Correspondance de Napoléon – Décembre 1803

Paris, 23 décembre 1803

Au citoyen Talleyrand

Je vous prie, Citoyen Ministre, de me faire faire un précis des campagnes qui ont eu lien lors de la guerre de 1790 entre Gustave III et les Russes.

 

Paris, 23 décembre 1803

Au citoyen Maret, conseiller d’État

Le Premier Consul prie le Citoyen Maret de faire rechercher dans les archives du Gouvernement tout ce qu’il y aurait de la main de d’Entraigues, et, entre autres choses, les papiers contenus dans le portefeuille que le général Bonaparte a envoyé quelque temps avant le 18 fructidor.

 

Paris, 24 décembre 1803

DÉCISION

Rapport du ministre de la guerre sur une note remise au citoyen Reinhard par le ministre de Prusse à Hambourg,
demandant le libre passage, par le Hanovre, des marchandises expédiées de Brême, soit par terre, soit par eau, pour les Provinces prussiennes de Westphalie.
Répondre au général Mortier qu’il est d’abord nécessaire de trainer en longueur, jusqu’à ce qu’il ait reçu des ordres du Gouvernement; et d’ailleurs on est trop sage en Prusse pour ne pas sentir que le général Mortier ne peut prendre sur lui une chose de cette nature sans un ordre du cabinet.

 

Paris, 25 décembre 1803

Au citoyen Régnier

Je vous renvoie, Citoyen Ministre, votre correspondance de l’Ouest. Écrivez au général Gouvion qu’il faut faire des exemples; qu’il pense qu’il doit tomber sur au moins une centaine d’individus, car il y avait bien cent coupables. Les chefs doivent être jugés à mort par la commission militaire et exécutés. Les autres, qui n’ont été qu’égarés, quoique d’ailleurs la sévérité des lois les condamne à mort seront envoyés, par ordre de la commission, à Luxembourg, être employés aux travaux. L’humanité et la sûreté publique veut qu’il y ait des exemples.

 

 Paris, 25 décembre 1803

Au général Pino, commandant la division italienne à Saint-Omer

Citoyen Pino, Général de division, j’ai pris une grande part au malheur qui vous est arrivé; tranquillisez-vous. Vous avez le temps de vous guérir, et songez que tous les mouvements que ferez pour marcher par impatience retarderont voire guérison de quinze jours.

J’imagine que vous avez appelé de Lyon ou Genève un bon chirurgien. Le général Teulié prendra le commandement de la division, jusqu’à ce que vous soyez guéri. Tâchez de l’être dans pluviôse.

 

Paris, 25 décembre 1803

Au général Teulié

Citoyen Teulié, Général commandant la division italienne faisant partie du camp de réserve, j’ai reçu votre lettre du 1er nivôse. J’ai appris avec plaisir que vous êtes satisfait de la conduite de la division.

Les troupes italiennes doivent l’exemple du bon ordre, afin donner aucun prétexte à la malveillance et soutenir l’honneur du nom italien.

 

Paris, 26 décembre 1803

Au citoyen Régnier, Grand-Juge, ministre de la justice

Le Journal des Débats a imprimé un article daté des bords du Mein, dans sa feuille du 4 nivôse, et un autre de Hambourg. Je désire savoir d’où il tient ces articles et qui le paye pour alarmer la nation et être l’écho des nouvelles que l’Angleterre veut répandre. Ordonnez-lui de démentir, d’une manière convenable, ces faux bruits. Je ne suis pas plus content de la politique du Mercure. Je désire savoir si les frères Bertin, qui ont été constamment payés par les Anglais, ont l’entreprise des Débatset du Mercure. Ne leur cachez pas que c’est la dernière fois que je leur fais connaître mon mécontentement, et que, s’ils suivent cette direction de chercher à alarmer la nation, d’être l’écho des intrigues anglaises, ils n’apprendront le mécontentement du Gouvernement que par la suppression de leur feuille; que je sais à quoi m’en tenir; que les frères Bertin sont toujours payés par l’Angleterre, et que l’esprit de leurs articles me le persuade; que mon intention est de ne laisser subsister de journaux que ceux qui animeraient la nation contre les Anglais, l’encourageraient à supporter avec courage les vicissitudes de la guerre; que la raison qu’ils peuvent donner qu’ils reçoivent ces articles de leurs correspondants est absurde; qu’on sait bien que les Anglais tiennent à Hambourg un dépôt de bulletins pour alarmer l’Europe.

