Correspondance de Napoléon – Décembre 1805

Décembre 1805

 

Au bivouac, 1er décembre 1805

A L’ARMÉE

Soldats, l’armée russe se présente devant vous pour venger l’armée autrichienne d’Ulm. Ce sont ces mêmes bataillons que vous avez battus à Hollabrunn, et que depuis vous avez constamment poursuivis jusqu’ici.

Les positions que nous occupons sont formidables; et, pendant qu’ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc.

Soldats, je dirigerai moi-même tous vos bataillons; je me tiendrais loin du feu, si, avec votre bravoure accoutumée, vous portez désordre et la confusion dans les rangs ennemis; mais, si la victoire était un moment incertaine, vous verriez votre Empereur s’exposer aux premiers coups, car la victoire ne saurait hésiter, dans cette journée surtout où il y va de l’honneur de l’infanterie française, qui importe tant à l’honneur de toute la nation.

Que, sous prétexte d’emmener les blessés, on ne dégarnisse les rangs, et que chacun soit bien pénétré de cette pensée, qu’il faut vaincre ces stipendiés de l’Angleterre qui sont animés d’une si grande haine contre notre nation.

Cette victoire finira notre campagne, et nous pourrons reprendre nos quartiers d’hiver, où nous serons joints par les nouvelles armées qui se forment en France; et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi.

 

Au bivouac en avant de Brünn, 1er décembre 1805

ORDRES

Ordre au maréchal Davout de réunir ses troupes à l’abbaye de Raigern.

Ordre au maréchal Bernadotte de prendre la position du bivouac du général Caffarelli.

Ordre au général Caffarelli de prendre le bivouac de la division de grenadiers.

Ordre aux grenadiers de se porter en avant de la butte, sur la droite de la route.

Ordre à la division Suchet et à la division Caffarelli de se placer en avant à droite de la route, à la hauteur du Santon.

Ordre au 17e régiment d’infanterie légère de prendre position au Santon.

Ordre au quartier général de se transporter à la butte.

Le maréchal Berthier, par ordre de l’Empereur.

 

Au bivouac en avant de Brünn, 1er décembre 1805, 8 heures et demie du soir.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES POUR LA JOURNÉE DU 11 (2 décembre 1805)

  1. le maréchal Soult donnera les ordres pour que ses trois divisions soient placées au delà du ravin, à sept heures du matin, de manièreà être prêtes à commencer la manœuvre de la journée, qui doit être une marche en avant par échelons, l’aile droite en avant. M. le maréchal Soult sera de sa personne, à sept heures et demie du matin, près de l’Empereur, à son bivouac.
  2. A. le prince Murat donnera des ordres à la cavalerie du général Kellermann, à celle des généraux Walther, Beaumont, Nansouty et d’Hautpoul, pour que les divisions soient placées, à sept heures du matin, entre la gauche du maréchal Soult et la droite du maréchal Lannes, de manière à occuper le moins d’espace possible, et pour qu’au moment où le maréchal Soult se mettra en marche, toute cette cavalerie, aux ordres du prince Murat, passe le ruisseau et se trouve placée au centre de l’armée.

Il est ordonné au général Caffarelli de se porter à sept heures du matin, avec sa division, pour se placer à la droite de la division Suchet, après avoir passé le ruisseau. Comme la division Suchet se placera sur deux lignes, la division Caffarelli se placera aussi sur deux lignes, chaque brigade formant une ligne, et dès lors l’emplacement qu’occupe en ce moment la division Suchet sera suffisant pour ces deux divisions.

Le maréchal Lannes observera que les divisions Suchet et Caffarelli doivent toujours être derrière le coteau, de manière à n’être pas aperçues de l’ennemi.

  1. le maréchal Bernadotte, avec ses deux divisions d’infanterie, se portera, à sept heures du matin, sur la même position qu’occupe, aujourd’hui 10 (1er décembre), la division du général Caffarelli, hormis que sa gauche sera à hauteur derrière le Santon, et y restera en colonne par régiment.
  2. le maréchal Lannes ordonnera à la division de grenadiers de placer en bataille en avant de sa position actuelle, la gauche derrière la droite du général Caffarelli. Le général Oudinot fera reconnaître le débouché où il devra passer le ruisseau, lequel débouché sera le même par où aura passé le maréchal Soult.
  3. le maréchal Davout, avec la division Friant et la division de dragons du général Bourcier, partira, à cinq heures du matin, de l’abbaye de Raigern , pour gagner la droite du maréchal Soult. Le maréchal Soult disposera de la division Gudin lorsqu’elle arrivera.

A sept heures et demie MM. les maréchaux se trouveront près de l’Empereur, à son bivouac, pour, selon les mouvements qu’aura faits l’ennemi pendant la nuit, donner de nouveaux ordres.

La cavalerie de M. le maréchal Bernadotte, en conséquence des dispositions ci-dessus, est mise aux ordres du maréchal Murat, qui lui fera indiquer l’heure où elle devra partir pour être en position à sept heures.

  1. le prince Murat disposera également de la cavalerie légère de M. le maréchal Lannes.

