsen, commandant l’armée russe, espérant empêcher les Français d’entrer à Varsovie, avait envoyé une avant-garde border la rivière de Bzura. Les avant-postes se rencontrèrent dans la journée du 26; les Russes furent culbutés. Le général Beaumont passa la Bzura à Lowicz, rétablit le pont, tua ou blessa plusieurs hussards russes, fit prisonniers plusieurs cosaques, et les poursuivit jusqu’à Blonie.

Le 27, quelques coups de sabre furent donnés entre les grand’gardes de cavalerie. Les Russes furent poursuivis; on leur fit quelques prisonniers.

Le 28, à la nuit tombante, le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, entra à Varsovie. Le corps du maréchal Davout y est entré le 29. Les Russes avaient repassé la Vistule, en brûlant le pont.

Il est difficile de peindre l’enthousiasme des Polonais. Notre entrée dans cette grande ville était un triomphe, et les sentiments que les Polonais de toutes les classes montrent depuis notre arrivée ne sauraient s’exprimer. L’amour de la patrie et le sentiment national est non-seulement conservé en entier dans le cœur du peuple, mais il a été retrempé par le malheur. Sa première passion, son premier désir est de redevenir nation. Les plus riches sortent de leurs châteaux pour venir demander à grands cris le rétablissement de la nation, et offrir leurs enfants, leur fortune, leur influence. Ce spectacle est
vraiment touchant. Déjà ils ont partout repris leur ancien costume, leurs anciennes habitudes.

Le trône de Pologne se rétablira-t-il, et cette grande nation reprendra-t-elle son existence et son indépendance ? Du fond du tombeau renaîtra-t-elle à la vie? Dieu seul, qui tient dans ses mains les combinaisons de tous les événements, est l’arbitre de ce grand problème politique.

Mais, certes, il n’y eut jamais d’événement plus mémorable, plus digne d’intérêt. Et, par une correspondance de sentiments qui fait l’éloge des Français, des traînards, qui avaient commis quelques excès dans d’autres pays, ont été touchés du bon accueil du peuple, et n’ont eu besoin d’aucun effort pour se bien comporter.

Nos soldats trouvent que les solitudes de la Pologne contrastent avec les campagnes riantes de leur patrie; mais ils ajoutent aussitôt : Ce sont de bonnes gens que les Polonais. Ce peuple se montre vraiment sous des couleurs intéressantes.

 

Posen, 1er décembre 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, il sera formé une troisième brigade de cavalerie légère, qui sera attachée à la réserve de cavalerie que commande le grand-duc de Berg. Cette brigade sera commandée par le général de brigade Watier, et sera composée du 11e régiment de chasseurs et du régiment bavarois chevau-légers du prince royal.

Cette brigade sera réunie le plus tôt possible à Kutno. Par ce moyen, la réserve de cavalerie aura trois brigades de cavalerie légère formant six régiments, ce qui est nécessaire pour l’éclairer.

(Picard)

 

2 décembre 1806, 10 heures du matin

Au grand-duc de Berg, à Varsovie

Je reçois vos lettres du 29 novembre onze heures du soir. Les Polonais qui montrent tant de circonspection, demandent tant de garanties avant de se déclarer, sont des égoïstes que l’amour de la patrie n’enflamme pas. Je suis vieux dans la connaissance des hommes. Ma grandeur n’est pas fondée sur le secours de quelques milliers de Polonais. C’est à eux à profiter avec enthousiasme de la circonstance actuelle; ce n’est pas à moi à faire le premier pas. Qu’ils montrent une ferme résolution de se rendre indépendants; qu’ils s’engagent à soutenir le roi qui leur serait donné, et alors je verrai ce que j’aurai à faire. Je n’ai point trouvé dans les provinces  de Kalisz et Posen cet esprit d’égoïsme; elles ont montré dévouement et décision.

Vous aurez vu, par la proclamation du palatin Radziminski, que le 15 décembre, toute la noblesse doit se réunir à Lowicz. Faites mettre dans les gazettes de Varsovie tous les discours qu’ils ont tenu et mes réponses. Je connais Poniatowski mieux que vous, parce je suis, depuis dix ans, les affaires de Pologne. C’est un homme léger et inconséquent plus que d’ordinaire ne le sont les Polonais, ce qui est beaucoup dire. Il jouit de peu de confiance à Varsovie. Ce n’en est pas moins un homme qu’il faille bien traiter et ménager. Quant à ce qu’il vous a dit, de mettre le prince Czartoryski roi, c’est pour se rendre important. La Russie, je vous assure, n’a jamais rêvé à se saisir de la Pologne.