Demandez des renseignements au préfet de la Seine-inférieure sur un nommé Deslongs, qu’on suppose être l’espion des Anglais.

Donnez ordre à l’abbé Soyer de se rendre à Paris.

 

Paris, 26 décembre 1803

Au citoyen Talleyrand

Les propositions du citoyen Reinhard, Citoyen Ministre, sont inadmissibles. Le Gouvernement est maître d’envoyer qui lui plaît sans devoir en instruire qui que ce soit. Colleville a été, à ce qu’il paraît, employé par le citoyen Reinhard comme espion; il l’est aujourd’hui par le grand juge, et sa mission n’a rien de commun avec les fonctions patentes, diplomatiques et importantes du citoyen Reinhard. La conduite du citoyen Reinhard est simple. S’il suppose que Colleville est un espion envoyé à Hambourg, qu’il ne le voie point, afin de ne pas accréditer par ses liaisons l’individu; et, quand il lui reviendrait quelque chose sur des Français à Hambourg, il doit en donner franchement avis aux relations extérieures.

Dans une ville comme Hambourg, la police doit avoir non un espion, mais dix. Ces espions ne sont pas des agents du Gouvernement, ne sont pas des fonctionnaires publics, ne sont pas même à la rigueur chargés de missions : ce sont des hommes qui sont là comme Français, qu’on paye comme l’on veut, et qui écrivent ce qu’ils veulent. Le citoyen Reinhard a eu tort de se compromettre avec Colleville en l’envoyant chercher. Il devait écrire au ministre ce qu’il savait de cet individu, et s’en tenir là.

Le nommé Grémion, gendre de Thauvenay, est à Hambourg correspondant du comte de Lille. Écrivez pour le faire chasser.

 

Paris, 26 décembre 1803

Au général Berthier

Je vous renvoie votre correspondance, Citoyen Ministre. Écri vez au général Dufresse, commandant dans le département des Deux Sèvres, que la commission militaire qui est à Bressuire doit se pénétrer de l’importance des circonstances; qu’un bon exemple est nécessaire, et que la condamnation à mort des brigands qui ont voulu soulever les conscrits épargnera bien du sang dans une autre circonstance; qu’en général tout ce qui serait traduit devant la commission militaire et ne mériterait pas la mort, mais serait suspecté d’avoir pris part aux rassemblements, doit être retenu dans quelque forteresse, afin d’être hors d’état de nuire; que je compte sur son zèle et sur son attachement à la patrie et à moi.

 

Paris, 26 décembre 1803

Au général Davout, commandant le camp de Bruges

Citoyen Général Davout, je reçois votre lettre du 30 frimaire (22 décembre). J’avais appris par les papiers publics le petit combat qui a eu entre l’artillerie légère et les ennemis. Les troupes ont montré l’activité convenable. Aucun bâtiment qui se jette à la côte ne doit être pris.

 

Paris, 26 décembre 1803

Au contre-amiral Decrès, ministre de la marine et des colonies

J’apprends que, malgré les ordres réitérés et directs que j’ai donnés pour qu’il ne fût point formé de voûte au fort du musoir, l’ingénieur n’a pas tenu compte de mes ordres et a continué tous les préparatifs; et, par une lettre du ler nivôse, le général Soult me fait connaître que la charpente est prête, et sollicite des ordres pour continuer son projet. Faites connaître mon mécontentement à l’ingénieur; que, si cette voûte existait, je l’aurais fait démolir; que ce qui aurait été fait contradictoirement à l’ordre que j’ai donné lors de mon voyage à Boulogne sera aux frais de l’ingénieur et payé par lui. Vous ferez connaître que mon intention est qu’on suive, ponctuellement l’ordre que j’ai donné.

 

Paris, 27 décembre 1803

Au citoyen Régnier

Citoyen Ministre, écrivez aux différents préfets des départements des côtes et au préfet de police de Paris, pour leur donner l’ordre positif qu’à dater du 20 nivôse (11 janvier 1804), sous quelque prétexte que ce soit, on n’insère dans les journaux aucune nouvelle de mer, surtout rien qui puisse faire connaître les différents mouvements qui peuvent s’opérer sur nos côtes et dans nos ports.