Toutes les troupes resteront dans les dispositions indiquées ci- dessus, jusqu’à nouvel ordre.

Comme la cavalerie de M. le prince Murat doit, dans sa première position, occuper le moins d’espace possible, il la mettra en colonne.

Le maréchal Davout trouvera à l’abbaye un escadron et demi du 2le régiment de dragons, qu’il enverra au bivouac.

Chacun de MM. les maréchaux donnera les ordres qui le concernent en conséquence des présentes dispositions.

Le maréchal Berthier, par ordre de l’Empereur.

 

Pozoritzer-Post (Stara-Posta) , 3 décembre 1805, 8 heures du matin.

Au prince Murat

Ordre au prince Murat de poursuivre l’ennemi.

Ordre à la division de grenadiers de prendre position à Rausnitz. Ordre au maréchal Lannes de suivre le mouvement de la cavalerie avec le reste de son corps.

Ordre au maréchal Bernadotte de poursuivre l’ennemi sur la route d’Austerlitz à Goeding.

Ordre au maréchal Soult et au maréchal Davout de poursuivre l’ennemi.

Même ordre aux généraux Klein et Bourcier.

Le maréchal Berthier, par ordre de l’Empereur.

 

Austerlitz, 3 décembre 1805

A L’ARMÉE

Soldats, je suis content de vous. Vous avez, à la journée d’Austerlitz, justifié tout ce que j’attendais de votre intrépidité; vous avez décoré vos aigles d’une immortelle gloire. Une armée de 100,000 hommes, commandée par les empereurs de Russie et d’Autriche, a été, en moins de quatre heures, ou coupée ou dispersée. Ce qui a échappé à votre fer s’est noyé dans les lacs. Quarante drapeaux, les étendards de la garde impériale de Russie, cent vingt pièces de canon, vingt généraux, plus de 30,000 prisonniers, vent le résultat de cette journée à jamais célèbre. Cette infanterie tant vantée, et en nombre supérieur, n’a pu résister à votre choc, et désormais vous n’avez plus de rivaux à redouter. Ainsi, en deux mois, cette troisième coalition a été vaincue et dissoute. La paix ne peut plus être éloignée; mais, comme je l’ai promis à mon peuple avant de passer le Rhin, je ne ferai qu’une paix qui nous donne des garanties et assure des récompenses à nos alliés.

Soldats, lorsque le peuple français plaça sur ma tête la couronne impériale, je me confiai à vous pour la maintenir toujours dans ce haut éclat de gloire qui seul pouvait lui donner du prix à mes yeux. Mais dans le même moment nos ennemis pensaient à la détruire et à l’avilir ! Et cette couronne de fer, conquise par le sang de tant de Français, ils voulaient m’obliger à la placer sur la tête de nos plus cruels ennemis! Projets téméraires et insensés que, le jour même de l’anniversaire du couronnement de votre Empereur, vous avez anéantis et confondus! Vous leur avez appris qu’il est plus facile de nous braver et de nous menacer que de nous vaincre.

Soldats, lorsque tout ce qui est nécessaire pour assurer le bonheur et la prospérité de notre patrie sera accompli, je vous ramènerai en France; là vous serez l’objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie, et il vous suffira de dire: « J’étais à la bataille d’Austerlitz, pour que l’on réponde : Voilà un brave ! »

NAPOLÉON.

 

Austerlitz, 3 décembre 1805

A Joseph

Mon Frère, j’imagine que, lorsque ce courrier vous arrivera, mon aide de camp Lebrun, que j’ai expédié du champ de bataille, sera arrivé à Paris. Après quelques jours de manœuvres, j’ai eu hier une bataille décisive. J’ai mis en déroute l’armée coalisée et commandée en personne par les deux empereurs de Russie et d’Allemagne. Leur armée était forte de 80 000 Russes et de 30 000 Autrichiens. Je leur ai fait à peu près 40 000 prisonniers, parmi lesquels une vingtaine de généraux russes, quarante drapeaux, cent pièces de canon, tous les étendards de la garde impériale de Russie. Toute l’armée s’est couverte de gloire.

L’ennemi a laissé au moins 12 000 ou 15 000 hommes sur le champ de bataille. Je ne connais pas encore ma perte; je l’évalue à 8 ou 900 hommes tués, et le double blessés. Une colonne entière s’est jetée dans un lac, et la plus grande partie s’est noyée; on entend encore de ces malheureux qui crient et qu’il est impossible de sauver (sic). Les deux empereurs sont dans une assez mauvaise position. Vous pouvez faire imprimer l’analyse de ces nouvelles sans les donner comme extraites d’une lettre de moi, ce qui n’est pas convenable. Vous recevrez demain le bulletin. Quoique j’aie bivouaqué ces huit derniers jours en plein air, ma santé est cependant bonne. Ce soir, je suis couché dans un lit (sic), dans le beau château de M. de Kaunitz, à Austerlitz, et j’ai changé de chemise, ce qui ne m’était pas arrivé depuis huit jours. Il y a eu une charge de ma Garde et de celle de l’empereur de Russie; la garde de l’empereur de Russie a été culbutée. Le prince Repnine, commandant ce corps, a été pris avec une partie du corps, les étendards et l’artillerie de la garde russe.