J’approuve, du reste, les mesures que vous avez prises. Il faut mettre des patriotes en place, des hommes qui veuillent se mettre en avant et ne point calculer arithmétiquement le rétablissement de la Pologne. Faites bien sentir que je ne viens pas mendier un trône pour un des miens ; je ne manque pas de trônes à donner à ma famille.

J’imagine que vous m’aurez envoyé une députation de Varsovie; je l’attendrai ici.

Je vous ai fait mander hier que je désirais que vous puissiez passer la Vistule et occuper Praga. Faites passer sur-le-champ alors les corps des maréchaux Davout et Lannes et la plus grande partie de votre cavalerie. Approchez le corps du maréchal Augereau entre Varsovie et le confluent de la Narew. Mais instruisez-moi par des gens qui aillent vite.

Le maréchal Ney arrive demain ou après à Thorn; le parc général d’artillerie est parti aujourd’hui pour Lowicz, où je donne ordre qu’on forme de grands magasins et qu’on envoie vos petits dépôts. Si l’ennemi est tellement en force à Praga qu’il vous soit impossible de tenter le passage, laissez le maréchal Augereau à plusieurs jours sur votre gauche, le long de la Vistule.

 

Posen, 2 décembre 1806, 10 heures du matin

Au grand-duc de Berg

Je vous envoie des gazettes polonaises d’ici. Il n’y a pas d’inconvénient que vous en fassiez copier des extraits dans les gazettes de Varsovie. Si vous trouvez un Polonais qui se charge d’aller en Moldavie porter une lettre à M. Reinhard, mon chargé d’affaires à Jassy, vous pouvez mander à ce chargé d’affaires, sans faire de réflexions, que je suis maître de toute la Prusse jusqu’à la Vistule et des places fortes , que je suis maître de Varsovie, d’où j’ai chassé les Russes, et que vous désirez qu’il vous fasse passer des nouvelles de Constantinople et les mouvements des Russes sur le bas Dniester. Vous promettrez une récompense à ce Polonais s’il va en peu de jours. De Varsovie à Jassy il n’y a que cent lieues. M. Reinhard enverra copie de votre lettre au général Sebastiani.

Au moment même où vous serez maître de Praga, enveloppez ce faubourg par des ouvrages de fortification de campagne. Je vous ai déjà mandé qu’indépendamment d’un détachement j’y laisserai les Polonais et la garde nationale de Varsovie. Je désire construire une place de dépôt à l’embouchure de la Nareiv et de la Vistule, dans l’île, de sorte que je n’aie qu’à fortifier les deux têtes de pont pour avoir une grande place.

Je ne crois pas que Bennigsen, d’après les renseignements que j’ai reçus de mon côté, ait plus de 50,000 hommes de troupes, effectif, et plus de 40 à 45,000 présents sous les armes. On m’assure que les corps sont encore tellement défaits que de longtemps ils ne pourront entrer en campagne; vérifiez si cela est vrai.

Ordonnez à Varsovie la confection de pain biscuité, pour nourrir les troupes que vous pourrez avoir en avant de Varsovie. Si vous avez une carte de Varsovie, envoyez-la-moi. Il doit y avoir de cette partie une carte comme j’en ai une de la grande Pologne.

Le corps du maréchal Larmes doit avoir des capotes, puisqu’il lui en a été donné à Stettin. Si le corps du maréchal Davout en manque, voyez à vous en procurer à Varsovie de 8 à 10,000, et faites-les distribuer sur-le-champ à ce corps d’armée.

 

Quartier impérial, Posen 2 décembre 1806

PROCLAMATION

Soldats, il y a aujourd’hui un an, à cette heure même, que vous étiez sur le champ mémorable d’Austerlitz; les bataillons russes épouvantés, fuyaient en déroute, ou, enveloppés, rendaient les armes à leurs vainqueurs. Le lendemain ils firent entendre des paroles de paix; mais elles étaient trompeuses : à peine échappés, par l’effet d’une générosité peut-être condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils en ont ourdi une quatrième. Mais l’allié sur la tactique duquel ils fondaient leur principale espérance n’est déjà plus. Ses places fortes, ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, 280 drapeaux, 700 pièces de bataille, cinq grandes places de guerre, sont eu notre pouvoir. L’Oder, la Warta, les déserts de la Pologne, les mauvais temps de la saison, n’ont pu vous arrêter un moment. Vous avez tout bravé, tout surmonté; tout a fui à votre approche.