Vous leur ferez sentir que cette prohibition est de rigueur, et que ceux qui s’en écarteraient seraient sévèrement punis; que le Gouvernement, qui n’a pas vu d’inconvénient, jusqu’ici, à laisser connaître les mouvements des flottilles et escadres françaises, en verrait désormais beaucoup à ce qu’ils fussent précisément connus. Écrivez également aux différents préfets de police et maires des villes maritimes. La Gazette de Bruxelles est une de celles qui doit être prévenue le plus sévèrement sur cet objet.

 

Paris, 27 décembre 1803

Au citoyen Régnier

Répondez au citoyen Lamagdelaine (Préfet de l’Orne) qu’il serait convenable de faire une note d’une trentaine d’individus sans aveu qui auraient trempé dans les guerres civiles, et dont on débarasserait le département.

 

Paris, 27 décembre 1803

Au général Berthier

Je partage, Citoyen Ministre, l’opinion du colonel Lahoussaye. Donnez ordre au directeur d’artillerie de Cherbourg de faire établir deux nouvelles batteries de pièces de 36, s’il y en a à Cherbourg, pour protéger le passage du cap la Hague. Elles seront placées sur les points qui seront désignés par le colonel Lahoussaye et le colonel d’artillerie. Il serait convenable que le quartier-maître des garde côtes se tînt à Cherbourg au lieu de se tenir à Caen, si vous n’y trouvez pas d’inconvénient.

 

Paris, 27 décembre 1803

Au contre-amiral Decrès

Dans les ports de Rignéville et de Dielette, il y a une grande quantité de bâtiments qui, depuis deux mois, ont eu cent occasions de sortir, et n’en ont pas profité; indépendamment des opérations militaires que cela retarde, cela a l’inconvénient extrême de fatiguer extrêmement la garnison. Je pense qu’une mission extraordinaire qu’on donnerait au général Latouche de se rendre à Saint-Malo, d’accélérer les armements, constructions et le départ des bâtiments de ce port, et de faire une inspection extraordinaire pour accélérer départ jusqu’à Caen, pourrait être utile. Il serait peut-être utile qu’il commençât par Caen, ou qu’il pût séjourner une quinzaine à Saint-Malo, qui va bien lentement.

Je vous renvoie le rapport des grenadiers qui ont été pris dans rade des Sables.

 

Paris, 28 décembre 1803

Au citoyen Chaptal, ministre de l’intérieur

Répondez à M. de Rumford que je verrai avec intérêt son établissement en France; qu’il doit être certain d’y trouver non-seulement la protection des lois, mais même toute la faveur de l’administration.

 

Paris, 28 décembre 1803

Au général Berthier

On se plaint, Citoyen Ministre, du général Lacombe Saint-Michel dans la République italienne .

1° Pour avoir laissé sans défense la rade de Goro et les chaloupes canonnières qui étaient dans cette rade, de manière que les Anglais ont pu s’emparer des bâtiments de commerce qui s’y trouvaient;

2° De ce qu’il ne tient aucun compte du corps d’artillerie italien, et ne cherche qu’à décourager les officiers;

3° De ce que l’arrêté qui met à la disposition de la République italienne quatre millions de vieille artillerie n’est pas encore exécuté.

Faites-moi un rapport sur ces différents objets.

 

Paris, 28 décembre 1803

Au général Caffarelli

Citoyen Général Caffarelli, Aide de camp, dès l’instant que vous aurez pris tous les renseignements convenables sur la situation de la légion piémontaise, et que vous aurez la certitude de la prompte formation de cette légion, vous vous rendrez à Alexandrie. Vous verrez en détail les travaux qu’on y fait, de manière à pouvoir m’en rendre compte, ouvrage par ouvrage. Vous visiterez le camp de vétérans, et vous verrez ce qui s’oppose à ce qu’il soit promptement formé. De là vous vous rendrez à Paris, en passant par le Simplon. Vous prendrez note de la situation de cette route.

 

Paris, 28 décembre 1803

Au contre-amiral Decrès

Je vous renvoie votre correspondance, Citoyen Ministre. Je ne puis approuver la lettre du général Ganteaume au général Cervoni. Sans lui dire quand l’escadre devait partir, il devait seulement l’engager à faire cantonner les troupes aux environs de Toulon. Écrivez-lui-en dans ce sens.