L’empereur d’Allemagne m’a envoyé ce matin le prince de Liechtenstein pour me demander une entrevue. Il est possible que la paix s’ensuive assez rapidement. Mon armée sur le champ de bataille a été moins nombreuse que la sienne, mais l’ennemi a été pris en flagrant délit pendant qu’il manœuvrait.

 

Austerlitz, 3 décembre 1805

A Joséphine

Je t’ai expédié Lebrun du champ de bataille. J’ai battu l’armée russe et autrichienne commandée par les deux Empereurs. Je me suis un peu fatigué, j’ai bivouaqué huit jours en plein air, par des nuits assez fraîches. Je couche ce soir dans le château du prince Kaunitz, où je vais dormir deux ou trois heures. L’armée russe est non seulement battue mais détruite.

Je t’embrasse.

Je suis un peu harassé.

 

Austerlitz, 3 décembre 1805

Aux Évêques

Monsieur l’Évêque du diocèse de…..la victoire éclatante que viennent de remporter nos armées sur les armées combinées d’Autriche et de Russie, commandées par les empereurs de Russie et d’Autriche en personne, est une preuve visible de la protection de Dieu, et demande qu’il soit rendu dans toute l’étendue de notre empire de solennelles actions de grâces. Nous espérons que des succès aussi marquants que ceux que nous avons obtenus à la journée d’Austerlitz porteront enfin nos ennemis à éloigner d’eux les conseils perfides de l’Angleterre, seul moyen qui puisse ramener la paix sur le continent. Au reçu de la présente, vous voudrez donc bien, selon l’usage, chanter un Te deum, auquel notre intention est que toutes les autorités constituées et notre peuple assistent. Cette lettre n’étant pas à une autre fin, nous prions Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde.

 

Austerlitz, 3 décembre 1805

A Talleyrand

Je ne puis vous écrire que deux mots: une armée de 100 000 hommes, commandée par les deux empereurs, est entièrement détruite. Tout protocole devient inutile. Les négociations deviennent nulles, puisqu’il est évident qu’elles étaient une ruse de guerre pour m’endormir. Le général Gyulai a écrit au prince Charles qu’il y aurait bataille; il fait alors le métier d’espion. Dites à Monsieur de Stadion que je n’ai pas été dupe de leur ruse; que c’est pour cela que je les ai renvoyés de Brünn; que, la bataille étant perdue, les conditions ne peuvent plus être les mêmes.

 

Austerlitz, 3 décembre 1805

30e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Le 6 frimaire (27 novembre), l’Empereur, en recevant la communication des pleins pouvoirs de MM. de Stadion et Gyulai, offrit préalablement un armistice, afin d’épargner le sang, si l’on avait effectivement envie de s’arranger et d’en venir à un accommodement définitif. Mais il fut facile à l’Empereur de s’apercevoir qu’on avait d’autres projets; et, comme l’espoir du succès ne pouvait venir à l’ennemi que du côté de l’armée russe, il conjectura aisément que les deuxième et troisième armées étaient arrivées ou sur le point d’arriver à Olmütz, et que les négociations n’étaient plus qu’une ruse de guerre pour endormir sa vigilance.

Le 7 (28 novembre), à neuf heures du matin, une nuée de Cosaques soutenue par la cavalerie russe fit plier les avant-postes du prince Murat, cerna Wischau et y prit 50 hommes à pied du 6e régiment de dragons. Dans la journée, l’empereur de Russie se rendit à Wischau, et toute l’armée russe prit position derrière cette ville.

L’Empereur avait envoyé son aide de camp le général Savary pour complimenter l’empereur de Russie, dès qu’il avait su ce prince arrivé à l’armée. Le général Savary retint au moment où l’Empereur faisait la reconnaissance des feux des bivouacs ennemis placés à Wischau.

Il se loua beaucoup du bon accueil, des grâces et des bons sentiments personnels de l’empereur de Russie, et même du grand-duc Constantin, qui eut pour lui toute espèce de soins et d’attentions; mais il lui fut facile de comprendre, par la suite des conversations qu’il eut, pendant trois jours, avec une trentaine de freluquets qui, sous différents titres, environnent l’empereur de Russie, que la présomption , l’imprudence et l’inconsidération régneraient dans les décisions du cabinet militaire comme elles avaient régné dans celles du cabinet politique.

Une armée ainsi conduite ne pouvait tarder à faire des fautes. Le plan de l’Empereur fut, dès ce moment, de les attendre et d’épier l’instant d’en profiter. Il donna sur-le-champ ordre de retraite à son armée, se retira de nuit comme s’il eût essuyé une défaite, prit une bonne position, à trois lieues en arrière, et fit travailler avec beaucoup d’ostentation à la fortifier et à y établir des batteries.

Il fit proposer une entrevue à l’empereur de Russie, qui lui envoya son aide de camp le prince Dolgorouki. Cet aide de camp put remarquer que tout respirait, dans la contenance de l’armée française, la réserve et la timidité. Le placement des grand’gardes, les fortifications que l’on faisait en toute hâte, tout laissait voir à l’officier russe une armée à demi battue.