C’est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne : l’aigle française plane sur la Vistule. Le brave et infortuné Polonais, en vous voyant, croit revoir les légions de Sobieski de retour de leur mémorable expédition.

Soldats, nous ne déposerons point les armes que la paix générale n’ait affermi et assuré la puissance de nos alliés, n’ait restitué à un commerce sa liberté et ses colonies. Nous avons conquis sur l’Elbe et l’Oder Pondichéry, nos établissements des Indes, le cap de Bonne Espérance et les colonies espagnoles.

Qui donnerait aux Russes le droit d’espérer de balancer les destins ? Qui leur donnerait le droit de renverser de si justes desseins ? Et nous, ne sommes-nous pas les soldats d’Austerlitz ?

NAPOLÉON

 

Quartier impérial, Posen, 2 décembre 1806

DÉCRET

ARTICLE 1er. – Il sera établi sur l’emplacement de la Madeleine de notre bonne ville de Paris, aux frais du trésor de notre couronne, un monument dédié à la Grande Armée portant sur le frontispice L’Empereur Napoléon aux soldats de la Grande Armée.

ART. 92. – Dans l’intérieur du monument seront inscrits, sur des tables de marbre, les noms de tous les hommes, par corps d’armée et par régiments, qui ont assisté aux batailles d’Ulm, d’Austerlitz et d’Iena, et sur des tables d’or massif, les noms de tous ceux qui sont morts sur les champs de bataille. Sur des tables d’argent sera gravée la récapitulation, par départements, des soldats que chaque département a fournis à la Grande Armée.

ART. 3. – Autour de la salle seront sculptés des bas-reliefs où seront représentés les colonels de chacun des régiments de la Grande Armée avec leurs noms. Ces bas-reliefs seront faits de manière que les colonels soient groupés autour de leurs généraux de division et de brigade, par corps d’armée. Les statues en marbre des maréchaux qui ont commandé des corps ou qui ont fait partie de la Grande Armée seront placées dans l’intérieur de la salle.

ART. 4. – Les armures, statues, monuments de toute espèce enlevés par la Grande Armée dans ces deux campagnes, les drapeaux, étendards et timbales conquis par la Grande Armée, avec les noms des régiments ennemis auxquels ils appartenaient, seront déposés dans l’intérieur du monument.


ART. 5. – Tous les ans, aux anniversaires des batailles d’Austerlitz et d’Iena, le monument sera illuminé, et il sera donné un concert précédé d’un discours sur les vertus nécessaires au soldat, et d’un éloge de ceux qui périrent sur le champ de bataille dans ces journées mémorables.
Un mois avant, un concours sera ouvert pour recevoir la meilleure ode et la meilleure pièce de musique analogues aux circonstances.
Une médaille d’or de 150 doubles napoléons sera décernée aux auteurs de chacune de ces pièces qui aura remporté le prix.
Dans les discours et odes, il est expressément défendu de faire mention de l’Empereur.

ART. 6. – Notre ministre de l’intérieur ouvrira sans délai un con cours d’architecture pour choisir le meilleur projet pour l’exécution de ce monument.
Une des conditions du prospectus sera de conserver la partie du bâtiment de la Madeleine qui existe aujourd’hui, et que la dépense ne dépasse pas trois millions.
Une commission de la classe des beaux-arts de notre Institut sera chargée de faire un rapport à notre ministre de l’intérieur, avant le mois de mars 1807, sur les projets soumis au concours. Les travaux commenceront le 1er mai et devront être achevés avant l’an 1809.

Notre ministre de l’intérieur sera chargé de tous les détails relatifs à la construction du monument , et le directeur général de nos musées, de tous les détails des bas-reliefs, statues et tableaux.

ART. 7. – Il sera acheté 100,000 francs de rente en inscriptions sur le grand-livre pour servir à la dotation du monument et à son entretien annuel.

ART. 8. – Une fois le monument construit, le grand conseil de Légion d’honneur sera spécialement chargé de sa garde, de sa conservation et de tout ce qui est relatif au concours annuel.

ART. 9. – Notre ministre de l’intérieur et l’intendant des biens la couronne sont chargés de l’exécution du présent décret.