Je désirerais avoir un petit état de la flottille de transport, avec la note de ce qu’elle nous coûte, et de ce qui a été payé.

 

Paris, 28 décembre 1803

A l’amiral Bruix

Citoyen Amiral Bruix, j’ai reçu votre lettre du 5. J’ai lu a grand intérêt l’interrogatoire que vous avez fait subir à l’équipage  anglais. J’approuve toutes les expéditions que vous ferez, ayant pour but de prendre des renseignements de ce qui se fait en Angleterre. Je désirerais savoir positivement quel est le nombre des vaisseaux de guerre de 74 ou 80 mouillés constamment dans la rade des Dunes. Il me semble qu’il ne devrait pas être difficile d’avoir constamment des renseignements sur cet objet. J’y attache cependant une très grande importance. Dites-moi tout ce que vous apprendrez là-dessus.

Nous avons eu ici un violent ouragan qui a brisé les toits et beaucoup de dommages. J’imagine qu’il y aura eu beaucoup d’évènements sur mer. L’ouragan paraît être sud-ouest. J’espère que flottille n’aura point éprouvé d’accident à Boulogne.

 

Paris, 29 décembre 1803

Au consul Cambacérès

Je pars demain, Citoyen Consul, à six heures du matin pour Boulogne (Le voyage à Boulogne va durer du 30 décembre au 6 janvier 1804). Je serai ici pour l’ouverture du Corps législatif.

Discutez samedi au Conseil d’État la loi sur les boissons, afin de préparer seulement les idées. Vous ferez également tous les préparatifs pour l’ouverture du Corps législatif, comme à l’ordinaire.

Écrivez-moi tous les soirs.

 

Paris, 29 décembre 1803

Au contre-amiral Ganteaume, préfet maritime à Toulon

Il devient, Citoyen Général, de la plus haute importance que l’escadre, composée de sept vaisseaux et cinq ou six frégates, parte de Toulon le 25 nivôse (16 janvier 1804) au plus tard, et le Premier Consul m’a même autorisé à vous faire connaître sa destination et les motifs qui rendent son départ impérieux. Il ne s’agit pas moins que de sauver la Martinique, à qui 12 ou 1500 hommes de renfort suffisent pour la rendre imprenable dans les circonstances actuelles. Nous sommes informés que l’ennemi fait embarquer, dans ce moment, 5,000 hommes pour l’attaquer. Elle a une bonne garnison, mais un secours lui est nécessaire; et, pour qu’il arrive à temps, il faut qu’il parte avant les premiers jours de pluviôse. Ainsi, quoi qu’en dise votre lettre du 28 frimaire, le Premier Consul compte que, dussiez-vous faire travailler nuit et jour, dussiez-vous dépouiller tous les autres bâtiments pour équiper l’escadre dont il s’agit, elle sera prête pour l’époque de rigueur.

Le vice-amiral Latouche est nommé au commandement de cette escadre. Il importe que son départ ne soit pas annoncé; mais, comme on ne peut le dissimuler entièrement, faites tout ce qui est convenable pour faire penser qu’elle est destinée pour la Morée. Confiez cette destination de la Morée au général Cervoni, et dites-lui que l’escadre doit toucher à Tarente, où elle prendra un convoi chargé de troupes.

Le vice-amiral Latouche va se rendre sans délai à Toulon. SiL’Aigle y était arrivé, il ferait, en tant qu’il lui serait possible, partie de l’escadre. Le Premier Consul lui donne une grande latitude d’autorité; il choisira, en conséquence, les officiers qui doivent servir sous ses ordres, et fera dans les commandements les changements qu’il jugera convenables. S’il est nécessaire de faire entrer des vaisseaux dans le port pour armer les autres, vous y êtes autorisé. Si cependant on pouvait les laisser sur rade, cela serait utile, ne fût-ce que pour forcer l’ennemi à une surveillance ultérieure, sur le port de Toulon, après le départ de l’escadre active; mais c’est à l’armement de celle-ci que tout doit être employé de préférence. –

Je vous écris par le courrier ordinaire sur les moyens de faire une presse de matelots.

Comme je suis surchargé d’affaires, je n’ai que le temps de vous faire connaître l’esprit de ces dispositions, bien sûr que vous seconderez de toute votre activité le zèle du vice-amiral, et que vous ferez l’impossible pour remplir les vues du Premier Consul.