Contre l’usage de l’Empereur, qui ne reçoit jamais avec tant de circonspection les parlementaires à son quartier général, il se rendit lui-même à ses avant-postes. Après les premiers compliments, l’officier russe voulut entamer des questions politiques. Il tranchait sur tout avec une impertinence difficile à imaginer. Il était dans l’ignorance la plus absolue des intérêts de l’Europe et de la situation du continent. C’était, en un mot, une jeune trompette de l’Angleterre. Il parlait à l’Empereur comme il parle aux officiers russes, que depuis longtemps il indigne par sa hauteur et ses mauvais procédés. L’Empereur contint toute son indignation, et ce jeune homme, qui a pris une véritable influence sur l’empereur Alexandre, retourna plein de l’idée que l’armée française était à la veille de sa perte. On se convaincra de tout ce qu’a du souffrir l’Empereur, quand on saura que, sur la fin de la conversation , il lui proposa de céder la Belgique et de mettre la couronne de fer sur la tête des plus implacables ennemis de la France.

Toutes ces différentes démarches remplirent leur effet. Les jeunes têtes qui dirigent les affaires russes se livrèrent sans mesure à leur présomption naturelle. Il n’était plus question de battre l’armée française, mais de la tourner et de la prendre : elle n’avait tant fait que par la lâcheté des Autrichiens. On assure que plusieurs vieux généraux autrichiens, qui avaient fait des campagnes contre l’Empereur, prévinrent le conseil que ce n’était pas avec cette confiance qu’il fallait marcher contre une armée qui comptait tant de vieux soldats et d’officiers du premier mérite. Ils disaient qu’ils avaient vu I’Empereur, réduit à une poignée de monde, dans les circonstances les plus difficiles, ressaisir la victoire par des opérations rapides et imprévues, et détruire les armées les plus nombreuses; que cependant, ici, on n’avait obtenu aucun avantage; qu’au contraire, toutes les affaires d’arrière-garde de la première armée russe avaient été en faveur de l’armée française. Mais à cela cette jeunesse présomptueuse opposait la bravoure de 80,000 Russes, l’enthousiasme que leur inspirait la présence de leur empereur, le corps d’élite de la garde impériale de Russie, et, ce qu’ils n’osaient probablement pas dire, leur talent, dont ils étaient étonnés que les Autrichiens voulussent méconnaître la puissance.

Le 10 (1er décembre), l’Empereur, du haut de son bivouac, aperçut, avec une indicible joie, l’armée russe commençant, à deux portées de canon de ses avant-postes, un mouvement de flanc pour tourner sa droite. Il vit alors jusqu’à quel point la présomption et l’ignorance de l’art de la guerre avaient égaré les conseils de cette brave armée; il dit plusieurs fois : « Avant demain au soir, cette armée est à moi.  » Cependant le sentiment de l’ennemi était bien différent. Il se présentait devant nos grand’gardes à portée de pistolet. Il défilait par une marche de flanc, sur une ligne de quatre lieues, en prolongeant l’armée française, qui paraissait ne pas oser sortir de sa position. Il n’avait qu’une crainte, c’était que l’armée française ne lui échappât. On fit tout pour confirmer l’ennemi dans cette idée. Le prince Murat fit avancer un petit corps de cavalerie dans la plaine; mais tout d’un coup il parut étonné des forces immenses de l’ennemi, et rentra à la hâte. Ainsi tout tendait à confirmer le général russe dans l’opération mal calculée qu’il avait arrêtée.

L’Empereur fit mettre à l’ordre la proclamation ci-jointe.

Le soir, il voulut visiter à pied et incognito tous les bivouacs; mais à peine eut-il fait quelques pas qu’il fut reconnu. Il serait impossible de peindre l’enthousiasme des soldats en le voyant. Des fanaux de paille furent mis en un instant au haut de milliers de perches, et 80,000 hommes se présentèrent au-devant de l’Empereur en le saluant par des acclamations; les uns pour fêter l’anniversaire de son couronnement, les autres disant que l’armée donnerait le lendemain son bouquet à l’Empereur. Un des plus vieux grenadiers s’approcha de lui, et lui dit :

« Sire, tu n’auras pas besoin de t’exposer. Je te promets, au nom des grenadiers de l’armée, que tu n’auras à combattre que des yeux, et que nous t’amènerons demain les drapeaux et l’artillerie de l’armée russe, pour célébrer l’anniversaire de ton couronnement. »

L’Empereur dit, en entrant dans son bivouac, qui consistait en une mauvaise cabane de paille sans toit que lui avaient faite les grenadiers :

« Voilà la plus belle soirée de ma vie, mais je regrette de penser que je perdrai bon nombre de ces braves gens. Je sens, au mal que cela me fait, qu’ils sont véritablement mes enfants; et, en vérité, je me reproche quelquefois ce sentiment, car je crains qu’il ne finisse par me rendre inhabile à faire la guerre »

Si l’ennemi eût pu voir ce spectacle, il eût été épouvanté; mais l’insensé continuait toujours son mouvement et courait à grands pas à sa perte.