 

Posen, 2 décembre 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, donnez ordre à l’intendant général, aux commandants du génie et de l’artillerie, de tenir en bon état les magasins, les fortifications et l’artillerie de la place de Hameln. Il doit y avoir des approvisionnements pour 5 ou 6,000 hommes pendant six mois. Les réquisitions sur le Hanovre y pourvoiront.

Il faut que Hameln soit mis en bon état de défense, que les places de Rinteln et de Nienburg soient démolies, et leur artillerie évacuée sur Wesel. Donnez des ordres en conséquence soit aux officiers  ci-dessus nommés, soit aux gouverneurs de Minden et du Hanovre. Vous me ferez connaître le nom des officiers qui commandent les différents forts, d’artillerie et du génie, et celui des garde-magasins.

 

Posen, 2 décembre 1806

Au maréchal Mortier

Mon Cousin, donnez l’ordre qu’on occupe Vegesack sur le Weser, au-dessous de Brème, afin de bien compléter le blocus de cette rivière; que les troupes du roi de Hollande, qui occupent l’Ost-Frise, aient des batteries sur la rive gauche du Weser, qui croisent leurs feux avec les batteries de Bremerlehe, de manière à couper entièrement la navigation du Weser; qu’il soit aussitôt construit dans l’île Butzflether- Sand, en face de Stade, une redoute et une batterie de six pièces de 18 ou de 24, et qu’aucun navire et bateau ne puisse passer sur l’Elbe sans venir raisonner à Stade; qu’auunes marchandises anglaises ne puissent passer ni par Altona, ni par Hambourg, ni par aucun autre point. Il faut un général de brigade à Cuxhaven et un autre à Stade : l’un surveillera le WeSer, l’autre l’Elbe. Il faut établir un cordon de Hambourg à Travemünde, et un autre le long de la rive gauche de l’Elbe jusque vis-à-vis Hambourg; chargez un général de brigade de commander ce cordon. Toutes marchandises qu’on tenterait de faire passer seront confisquées au profit du soldat; il ne doit passer aucunes marchandises anglaises ou coloniales. La plus grande partie de la division Dumonceau, deux régiments italiens et le tiers de la cavalerie hollandaise, doivent être employés à ces opérations. Vous donnerez ordre aussi au cordon le long du Holstein de ne laisser passer aucun courrier sans être visité, et d’enlever toutes lettres pour l’Angleterre écrites par des Anglais. Enfin il est bien important de placer à Hambourg, à Brème et à Lubeck, un employé des postes français, pour arrêter toutes les lettres anglaises. Je donne l’ordre au ministre des finances de faire partir aussitôt deux inspecteurs des douanes et un détachement de 500 douaniers pour aider les troupes françaises du cordon que je veux établir sur l’Elbe, et j’envoie également au maréchal Moncey l’ordre d’envoi d’une compagnie de 100 gendarmes, qui seront distribués le long de ce cordon.

Comme il est possible que vous ayez déjà quitté Hambourg, remettez ces ordres au général Dumonceau, et faites-lui savoir que j’attache la plus grande importance à leur stricte exécution, et que je l’en rends responsable.

 

Posen, 2 décembre 1806

Au maréchal Mortier

Mon Cousin, je n’ai pu être qu’extrêmement mécontent que M. Lachevardière ait, sans votre ordre, fait connaître que, moyennant un ordre de lui, tous les ballots pourraient se rendre de Hambourg à  Altona. Il y a longtemps qu’il m’est revenu des plaintes sur les concussions de ce commissaire. S’il y a des preuves de cela dans le pays, faites-le arrêter et faites mettre le scellé sur ses papiers. J’approuve les mesures que vous avez prises pour l’arrestation des Anglais; mais il me semble qu’il y en a beaucoup plus que cela à Hambourg. Il faut tous les faire arrêter, en échange des Français non militaires qu’on a arrêtés sur les mers. Tant qu’il vous sera possible , vous devez toujours conserver la haute main pour l’exécution des mesures relative, au blocus.

Faites-moi connaître si l’on a établi une bonne batterie à Stade. S vous avez chargé de tous ces objets le général Michaud, écrivez-lui qu’il prenne un soin particulier d’empêcher toute communication de Hambourg à Altona, et pour qu’il fasse confisquer tous les bâtiment qui seraient sur l’Elbe, chargés de potasse, de charbon on de tout autre marchandise venant d’Angleterre.

Réitérez l’ordre qu’à la poste aux lettres on retienne toutes les lettre adressées en- Angleterre.