L’Empereur fit sur-le-champ toutes ses dispositions de bataille. Il fit partir le maréchal Davout en toute hâte, pour se rendre au couvent de Raigern. Il devait, avec une de ses divisions et une division de dragons, y contenir l’aile gauche de l’ennemi, afin qu’au moment donné elle se trouvât toute enveloppée. Il donna le commandement de la gauche au maréchal Lannes, de la droite au maréchal Soult, du centre an maréchal Bernadotte, et de toute la cavalerie, qu’il réunit sur un seul point, au prince Murat. La gauche du maréchal Lannes était appuyée au Santon , position superbe que l’Empereur avait fait fortifier, et où il avait fait placer dix-huit pièces de canon. Dès la veille, il avait confié la garde de cette belle position au 17e régiment d’infanterie légère; et certes elle ne pouvait être gardé par de meilleures troupes. La division du général Suchet formait la gauche du maréchal Lannes; celle du général Caffarelli formait sa droite, qui était appuyée à la cavalerie du prince Murat; celle-ci avait devant elle les hussards et les chasseurs, sous les ordres du général Kellermann, et les divisions de dragons Walther et Beaumont, et en réserve, les divisions de cuirassiers des généraux Nansouty et d’Hautpoul, avec vingt-quatre pièces d’artillerie légère.

Le maréchal Bernadotte, c’est-à-dire le centre, avait à sa gauche la division du général Rivaud, appuyée à la droite du prince Murat et à sa droite la division du général Drouet.

Le maréchal Soult, qui commandait la droite de l’armée, avait à sa gauche la division du général Vandamme, au centre la division du général Saint-Hilaire, à sa droite la division du général Legrand.

Le maréchal Davout était détaché, et sur la droite du général Legrand, qui gardait les débouchés des étangs des villages de Sokolnitz et de Telnitz. Il avait avec lui la division Friant et les dragons de la division du général Bourcier. La division du général Gudin devait se mettre, de grand matin, en marche de Nikolsburg pour contenir le corps ennemi qui aurait pu déborder la droite.

L’Empereur, avec son fidèle compagnon de guerre le maréchal Berthier, son premier aide de camp le colonel général Junot, et tout son état-major, se trouvait en réserve avec les dix bataillons de sa Garde et les dix bataillons de grenadiers du général Oudinot, dont le général Duroc commandait une partie.

Cette réserve était rangée sur deux lignes, en colonnes par bataillon, à distance de déploiement, ayant dans les intervalles quarante pièces de canon servies par les canonniers de la Garde. C’est avec cette réserve que l’Empereur avait le projet de se précipiter partout où il eût été nécessaire. On peut dire que cette réserve seule valait une armée.

A une heure du matin, l’Empereur monta à cheval pour parcourir ses postes, reconnaître les feux des bivouacs de l’ennemi, et se faire rendre compte par les grand’gardes de ce qu’elles avaient pu entendre des mouvements des Russes. Il apprit qu’ils avaient passé la nuit dans l’ivresse et des cris tumultueux , et qu’un corps l’infanterie russe s’était présenté au village de Sokolnitz, occupé par un régiment de la division du général Legrand, qui reçut ordre de le renforcer.

Le 11  frimaire (2 décembre), le jour parut enfin. Le soleil se leva radieux, et cet anniversaire du couronnement de l’Empereur, où allait se passer un des plus beaux faits d’armes du siècle, fut une des plus belles journées de l’automne.

Cette bataille, que les soldats s’obstinent à appeler la journée des trois empereurs, que d’autres appellent la journée de l’anniversaire et que l’Empereur a nommée la bataille d’Austerlitz, sera à jamais mémorable dans les fastes de la grande nation.

L’Empereur, entouré de tous les maréchaux, attendait pour donner ses derniers ordres que l’horizon fût bien éclairci. Aux premiers rayons du soleil les ordres furent donnés, et chaque maréchal rejoignit son corps au grand galop. L’Empereur dit en passant sur le front de bandière de plusieurs régiments :

« Soldats, il faut finir cette campagne par un coup de tonnerre qui confonde l’orgueil de nos ennemis  »

et aussitôt les chapeaux au bout des baïonnettes et des cris de Vive l’Empereur ! furent le véritable signal du combat. Un instant après, la canonnade se fit entendre à l’extrémité de la droite que l’avant-garde ennemie avait déjà débordée. Mais la rencontre imprévue du maréchal Davout arrêta l’ennemi tout court, et le combat s’engagea.

Le maréchal Soult s’ébranle au même instant, se dirige sur les hauteurs du village de Pratzen avec les divisions des généraux Vandamme et Saint-Hilaire, et coupe entièrement la droite de l’ennemi dont tous les mouvements devinrent incertains. Surprise par une marche de flanc pendant qu’elle fuyait, se croyant attaquante et se voyant attaquée, elle se regarde comme à demi battue.

Le prince Murat s’ébranle avec sa cavalerie. La gauche, commandée par le maréchal Lannes, marche en échelons par régiment comme à l’exercice. Une canonnade épouvantable s’engage sur toute la ligne. Deux cents pièces de canon et près de 200,000 hommes faisaient un bruit affreux. C’était un véritable combat de géants. Il n’y avait pas une heure que l’on se battait, et toute la gauche de l’ennemi était coupée. Sa droite se trouvait déjà arrivée à Austerlitz au quartier général des deux empereurs, qui durent faire marcher sur-le-champ la garde de l’empereur de Russie pour tâcher de rétablir la communication du centre avec la gauche. Un bataillon du 4e de ligne fut chargé par la garde impériale russe à cheval, et culbuté; mais l’Empereur n’était pas loin; il s’aperçut de ce mouvement, il ordonne au maréchal Bessières de se porter an secours de sa droite avec ses invincibles, et bientôt les deux gardes furent aux mains. Le succès ne pouvait être douteux : dans un moment la garde russe fut en déroute; colonel, artillerie, étendards, tout fut enlevé. Le régiment du grand-duc Constantin fut écrasé; lui-même ne dut son salut qu’à la vitesse de son cheval.

Des hauteurs d’Austerlitz, les deux empereurs virent la défaite de toute la garde russe. Au même moment, le centre de l’armée, commandé par le maréchal Bernadotte, s’avança. Trois de ses régiments soutinrent une très-belle charge de cavalerie. La gauche, commandée par le maréchal Lannes, donna plusieurs fois; toutes les charges furent victorieuses. La division du général Caffarelli s’est distinguée. Les divisions de cuirassiers se sont emparées des batteries de l’ennemi.

A une heure après midi la victoire était décidée. Elle n’avait pas été un moment douteuse. Pas un homme de la réserve n’avait été nécessaire et n’avait donné nulle part.

La canonnade ne se soutenait plus qu’à notre droite. Le corps ennemi qui avait été cerné et chassé de toutes ses hauteurs se trouvait dans un bas-fonds et acculé à un lac. L’Empereur s’y porta avec vingt pièces de canon. Ce corps fut chassé de position en position, et l’on vit un spectacle horrible, tel qu’on l’avait vu à Aboukir : 20,000 hommes se jetant dans l’eau et se noyant dans les lacs !

Deux colonnes, chacune de 4,000 Russes, mettent bas les armes et se rendent prisonnières. Tout le parc ennemi est pris. Les résultats de cette journée sont quarante drapeaux russes, parmi lesquels sont les étendards de la garde impériale, un nombre considérable de prisonniers (l’état-major ne les connaît pas encore tous; on avait déjà la note de 20,000) ; 12 ou 15 généraux, au moins 15,000 Russes tués, restés sur le champ de bataille. Quoiqu’on n’ait pas encore les rapports, on peut, au premier coup d’œil, évaluer notre perte à 800 hommes tués et à 15 ou 1,600 blessés. Cela n’étonnera pas les militaires, qui savent que ce n’est que dans la déroute qu’on perd des hommes, et nul autre corps que le bataillon du 4e n’a été rompu. Parmi les blessés sont le général Saint-Hilaire, qui, blessé au commencement de l’action, est resté toute la journée sur le champ de bataille; il s’est couvert de gloire; les généraux de division Kellermann et Walther, les généraux de brigade Valhubert, Thiebault, Sebastiani, Compans et Rapp, aide de camp de l’Empereur. C’est ce dernier qui, en chargeant à la tète des grenadiers de la Garde, a pris le prince Repnine, commandant les chevaliers de la garde impériale de Russie.

Quant aux hommes qui se sont distingués, c’est toute l’armée qui s’est couverte de gloire. Elle a constamment chargé aux cris de Vive l’Empereur!et l’idée de célébrer si glorieusement l’anniversaire du couronnement animait encore le soldat.

L’armée française, quoique nombreuse et belle, était moins nombreuse que l’armée ennemie, qui était forte de 105,000 hommes, dont 80,000 Russes et 25,000 Autrichiens. La moitié de cette armée est détruite; le reste a été mis en déroute complète, et la plus grande partie a jeté ses armes.

Cette journée coûtera des larmes de sang à Saint-Pétersbourg. Puisse-t-elle y faire rejeter avec indignation l’or de l’Angleterre, et puisse ce jeune prince, que tant de vertus appelaient à être le père de ses sujets, s’arracher à l’influence de ces trente freluquets que l’Angleterre solde avec art, et dont les impertinences obscurcissent ses intentions, lui font perdre l’amour de ses soldats, et le jettent dans les opérations les plus erronées ! La nature, en le douant de si grandes qualités, l’avait appelé à être le consolateur de l’Europe.

Des conseils perfides, en le rendant l’auxiliaire de l’Angleterre, le placeront dans l’histoire au rang des hommes qui, en perpétuant la guerre sur le continent, auront consolidé la tyrannie britannique sur les mers et fait le malheur de notre génération. Si la France ne peut arriver à la paix qu’aux conditions que l’aide de camp Dolgorouki a proposées à l’Empereur, et que M. de Novosiltzof avait été chargé de porter, la Russie ne les obtiendrait pas, quand même une armée serait campée sur les hauteurs de Montmartre.

Dans une relation plus détaillée de cette bataille, l’état-major fera connaître ce que chaque corps, chaque officier, chaque général, a fait pour illustrer le nom français et donner un témoignage de l’amour à leur Empereur.

Le 12 (3 décembre), à la pointe du jour, le prince Jean de Liechtenstein, commandant l’armée autrichienne, est venu trouver l’Empereur à son quartier général, établi dans une grange ; il en a eu une longue audience.

Cependant nous poursuivons nos succès. L’ennemi s’est retiré le chemin d’Austerlitz à Goeding. Dans cette retraite, il prête le flanc. L’armée française est déjà sur ses derrières et le suit l’épée dans reins.

Jamais champ de bataille ne fut plus horrible. Du milieu de lacs immenses, on entend encore les cris de milliers d’hommes qu’on ne peut secourir. Il faudra trois jours pour que tous les blessés ennemis soient évacués sur Brünn; le cœur saigne. Puisse tant de sang versé, puissent tant de malheurs retomber enfin sur les perfides insulaires qui en sont la cause ! Puissent les lâches oligarques de Londres porter la peine de tant de maux !

 

Quartier impérial, Austerlitz, 4 décembre 1805

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, l’empereur d’Allemagne m’a demandé entrevue; je la lui ai accordée; elle a duré depuis deux heures jusqu’à quatre. Je vous dirai de vive voix ce que je pense de lui. Il aurait voulu conclure la paix sur-le-champ; il m’a pris par les beaux sentiments; je me suis défendu, genre de guerre qui ne m’était point, je vous assure, difficile. Il m’a demandé un armistice que je lui ai accordé; cette nuit on doit venir en régler les conditions.

Il m’a demandé un armistice pour les Russes; je l’ai accordé, à condition que, par journées d’étapes, les Russes évacueront l’Allemagne et la Gallicie et retourneront chez eux; ce qu’il m’a dit être dans les intentions de l’empereur de Russie. Cette nuit je dois avoir sa réponse; mais on m’assure qu’il veut faire la paix sans les Anglais. De ses 80,000 hommes, 40,000 n’existent plus. Ses amis sont tués; il est au désespoir. Ma générosité le tire encore d’embarras; car je l’avais écrasé, et il s’en serait tiré difficilement. Il est sans artillerie ni bagages.

Rendez-vous en diligence à Brünn; dites aux négociateurs autrichiens que je suis convenu avec l’empereur que le centre des négociations serait établi à Nikolsburg.

Vous direz à M. de Haugwitz de m’attendre à Vienne. Je vous dirai à Brünn ce que je veux faire; ne préjugez rien.

Dites aux Autrichiens que la bataille a changé la face des choses; que, puisqu’on a voulu hasarder et tout perdre, il fallait s’attendre à des conditions plus dures; que je me plains surtout de ce procédé de m’envoyer des négociateurs le jour où l’on veut m’attaquer, pour m’endormir.

Faites faire pour le Moniteur une note sur l’armistice, sur la mauvaise position des Russes et sur l’ouverture des négociations réelles; car les premières n’étaient que factices.

 

 Austerlitz, 4 décembre 1805

30e BULLETIN (BIS) DE LA GRANDE ARMÉE

En ce moment arrive au quartier général la capitulation, envoyée par le maréchal Augereau, du corps d’armée autrichien commandé par le général Jellachich. L’Empereur eût préféré que l’on eût gardé les prisonniers en France, cela eût-il dû occasionner quelques jours de blocus de plus; car l’expérience a prouvé que, renvoyés en Autriche, les soldats servent incontinent après.

Le général de Wrede, commandant les Bavarois, a eu différentes affaires en Bohême contre l’archiduc Ferdinand. Il a fait quelques centaines de prisonniers.

Le prince de Rohan, à la tête d’un corps de 6,000 hommes qui avait été coupé par le maréchal Ney et par le maréchal Augereau, s’est jeté sur Trente, a passé les gorges de Bassano, et tenté de pénétrer à Venise. Il a été battu par le général Saint-Cyr, qui l’a fait prisonnier avec ses 6,000 hommes. Ci-joint la dépêche du maréchal Masséna, qui en rend compte au ministre de la guerre.

 

Austerlitz, 5 décembre 1805

A l’électeur de Bavière

Je vous ai envoyé du champ de bataille un de vos officiers, pour vous faire connaître la victoire éclatante remportée sur les deux empereurs; en voici le résultat : 150 pièces de canon, 30,000 prisonniers, 45 drapeaux, 20 généraux et 15 ou 20,000 Russes sur le champ de bataille ou noyés dans les lacs.

J’ai eu hier une entrevue avec l’empereur d’Allemagne, qui paraît enfin bien décidé à s’arranger. On va convenir d’abord d’un armistice, et j’espère, sous peu de jours, pouvoir vous donner des preuves de l’intérêt que je porte à vous et à votre Maison. Si l’Impératrice est arrivée, je la recommande à Votre Altesse.

 

Austerlitz, 5 décembre 1805

A l’électeur de Württemberg

Mon Frère, je reçois votre lettre du 27 novembre. L’empereur de Russie est environné d’une vingtaine de polissons qui le perdent et cependant il est d’un caractère si heureux et rempli de si grandes qualités, que je pense que quelques avis donnés par vous, par l’entremise de votre sœur, ne pourront qu’être utiles. J’ai envoyé près de lui mon aide de camp Savary, avec la lettre dont je joins copie (cf 25 novembre 1805);  il m’a répondu par cette lettre.

Mon aide de camp a été enchanté des bonnes manières, des bons propos de l’empereur; ce qui m’a porté à lui demander une entrevue à ses avant-postes. Il m’envoya le prince Dolgorouki, et j’eus avec ce freluquet une conversation dans laquelle il me parla comme il aurait pu parler à un boyard qu’on voudrait envoyer en Sibérie. Croiriez-vous qu’il me proposait de mettre ma couronne de fer sur la tête du roi de Sardaigne; de renoncer à la Belgique, qui, réunie à la Hollande, serait donnée à un prince de Prusse ou d’Angleterre. Ce jeune homme est d’ailleurs de la plus excessive arrogance; il a dû prendre mon extrême modération pour une marque de grande terreur; ce que je désirais sous le point de vue militaire, et ce qui a donné lieu à la bataille d’Austerlitz, où, en vérité, ils se sont conduits avec une ignorance et une présomption qu’on a peine à concevoir. Cela a fait ouvrir les yeux à l’empereur de Russie, et je sais, par l’entrevue que j’ai eue avec l’empereur d’Allemagne, qu’il désire se raccommoder et ne plus se mêler d’affaires qui ne le regardent point.

Faites passer ces renseignements à sa mère; dites, de plus, que les entours de l’empereur de Russie lui font perdre l’amour de ses soldats, qu’ils traitent avec impertinence. S’il fût venu me trouver, il eût pu faire la paix, et jouer le plus beau rôle que prince eût jamais joué sur la terre, puisqu’il eût fait la paix à la tête de son armée. Elle s’est médiocrement battue; d’ailleurs je l’ai prise en flagrant délit, et, dans un faux mouvement, elle a perdu ses drapeaux, ses canons, 36,000 prisonniers et 20,000 morts. Ainsi a péri une armée de 80,000 Russes, belle et bonne.

L’empereur est mal entouré; son cabinet ne fait que des sottises; son conseil de guerre, mal composé. Il faut que les deux puissances puissent se connaître. La Russie est sans doute la Russie; mais la France est la France. Quand on envoie quelqu’un à un souverain, ou envoie des hommes sages et modérés. Ce polisson de Dolgorouki, qui tranchait sur tout, ne connaissait point la situation de l’Europe. Ce que j’en dis là à Votre Altesse, elle doit bien comprendre que ce n’est que par intérêt pour un prince dont tous les entours sont vendus à l’Angleterre; car les propos que m’a tenus son aide de camp sont le contraire de ceux que l’empereur a tenus à mon aide de camp Savary. Toutefois leur chimère a disparu, et ils en ont pour trente ans sans intervenir dans nos affaires.

Je n’ai pas vu M. Talleyrand depuis longtemps; j’ignore les conditions dont il est convenu avec M. de Normann. Toutefois il est urgent de les arrêter définitivement, car je pense qu’avant huit jours la paix sera définitivement conclue.

Croyez que je me trouve heureux, dans cette circonstance où mes succès sont tels que je n’ai plus rien à ménager, de vous convaincre que mon amitié comme ma politique me portent à élever et à maintenir votre Maison à un haut degré de prospérité.

 

Austerlitz, 5 décembre 1805

A Fouché

Je vois des difficultés au sujet de la lecture des bulletins dans les églises; je ne trouve point cette lecture convenable; elle n’est propre qu’à donner plus d’importance aux prêtres qu’ils ne doivent en avoir, car elle leur donne le droit de commenter, et, quand il y aura de mauvaises nouvelles, ils ne manqueront pas de les commenter. Voilà comme on n’est jamais dans des principes exacts; tantôt on ne veut point de prêtres, tantôt on en veut trop; il faut laisser tomber cela. M. Portalis a eu très tort d’écrire sa lettre sans savoir si c’était mon intention.

 

Austerlitz, 5 décembre 1805

A Joséphine

J’ai conclu une trêve. Les Russes s’en vont. La bataille d’Austerlitz est la plus belle de toutes celles que j’ai données: 45 drapeaux, plus de 150 pièces de canon, les étendards de la Garde de Russie, 90 généraux, 30, 000 prisonniers, plus de 20,000 tués; spectacle horrible!

L’Empereur Alexandre est au désespoir, et s’en va en Russie. J’ai vu hier à mon bivouac l’Empereur d’Allemane; nous causâmes deux heures; nous sommes convenus de faire vite la paix.

Le temps n’est pas encore très mauvais. Voilà enfin le repos rendu au continent; il faut espérer qu’il va l’être au monde : les Anglais ne sauraient nous faire front.

Je verrai avec bien du plaisir le moment qui me rapprochera de toi,

Il court un petit mal d’yeux qui dure deux jours; je n’en ai pas encore été atteint.

Adieu ma bonne amie; je me porte assez bien et suis fort désireux de t’embrasser.